La crise financière qui a débuté en 2007 avec les prêts sub-prime aux Etats-Unis s'est subitement accélérée depuis le mois de septembre 2008. Touchant désormais aussi tous les pays d’Europe, elle étend son ombre sur l’ensemble de l’actualité politique, économique et sociale en Allemagne. Du coup, ce qui a pu se passer dans le domaine social, est réduit à la portion congrue dans les médias, même si certains faits peuvent légitimement passionner les Allemands que les défaillances du système bancaire ne touchent qu’à la marge. Ainsi, nous parlerons des négociations salariales qui s’amorcent dans le secteur de la métallurgie, des remous autour de la construction de nouvelles mosquées, du scandale autour du vol de données des clients de T-Mobile, mais aussi de choses plus réjouissantes : le bilan clairement positif de l’ouverture de l’espace Schengen entre l’Allemagne et la Pologne, notamment, ou, de façon peut-être plus anecdotique, de la création de magasins dédiés aux seniors.
Bilan positif de l’ouverture de l’espace Schengen à l’Est
Sept mois après l’ouverture de l’espace Schengen vers l’Est, le ministre de l’intérieur du Land de Brandebourg, Jörg Schönbohm de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) a présenté le premier bilan de cet événement que les nouveaux pays entrants attendaient avec impatience, mais que les régions riveraines des pays d’Europe de l’Est, notamment l’Allemagne, voyaient venir avec une certaine trépidation, craignant une vague de criminalité. C’est en effet le 21 décembre 2007 que huit nouveaux membres ont rejoint l’espace Schengen, du nom d’un village du Luxembourg où un premier accord avait été conclu en 1985 afin de permettre le développement des activités économiques sans entraves. Depuis 2007, il compte 24 pays (la Grande-Bretagne, l’Irlande, la Roumanie, la Bulgarie et Chypre, pays membres de l’UE, restent pour l’instant à l’écart de l’espace Schengen, alors que deux pays non membres y sont associés, la Norvège et l’Islande), ce qui ouvre un espace de libre circulation de plus de 4000 km, de Talinn, en Estonie, à Lisbonne au Portugal. De quoi inquiéter la population allemande qui craignait la montée possible de la criminalité avec de nouvelles frontières moins sûres, puisque les contrôles aux postes-frontières ont été supprimés.
Lors de la présentation du bilan, M. Schönbohm a constaté avec satisfaction que les rives allemandes de l’Oder, le fleuve qui marque la frontière avec la Pologne, n’ont pas été touchées par une montée de l’insécurité. Contrairement au ressenti d’une certaine frange de la population qui s’inquiète d’une recrudescence des vols et des cambriolages, les autorités du Brandebourg constatent une baisse globale de la criminalité. Au premier semestre, la police a recensé 9 724 délits dans les 25 communes frontalières de la région, contre 11 098 délits pour la même période en 2007. Le nombre de suspects polonais arrêtés a presque diminué de moitié pendant la même période. Sur l’immigration illégale, le gouvernement du Land n’a pas publié de chiffres, mais il assure qu’il n’y a pas de variation significative.
Si de nombreux élus tirent un bilan positif de l’ouverture des frontières, de nombreux habitants des régions frontalières restent dubitatifs, constatant une recrudescence des vols, notamment des vols de voitures et des vols dans les maisons et les jardins. Pour rassurer la population et pour compenser la suppression des contrôles à la frontière, les autorités allemandes, qui avaient contribué à la formation de la police polonaise désormais chargée de la surveillance de la frontière est de la Pologne, frontière extérieure de l’espace Schengen, ont pris une série de mesures. La police allemande peut effectuer des contrôles mobiles de part et d’autre de la frontière sur plusieurs dizaines de kilomètres. Un centre de coopération pour la police et les douanes des deux pays, destiné à renforcer et à simplifier l’intervention des agents allemands et polonais a été créé à Swiecko, en Pologne. Les policiers et les douaniers qui y travaillent ensemble partagent le même bureau et parlent chacun la langue de l’autre, bel exemple d’une coopération germano-polonaise encore difficile à imaginer il y a quelques années.
