Le vieillissement croissant de nos sociétés en Europe exige que soit totalement repensée la place qu'occupent les seniors, non seulement en tant que forces actives sur le marché de l’emploi, mais aussi comme forces vives qui tiennent leur rôle, tout leur rôle, à côté des autres classes d’âge. Il est vrai que la situation est difficile. L’arrivée à l’âge de la retraite des enfants du baby-boom et l’accroissement régulier de l’espérance de vie, qui conduisent à une modification inconnue jusqu’alors de la pyramide des âges, induisent des charges financières très lourdes pour les générations en âge de travailler. Qu’il s’agisse de la santé, de l’assistance aux handicapés ou des retraites, les charges continueront à croître. Pour financer les retraites, la plupart des pays européens ont relevé l’âge légal de cessation d’activité, ou envisagent de le faire. En Allemagne, la décision a été prise de faire passer l’âge légal d’accès à la retraite à 67 ans, la France, plus timide, s’est contentée de relever le nombre d’annuités nécessaires pour toucher une retraite pleine, afin d’amener les salariés à prolonger d’eux-mêmes leur activité professionnelle, sans toucher à la limite légale, craignant une explosion de mécontentement dont la France est coutumière.

Il est vrai qu’en France, comme en Allemagne d’ailleurs, les choses ne sont pas simples. Pour faire travailler plus longtemps les seniors, encore faut-il que les entreprises acceptent de les recruter. S’il est vrai que le taux de chômage des salariés d’un certain âge est inférieur à la moyenne – en partie en raison de la dispense de recherche d’un emploi, généralement accordée d’office jusqu’à une date récente –, il est également vrai que ceux qui sont au chômage ont infiniment plus de peine à retrouver un emploi qu’un jeune. D’après la puissante association de retraités américaine AARP (American Association of Retired People), c’est en France et en Allemagne que les élites sont le plus convaincues de l’impact néfaste du vieillissement, craignant notamment pour l’avenir des systèmes de retraite et le financement des dépenses de santé. Mais de part et d’autre du Rhin, elles sont très pessimistes, estimant que le monde économique n’est pas prêt à intégrer une main-d’œuvre plus âgée, alors qu’au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, il est très courant de voir des seniors travaillant jusqu’à 75 ans. De plus, les retraitables français et allemands eux-mêmes ne souhaitent pas forcément poursuivre une activité professionnelle souvent perçue comme pesante, et ce d’autant plus qu’on les considère parfois comme inaptes à suivre le rythme effréné des innovations. Ne vivons-nous pas à une époque, où, situation inédite, les jeunes, dans certains domaines, en savent plus que leurs aînés ? La prise en considération de ces changements démographiques est donc un souci récent. Les gouvernements, tant en France qu’en Allemagne, conscients du danger que font peser sur les finances publiques l’allongement continu de l’espérance de vie sans prolongation concomitante du nombre d’années travaillées – et de cotisations versées – ont décidé d’agir et ont mis en œuvre, pratiquement en même temps, un plan d’action pour l’emploi des seniors, afin d’atteindre l’objectif de Lisbonne, à savoir un taux d’activité des seniors de 50 %. Il faut dire qu’au moment du lancement des plans d’action dans les deux pays, la participation des aînés au marché du travail était particulièrement basse, encore au-dessous de 40 % tant en France qu’en Allemagne. Or, en 2007, le taux d’emploi des seniors est toujours inférieur à 40 % en France, alors qu’il atteint maintenant les 50 % en Allemagne. Que s’est-il passé outre-Rhin qui ne se serait pas produit en France ? Avant de nous pencher sur une analyse des deux programmes, français et allemands, regardons d’un peu plus près l’évolution du taux d’emploi des seniors en France et en Allemagne et examinons les raisons de taux aussi bas.

