Recomposition des alliances entre partis et gouvernabilité de l'Allemagne

L’année 2009 a commencé en Allemagne par des élections anticipées dans le Land de Hesse, qu’Henri Ménudier analyse en détail dans ce numéro. Au centre des interrogations posées par une année de crise se trouvait le rôle du nouveau parti radical de gauche Die Linke auquel Jacques-Pierre Gougeon a consacré, dans notre précédent numéro No 186 (oct.-déc. 2008, pp. 28-41), une étude fouillée qui remonte aux origines de ce parti, né de l’association du parti post-communiste de RDA, le Parti du socialisme démocratique (PDS), et de l’Alternative électorale pour l’emploi et l’équité sociale (WASG). Pour sortir le Land de l’impasse dans laquelle l’avaient mis les résultats du scrutin de janvier 2008, le leader du SPD de Hesse, Andrea Ypsilanti avait cherché à constituer une coalition gouvernementale SPD/Verts soutenue, au parlement de Wiesbaden, par Die Linke. La manœuvre était risquée puisque, pendant la campagne électorale de 2007/08, celle-ci avait exclu toute coalition avec Die Linke ; elle l’était encore plus si l’on tient compte du fait qu’A. Ypsilanti n’avait été portée à la tête du SPD de Hesse que par une courte majorité et devait donc compter avec une opposition conservatrice non négligeable au sein de son propre parti, qui, à vrai dire, ne s’est manifestée qu’en fin de parcours pour lui refuser son soutien. Sans doute A. Ypsilanti n’a-t-elle pas entièrement tort quand elle trouve aujourd’hui deux raisons majeures à son échec : le non-respect de ses engagements électoraux et un choix politique entre une politique conduite au centre et une réelle politique de réformes de gauche. Ce faisant, elle décrit assez bien le dilemme dans lequel se trouve le SPD, doublé sur sa gauche par Die Linke et confronté à une évolution du système des partis qui rend plus difficile la constitution de coalitions stables de gouvernement.

Tant que le PDS restait un parti régional dont les succès électoraux se limitaient aux Länder de l’ex-RDA (entre 13 et 26% lors des élections fédérales de 2005), il ne pouvait prétendre jouer un rôle national. Son émergence lors de toutes les élections régionales qui ont suivi dans les Länder de l’Ouest depuis 2006 (de 3 à 8,4%) et surtout son entrée, avec la WASG en tant que Die Linke, dans les parlements régionaux de Brème, Basse-Saxe, Hesse et Hambourg lui ont donné uns stature nationale qui a eu pour effet immédiat d’amener les autres partis de l’échiquier politique allemand à repenser leurs alliances. La CDU dirige à Hambourg une coalition gouvernementale avec la Liste Alternative Verte (GAL) tandis que le SPD n’exclut plus désormais aucun type d’alliance sur le plan régional. Dans la perspective des élections fédérales de septembre 2009, chacun veut rester libre de ses choix, aucun ne pouvant être sûr de pouvoir former le gouvernement avec la coalition qui aurait sa préférence : les Chrétiens-démocrates avec les Libéraux, les Sociaux-démocrates avec les Verts et pourquoi pas aussi avec les Libéraux dans le cadre d’une coalition tricolore, même si le programme économique de ces derniers est difficilement compatible avec le leur. Seule Die Linke peut difficilement compter, au niveau fédéral, sur son entrée dans quelque coalition que ce soit, en raison de son passé, mais surtout de son opposition fondamentale à l’OTAN et à toutes missions extérieures de la Bundeswehr. L’échec d’A. Ypsilanti a montré à quel point les états-majors des partis avaient, à l’Ouest, sous-estimé la résistance de l’électorat ouest-allemand à une combinaison politique incluant le PDS, héritier du parti dirigeant de la RDA, le SED. En voulant briser un tabou, celle-ci a livré à ses adversaires une arme électorale redoutable en plaçant le SPD sous le soupçon d’être, malgré ses affirmations contraires au plan fédéral, ouvert à une coalition avec Die Linke pour se maintenir au pouvoir à Berlin.

