La grande coalition est plus ou moins condamnée à l'immobilisme en attendant les élections au Bundestag de l’année prochaine. Pour toutes les grandes questions sociales, les partis de la coalition se blo-quent mutuellement, passant plus de temps à se contredire qu’à agir. Même le rapport annuel sur la pauvreté et la richesse qui, cette fois-ci, met l’accent sur l’accroissement de la précarité, a donné lieu à des prises de bec au sein du gouvernement. Les relations entre la France et l’Allemagne, tendues depuis la dernière élection présidentielle, ont été – et seront – mises à l’épreuve par les récents déboires d’Airbus. Pour défendre leurs acquis, Allemands et Français se retrouvent toutefois à nouveau unis, comme l’a montré le récent conflit autour du lait. En fait, les actions du gouvernement se cantonnent aux sujets les moins conflictuels, tels que la lutte contre le réchauffement climatique.
Adoption du second volet
du plan climat et énergie
Deux semaines avant le début de la présidence française de l’Union européenne, qui devra traiter le sujet sensible du réchauffement climatique, le gouvernement allemand a adopté le 18 juin, le deuxième volet de son programme climat. Début juin, le Bundestag avait voté un premier train de mesures prévoyant notamment une réforme de la législation sur les énergies renouve-lables ainsi que le développement de centrales produisant à la fois de l’électricité et de la chaleur. La protection de l’environnement, cher au cœur des Allemands, est un des rares sujets où la grande coalition est encore en mesure de trouver un consensus.
Berlin s’est fixé pour objectif de réduire ses émissions de dioxyde de carbone de 40 % d’ici à 2020, par rapport à ses émissions de 1990. L’Allemagne est déjà à mi-chemin, puisqu’elle est parvenue à les réduire d’ores et déjà de plus de 20 % , la moitié de cette performance étant due à l’effondrement de l’industrie est-allemande, particulièrement polluante. Le deuxième volet du plan climat met l’accent sur l’efficacité énergétique, s’intéressant notamment aux économies d’énergie dans le domaine du transport et dans celui des bâtiments. En matière de transport, les camions seront taxés en fonction de leur niveau de pollution. Les conducteurs de poids lourds verront le péage autoroutier passer en moyenne de 13,5 à 16,2 centimes par kilomètre. La différence entre le moins polluant et le plus polluant sera considérablement accrue, les plus polluants devant débourser jusqu’à 28 centimes par kilomètre. Dans le bâtiment, les nouvelles constructions devront consommer 30 % d’énergie en moins dès le 1er janvier 2009, notamment par des techniques d’isolation améliorée. La réfection de bâtiments anciens sera soumise à des règlements analogues. En outre, le gouvernement incite les locataires à recourir à des compteurs d’électricité intelligents leur permettant de mieux surveiller leur consommation d’énergie.
Autre engagement du plan climat, le renforcement de l’énergie éolienne. Le gouvernement prévoit l’installation d’au moins trente champs d’éoliennes au large des côtes allemandes d’ici à 2020. L’objectif visé par Berlin est d’atteindre dans vingt ans une capacité de 25.000 MW en Mer du Nord et dans la Baltique. Il est de plus prévu que l’énergie ainsi produite dans le nord de l’Allemagne, dans ces futurs parcs off-shore, sera plus facilement acheminée vers le sud grâce à l’extension du réseau de distribution. Ce plan d’aménagement correspond aux engagements pris par la grande coalition qui prévoient de faire passer la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité de 14 % actuellement à 30 % d’ici à 2020.
Si l’objectif du plan climat allemand reste plus élevé que celui de l’Union européenne, qui espère réduire ses émissions de dioxyde de carbone de 20 % d’ici à 2020, il n’est pas considéré comme satisfaisant, notamment par le conseil des experts du gouvernement pour l’environnement (Sachverständigenrat für Umweltfragen) qui estime que le gouvernement a reculé devant les intérêts des industries concernées. Le récent accord franco-allemand concernant les émissions des voitures neuves serait resté en deçade l’objectif fixé en 1995 de parvenir à une limite maximale de 120 grammes de dioxyde de carbone en 2012. Le SRU préconise de viser, d’ici à 2020, un couloir entre 85 et 95g. au lieu de 95 à 110g.. Il est vrai que le gouvernement de Berlin avait à cœur de protéger l’industrie automobile allemande qui produit des voitures plus puissantes, donc plus polluantes que la française. En plus, les experts critiquent l’insuffisante prise en compte de l’agriculture dans le plan climat. Le plan climat et énergie du gouvernement est néanmoins à saluer comme une des rares réformes que la grande coalition a encore été capable de formaliser.