Evolution du taux d’emploi des seniors

La notion de « salarié senior » est définie de façon différente selon les pays et selon les milieux politiques ou économiques dans lesquels ils évoluent. S’agissant de salariés non encore retraités, il s’agit de personnes de moins de 65 ans en Allemagne, ainsi que dans la plupart des pays européens, et de moins de 60 ans en France. Les statistiques européennes définissent les seniors comme étant des salariés âgés de 55 à 64 ans. Les entreprises raisonnent différemment. Pour celles qui ont introduit un bilan de mi-carrière, le seuil se situe à 45 ans. Les entreprises qui recrutent un nouveau collaborateur cherchent à éviter les candidats de plus de quarante ans, bien que cette pratique soit illégale. En France, avec les problèmes d’insertion dans le marché de l’emploi des jeunes et des vieux, les recrutements s’opèrent essentiellement dans la tranche d’âge de trente à quarante ans ; l’Allemagne, qui souffre moins du chômage d’insertion des jeunes, tente, comme la France, d’éviter les recrutements après la quarantaine.

Les taux d’emploi des seniors âgés de 55 à 64 ans varient de façon importante au sein de l’Europe des 15. Si un groupe de pays, comprenant la Suède, le Danemark et le Royaume-Uni, se caractérise par un maintien dans l’emploi très élevé chez les hommes (de l’ordre de 60 à 70 %) comme chez les femmes (50 à 60 %), la France est de ceux qui, avec la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et l’Autriche, présentent les taux d’emploi les plus bas, de guère plus de 40 % pour les hommes, et de 30 à 40 % pour les femmes. La France se singularise toutefois dans ce groupe, car la part des femmes de ce groupe d’âge encore en activité est à peine inférieure à celle des hommes, alors qu’elle est très inférieure en Autriche et en Italie, où les femmes décrochent encore plus massivement que les hommes. L’Allemagne se situe au milieu, le taux d’emploi des seniors ayant amorcé sa remontée depuis 2004, comme on peut le voir sur le tableau ci-dessous.

Dans les deux pays, le taux d’emploi a nettement augmenté entre 1998 et 2007, de 12 points en Allemagne et de 10 points en France, mais l’évolution n’est pas compa-rable. En France, le taux d’emploi est resté pratiquement stable, à un peu moins de 30 %, pendant toute la décennie quatre-vingt-dix. Il n’a augmenté qu’à partir de 2000 environ, mais ce de façon très sensible. Dans cette augmentation, le facteur démographique a joué un rôle important. En Allemagne, le taux d’emploi ne s’est mis à croître qu’à partir de 2002, voire 2003, mais à partir d’un niveau plus élevé qu’en France, et en adoptant un rythme particulièrement élevé depuis 2004. Le facteur démographique ayant joué légèrement en défaveur de l’Allemagne, son taux de variation nette, entre 2000 et 2005, s’établit à 8,2 points comparé à 4,4 points pour la France. Si les différences constatées entre la France et l’Allemagne s’expliquent en partie par des éléments démographiques, un autre facteur est le cadre réglementaire : l’âge légal d’accès à la retraite fixé à 60 ans conduit à avancer le départ de la vie active par rapport à l’Allemagne. Alors que le groupe des 50 à 54 ans travaille à 78 % en France et à 75,1 % en Allemagne, celui des 55 à 59 ans, déjà réduit, n’atteint plus que 54,5 % en France et 63,2 % en Allemagne. L’âge de 60 ans semble constituer une sorte de barrière : en France, seuls 13% des 60 à 64 ans sont encore au travail ; en Allemagne, ils sont 27,8 % ; c’est certes plus que le double du pourcentage français, mais peu par rapport à un âge légal d’accès à la retraite de 65 ans, ce qui montre que dans les deux pays, l’âge réel de départ à la retraite est inférieur à l’âge légal. Mais le fait est que dès 2005, l’Allemagne, très en retard auparavant, a rejoint le niveau de l’UE – 15 pour le taux d’emploi des seniors, pour le dépasser à partir de 2006, atteignant un an plus tard l’objectif de Lisbonne de 50 % de seniors au travail. La France en est encore loin, l’Allemagne ne l’a atteint que tout récemment. Quels sont les facteurs de blocage de l’emploi des seniors ?

Pourquoi ce faible taux d’emploi des seniors ?

