En partant du constat de la situation mouvementée de l'Europe aussi bien à l’intérieur que dans le contexte international, des propositions concrètes d’Européens plus ou moins jeunes ont fait débat lors du 11ème Dialogue Franco-Allemand – Penser l’Europe de demain. La traditionnelle conférence franco-allemande, devenue de plus en plus européenne, a été particulièrement riche en visions et controverses. L’avenir incertain du Traité de Lisbonne, le 30ème anniversaire des élections européennes lors duquel les citoyens « n’ont pas le choix » ou plus particulièrement la crise économique et financière mondiale sont les thèmes pour lesquels l’Europe est demandée. Est-elle assez solide et établie pour faire face à cette crise qui (re)pose plusieurs problèmes en même temps et auxquels une réponse à long terme doit être donnée ? L’organisation des débats s’est faite autour de l’Europe des citoyens et de l’Europe comme formation protectrice aussi bien au niveau socio-économique qu’en politique extérieure et de sécurité. Les débats revenaient également souvent à la vision de la « République européenne » posée par Stefan Collignon en ouverture des débats. L’Europe se détache-t-elle de ses propres citoyens ? Se renferme-t-elle sur elle-même ? Ce sont les questions qui se posent quand on parle de l’Europe des citoyens.

L’Europe des citoyens – comment la mettre en place ?

La stratégie de Lisbonne qui visait à faire de l’Union européenne en dix ans, l’économie la plus dynamique au monde a échoué entrainant ainsi l’échec de la méthode de coordination ouverte ainsi que de la coopération intergouvernementale. Stefan Collignon propose en échange la « République européenne », un gouvernement démocratiquement élu et actif dans les domaines concernant tous les citoyens européens (notamment la politique économique ; la technologie et la recherche ; la sécurité interne ; la politique extérieure ainsi que la défense). L’approfondissement du projet européen compris dans cette République ainsi que l’approfondissement en général comprend la restriction des capacités d’action nationales au profit d’une Union européenne plus forte tout en liant ce transfert de souveraineté à la légitimité du niveau national. Il s’agit d’une délégation pour une politique plus efficace et non pas d’un « superstate ». Il s’agit encore d’une divisibilité de la République dans le sens de la subsidiarité et non pas au sens de la souveraineté pour revenir aux présupposées de Stefan Collignon.

Si ce n’est une République, quelles autres modèles sont possibles pour arriver à une Europe des citoyens ? L’approche fédérale n’est absolument pas mûre postule Philippe Herzog, ce qui est confirmé par le manque de structures de communication et d’une communauté d’expériences. Vu l’indifférence morale, culturelle et politique qui a accompagné l’élargissement aux pays d’Europe continentale et orientale en 2004, Herzog ne peut que constater l’inexistence d’une communauté de destin pour le moment. La question cruciale est de savoir si nous, les Européens, voulons partager un avenir commun ou pas ? Le point important dans la réponse à cette question est que cet avenir ne peut pas avoir de finalité définie d’avance. Herzog propose donc un nouvel acte unique, l’Europe des projets, pour dépasser le statut quo actuel inacceptable.

Dans un même esprit est traité l’Europe à plusieurs vitesses et le rôle du couple franco-allemand. La crise actuelle peut-elle être une chance pour la coopération franco-allemande de servir à nouveau de moteur ? La prise de position commune, lors du sommet mondial des finances à Londres début avril 2009, pourrait en être un signe. L’avancée ne se fera par contre pas à deux. Un groupe dont la masse critique serait l’Eurogroupe pourrait faire preuve de la capacité de l’Europe à progresser par les crises et à saisir la volonté politique de la crise pour avancer ensemble tout en restant ouverts.