Le commerce s’ouvre aux seniors
Les consommateurs de plus de 65 ans représentent plus de 20% de la population allemande. Plus nombreux que les moins de vingt ans et riches d’un pouvoir d’achat de plus de 300 milliards d’euros, un tiers du total des dépenses, d’après l’Institut Allemand d’Etudes Economiques (DIW), ils ne sont toutefois pas, contrairement aux jeunes, la cible préférée des commerçants. Selon une étude des centrales de consommateurs et de la fédération des associations de seniors (BAGSO), les personnes âgées se sentent abandonnées lors de leurs courses au supermarché. C’est notamment l’absence de personnel de vente qui est pointée du doigt dans des enseignes telles que Netto, Plus, Aldi ou Real. D’autres problèmes soulevés par la clientèle senior sont l’absence de toilettes, les chariots lourds et malaisés à diriger, la difficulté d’accès de certaines marchandises trop haut placées, le manque de sièges pour s’asseoir ou le marquage des étiquettes difficiles à déchiffrer. Les organisateurs du sondage effectué en 2007 estiment, au vu des résultats, que le commerce de détail ne prend pas suffisamment en compte les besoins de sa clientèle âgée. C’est pourquoi ils demandent que les commerçants inversent la tendance actuelle à la réduction de personnel et recrutent davantage de vendeurs/vendeuses compétent(e)s, qu’ils aménagent des caisses spécifiques comportant une aide à l’emballage des marchandises, l’installation de sièges et de toilettes pour les clients, des chariots plus petits et plus maniables et un étiquetage plus lisible. Ils considèrent que ces améliorations seront profitables à toutes les générations.
Les souhaits formulés par les associations de consommateurs et de seniors ont apparemment été entendus par un jeune entrepreneur qui a ouvert, ou plutôt repris, une enseigne dédiée à une clientèle d’âge mûr. Baptisé « Käthe und Karl », deux prénoms auxquels la génération des grands-parents peut s’identifier facilement, le supermarché est situé dans la petite ville de Grossräschen en Allemagne de l’Est. Outre une gamme de produits exclusivement ciblés seniors, tels que des téléphones à grosses touches, des chaussures orthopédiques ou des vêtements de tailles confortables, l’enseigne a adapté son espace intérieur aux attentes d’une clientèle plus âgée et moins mobile, comme s’ils avaient tenu compte des recommandations issues du sondage de BAGSO. Les vendeuses, d’âge mûr pour la plupart, se tiennent prêtes à renseigner les clientes et à les aider lors d’essayages dans des cabines plus larges que d’habitude, alors que leurs maris peuvent les attendre confortablement installés dans des sièges qui ont été disposés un peu partout. Les allées sont larges, la signalétique visible, les marchandises étiquetées de façon lisible.
Ouvert en septembre 2007, l’enseigne qui est actuellement le seul magasin spécialisé senior, réfléchit à son développement. D’après le jeune gérant, originaire de Lübeck, un système de franchise est envisagé pour déployer un réseau de filiales à travers toute l’Allemagne. D’autres enseignes sont plus dubitatives. Les grands distributeurs sont conscients du développement de ce segment de la clientèle qui est appelé à se développer encore, mais certains d’entre eux, tels que Karstadt ou Edeka, poursuivent des stratégies différentes. Ils préfèrent diversifier leur gamme de produits et aménager le magasin pour le rendre plus accueillants aux seniors. Ils estiment que les personnes âgées ne veulent pas se sentir exclues et reléguées dans un « magasins pour vieux ». Ils préfèrent les endroits où les générations se croisent et se rencontrent, sans se sentir stigmatisés. L’avenir dira laquelle des deux formules trouvera le plus d’adeptes, mais le simple fait de mieux prendre en compte les besoins des seniors est déjà un progrès.
Revendications salariales record : IG Metall réclame 8% d’augmentation
Pour les négociations salariales qui débutent au mois d’octobre dans l’industrie électrique et la métallurgie, fief de l’IG Metall, les revendications formulées par le syndicat atteignent des sommets. Les commissions régionales de l’IG Metall se sont unanimement prononcées pour une revalorisation des salaires de 8%. L’année dernière, ils avaient demandé 6,5%, un taux qu’ils ont presque obtenu, avec une augmentation en deux étapes de 4,1 et 1,7%, avec une durée de l’accord de 19 mois. Il faut toutefois remonter à plus de 16 ans avant de trouver une revendication dépassant les 6,5%. Les négociations dans ce secteur-clé de l’industrie allemande sont suivies avec attention par le patronat et les syndicats des autres branches, en raison de la valeur symbolique du niveau de l’accord conclu.