Si les seniors ont participé si peu à la vie active de part et d’autre du Rhin, ce n’est pas dû à un phénomène unique ; tous les acteurs de la vie économique y ont contribué, l’Etat, les entreprises, les partenaires sociaux, jusqu’aux salariés eux-mêmes qui ne pouvaient pas s’imaginer comment on pourrait avoir envie de travailler au-delà de soixante ans. En France, cette relative aversion pour le travail plonge ses racines assez loin dans le temps. Au début du 20e siècle, les Français qui en avaient les moyens aspiraient au statut de « rentier », c’est-à-dire de pouvoir vivre de ses revenus sans travailler, et ce, si possible, dès l’âge de quarante ans. Le travail n’était pas perçu comme un épanouissement, mais comme une corvée. Cet état d’esprit n’a pas complètement disparu, même s’il se double aujourd’hui d’une justification supplémentaire du retrait anticipé de la vie active. Depuis la fin des « trente glorieuses » et la montée subséquente du chômage, il est en effet admis en France comme en Allemagne, tant par l’Etat que par la société dans son ensemble, que les anciens devaient laisser leur place aux jeunes qui arrivaient en très grand nombre sur le marché du travail. Partir tôt à la retraite était considéré comme un geste en faveur des autres, donc donnait bonne conscience. En Allemagne, où la notion de « rentier » n’a pas pris racine, cette attitude « place aux jeunes » est également très répandue.

Le recours aux retraites anticipées

L’Etat, de son côté, faisait tout pour ancrer dans l’esprit de la population que la gestion des âges était un outil efficace dans la lutte contre le chômage, notamment en France. Lors de l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, l’âge légal du départ à la retraite a été ramené de 65 à 60 ans, mesure très populaire qui officialisait en quelque sorte le fait que l’âge effectif de départ ne cessait de baisser depuis les années soixante-dix. En outre furent introduits, tant en France qu’en Allemagne, de nombreux dispositifs de préretraite financés par l’Etat qui permettaient à certains salariés de partir avant l’âge de la retraite. A ce système s’ajoutait dans les deux pays la possibilité, pour les chômeurs proche de la soixantaine, de percevoir les allocations chômage sans être obligés de chercher activement un emploi. Ces dispositifs pesaient certes sur les finances publiques, mais les départs anticipés permettaient aux pouvoirs publics d’afficher une réduction du nombre de chômeurs comptabilisés. Les Allemands y avaient ajouté le temps partiel senior qui donnait la possibilité de travailler à mi-temps, dès l’âge de 55 ans, tout en percevant un salaire, complété par les deniers publics, d’au moins 70 % du salaire à plein temps antérieur. A côté des mesures prises par l’Etat pour réduire de façon volontaire le nombre de seniors au travail figurent aussi des dispositions qui, destinées à les maintenir dans les entreprises, ont au contraire conduit à les en éloigner. Si, pour l’Allemagne, le temps partiel des seniors peut être considéré ainsi, en France, la plus connue est la contribution Delalande, créée en 1987, qui obligeait les entreprises à verser une indemnité à l’Etat lorsqu’elles licencient un salarié de plus de 50 ans. L’instauration de cette pénalité financière a conduit à ce que les entreprises hésitent à embaucher un salarié proche de la cinquantaine pour ne pas être obligées de verser cette contribution au cas où elles seraient amenées à s’en séparer.

Les réticences des entreprises

Est-ce l’attitude de l’Etat qui encourage les seniors à se retirer tôt de la vie active, ou la mentalité de la société qui est focalisée sur la jeunesse, toujours est-il que les entreprises, de leur côté, ne font rien, ni pour retenir les seniors en leur sein, ni pour les recruter s’ils frappent à leur porte. Il y a plusieurs raisons à cela, les deux principales, qu’on retrouve tant en France qu’en Allemagne, étant l’attitude supposée des seniors face aux nouvelles technologies et la hausse des coûts salariaux. Pour ce qui est des nouvelles technologies, les enquêtes d’opinion auprès des chefs d’entreprise semblent confirmer le fait qu’ils considèrent qu’un accroissement de la part des travailleurs de plus de cinquante ans aurait des effets négatifs sur l’introduction de nouvelles technologies (Behaghel, 2005). Il est de fait que les nouvelles formes d’organisation requièrent des capacités de communication accrues auxquelles les seniors n’ont pas été préparés. L’utilisation de l’informatique n’ayant pas fait partie de leur formation initiale, ils sont désavantagés dans ce domaine par rapport aux jeunes, un inconvénient que la plus grande expérience des seniors ne compense pas suffisamment aux yeux des responsables d’entreprise.