L’Europe des citoyens n’existe pas (encore). L’Europe est créée mais le peuple européen ne l’est pas encore. Bien que se pose la question de savoir si les Européens doivent aller envers l’Europe ou l’inverse, si l’Union européenne est trop éloignée des citoyens ou inversement, il faudra pour changer la qualité de la politique européenne le réconfort des citoyens. Prenons l’exemple actuel du scrutin européen. « Les citoyens sont déçus et non pas inégaux » quand ils voient qu’ils n’ont pas de réel choix sans l’existence de partis politiques européens et avec un président de la Commission européenne défini au préalable.

Le besoin d’un relais de communication s’accentue. Cette communication doit être développée à l’échelle européenne et doit commencer dès l’âge de l’école. Une communication réussie porterait l’Europe dans le quotidien des citoyens. Des initiatives innovatrices de la société civile ainsi que les nouveaux médias peuvent jouer un rôle important. A titre d’exemple, nous pouvons citer les Consultations européennes des citoyens ainsi que l’initiative Une âme pour l’Europe ou les blogs comme cafébabel, touteleurope, des Euros du Village ou de nombreux autres blogs, twitters et sites ressources.

Si on reste sceptique aux effets à long terme sur les citoyens, il faut quand même prendre en considération que l’élite européenne comprend aussi l’élite eurosceptique. L’euroscepticisme est particulièrement présent au sein des partis politiques extrêmes ainsi qu’auprès des citoyens déçus que l’on vient d’évoquer. Pourra-t-on profiter de la gestion de crise réussie pour convaincre les citoyens opposés à l’Europe des avantages et du manque d’alternative à l’Europe ? Est-ce que des mouvements d’opposition en combinaison avec les conditions de la crise actuelle pourront faire émerger un public européen critique mais européen comparable aux mouvements de résistance ayant mobilisés l’idée européenne de l’après-guerre ?

Une Europe des citoyens à travers l’image de l’Europe dans le monde

Il est difficile pour l’Union européenne de répondre aux exigences et attentes de l’extérieur et de se montrer puissante si, déjà à l’interne, l’Europe n’est pas perçue comme étant la seule forme moderne de vie collective respectant ses valeurs historiques et mettant en valeur sa diversité. Le cas de l’Inde est particulièrement intéressant quand on pose la question de l’image de l’Europe dans le monde. Anil Bhatti parle d’une complémentarité historique dans le fait qu’en Europe des états nations relativement homogènes selon leur langue, religion, culture et leur territoire se sont unifiés dans un ensemble plus grand, une formation de diversité qui est forcément plus hétérogène d’un côté et l’état hétérogène de l’Inde qui est constamment menacé de se diviser en régions homogènes de l’autre côté. L’étonnant du point de vue indien est le risque que court l’Europe et ceci de manière consciente. Le risque vu par l’Inde dans l’hétérogénéité de l’Union qui n’aurait pas à la base les compétences (du multilinguisme ou de la banalité de la diversité par exemple) pour ce qu’elle est en train de créer, est vécu comme chance du côté de l’Europe (dépasser les faiblesses de l’état nation et gérer les défis de notre monde globalisé). En ce qui concerne l’équilibre international, l’Inde souhaite une Europe forte qui contrebalance dans un monde unicellulaire et qui continue à préserver ses expériences historiques précieuses comme valeur culturelle. La leçon à tirer de la particularité des valeurs et de l’histoire pour l’Europe se confirme par la comparaison aux Etats-Unis. L’Europe ne peut pas copier ces derniers en tant qu’« Etats-Unis d’Europe » à cause de la longue tradition des états nations et à cause de la responsabilité pour le passé que l’Europe assume à travers la préservation de ses expériences. Il faut que l’Europe avec ses citoyens reconnaissent ceci comme étant une force.

Venons au continent africain. Pour l’« Africain normal », explique Amadou Ba du Sénégal, l’Europe est un endroit où on peut commencer une nouvelle vie dans des conditions financières meilleures. L’Afrique attend la négociation à la même hauteur que l’Europe ce qui s’avère difficile quant à la grille de lecture du dialogue qui reste marquée par l’histoire et des tendances néocoloniales. L’Europe n’est en outre pas vue comme entité unique mais comme assemblement de nations riches pris à part.

