Chronique littéraire et culturelle

Afriques

Depuis huit ans, Berlin accueille au début de l'automne son désormais célèbre « festival international de littérature » (internationales literaturfestival berlin) qui réunit des auteurs et intellectuels du monde entier pour présenter et débattre les évolutions de la littérature et de la poésie contemporaines. Ce festival organisé en coopération avec la « Peter-Weiss-Stiftung für Kunst und Politik e.V. » a, contrairement à d’autres manifestations littéraires, une particularité bien affichée, celle d’avoir une visée clairement politique. La huitième édition du festival met cette année l’accent sur l’Afrique, avec la présence d’une majorité de jeunes auteurs pas encore très connus ou pas traduits en allemand. Y figurent toutefois des noms bien connus en France avec, entre autres, l’Algérien Boualem Sansal (qui vient de publier Le village de l’Allemand) ou le dramaturge togolais Kossi Efoui. En dehors des lectures, le festival prévoit nombre de débats et de tables rondes qui focalisent cette année les tenants et aboutissants historiques et politiques des problèmes actuels du continent africain, et évoquent également les relations avec l’Europe et l’aide au développement. Dans ce contexte, certains observateurs ont regretté l’absence du regard littéraire européen sur l’Afrique. Apparemment, la littérature contemporaine ne s’y consacre pas, c’est pourquoi les organisateurs ont invité Uwe Timm à lire des extrais d’un roman paru il y a trente ans, Morenga, sur le soulèvement des Herero contre les colonisateurs allemands au début du XXe siècle. On peut toutefois s’étonner de l’absence à ce festival d’un jeune auteur suisse, Lukas Bärfuss, qui vient justement de publier un roman sur l’Afrique. Roman remarqué par la critique dès sa parution pour son sujet inhabituel.

En avril 1994, lorsque les occidentaux quittent Kigali après le début du génocide, David Hohl, membre du bureau de la coopération suisse au Rwanda, décide de laisser partir le dernier avion. Il a honte de voir les coopérants quitter le pays comme s’ils avaient tout prévu depuis toujours, et il veut retrouver Agathe pour lui montrer qu’il est différent des autres. Il se cache dans sa maison et y reste les cent jours que sévira le génocide. Avec son premier roman Hundert Tage (Wallstein, 2008), Lukas Bärfuss, connu pour être un des meilleurs dramaturges et auteurs du théâtre actuel, s’attelle donc à un sujet peu habituel pour la littérature contemporaine de langue allemande. De retour en Suisse, David livre son récit à un ami d’enfance – le narrateur du roman. Ce dernier observe un homme brisé et assiste à l’anamnèse des souvenirs, il suit les paroles et encore plus les silences de cet ami qui n’avait pas imaginé qu’il pouvait un jour se retrouver impliqué dans un crime de masse. Cela faisait quatre ans que David travaillait pour l’aide au développement suisse au Rwanda, il croyait « au Bien », voulait aider les gens et surtout « faire avancer l’humanité ». Certes, il se rend compte des injustices et dysfonctionnements du système d’aide, remarque les inégalités dans la société rwandaise dues à l’appartenance à deux ethnies, les « longs » et les « courts ». Mais comme les autres coopérants, David se laisse emporter par un certain ennui quotidien, renonçant à mieux comprendre cette société : « Tout ce que nous ne comprenions pas, nous ne le comprenions pas tout simplement parce que personne d’entre nous ne comprenait leur langue. Nous ne pensions pas que l’effort de l’apprentissage valait la peine, que cette langue conservait un quelconque secret, quelque chose qu’il fallait comprendre pour percer le masque de ce pays. » Et pourtant, ce fut bien la langue locale qui, à travers une propagande bien organisée, devint le vecteur du génocide.

Ce faisant, David commence une relation amoureuse avec Agathe, fille d’un haut fonctionnaire du régime en place, étudiante à Bruxelles et retenue par son père pour poursuivre ses études au pays. Agathe, insaisissable pour David comme l’est sa langue, perd peu à peu son habitus européen, elle suit les manifestations politiques des Hutus jusqu’à devenir elle-même un instrument de la propagande génocidaire anti-Tutsi, « contaminée avec ce bacille, avec cette haine qui a fini par l’empoisonner et la tuer ». Trop tard, David se rend compte de la métamorphose de son amie, trop tard il comprend que les ambitieux projets d’aide au développement engagés par la Suisse, qui a fait du Rwanda une de ses priorités en matière de financement, ont surtout servi à mieux mener à bout le génocide : « nous n’avons pas vu les conséquences, nous ne voyions que notre vertu qui nous ordonnait d’aider. » Par exemple apprendre à gérer et à administrer le pays, apprendre la démocratie en professionnalisant les médias du pays, avec pour conséquence un génocide très ordonné et la création de stations de radios, comme la Radio des Mille Collines, transmettant des propos incendiaires contre les « cafards » : « Bon, ce n’était pas notre intention d’enseigner aux génocidaires leur métier, ce n’était certainement pas de notre faute s’ils faisaient de la radio un instrument de meurtre, mais d’une certaine manière je n’ai jamais pu me débarrasser du sentiment que je prêtais l’oreille à un projet très réussi de notre direction. ».