L’association patronale Gesamtmetall, qui a réagi avec une rare violence (nicht alle Tassen im Schrank), a lancé un avertissement aux syndicats, estimant qu’ils ne pourraient pas dépasser la limite de 3% d’augmentation en raison du recul probable de l’activité économique dans les mois, voire l’année à venir. Cette opinion trouve un écho auprès de bon nombre d’économistes, tels que ceux de l’Institut de recherche économique RWI (Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung) qui considèrent, eux aussi, qu’il ne faudrait pas dépasser les 3 à 3,5%, au risque d’accroître le chômage dans cette branche. Ils verraient des versements uniques et des systèmes d’intéressement aux bénéfices de préférence aux augmentations généralisées durables, pour permettre aux entreprises de réagir de façon flexible en cas de récession. L’Institut IFO (Institut für Wirtschaftsforschung) de Munich rejoint cette opinion en estimant que l’inflation élevée qui sévit actuellement en Europe est alimentée en grande partie par les prix élevés de l’énergie ; mais qu’il serait préférable pour tous de faire des économies en matière d’énergie plutôt que de demander aux entreprises de faire face au renchérissement de l’énergie pour elles-mêmes ainsi que pour celui de leur personnel.
Les responsables de l’IG Metall ne l’entendent toutefois pas de cette oreille. Ils considèrent que leur revendication est pleinement justifiée en raison de l’accélération de l’inflation, des progrès de productivité et de ce qu’ils qualifient de « compensation de justice » (Gerechtigkeitsausgleich), les rémunérations des managers et les profits des entreprises ayant augmenté plus vite que les salaires. Le président de l’IG Metall, Berthold Huber, a affirmé que plus de la moitié de ses troupes souhaite une augmentation plus importante, certains visent même un taux à deux chiffres. Il estime que, s’il ne s’agissait que de sa branche, il pourrait exiger une augmentation plus importante, mais, en considération des autres secteurs, moins bien lotis, il modère ses revendications. IG Metall est bien décidé à obtenir un résultat rapide, en agitant la menace de grève, si besoin est. La période d’obligation de paix (Friedenspflicht), qui lui interdit de faire grève, se termine le 31 octobre. Les premières grèves d’avertissement sont annoncées pour la nuit du 1er novembre.
Il n’est toutefois pas certain que Berthold Huber obtienne gain de cause si rapidement. En raison de la grave crise financière qui sévit depuis un an, l’industrie allemande traverse une passe très difficile. Les commandes refluent pour le huitième mois consécutif, la plus longue passe négative traversée depuis l’unification en 1990. En raison de la récession qui s’installe dans les grands pays destinataires des exportations allemandes, tels que la France ou les Etats-Unis, ce secteur se porte moins bien ; dans cette situation, la consommation interne n’est pas d’un grand secours. Les négociations salariales risquent de durer plus longtemps que ne le prévoit IG Metall.
Remous autour de l’édification de nouvelles mosquées
La communauté musulmane d’Allemagne va devenir plus visible. 200 projets de construction de mosquées sont à l’étude, dont certaines dans de grandes villes comme Berlin – où l’inauguration de la mosquée de Berlin-Heinersdorf, à l’Est de la ville, est prévue pour le mois d’octobre –, Munich, Francfort, Kassel ou Cologne, ce qui ne va pas sans créer des remous dans la population. L’opposition à Cologne est particulièrement vive. Cette ville, qui abrite à la fois une des plus imposantes cathédrales de la chrétienté et la plus grande communauté musulmane d’Allemagne s’apprête à accueillir une nouvelle mosquée. Après deux années de controverses, la municipalité a donné son feu vert à la construction d’une des plus grandes mosquées sur le sol allemand, avec deux minarets qui se dresseront à 55 mètres de hauteur. Les travaux qui devraient commencer début 2009 et s’achever fin 2010, ont été confiés à Ditib, une association religieuse turque, qui émane de l’autorité turque des affaires religieuses. L’emplacement prévu pour la future mosquée se situe à Ehrenfeld, dans la banlieue ouest de Cologne, sur le terrain d’une ancienne usine pharmaceutique désaffectée. Le projet prévoit une mosquée pouvant accueillir 2000 fidèles ainsi que des bâtiments pour l’association Ditib, ce qui en ferait le plus grand centre religieux musulman d’Allemagne.
Fritz Schramma, maire chrétien-démocrate de la ville de Cologne, a défendu le projet de mosquée contre son propre parti. Pendant des mois, partisans et opposants de la construction se sont livrés une lutte sans merci. Même après la décision de la mairie, les opposants ne désarment pas, en attendant les élections municipales de juin 2009 pour stopper le projet si l’équipe municipale change. Les manifestations et les défilés se succèdent, signe visible de ce que certains sociologues qualifient de montée de l’islamophobie en Allemagne. D’après eux, plus du tiers des Allemands seraient pessimistes et critiques à l’égard des musulmans. Cologne n’est pas la seule ville à cristalliser les conflits. Plusieurs grandes villes allemandes telles que Munich, Kassel, Francfort ou Berlin, sont aussi le théâtre de controverses autour de la construction de mosquées. La présence de 3,2 millions de musulmans sur le sol allemand, majoritairement d’origine turque, conduit à une visibilité accrue, ce qui fait prendre conscience aux Allemands que leur population immigrée est là dans la durée et souhaite vivre selon ses convictions, ce qui ne va pas sans susciter quelque inconfort chez certains Allemands.