La question des alliances pose en même temps celle de la gouvernabilité de l’Allemagne dès lors que semble s’établir durablement un système à cinq partis, contre quatre et trois dans les décennies antérieures. Dans la mesure où il ne peut être assuré qu’il suffise à un « grand » parti d’obtenir le soutien d’un « petit » pour former une coalition gouvernementale stable, la perspective de la reconduction d’une grande coalition entre les grands partis, seuls susceptibles de former une majorité, s’en trouve confortée. Cette perspective pose à son tour la question du fonctionnement de la démocratie en Allemagne dès l’instant qu’elle n’aurait d’autre perspective à l’avenir que d'être gouvernée par une coalition de partis qui, au fond, devraient s’opposer et ne s’unir que de façon exceptionnelle et … dont le nombre d’adhérents a fondu ces vingt dernières années1. Du moins, y-a-t-il, en comparaison avec la Grande coalition des années 1966-69 une différence non négligeable. Face aux deux géants qu’étaient alors la CDU/CSU (47,6%) et le SPD (39,3%), l’opposition représentée par le FDP (9,5%) était réduite à la portion congrue. Au moins y a-t-il depuis 2005 une opposition visible et audible, représentée à Berlin par les Libéraux (9,8%), Die Linke (8,7%) et les Verts (8,1%), soit au total 26,6 % des votes exprimés. Mais cette évolution fait aussi problème puisque elle fait apparaître l’effritement des deux grands partis de rassemblement populaire : en 1966, CDU/CSU et SPD totalisaient 86,9% des voix ; en 2005, ils n’en représentaient plus que 69,4%. Les sondages d’opinion du début de l’année 2009 les créditent, ensemble, de seulement 60% des intentions de vote (35% pour la CDU/CSU et 25% pour le SPD). Les trois autres partis sont crédités de 11 à 12% des intentions votes avec un avantage au FDP qui, selon certains instituts de sondage, pourrait même atteindre18% des voix2 ! Et ces trois partis de se voir en passe de se transformer en partis de rassemblement populaire, sur le modèle de la CDU/CSU et du SPD. On relèvera que les partis d’extrême droite, malgré leurs offensives pour attirer l’attention sur eux, restent cantonnés nettement en dessous des 5%, la fonction tribunicienne d’expression populiste du malaise social revenant à Die Linke. Les élections fédérales du 27 septembre prochains s’annoncent plus passionnantes que jamais.

- Jérôme VAILLANT -

A lire : nos collaborateurs publient ailleurs

Notre équipe est particulièrement active. Jean-Louis Georget vient de donner un très bon article sur la CDU/CSU au dernier numéro de la Revue d’Allemagne (Strasbourg). Jacques-Pierre Gougeon prépare un dossier « L’Allemagne, une nouvelle puissance ? » pour le cahier d’été (juin-juillet 2009) de la Revue internationale et stratégique (Paris, Iris) avec, outre des entretiens, les contributions suivantes : L’Allemagne puissance, par Jacques-Pierre Gougeon - Les relations germano-américaines : une nouvelle perspective, par Karsten Voigt - L’Allemagne et la Russie, par Stephan Martens - France-Allemagne : vers une nouvelle rivalité ?, par Jacques-Pierre Gougeon - L’Allemagne et l’Europe, par Maxime Lefebvre -L’Allemagne et l’Asie, par Olivier Guillard - Quelle politique de défense ?, par Jean-Pierre Maulny - La nouvelle politique culturelle extérieure de l’Allemagne, par Andreas Görgen - Une économie malmenée insérée dans la mondialisation, par Benoît Chervarlier - Le nouveau paysage politique allemand, par Jérôme Vaillant - Un modèle social en sursis ?, par Brigitte Lestrade - Le débat allemand en matière d’intégration et d’immigration, par Ernst Hillebrand - L’Allemagne face à son histoire, par Hélène Miard-Delacroix.

Notes

1. De partis de masse dépassant en 1977 le million d’adhérents, le SPD n’en compte plus que la moitié aujourd’hui, la CDU/CSU en compte légèrement plus, mais a vu ses effectifs fondre également d’environ 300.000.

2. Cf. http://www.wahlrecht.de/umfragen/index.html Seul l’institut de sondage Forsa crédite le FDP de 18% des intentions de vote, deux autres le voient à 16% et trois enfin, autour de 12-13%.