Il est plus étonnant de constater que ce handicap n’est pas plus souvent comblé dans le cadre de la formation continue. Mais force est de constater que la formation payée par l’employeur s’adresse majoritairement aux salariés âgés de 30 à 45 ans. D’après les enquêtes formation et qualification professionnelle, le recours aux qualifications chute très fortement à partir de 45 ans, tant en France qu’en Allemagne. Est-ce le raccourcissement inévitable de l’horizon temporel qui fait apparaître cet investissement comme moins rentable aux chefs d’entreprise ou pensent-ils que l’acquisition de connaissances en informatique ne suffit pas pour pallier le recul, vrai ou supposé, de la productivité des seniors ? Toujours est-il que la faiblesse de l’effort de formation continue en direction des salariés plus âgés est symptomatique du manque d’intérêt des entreprises pour ce groupe de salariés.

A ce handicap des seniors face aux nouvelles technologies s’ajoute celui du niveau des salaires. Dans la plupart des pays européens, il est d’usage d’accompagner la progression dans la carrière des salariés par une augmentation presque mécanique des salaires. Si cette augmentation est, de façon croissante, modulée en fonction des résultats du salarié – évalués au cours de l’entretien annuel ou bisannuel –, il est rare que l’employeur refuse de l’accorder. Cette hausse des salaires avec l’âge est particulièrement marquée en France, comme le montrent les chiffres de l’OCDE. Alors que le niveau des salaires atteint en Allemagne son niveau le plus élevé vers quarante ans et se maintient pratiquement à un plateau jusqu’à soixante ans, plateau qui correspond à environ 50 à 60 % de plus qu’un salarié du groupe d’âge 25 à 29 ans, les écarts sont beaucoup plus importants en France. Le niveau des rémunérations s’élève sans discontinuité de 25 à 60 ans ; les seniors gagnent en moyenne 80 % de plus que les salariés débutants de leur branche. L’aspect financier joue donc également en défaveur des seniors, ce renchérissement de l’emploi contribuant à maintenir les demandeurs d’emploi âgés au chômage, car ils coûtent nettement plus cher à l’entreprise au recrutement pour effectuer des tâches analogues. Si donc les seniors qui ne sont pas poussés à la préretraite par des entreprises désireuses de rajeunir leur personnel jouissent d’une situation financière et d’un déroulement de carrière confortable, il est particulièrement difficile pour ceux qui sont au chômage de se réinsérer dans la vie active. Car il existe une autre spécificité française qui tend à les défavoriser, à savoir les procédures de recrutement des entreprises. Les entreprises françaises ont tendance à formuler leurs offres d’emploi très différemment comparées à celles qui paraissent dans d’autres pays européens, (Marchal, Rieucau, 2005). Alors qu’en Allemagne, de même qu’en Grande-Bretagne ou en Espagne, on précise clairement les tâches à accomplir par le candidat au recrutement, les entreprises françaises se bornent encore souvent à définir ce qu’ils en attendent en termes de formation, de durée d’expérience, d’apparence – jusqu’à récemment, de nombreuses offres d’emploi précisait la nécessité d’envoyer une photo – et, bien entendu, d’âge. Depuis quelques années, les annonces dans la presse ou sur Internet s’adaptent : toute référence au sexe ou à l’âge souhaité disparaît, mais en pratique, les entreprises continuent à procéder à une sélection par des critères simples : trop jeune, trop vieux, nom à consonance étrangère, adresse indiquant un quartier difficile, etc.