Le livre de Lukas Bärfuss, dont le récit hésite parfois entre intention documentaire et « littérarisation », a été reçu comme un texte attestant de l’engagement politique de l’auteur. Pourtant, Bärfuss lui-même insiste sur le caractère fictionnel de son roman et rappelle la règle quelque peu élémentaire selon laquelle on fait la différence entre l’auteur et ses personnages. En revanche, si ce livre témoigne d’un positionnement, c’est bien de celui, autocritique, qu’affichent les humanitaires depuis une vingtaine d’années face à leur propre intervention dans des zones de crise – interrogation en l’occurrence également valable pour l’aide au développement – et sur leur implication non-intentionnelle dans des crimes.

Familles

« Ainsi je vivais désormais de page en page et entre livre et livre. Ce faisant, je portais quantité de personnages en moi. Mais pour le raconter, les oignons manquent autant que l’envie. » Ainsi se terminait en 2006 l’autobiographie de Günter Grass, Beim Häuten der Zwiebel (Pelures d’oignons), qui a défrayé la chronique à cause de l’aveu de l’auteur d’avoir été membre d’une formation des Waffen-SS. Le livre ne se limitait évidemment pas à cela. C’est une autobiographie tout à fait classique où Grass décrit son enfance et sa jeunesse, les premières années d’après-guerre, sa participation au Groupe 47, son séjour à Paris jusqu’à la parution du Tambour, tout en abordant sa formation intellectuelle, ses rencontres, ses premières œuvres. C’est la métaphore de l’oignon que l’auteur choisit pour désigner le souvenir dont il faut ôter les différentes strates pour décoder ce qui est inscrit dans la mémoire depuis longtemps, y compris les faux souvenirs, les mensonges, les petites tricheries qui constituent « la partie la plus résistante du souvenir ». L’autobiographie s’arrête à la fin des années 1950, l’auteur-narrateur termine son récit en avouant une certaine lassitude. Il n’a plus envie de raconter la suite et de continuer ce travail de mémoire.

Deux ans après, Günter Grass revient à la charge avec Die Box. Dunkelkammergeschichten (Steidl, 2008), en quelque sorte la suite de son autobiographie, sauf que l’auteur y recourt à une constellation narrative inhabituelle pour ce genre. En effet, il passe par le point de vue de ses huit enfants qu’il fait se réunir, par l’intermédiaire d’un geste auctorial que Grass maîtrise comme personne d’autre, autour d’une table équipée d’un microphone. Dans un entretien télévisé, Grass affirme qu’il ne voulait pas représenter l’essentiel de ce qu’il avait fait dans la vie, c’est-à-dire écrire livre après livre, à partir de son propre point de vue. Ce sont donc les enfants qui parlent et racontent comment ils ont vécu l’activité d’écriture de leur père. Mais ce petit artifice ne saurait tromper le lecteur sur la voix qui fait parler les personnages et le « père » ne manque pas d’aviser qu’il s’agit d’une constellation bien fictionnelle : il intervient à la fin des chapitres et « supprime quelques mots, en atténue ou renforce l’expression » ou ajoute quelques souvenirs propres à lui. Ce dernier livre de Günter Grass est un livre très intime, plein d’humour et plein d’anecdotes. On suit l’auteur dans sa grande famille recomposée en suivant les méandres de ses différents couples et relations amoureuses, sans pour autant se sentir voyeuriste. La perspective choisie, celle des enfants, exclut a priori ce qu’on aurait pu attendre d’une autobiographie classique : des renseignements sur ses nombreux engagements intellectuels et politiques depuis les années 1960. L’Histoire, toujours présente chez Grass, rentre dans le livre par un deuxième artifice : la fameuse boîte qui a donné son titre au livre et qui évolue peu à peu en personnage central. D’abord, il y a une histoire vraie, celle de la photographe Maria Rama, amie de l’auteur qui l’a souvent accompagné ainsi que sa/ses famille(s), et il en résulte plein de photos. La « boîte », une vieille caméra Agfa, fut le seul objet qui ait survécu dans l’atelier de la photographe lors des bombardements de Berlin. Et cette boîte devient ensuite ce qui a été l’oignon plus prosaïque du livre précédent : le vecteur du passé et de la mémoire. Avec une faculté en plus, celle de regarder dans l’avenir et de réaliser les souhaits les plus intimes des enfants. Ce sont donc les photos prises dans le présent par la photographe, avec cette vieille boîte Agfa, qui révèlent les strates du passé ou prédisent l’avenir. On est ici dans le registre de la magie et du conte, déjà annoncé dès la première ligne : « Il était une fois un père qui, devenu vieux, convoqua ses fils et filles – au nombre de quatre, cinq, six, huit – jusqu’à ce qu’ils se plient à son vœu après de longues hésitations. Désormais assis autour d’une table, ils commencent aussitôt à parler, chacun pour soi, tous en même temps, certes imaginés par le père et suivant ses paroles, mais opiniâtres et sans vouloir le ménager, malgré l’amour qu’ils lui portent. »