Marburg, ville écologique modèle
Au moment où le gouvernement adopte le plan climat et énergie, l’exemple de la ville de Marburg suscite l’intérêt de la communauté internationale. La municipalité de cette ville universitaire de 80.000 habitants située dans le Land de Hesse a, en effet, décidé d’introduire l’écologie dans le quotidien de ses habitants, en rendant obligatoire le recours à l’énergie solaire. La coalition SPD-Verts à la tête du conseil municipal a adopté, avec l’appui de la nouvelle formation de gauche Die Linke, une charte solaire qui stipule que toute nouvelle construction, ainsi que les anciens bâtiments en rénovation devront être équipés de panneaux solaires, et ce dès le 1er octobre 2008. Les habitants de Marburg qui ne se plieront pas à la nouvelle règle seront taxés d’une amende dont le montant a été fixé à 1000 €. Les maisons particulières seront surtout équipées de panneaux photo-thermiques destinés à produire de l’énergie à usage domestique, notamment pour le chauffage et la production d’eau chaude.
Le projet de la ville de Marburg est à la pointe du combat pour les énergies renouvelables, notamment dans le domaine de l’énergie solaire. L’Allemagne est moins bien dotée que d’autres pays européens du point de vue de l’ensoleillement, mais l’industrie des panneaux solaires est très développée, surtout à l’exportation jusqu’à présent. Cela risque de changer avec le plan climat adopté par le gouvernement fédéral qui vise, lui aussi, à favoriser les énergies renouvelables. Marburg va toutefois plus loin encore que les objectifs fixés au niveau national, car la charte adoptée par la municipalité oblige aussi les bâtiments existants à se conformer aux nouvelles règles. La charte, avant d’être applicable, devra encore être validée au niveau régional, ce qui donne un peu de temps aux détracteurs de cette mesure qui considèrent qu’elle relève de la dictature écologique. Il est vrai que les frais d’installation des panneaux solaires, à la charge des propriétaires, ne seront amortis qu’après une quinzaine d’années. Les vieilles maisons à colombages de Marburg risquent aussi d’y laisser une part de leur beauté.
Baisse de la pauvreté ?
Le rapport sur la pauvreté et la richesse, publié par le gouvernement fédéral au mois de mai 2008, ne sert pas seulement à mettre en exergue la persistance de la pauvreté au sein d’un pays riche – selon certains –, ou les grands progrès réalisés en matière de niveau de vie – selon d’autres –, il illustre également de façon crue les dissensions qui existent au sein de la grande coalition. Pour mesurer la richesse et la pauvreté, le rapport s’appuie sur les définitions préconisées par l’Union européenne. A cette aune, est considérée comme pauvre toute personne qui dispose de moins de 60 % du revenu moyen, soit 781 €. Pour être riche, il faut toucher plus de 200 % du revenu moyen, soit 3.418 € pour un célibataire. Selon ces chiffres, 13 % de la population allemande – le taux est analogue pour la France, d’après l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale –, seraient concernés par la pauvreté, un taux nettement au-dessous de la moyenne européenne qui se situe à 18 %, comme le notent les responsables politiques avec une certaine satisfaction (16 % seulement selon Eurostat). Ce chiffre, qui date de 2005, serait toutefois deux fois plus élevé sans les prestations sociales, telles que les allocations chômage de longue durée (Hartz IV), l’aide au logement et les allocations familiales. En dépit de ces compléments, ce sont les chômeurs de longue durée qui sont le plus exposés au risque de la pauvreté outre-Rhin. S’y ajoutent les personnes possédant de faibles quali-fications professionnelles puisqu’elles ne sont pas protégées par le SMIC comme en France, et les familles monoparentales. Le rapport souligne la montée de la précarité parmi les salariés. La part de ceux qui touchent de bas salaires est passée de 35,5 % à 36,4 %, un phénomène où le travail à temps partiel, notamment les mini-jobs avec une rémunération maximale de 400 € par mois, joue un rôle croissant.