L’âge est un facteur particulièrement discriminant. Si les précisions concernant l’âge des futures recrues ont disparu dans les annonces, elles font toujours partie des exigences : la quasi-totalité des entreprises cherchent des candidats âgés de trente à quarante ans. Une étude de la DARES confirme cette discrimination des seniors à l’embauche : 50 % des femmes de plus de 40 ans au chômage n’ont obtenu aucun entretien d’embauche. Si les seniors affichent globalement un taux de chômage inférieur à celui de la population salariée dans son ensemble, ils éprouvent en effet de très grandes difficultés à se réinsérer dans la vie active. Deux éléments pour illustrer cette difficulté : en France, la durée moyenne au chômage était de 239 jours chez les 25-49 ans en 2004, mais elle atteignait 402 jours chez les plus de cinquante ans ; ils sont donc surreprésentés dans les statistiques du chômage de longue durée, comme le note l’INSEE dans son rapport sur les comptes de la nation 2005-2006. Il souligne par ailleurs que parmi les personnes embauchées depuis moins d’un an, les plus de cinquante ans ne représentent que 6 %, alors qu’ils constituent un sixième des chômeurs et un quart de l’emploi. En Allemagne, la situation est analogue ; l’Agence fédérale pour l’emploi estime que les chômeurs entre 50 et 65 ans mettent entre 5 et 9 mois de plus pour se réinsérer dans le marché de l’emploi que les catégories plus jeunes.

Que ce soit les barrières qui se dressent devant les seniors au chômage ou l’ambiance peu favorable dans les entreprises, toujours est-il que les salariés de plus de cinquante ans ont, par un effet de miroir, intégré la notion que le marché du travail ne les concernait pas ou plus vraiment. Puisque les entreprises les considèrent comme moins aptes au travail que les jeunes, ils ont tendance à se considérer eux-mêmes comme usés et souhaitent, majoritairement, partir à la retraite le plus tôt possible. En France, la retraite à 60 ans, anachronisme à l’heure actuelle, n’est pas mise en cause, en dépit des problèmes financiers qu’elle implique pour les individus et pour la société. En Allemagne, où l’âge légal d’accès à la retraite a été porté de 65 à 67 ans, l’opposition à cette mesure reste très vive, et l’espoir d’un retour en arrière n’est pas éteint. De part et d’autre du Rhin, si des possibilités de préretraite, ou de glissement aménagé vers la retraite, sont proposées, elles sont presque toujours saisies par la population concernée.

On constate donc en France et en Allemagne une certaine connivence entre l’ensemble des acteurs pour limiter la participation des seniors à l’emploi, souvent avec l’accord de ces derniers qui ne sont que trop heureux de pouvoir se soustraire à un environnement professionnel perçu comme de plus en plus stressant. C’est ainsi que, en dépit d’une légère remontée depuis quelques années, les seniors français partent à la retraite à 58,9 ans, un des départs les plus précoces en Europe. Les Allemands, dont l’accès légal à la retraite est actuellement fixé à 65 ans ont vu l’âge réel de départ certes augmenter ces derniers temps : il est de 63,4 ans actuellement, c’est-à-dire 4,5 ans de plus qu’en France, mais, dans les deux pays, il est encore nettement inférieur à l’âge légal. Les problèmes démographiques auxquels l’Allemagne et la France sont confrontés – un nombre décroissant de jeunes devant épauler une cohorte croissante de retraités – constituent une menace pour la cohésion de la société. Les gouvernements de part et d’autre du Rhin en ont pris conscience, plus tardivement que dans d’autres pays, les pays scandinaves notamment, mais, depuis quelques années, des mesures en faveur de l’emploi des seniors font leur apparition.

Des réactions tardives et inégalement efficaces
en faveur de l’emploi des seniors

Ce changement d’orientation s’appuie sur deux raisons majeures. Depuis la fin des trente glorieuses et l’envolée du chômage, les gouvernements allemands et français successifs s’étaient évertués à multiplier les mesures d’encouragement au retrait des seniors de la vie active pour laisser leurs places aux jeunes. Or, cette politique est un échec, le taux de chômage des jeunes, notamment en France, en atteste. Pousser les anciens hors du marché de l’emploi n’a manifestement pas contribué à favoriser l’insertion des jeunes générations de salariés. Les pays qui n’ont pas poursuivi une politique encourageant de tels départs ont un taux de chômage global, et surtout un taux de chômage des jeunes, nettement plus bas. La Finlande en est un exemple flagrant. Cet échec est financièrement très coûteux, au niveau des préretraites, bien sûr, mais aussi des retraites proprement dites, car, en Allemagne comme en France, même avec un taux de naissances plus favorable que dans d’autres pays européens, l’équilibre entre actifs et retraités se détériore rapidement. Dans la tranche d’âge des 26 à 54 ans, le nombre d’actifs en France va baisser de 1,6 million entre 2000 et 2025, alors qu’il y aura 3 millions des seniors supplémentaires âgés de plus de cinquante ans. La charge supportée par une population active devenue trop restreinte, de 30 à 55 ans essentiellement, devient excessive, particulièrement dans un contexte d’allongement continu de l’espérance de vie. Il est donc urgent de relever le taux d’emploi des seniors pour alléger le fardeau et aussi, du moins peut-on l’espérer, pour leur permettre de mieux transmettre aux jeunes générations leur expérience et leur savoir-faire.