En ce qui concerne les attentes qu’ont des régions du monde envers l’Europe, les cas des nouveaux membres voire des candidats à l’adhésion et d’autres voisins sont également intéressants. Les motivations d’adhésion sont diverses et vont de la prospérité aux valeurs, en passant par l’échange et le fait de rejoindre un modèle. Cette Europe en tant que modèle oscille entre approfondissement et élargissement avec une tendance à l’approfondissement. Dans les têtes des citoyens, les frontières demeurent et il se pose donc la question de savoir si nous voulons vraiment rester ouverts ? Quelles capacités l’Europe a-t-elle alors pour répondre aux défis qui se posent dans un monde globalisé ? La crise économique et financière mondiale actuelle est une crise paradigmatique et latente, un début d’autres crises que vivront l’Europe et le monde. Comment l’Europe peut-elle protéger ses citoyens qui le demandent en tant qu’acteur de politique sociale ainsi qu’en tant qu’acteur sur la scène internationale.

Une Europe protectrice à l’interne – l’Europe sociale

Le marché intérieur quasiment acquis, des voix demandant la compensation sociale s’élèvent. La prospérité comme acquis majeur de l’intégration européenne est devenue synonyme de néolibéralisme et de danger pour la sécurité sociale pour les citoyens, selon Stefan Collignon. Entre politique plus sociale ou libérale, entre volontarisme et politique de l’ordre, quelle Europe voulons-nous ? Ancienne notion de discorde franco-allemande, le concept du gouvernement économique – une demande française et un terme incompris par les Allemands – débattu depuis la création de l’Union économique et monétaire, s’avère une conception clef pour une politique économique et sociale commune en Europe. Ce gouvernement viserait la coordination politique et un meilleur équilibre entre la politique monétaire et fiscale, selon l’explication d’Henrik Uterwedde. Une intervention européenne renforcée au profit de la croissance ainsi qu’un contrepoids à l’indépendance de la Banque centrale européenne sont des sous-entendus du concept. « La République européenne » avec son gouvernement démocratique présupposé ne peut pas par exemple se réaliser sans ministère des Finances, rajoute Jacques Mistral. Pour la régulation des marchés financiers, la demande d’une agence globale de surveillance des banques revient toujours avec l’argument de trouver le juste milieu entre régulation et compétitivité. Ce qui compte et dont nous avons besoin en Europe, c’est plus de coordination et la fin de jeux non-coopératifs.

Quant au débat d’un modèle économique et social européen, les débats reviennent souvent à la « renaissance » de l’économie sociale du marché comme modèle européen de référence. Bien que point crucial du clivage entre conception anglo-saxonne et de l’Europe continentale, la solidarité comme valeur fondamentale spécifique à l’Union européenne doit également être au cœur d’un modèle social européen. A l’heure actuelle, la politique sociale demeure pourtant de la compétence nationale. Même si la capacité de l’Europe à mener une politique sociale cohérente et réussie peut être redoutée en l’état actuel des choses, se pose le paradoxe entre la présence économique ainsi que son engagement en aide au développement de l’Union européenne d’un côté et son absence des grands dossiers politiques à l’international de l’autre. Quand est-ce que l’Europe puissance économique arrivera-t-elle enfin à se débarrasser de l’image de nain politique ? La demande que l’Europe « doit parler d’une seule voix » est répétée à de multiples reprises. La diversité d’intérêts et d’approches, ne peut-elle pas être l’atout d’une puissance désignée la soft power par excellence ?