Dès avant sa sortie, le rapport a suscité des commentaires acerbes, opposant le ministre chrétien-démocrate (CSU) de l’Eco-nomie, Michael Glos, à son homologue social-démocrate du travail, Olaf Scholz, sur les données et leur interprétation. M. Scholz ayant publié certaines données quinze jours avant sa sortie officielle, pendant la phase de concertation entre les ministères, M. Glos lui a reproché de s’être appuyé sur des chiffres trop anciens qui, d’après lui, ne refléteraient pas l’embellie du marché de l’emploi. De surcroît, il aurait procédé à une présentation « tendancieuse » de la pauvreté et de la richesse, amplifiant le phénomène de la pauvreté et, inversement, nourrissant le « débat de l’envie sociale » (Neiddebatte) concernant les riches. Globalement, le rapport, d’après M. Glos, ne dessinerait pas une image fidèle de la réalité sociale en Allemagne. L’Institut allemand de la recherche économique (DIW) de Berlin, qui a contribué aux travaux sous-tendant le rapport, accable également M. Scholz, mais en sens inverse. Il lui reproche d’avoir enjolivé les données. Le taux de pauvreté ne se situerait pas à 13 %, mais à 18 %. De même pour la pauvreté des enfants. Alors que, selon M. Scholz, 12 % des enfants allemands seraient pauvres, la ministre de la Famille, Ursula von der Leyen (CDU), avance le chiffre de 17,3 %. Bien qu’il soit désormais établi, même en Allemagne, que la situation des enfants s’améliore davantage par le biais d’une offre accrue de modes de garde – crèches, maternelles, écoles toute la journée – que par l’attribution d’allocations aux familles, le gouvernement, au vu des chiffres du rapport, vient de décider d’augmenter les allocations familiales au 1er janvier 2009, alors qu’elles se situent déjà, avec 154 € par enfant, à un niveau trois fois supérieur, en termes réels, à celui d’il y a trente ans.
La guerre du lait
La hausse continue du prix du pétrole tend à occulter l’augmentation des denrées alimentaires qui fait des vagues, même dans nos pays riches. C’est ce qu’a rappelé la grève des producteurs allemands de lait – premier producteur de l’Union européenne avec une production de 28 millions de tonnes de lait par an –, qui a fait la une des médias au mois de mai, entraînant à leur suite les agriculteurs d’autres pays tels que la Belgique, les Pays-Bas ou l’Autriche, vers l’Est de la France. Le mouvement de grève des livraisons a été déclenché suite à l’annonce faite par les deux géants du discompte alimentaire, Aldi et Lidl, de baisser le prix du lait dans leurs rayons. Or, les tarifs que les grandes laiteries accordent aux producteurs de lait sont déjà très bas quand on tient compte de la hausse des prix de l’énergie et du fourrage, selon la fédération des producteurs de lait allemands (Bund Deutscher Milchviehhalter) qui représente 45 % de la production nationale. C’est pourquoi l’appel au boycott des laiteries qui approvisionnent les supermarchés a été massivement suivi par les producteurs de lait. Ceux-ci ont souhaité maintenir la pression jusqu’à ce que soit satisfaite leur revendication principale, à savoir faire passer le prix du litre de lait de 25 à 35 centimes actuellement à un minimum de 43 centimes le litre.
Dans cette guerre du lait, les positions des protagonistes sont tranchées : pour les producteurs, ce sont les enseignes de distribution qui sont responsables, voire coupables. Elles auraient profité de leur position dominante pour leur dicter les prix, une position également défendue par la fédération des agriculteurs allemands (Deutscher Bauernverband) qui estime que les laiteries, entre les exigences des agriculteurs et celles des supermarchés, ne savent quelle position prendre. Les grandes enseignes par contre accusent les producteurs de mauvaise foi, considérant que les prix varient simplement en fonction de l’offre et de la demande ; l’année dernière, ils auraient grimpé en raison de la pénurie de lait, alors que cette année, devant une relative abondance, ils baissent : quoi de plus normal ?, soutiennent-elles. En attendant, les responsables de la grand distribution se sont voulus rassurants. Ils ont affirmé que le lait ne viendrait pas à manquer dans les rayons, et que les industriels rogneraient plutôt sur la fabrication de fromages ou de lait en poudre, s’il y avait lieu. Il n’était donc pas nécessaire pour les clients de se constituer des stocks de lait frais.
Dans ce contexte, Horst Seehofer, ministre fédéral de l’Agriculture et originaire de Bavière où le mouvement de grève était particulièrement suivi, s’est dit hostile au démantèlement des quotas laitiers dans l’Union européenne, en principe prévu pour 2015. La suppression des quotas et l’augmentation subséquente de la production de lait risque, en effet, de mettre notamment en péril les petites et moyenne exploitations. Les paysans le savent, et la vigueur de leur mouvement – 95 % des 32.000 adhérents de la Fédération des producteurs allemands de lait ont fait grève – traduit leur angoisse devant l’avenir.