La politique du marché de l’emploi des seniors en Allemagne :
Fördern und fordern

Décourager l’accès précoce à la retraite
Si l’amélioration du taux d’emploi des seniors allemands est comparativement récente, les premiers instruments de l’activation des salariés de plus de 55 ans ont déjà été introduits dans le cadre de la loi Job-Aqtiv et des réformes Hartz au début des années 2000. Le gouvernement de l’époque, ayant constaté que les prestations sociales comparativement généreuses versées aux seniors au chômage contribuaient à maintenir le taux d’emploi à un niveau faible en comparaison européenne, a procédé à une série de réformes destinées à rendre l’accès précoce à la retraite plus difficile. Les modifications les plus importantes portent par conséquent, en dehors du relèvement de l’âge légal d’accès à la retraite, sur l’introduction de pénalités en cas de départ à la retraite avant l’âge légal. Depuis 2002, un senior au chômage ne peut plus partir à la retraite avant 65 ans sans réduction de sa retraite. L’accès à la préretraite est toujours possible à partir de 60 ans, mais elle est soumise à un malus de 3,6 % par an (au maximum 18 % sur 5 ans). De même, les chômeurs de longue durée (depuis 2002) et les femmes (depuis 2005) ne peuvent plus partir en retraite avant 65 ans avec une retraite pleine. Un règlement analogue a été introduit pour les salariés handicapés (depuis 2004), avec une limite d’âge fixée à 63 ans pour une retraite pleine.

Encourager la reprise d’emploi
Ces mesures, destinées à décourager les seniors à prendre leur retraite trop tôt, ont été complétées par des incitations en direction des entreprises et des seniors eux-mêmes. La garantie de ressources (Entgeltsicherung) introduite en 2003 pour les chômeurs de plus de 50 ans prévoit le versement par l’Etat d’un complément de salaire en cas de reprise d’un emploi plus faiblement rémunéré que l’activité professionnelle précédente. Ces incitations financières existent également en direction des entreprises : les compléments d’insertion (Eingliederungszuschuss) accordés aux entreprises qui embauchent un chômeur à problèmes prévoient le versement, pendant 12 mois, d’un complément de 50 % du salaire ; un complément qui peut atteindre une durée de 36 mois si le chômeur a plus de 50 ans. Pour lutter contre la faible présence des seniors dans les mesures de formation continue, l’Etat rembourse, depuis 2002, les coûts y afférents. En même temps, l’Etat prend en charge une partie du salaire d’un senior menacé de chômage pendant la durée de sa formation continue. Deux autres mesures prises à l’époque, qui ont probablement contribué à augmenter le taux d’emploi des seniors, ont depuis été partiellement annulées. Il s’agit d’abord de la réduction, très contestée à l’époque, de la durée du versement de l’allocation chômage aux chômeurs d’un certain âge. Depuis le 1er janvier 2004, la durée maximale des droits a été ramenée, pour les chômeurs de 55 ans et plus, de 32 mois à 18 mois, et ce sans considération de la durée de cotisation à l’assurance chômage. Devant le tollé occasionné par cette mesure qui ramenait tout chômeur senior, sans considération de sa rémunération antérieure, en peu de temps au niveau de l’équivalent allemand du RMI, le gouvernement se voyait contraint de faire marche arrière. Depuis le 1er janvier 2008, la situation financière de ces chômeurs a été améliorée, sans toutefois la ramener au niveau d’avant 2004.

