Le 15 novembre 2007 s'est tenu dans la Maison de la recherche de l’Université de Lille3 une journée d’études organisée conjointement par le Centre d’études Civilisations, Langues et Littératures étrangères (CECILLE) de l’Université de Lille 3 et le Centre d’études des pays de l’Europe du Nord (CEPEN) de l’IEP de Lille, dirigé par Michel Hastings. Ce colloque a bénéficié d’un important soutien de la part du Goethe-Institut de Lille : a été ainsi assurée une journée franco-allemande accessible à tous. Il a obtenu également le concours de l’Ecole doctorale de l’Université de Lille 3. Ce dossier reprend les communications faites lors de cette journée d’études, deux autres sont venues s’y ajouter.
Quand on s’est ces dernières années interrogé sur l’avenir du fédéralisme allemand, on a été tenté, non sans parfois en France une satisfaction malicieuse, de juger que le système était dans une impasse en raison de la lourdeur des processus de prise de décision qu’il induisait et des effets négatifs que cela avait sur l’économie allemande. On le faisait d’autant plus volontiers que l’on pouvait se recommander du chef de l’Etat lui-même, le Président fédéral Horst Köhler, déclarant en juillet 2005 que « l’ordre fédératif allemand était dépassé. » Par ailleurs on relevait que sur le plan territorial, l’Allemagne n’avait pas réussi à provoquer les fusions entre Länder qui auraient pu être souhaitables. Elle n’y était pas parvenue au moment de l’unification quand la RDA, recomposée en Länder à peu près selon les frontières existant en 1952, avait adhéré à la Loi fondamentale de la RFA/Allemagne de l’Ouest. Le fédéralisme était malade, fallait-il s’en débarrasser ou simplement le réformer ? L’Allemagne a commencé à le réformer, une première vague de réformes est entrée en vigueur sous le nom de Réforme du fédéralisme I. La Réforme II est en cours de négociations ; négociations qui se trouvent être, au printemps 2008, compliquées par les querelles intestines que connaît la Grande coalition, les déclarations de la chancelière Angela Merkel (9 juin 2008) sur « l’erreur qu’a constitué la sortie du nucléaire civil » par le gouvernement de son prédécesseur montrant assez que l’Allemagne, entrée en pré-campagne électorale, aura du mal à s’accorder sur les questions de la constitution financière du pays, qui sont au moins aussi épineuses que celles du nucléaire, à défaut d’être aussi spectaculaires.
Parler du fédéralisme en règle générale et du fédéralisme allemand en particulier, c’est toujours évoquer une série d’au moins trois questions : 1. La répartition des compétences et pouvoirs entre le centre et la périphérie, le pouvoir fédéral, le Bund, et les Etats fédérés, les Länder. 2. La question de l’équilibre est aussi liée à celle du découpage du territoire : de quels Etats fédérés a besoin une fédération harmonieuse, ce qui est aussi lié à la cohésion des Etats fédérés et à leur identité historique quand on sait que certains Länder sont de fondation récente, tels la Rhénanie-du-Nord – Westpahlie et la Rhéna-nie-Palatinat, créés artificiellement sur la base de la dissolution de l’Etat de Prusse intervenue en 1947 (Loi 146 du Conseil de contrôle interallié, 25 février 1947). 3. Qu’en est-il enfin du fédéralisme culturel, apanage de l’Allemagne, qui semble battu en brèche par la ré-émergence d’une culture nationale après la réalisation de l’unité allemande en 1990 ? On a été tenté en France de voir une évolution évidente en faveur de la centralisation au détriment des Länder quand le chancelier Schröder a créé pour la première fois un ministère fédéral de la Culture et de la communication, pourtant cela n’a pas pro-voqué de la part des Länder, toujours sour-cilleux en la matière, de dépôt de plainte devant le Tribunal fédéral constitutionnel, comme en son temps (1960/61) la fondation d’une station de radiodiffusion centralisée à Mayence, le ZDF.
Pour faire le point sur les réformes acquises dans le cadre de la Réforme I et approcher les réformes en cours de négociation, nous avons fait appel à des spécialistes français et allemands sans négliger la dimension comparative, même si la comparaison est limitée à la Suisse (O. Giraud). Les contributions publiées dans ce dossier sont ou générales ou déjà très techniques, même sous une plume française. Mais la compréhension du fédéralisme allemand est à ce prix. En Allemagne même, les questions du fédéralisme sont de la compétence des juristes et des fiscalistes. Nous sommes d’autant plus heureux d’avoir la contribution d’une personnalité qui a participé pour la Rhénanie-du-Nord – Westphalie à l’ensemble des négociations avec le pouvoir fédéral : nous devons à W. Försterling à la fois une analyse et un témoignage de l’intérieur. Après le rappel des origines historiques du fédéralisme allemand et des acquis de la première vague de réformes (W. Woyke), ce dossier revient sur l’impossible recomposition territoriale (J.-L. Georget), le fédéralisme culturel dans sa double dimension de politique culturelle classique (J.-P. Gougeon) et de ses implications essentielles pour l’éducation et l’enseignement supérieur (F. Ferlan) et l’impact des réformes sur le site de production Alle-magne avec ses composantes, les Länder (S. Gouazé). Enfin, W. Reutter revient sur l’implication des parlements régionaux dans la réforme et H. Scheller relève le défi d’expliquer aux lecteurs français les difficultésà réformer la « constitution financière » de l’Allemagne, la pierre angulaire du fédéralisme, ce qu’aujourd’hui chaque Français comprend mieux qu’auparavant puisque il voit bien jusqu’en France même que la dévolution de nouvelles compétences aux Régions n’a d’avenir que si celle-ci s’accompagne de l’allocation par l’Etat central des ressources financières nécessaires à l’exécution de leurs nouvelles tâches.
Les intitulés des contributions montrent qu’une certaine insatisfaction subsiste sur ce qui a déjà été fait alors que certains observateurs affirment que la Grande coalition mériterait rien que pour sa première vague de réformes un éloge pointé : c’est la plus importante réforme constitutionnelle jamais adoptée depuis 1949
Ce dossier cherche encore à répondre en filigrane à une série de questions impor tantes pour l’Europe : La réforme du fédéralisme permet-elle au Bund et aux Länder de mieux s’intégrer dans le cadre européen ? En se modernisant, le modèle fédéral allemand redevient-il un modèle attrayant pour l’Europe ? Peut-il favoriser les tenants d’une conception fédéraliste de l’Europe avec toujours plus d’intégration conduisant à faire de l’Europe un véritable Etat fédéral ou ces réformes restent-elles une affaire intérieure allemande, l’Europe étant plutôt partie aujourd’hui pour redevenir une Europe des Etats-Nations, procédant par conférences intergouvernementales ?