La critique allemande a froidement accueilli le livre, reprochant à l’auteur complaisance et nombrilisme, elle n’a pas apprécié cette posture quasi-divine de pater familias. Cette certitude auctoriale aujourd’hui désuète et que l’on ne retrouve plus dans la littérature des plus jeunes. Cette persistante volonté de l’auteur de se mêler dans son récit, d’apparaître en plein milieu d’une fiction et de montrer qu’il la gère et maîtrise. Mais cette posture qui agace certains, a tout pour séduire d’autres. Grass sait raconter, il sait conter, il sait attiser l’imagination. Cette posture a quelque chose de rassurant, quelque chose qui transmet le sentiment de pouvoir faire confiance au récit, quelque chose qui rappelle ce narrateur dont Walter Benjamin avait déjà déploré la disparition dans les années trente : celui qui sait « transmettre une expérience » et qui sait « donner conseil ». Grass, avec son assurance narrative, serait-il, même si c’est un anachronisme, le dernier « narrateur » du XXIe siècle ? Le lecteur en tout cas peut trouver du plaisir à jouer le jeu et accorder à ce vieil homme, ne serait-ce le temps d’un contrat de lecture et le temps d’une illusion, ce pouvoir de maîtrise du récit et des expériences.

Allemagnes

Si l’histoire de l’Allemagne n’est plus au centre du dernier livre de Günter Grass, la jeune génération semble prendre la relève. À une année des commémorations du vingtième anniversaire de la chute du Mur, Jan Böttcher et Ingo Schulze s’intéressent aux derniers moments de la RDA. Avec Nachglühen (Rowohlt, 2008), Jan Böttcher écrit un roman sur l’amitié et la trahison, sur les difficultés de venir à bout d’expériences traumatisantes et de se reconstruire dans un environnement apparemment anodin, mais lourd des traces du passé. Après de nombreuses années passées en Allemagne de l’Ouest, le journaliste Jens Lewin décide de revenir dans le village où il a passé son enfance et sa jeunesse pour reprendre le bistrot de ses parents. À l’époque de la RDA, ce village au bord de l’Elbe appartenait à la zone frontalière, avec toutes les conséquences pour la population locale : déplacements forcés de certaines familles dans l’arrière-pays, limitation d’accès et laissez-passer, contrôles renforcés, patrouilles des gardes-frontières et bien sûr la clôture qui barre la vue sur le fleuve. Ce n’est qu’après la chute du Mur que les parents de Jens Lewin ont pu reprendre le bistrot familial et renouer avec une tradition que le fils se sent désormais tenu d’assurer. Sa femme Anne l’accompagne dans cette entreprise que les deux lancent avec enthousiasme, mais peu à peu, elle voit son mari changer, devenir taciturne, se recroqueviller sur lui-même. Et puis, il y a ces voisins, Hans Brüggemann et son fils Jo. Leur présence devient insupportable pour Jens Lewin, les accrochages se répètent. Alors qu’Anne se rapproche de Jo Brüggemann et apprend de lui quelques bribes de la vie de Jens, ce dernier se renferme de plus en plus. Seul, il est en train de vivre un processus douloureux où, au vu des lieux et des paysages de son enfance, les souvenirs du passé remontent.