La deuxième mesure controversée qui, sans relever de la politique du marché de l’emploi à proprement parler, était susceptible de promouvoir l’emploi des seniors, concernait l’introduction d’un CDD spécifique. Au début de l’année 2003 a été élargie la possibilité de conclure des contrats de travail à durée déterminée sans indication de motif en ramenant la limite d’âge applicable auparavant de 58 à 52 ans. En liaison avec la possibilité déjà existante de conclure un CDD sans indication de motif pour une durée maximale de deux ans, les entreprises pouvaient désormais conclure des CDD à répétition avec leurs salariés seniors dès l’âge de 50 ans. Cette loi (§14 alinéa 3 TzBfG) ayant été considérée comme discriminatoire au niveau européen, le gouvernement souhaite la modifier pour la rendre conforme au droit européen.

L’Initiative 50plus
La politique de l’emploi des seniors menée par le gouvernement Schröder visait essentiellement à restreindre l’accès précoce à la retraite pour les inciter à rester plus longtemps en activité. La grande coalition au pouvoir depuis 2005 a décidé d’aller plus loin. Elle souhaite inciter les entreprises et les salariés seniors à redoubler d’efforts afin d’accroître la participation des aînés à l’emploi. C’est dans cet esprit qu’a été conçue « L’initiative 50plus ». Les points forts de cette initiative sont :

– Subvention salariale (Kombilohn) pour les chômeurs à partir de 50 ans : cette mesure est censée encourager les bénéficiaires de l’allocation chômage 1 à accepter un emploi moins rémunéré qu’auparavant, puisque l’Etat leur verse 50 % de la différence la première année et 30 % la deuxième année. De plus, les cotisations retraite seront portées par l’Etat à 90 % du montant versé dans l’emploi précédent.

– Compléments d’insertion : les employeurs recevront des compléments d’insertion quand ils embauchent des salariés présentant des barrières à l’embauche, comme p.ex. avoir 50 ans et avoir été au chômage pendant plus de six mois. Cette subvention sera accordée pour une durée comprise entre un et trois ans et portera sur 30 à 50 % de la rémunération.

– Promotion de la formation continue des salariés seniors : la réglementation existante sera élargie ; elle concernera dorénavant les salariés à partir de 45 ans et les entreprises de moins de 250 salariés (auparavant : salariés de plus de 50 ans dans des entreprises de moins de 100 salariés). Ils pourront obtenir, comme c’est actuellement le cas pour les chômeurs, des bons de formation qu’ils pourront remettre à des centres de formation agréés. Les employeurs de leur côtés sont tenus de continuer à rémunérer leurs salariés pendant la durée de la formation qui doit leur transmettre des compétences qui vont au-delà des exigences nécessaires à l’emploi qu’ils occupent.

Au-delà de ces mesures qui prennent effet dès 2007, et qui reprennent, en les élargissant, celles déjà mises en œuvre par le gouvernement précédent, s’ajoutent celles que les réformes Hartz n’avaient pas osé attaquer de front, à savoir le travail à temps partiel senior dans sa forme plébiscitée du Blockmodell (voir note n° 3) ainsi que la dispense de recherche d’emploi pour les chômeurs de plus de 58 ans. Ces deux mesures qui contribuaient le plus à éloigner les seniors du marché de l’emploi ne seront pas reconduites en 2008. Si la plupart des critiques estiment que L’initiative 50plus ne pourra contribuer que faiblement à la réinsertion des seniors au chômage, il faut néanmoins saluer l’effort du gouvernement d’asseoir cette initiative sur un réseau régional et local qui comprend, en 2007, plus de soixante pactes pour l’emploi, où les membres, des associations, des employeurs, des municipalités, tentent de prendre le problème en amont en essayant de déterminer les compétences des demandeurs d’emploi seniors pour les accompagner de façon constructive vers un nouvel emploi. Certains de ces regroupements locaux – dont les personnes contacts figurent sur le site Internet du ministère du Travail – affichent un taux de succès de 20 %. Une autre nouveauté est le rattachement de l’initiative 50plus à INQA (Initiative für Neue Qualität der Arbeit), une initiative qui regroupe le gouvernement fédéral, les Länder, les communes, les entreprises, les caisses d’assurances sociales, etc. afin de développer de bonnes conditions de travail susceptibles de combiner les intérêts des entreprises et des salariés.