Après dix jours de boycott, les grands du discompte alimentaire ont fait un geste pour désamorcer le conflit. Lidl, suivi de Kaufland, a annoncé sa volonté d’augmenter le prix du lait de dix centimes. Les autres distributeurs leur ont emboîté le pas. Dans la mesure où seule une petite fraction de l’augmentation du prix de détail arrive dans la poche des producteurs de lait, leur situation ne s’améliorera pas de façon sensible. De plus, aucun accord précis n’est intervenu entre la Fédé-ration allemande du commerce de détail (Hauptverband des Deutschen Einzelhand-els), les laiteries et les agriculteurs ; seules des discussions ont été envisagées. La guerre du lait ayant fait tache d’huile dans plusieurs pays limitrophes de l’Allemagne, la Fédé-ration européenne des producteurs de lait (EMB) a plaidé, début juillet, pour une production adaptée aux besoins du marché européen et réclamé l’instauration d’un « prix européen unique » à 40 centimes le litre. Son président, l’Allemand Romuald Schaber, a souligné que la production devait s’aligner sur les besoins du marché pour assurer un prix du lait équitable.
Tensions franco-allemandes
chez Airbus
Le feuilleton EADS a connu un nouvel épisode ce printemps quand la crise liée au devenir d’Airbus a ravivé les tensions entre Français et Allemands. Les difficultés de production de l’A380, renforcées par la faiblesse du dollar, ont conduit à un train d’économies, baptisé Power8, qui prévoit la suppression de 10.000 emplois dans l’administration d’ici à 2010, dont une bonne moitié chez les sous-traitants ou dans l’intérim. Ces mesures sont censées conduire à des économies de deux milliards d’euros. L’objectif partiel d’une réduction d’effectifs chez la maison Airbus elle-même – ou l’équilibre entre Français et Allemands a été strictement respecté avec une suppression de 1426 postes de part et d’autre du Rhin – a été inégalement atteint à la fin du mois de mai 2008. Les Français ont commencé à réduire les effectifs assez rapidement, alors que les Allemands ont pris du retard.
Les tensions ont été particulièrement vives sur les lieux de production de Toulouse et de Hambourg. Les problèmes de câblage des tronçons de l’A380 qui n’est pas encore standardisé obligent les salariés de l’usine de Hambourg à venir à Toulouse pour terminer le montage à la main. Ils sont les seuls à pouvoir le faire, car les notices sont uniquement en allemand. Pour cette raison, les ouvriers allemands sont plus nombreux à travailler à la chaîne d’assemblage de l’usine de Toulouse que les Français, environ 2500 Allemands, dont de nombreux intérimaires, comparés à 900 Français. Cette situation, présentée comme provisoire, dure maintenant depuis plus de deux ans, conduisant à une certaine irritation chez les ouvriers français qui ne comprennent pas pourquoi ces problèmes de documentation n’ont pu être résolus en temps et en heure. S’y ajoute le différentiel de rémunération entre les deux équipes, les ouvriers allemands bénéficiant d’une prime d’expatriation que les Français en toute logique ne touchent pas, mais qui peut atteindre 40 %.
Les syndicats français et allemands s’efforcent de ramener cette crise à ses justes proportions : il s’agit surtout de frictions dues au stress lié à une situation très concurrentielle, les avions européens étant construits dans la zone euro et vendus dans la zone dollar. La stratégie d’externalisation du groupe n’ayant pas été un succès, il est compréhensible que le personnel tant français qu’allemand s’interroge sur la voie à suivre, ne voulant pas être seul à porter le fardeau de la réorganisation. Du côté des Français, qui estiment que Toulouse est plus avancée en matière technologique qu’à Hambourg, s’ajoute la crainte de voir leurs compétences industrielles reculer quand celles des Alle-mands devraient se renforcer dans des domaines d’avenir tels que les matériaux composites où ils étaient jusqu’alors à la traîne. Louis Gallois, patron d’EADS, la maison mère d’Airbus, a, toutefois, tenté de rassurer les salariés de part et d’autre du Rhin, assurant que la répartition des tâches liées à la production du futur long courrier, l’A350 XWB, serait totalement équilibrée. Par ailleurs, la réduction des effectifs dans l’administration aurait été plus que compensée par des créations de postes dans la production, le bilan étant de 1500 postes créés.
Contact : Brigitte.Lestrade@u-cergy.fr