On apprend alors qu’à l’époque de la RDA, Jens s’est trouvé à deux reprises dans le collimateur du pouvoir. L’adolescent de seize ans qui dévore Stanislas Lem et fréquente le photographe Jablonski, le seul être marginal du village, se met à écrire une pièce pour marionnettes qu’il présente en 1985 lors des festivités du 36e anniversaire de la fondation de la RDA. Ce qui a été préalablement présenté aux fonctionnaires de la culture comme un conte anodin se révèle être une pièce politique sur ses expériences dans la zone frontalière. Jens est immédiatement arrêté, et, après de longs interrogatoires, il purge une peine de huit semaines dans un foyer pour jeunes. Rentré chez lui, il est abordé par Jo Brüggemann qui voit en lui un héros, ou du moins le lui fait croire. C’est ainsi que Jo incite Jens à faire une plaisanterie aux gardes-frontières, en se branchant sur leur réseau téléphonique. En plein milieu de l’affaire, Jo disparaît, Jens est arrêté une deuxième fois et finit les dernières années de la RDA en prison pour n’en sortir qu’en décembre 1989.

Ce qui rend le roman de Jan Böttcher intéressant, c’est la façon d’agencer les niveaux de narration afin qu’on ne puisse pas reconstruire sans ambiguïté les faits du passé. Jens, Jablonski et Jo sont tous impliqués dans les différentes affaires, le roman fait naître des soupçons contre chacun de ces trois personnages. Böttcher opte pour figurer une sorte de « zone grise » plutôt que de faire porter un jugement clair et univoque sur les personnages.

La critique a réservé un accueil très positif à ce livre – Böttcher avait déjà présenté un extrait au Ingeborg-Bachmann-Wettbewerb 2007 et avait reçu le prix Ernst Willmer – soulignant que c’était un jeune Allemand de l’Ouest qui l’a écrit et qui a réussi à peindre avec justesse un pan de l’histoire de la RDA. Est-ce le début d’un décloisonnement de la jeune littérature allemande et la fin de l’opposition quelque peu caricaturale entre « génération Golf » et « génération Trabant » ?

Avec Adam und Evelyn (2008, Berlin Verlag), Ingo Schulze nous livre un roman d’un tout autre genre qui se présente à première vue comme une réactualisation des pétillants romans d’été pour amoureux de Kurt Tucholsky. On est en août 1989. Adam, 33 ans, et Evelyn, 21 ans, partagent leur vie dans une petite maison. Adam est tailleur, Evelyn serveuse, dans quelques jours ils devaient partir en vacances en Hongrie, au bord du lac Balaton. Mais Adam, qui n’est pas simplement tailleur, mais un véritable créateur de mode qui attire sa clientèle d’un peu partout en RDA, a un goût prononcé pour les femmes bien habillées et donc pour ses clientes. Lorsqu’Evelyn le surprend avec l’une d’elles, elle décide de le quitter et de partir en Hongrie par ses propres moyens, avec une copine et le cousin de cette dernière, un Allemand de l’Ouest. Comme Adam aime Evelyn, il décide d’abandonner la tranquillité de sa vie de créateur en fin de compte heureuse et de les suivre avec sa vieille Wartburg, année de construction 1961. Commence alors un voyage rocambolesque à travers la Tchécoslovaquie et la Hongrie et leurs postes-frontière. Un peu étonné, Adam observe les nombreux Allemands de l’Est autour de lui qui attendent de trouver une occasion pour passer à l’Ouest. Lorsqu’il retrouve Evelyn, il doit constater qu’elle aussi n’a plus qu’une envie, celle de passer la frontière, de commencer une nouvelle vie et de faire enfin des études qu’elle s’est vu refuser en RDA. Lorsque la Hongrie ouvre définitivement sa frontière avec l’Autriche, les interminables vacances sur le lac Balaton prennent fin et Adam décide de suivre Evelyn jusqu’à Munich, de recommencer une nouvelle vie là-bas, alors qu’au fond, il aurait préféré rentrer chez lui.

Sur fond d’une histoire de couple apparemment assez banale, Ingo Schulze livre avec finesse une radiographie de l’environnement social des personnages et réussit ainsi à capter cette ambiance particulière qui caractérisait les derniers mois avant la chute du Mur. Remarquables sont également les dialogues qui constituent la majeure partie du roman. La narration s’efface peu à peu et laisse la place directement aux voix des personnages. Dans l’ensemble, c’est un livre à la fois plaisant et profond, notamment dans la représentation des comportements et des attitudes face à l’imminence d’un tournant de l’histoire.

