La société civile est un concept qui a émergé de façon spectaculaire depuis les années 1980. Cette notion plurivoque et pluridimensionnelle a été reprise de manière intensive dans les démocraties occidentales et les organisations supranationales qui se sont appuyées sur les connotations utopiques et émancipatrices du concept pour réenchanter la démocratie. Irriguant un ensemble de champs sociaux et politiques, déployée aussi bien par les gouvernants, les organisations non gouvernementales et les observateurs et commentateurs des évolutions sociales, la thématique de la société civile s'est imposée aujourd'hui comme un « prêt à penser ».
Ce livre propose une mise à distance critique de la notion de « société civile organisée » en interrogeant les pratiques et les usages qui peuvent être reliés à la société civile en Allemagne et en France du début du XIXe siècle jusqu'à la période contemporaine. En mobilisant des analyses empiriques diverses – allant des chambres de commerce aux mouvements altermondialistes en passant par les associations culturelles, cultuelles, économiques ou sportives – ce livre permet de déconstruire les lieux communs et de saisir l’articulation mouvante entre l’État, les groupes sociaux organisés et l’individu dans deux aires politico-culturelles différentes, observées jusque dans leur recoupement et leur éventuelle porosité.
Introduction générale
Les réformes des cadres de l'action publique
Analyser un corps se retournant sur lui-même
Enquêter aux sommets de l’État
Les faiseurs de corps et l’impératif managérial
Désirs privés, devoirs publics
Chapitre 1.
Grandeur et déclin d’un grand corps de l’État – Les sirènes du secteur privé
I. Récits glorieux et destins ordinaires
1. L’âge d’or du corps et du ministère de l’Équipement : prestige local et prestige du local
2. La décentralisation : services exsangues et cadres traumatisés
3. La désaffection pour le Ministère, le territoire et la technique
II. Les « passagers clandestins » du corps
1. Le « phénomène Bercy »
2. Un pantouflage croissant, de plus en plus précoce et définitif
3. La hantise des démissions de la fonction publique
Chapitre 2.
La formation scolaire du corps, du génie civil à l’esprit d’entreprise
I. La place croissante de la formation dite managériale
1. Gestion, savoir-être et compétences managériales : un problème terminologique
2. L’introduction des compétences sociales à la fin des années 1960
3. Des ingénieurs spécialisés dans le Management à partir des années 1980
4. Le Management réenchante la technique : la formation d’ingénieurs-managers
5. Un chercheur en sciences sociales à la tête de l’entreprise École des Ponts
II. Familiariser les élèves aux entreprises privées
1. La présence des hauts fonctionnaires : une source de prestige en voie de tarissement
2. Paradis du privé et misère des DDE
3. Le management privé de l’administration publique
Chapitre 3.
Les grandes Écoles entre impératifs ministériels et enjeux d’internationalisation
I. Les grands corps, quantités négligeables dans l’autonomisation de Polytechnique
II. L’ENPC et l’impératif d’attractivité dans le champ de l’enseignement supérieur
1. Quand le prestige consiste à être généraliste
2. Une renommée internationale entachée par des spécificités françaises
III. Un cas d’étude : fusion de grandes Écoles versus guerres de territoires corporatistes et ministériels
Chapitre 4.
La fusion de corps d’État comme remède au pantouflage
I. Transgressions hiérarchiques – Dominé qui croyait dominer
1. Principes de la domination d’un corps sur l’autre
2. Un grand corps convoité par des corps scolairement dominés
3. Grand corps malade ? Le corps des Ponts en perte de vitesse
4. Des corps scolairement dominés mais matériellement dominants
II. Le rétablissement des préséances par une fusion âprement négociée
1. La mise en récit managérial dans l’arène des négociations interministérielles : une réforme en trompe-l’œil
2. La création d’un corps arithmétiquement loyal au service du Ministère
3. Transactions interministérielles et revalorisations statutaires
Chapitre 5.
Desseins privés versus impératifs publics
I. Logique corporatiste et rapport instrumental à l’État
1. La mise à distance du Ministère : quand le corps transcende la tutelle
2. Un ministère, refuge en cas de besoin
3. Des « subordonnés » pour tenir les places
II. L’intérêt général conjugué au privé
1. L’intérêt général comme qualité immanente du corps
2. Des hauts fonctionnaires « vendables sur le marché de l’entreprise »
3. L’association professionnelle en pratiques : l’invitation au pantouflage
III. La logique ministérielle et l’expertise comme moyen de survie
1. Corps à corps avec le Ministère : une histoire fusionnelle
2. La légitimité technique comme élément saillant du corps des Ponts
3. Le déclin des compétences techniques au mépris de l’intérêt général
4. Quand les « sciences sociales » siphonnent les compétences techniques
Chapitre 6.
La subordination du management au service de l’État
I. La domestication des cadres de l’action publique
1. Rhétorique managériale et éthique de l’intérêt général
2. Stratégie de démarcation scolaire : du management pour scientifiques
3. Un management public, ministériel et politique
II. Des sciences sociales pour redorer le blason des ingénieurs
1. La conversion de l’habitus scolaire ou un « petit passage dans la boue »
2. La réflexivité anti-technocratique
3. Les savoir-être comme excipients du cartésianisme
4. Le retour des technocrates ?
Conclusion générale
Les usages pluriels du management au sein du corps
L’intéressement à la réforme
Manager : figure de l’accomplissement professionnel
L’incontournable langage de l’État
Les logiques qui (dé)font le corps
Sources
Liste des observations directes citées
Liste des entretiens cités
Documents et archives du ministère de l’Équipement
Documents et archives des Écoles (Polytechnique, ENPC, ENTPE)
Archives des représentants associatifs et syndicaux
Textes juridiques
Rapports
Articles de presse générale et spécialisée
Bibliographie
Abréviations, sigles et acronymes utilisés
Liste des encadrés
Liste des tableaux