Or l’édification de la mosquée dans la ville de Duisbourg montre que ce type de projet peut être conduit dans la concertation, sans heurter la résistance des habitants locaux. La mosquée de Duisburg, la plus grande d’Allemagne maintenant, sera inaugurée fin octobre dans le quartier de Marxloh, au nord de la ville. L’édifice d’inspiration byzantine surmonté d’un minaret de 34 mètres de haut pourra accueillir jusqu’à 1200 fidèles. Si la mise en œuvre de ce projet n’a suscité aucune controverse, c’est que toutes les parties prenantes ont fait montre d’une grande capacité de dialogue et d’ouverture. Dès 2001 un comité consultatif a été instauré. Il comprenait des représentants d’associations musulmanes, des Eglises, des partis politiques, des écoles, des universités et des habitants du quartier. L’association Ditib, responsable du projet comme à Cologne, a travaillé main dans la main avec la municipalité de Duisbourg qui l’a toujours soutenue. Il est vrai qu’ils ont su garder des proportions plus modestes pour leur édifice que celles des églises chrétiennes des environs. On pourrait en dire autant de la mosquée de Cologne, qui est certes grande, mais petite comparée à la cathédrale qui mesure 157 mètres. Mais Duisbourg n’est pas Cologne, et l’association Ditib a peut-être montré un certaine doigté dans la Ruhr pour réconcilier les Allemands avec une visibilité de la vie musulmane qui ne pourra que s’accroître à l’avenir.
Deutsche Telekom reconnaît le vol de données de 17 millions de clients
La Grande-Bretagne n’a pas l’exclusivité de la perte de données confidentielles de sa population. Début octobre, Deutsche Telekom a confirmé la rumeur au sujet du vol de données confidentielles de 17 millions de clients de sa filiale T-Mobile. Pour l’entreprise Deutsche Telekom, c’est le vol de données le plus important qui lui soit jamais arrivé. L’affaire qui remonte à 2006 et pour laquelle une enquête judiciaire est en cours touche à des informations confidentielles telles que l’adresse et le numéro de téléphone, la date de naissance, mais plus rarement l’adresse mail des clients de T-Mobile. Parmi eux se trouveraient des personnalités du monde politique, économique et culturel qui craignent que les données puissent être utilisées à des fins criminelles, qu’elles pourraient même menacer leur sécurité. Un porte-parole de T-Mobile a affirmé qu’aucune donnée bancaire n’a été dérobée et que les registres de données, proposés au marché noir, n’auraient pas trouvé preneur. L’hebdomadaire Der Spiegel, qui a pu se procurer une copie des documents, a confirmé qu’ils circulaient encore clandestinement sur internet.
Les responsables de T-Mobile avaient espéré que les enquêtes judiciaires permettraient de sécuriser les données et d’empêcher leur diffusion, mais la police est à présent persuadée qu’elles circulent à nouveau sur le net, au détriment des clients concernés qui, verraient, au mieux une recrudescence de spam sur leur téléphone mobile ou, pire, la vente d’informations les concernant à des entreprises peu sérieuses, voire criminelles. Deutsche Telekom, de son côté, affirme qu’il n’y a aucun danger pour les données actuelles des clients. Depuis la prise de fonction du nouveau patron de l’entreprise, René Obermann, en novembre 2006, de nouvelles mesures de sécurisation auraient été prises, notamment l’introduction de mots de passe ayant un haut degré de sécurité ainsi que le renforcement de la surveillance des données. Ces nouveautés sont toutefois de peu de réconfort pour les clients de 2006, dont les données circulent toujours sur le net et auxquels est simplement offert un changement gratuit de leur numéro de téléphone. Ce qui inquiète et révulse la population allemande particulièrement, ce n’est pas seulement la menace que représente la divulgation d’informations confidentielles que la firme T-Mobile n’a pas su empêcher, c’est aussi le fait qu’une affaire de cette ampleur a pu rester secrète pendant deux ans.
Brigitte.Lestrade@u-cergy.fr