Terminons par deux événements culturels qui ont marqué cet automne. Le premier était la sortie, fin septembre, du film Der Baader-Meinhof-Komplex de Uli Edel (D 2008, 150’), basé sur l’ouvrage du même titre du journaliste Stefan Aust, ex-rédacteur en chef du Spiegel. Dès le début du mois de septembre, le Spiegel consacre sa une au film et annonce au spectateur qu’il verra des « images de la barbarie » qui témoigneraient comme jamais auparavant de la brutalité des terroristes. En suivant la chronique établie par Aust, le film s’étend sur les dix ans entre 1967 et 1977, de la visite du Shah à Berlin et le début des révoltes d’étudiants jusqu’à « l’automne allemand ». En s’appuyant sur les faits historiques, représentés de façon aussi exacte et authentique que possible, le film prétend en finir avec le mythe qui s’est construit autour de la RAF, en démasquant la brutalité sauvage de ses acteurs. La critique a cependant déploré que le film ne propose pas d’analyse du terrorisme allemand, mais qu’il se contente d’aligner les différents événements. L’enjeu était bien là : faire un long métrage, une fiction, tout en suivant de près la chronique d’Aust et les faits historiques. L’entreprise de démythification est également remise en question. En dehors des journalistes, ce sont les familles des victimes de la RAF qui sont entrés dans le débat. Ainsi, Michael Buback, fils du procureur général fédéral Siegfried Buback assassiné le 7 avril 1977, y voit surtout un film sur les acteurs de la RAF, sur les bourreaux (un « Täterfilm »). Il pense que les nombreuses scènes montrant la violence terroriste n’empêchent pas que le film crée avant tout une proximité avec les personnages principaux, les terroristes de la RAF, qui sont au centre du film et qui sont les seuls avec lesquels le spectateur peut se familiariser. Alors que l’histoire personnelle des victimes de la RAF est absente. La famille de Jürgen Ponto, président du directoire de la Dresdner Bank, assassiné le 30 juillet 1977 dans sa maison, proteste publiquement contre le film. La veuve de Ponto, âgée de 79 ans, a même rendu la Croix fédérale du mérite qu’elle avait reçue dans les années quatre-vingts. Non seulement la famille déplore les erreurs historiques dans la représentation de l’assassinat, mais elle se sent blessée dans sa dignité humaine suite au battage médiatique autour du film et de la diffusion répétée de cette scène d’assassinat dans les médias. Le public français pourra juger lui-même de la portée du film, intitulé « La bande à Baader », qui sort au mois de novembre 2008.

Comme tous les ans, le salon du livre de Francfort est l’occasion pour l’attribution du Prix de la paix des libraires allemands à une personnalité qui a contribué à mettre en œuvre et à concrétiser l’idée de la paix grâce à son travail dans le domaine de la littérature, des sciences ou des arts. Avec Anselm Kiefer, le prix a été attribué en 2008 pour la première fois à un artiste plasticien qui, comme l’explique le jury, « confronte son époque avec cet inquiétant message moral de la ruine et de l’éphémère ». Le jury souligne par ailleurs les affinités de l’artiste avec le monde du livre dans la mesure où ses toiles sont souvent influencées par la poésie ou la littérature et que l’ « objet livre », réalisé dans des installations ou des sculptures, a une signification particulière pour lui. Dans son discours pour la remise du prix, l’historien de l’art Werner Spiess met l’accent sur l’importance du travail de Kiefer. Celui-ci s’est opposé aux tendances non figuratives et à la disparition du sujet propres à la peinture de l’après-guerre, en réintroduisant des contenus et en entamant un confrontation avec le passé nazi. Kiefer, de son côté, insiste sur l’importance de se confronter aux mythes qui ont été détournés par le national-socialisme afin de ne pas les enfouir dans l’inconscient collectif. Par ailleurs, il évoque le manque d’ « espaces de mémoire » en Allemagne, dans la mesure où, en 1945 comme en 1989, on remblaye et on bouche l’espace qu’il y avait avant pour recommencer à zéro. Concernant l’Allemagne après 1989, Kiefer pense qu’il aurait fallu maintenir un espace symbolique, un espace vide entre les deux États et les deux systèmes, « un espace de méditation pour l’Histoire où les gens auraient pu descendre – descendre en eux-mêmes. » Mais n’est-ce pas des artistes que cette initiative aurait dû nous venir ?