L’Europe comme acteur international – quelles capacités de protection et d’action

Le problème posé dès le départ des débats est que le rôle de l’Union européenne dans le monde est crucial pour l’avenir européen en terme de sécurité interne ainsi qu’en terme de responsabilité dans le monde. Les tâches à accomplir ne peuvent être réussies qu’en tant qu’acteur homogène. Comment donc répondre aux défis, vu les processus de renationalisation actuels ? Les attentes de l’extérieur augmentent aussi bien que les propres exigences. Si nous prenons les déficits, les atouts et les instruments de cet acteur de l’Europe qui se veut une puissance civile, nous constatons une présence en tant que puissance internationale normative qui mise sur la structuration des relations internationales. La puissance civile et multilatérale n’arrive pourtant pas toujours à s’imposer et à produire des résultats.

Les déficits sont à côté des ressources – entre autres financières – le danger des clivages internes, le manque de soutien par les citoyens, le manque d’une stratégie globale commune proactive et portée aussi bien par les états membres que par les institutions au lieu d’un management de crises réactif et souvent non réussi, le manque de cohérence, volonté politique suite à un engagement ou le manque de partenaires, l’incapacité de faire prévaloir les normes multilatérales et enfin le dilemme de crédibilité entre l’aide au développement et les profits économiques et sécuritaires. Les atouts sont la puissance normative de l’Union européenne dans les relations économiques internationales ainsi que la protection de l’environnement par exemple. S’y ajoutent le fait que l’Union est productrice de biens publics globaux, sa puissance en donnant l’exemple et le fait qu’un acteur non étatique est souvent plus crédible et fiable.

Les instruments à la disposition de l’Union européenne et qui résultent du jeu entre déficits et atouts comprennent en partie des paradoxes et difficultés. Tout d’abord l’action collective et mandatée, le multilatéralisme. Ceci implique le paradoxe de la renonciation à des actions unilatérales d’un côté et le rôle important que jouent des (groupes de) grands états. Suivent les présidences actives de l’Union prenant des risques politiques importants. Ceci ne serait plus possible avec le Haut représentant qu’instituerait le Traité de Lisbonne. Ensuite la coordination, la coopération et l’interdépendance en général et enfin deux propositions supplémentaires font débat. Premièrement la diplomatie de retenu pratiquée par l’Allemagne. Peut-elle servir d’exemple pour la politique européenne de soft power puissante et crédible ? Deuxièmement, quant à l’élargissement et l’exportation de stabilité, un instrument de premier ordre, est proposé une politique culturelle extérieure commune qui rassemblerait les structures culturelles des états membres à l’étranger sous un même toit. Ceci fait particulièrement débat. L’Europe ne serait-elle pas désormais perçue comme danger par le reste du monde ? Ne pourrait-on pas la « taper » une fois qu’elle paraîtra comme un bloc uniforme ?

Les attentes envers l’Union européenne sont importantes et constamment en augmentation. S’y opposent les capacités citées pour juger de manière réaliste le rôle de l’Union comme acteur sur la scène internationale. Les débats appellent à un profil plus clair des forces et faiblesses et à poser des priorités d’action internationale. C’est à partir de situations concrètes, propositions réalistes et visionnaires ainsi que des pistes de solutions que les débats ont montré que l’Europe est sans alternative ! Ses capacités ne sont pas à sous-estimer mais la question de l’organisation politique dans un monde d’états nations reste (toujours) ouverte. Le point crucial sont les citoyens. Citons pour conclure une différence entre Américains et Européens qui consiste dans le fait que bien que des peurs individuelles soient très présentes aux Etats-Unis, les Américains font en même temps preuve d’un grand espoir collectif. Il en est de l’inverse en Europe. Aussi longtemps que ce collectif n’existera pas en Europe, la République européenne et citoyenne aura du mal à s’établir.

Notes

* Chargée de mission, ASKO EUROPA-STIFTUNG, Sarrebruck

** Pour plus d’informations sur les intervenants, veuillez consulter le programme téléchargeable sous : http://asko-europa-stiftung.de/images/AES_Dokumente/DFDProgramme/iw_programme_fr_effecif_200509.pdf