L’effort en faveur de l’emploi des seniors en France :
réforme des retraites et plan d’action

Les réformes du système des retraites
Si, de part et d’autre du Rhin, les mesures entreprises sont analogues, en France, la réforme des retraites a précédé la réduction des possibilités d’accès à une retraite anticipée. La première réforme de l’assurance retraite dans le sens d’une maîtrise des dépenses a été entreprise en 1993 sous le gouvernement Balladur. Sans toucher à l’âge légal de départ de soixante ans, elle a instauré l’obligation d’avoir cotisé à l’assurance retraite pendant 160 trimestres, c’est-à-dire 40 ans, pour pouvoir bénéficier d’une retraite pleine. Les salariés qui n’avaient pas cotisé pendant la durée voulue devaient ou se satisfaire d’une retraite amputée ou continuer à travailler au-delà des soixante ans. Cette réforme n’a pas été suffisante pour assainir les finances de l’assurance retraite, d’autant plus que le taux d’emploi des seniors ne s’est guère amélioré. Aussi, dix ans plus tard, le gouvernement français a introduit une nouvelle réforme qui, cette fois-ci, visait plus explicitement non seulement à obliger les seniors, pour des raisons financières, à travailler plus longtemps, mais à les induire, voire à les séduire pour qu’ils conservent leur emploi en leur proposant des bonifications. La réforme de François Fillon de 2003 va faire progressivement passer le nombre d’années de cotisation nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein de 40 à 42 ans. Tous les salariés du secteur privé nés en 1949 et après devront ajouter un trimestre par année pour y parvenir. En même temps, la loi Fillon a adopté un système incitatif pour amener les seniors à prolonger leur carrière au-delà du nombre de trimestres nécessaires pour percevoir la retraite à taux plein. Il prévoit une sur-cote de 3 % par an pour tous ceux qui continuent à travailler alors qu’ils pourraient partir à la retraite. Les premières statistiques ayant révélé que la bonification de 3 % était perçue comme insuffisante par les salariés concernés – moins de 5 % ayant accepté de conserver leur emploi –, le gouvernement envisage actuellement d’introduire une version améliorée du système de bonification : le nouveau règlement prévoit, pour celui qui prolonge son activité professionnelle de trois ans, le versement d’une sur-cote de 3% la première année, de 4 % la deuxième, et de 5 % la troisième année, soit 12 % sur l’ensemble de la période. Cette nouvelle formule semble davantage correspondre aux attentes des salariés seniors. Réduire le niveau des retraites peut être un moyen d’amener davantage de seniors à prolonger leur activité, et ce d’autant plus qu’ils sont d’ores et déjà de plus en plus inquiets concernant les moyens financiers dont ils disposeront à l’avenir. Si, actuellement, la retraite en France se situe à peu près à la moyenne des pays de l’OCDE (voir tableau 3), nombreux sont les retraités qui la considèrent comme insuffisante. Le durcissement des conditions de perception d’une retraite à taux plein peut, dans ces conditions, avoir l’effet de levier voulu sur le comportement des seniors.

On a vu précédemment que le dernier revenu d’activité pouvait être, en France particulièrement, très supérieur au revenu moyen d’activité calculé sur toute la carrière du salarié. Il en résulte que les revenus des retraités peuvent souvent se comparer favorablement à ce traitement moyen. En pratique, la réforme Fillon n’a pas apporté toute l’amélioration attendue du financement du système de retraites. Elle a été en effet l’occasion de concessions importantes en faveur des salariés ayant commencé précocement leur vie active, cas relativement courant chez les seniors, en leur permettant de partir au taux plein dès l’atteinte des 40 années de cotisation. Or il semble qu’il a été possible, trop facilement peut-être, de majorer le nombre d’annuités par des conditions de rachat d’années de cotisation dans des conditions favorables. Il sera intéressant de voir si les autres réformes, notamment des services spéciaux (SNCF, RATP, etc.), incluent ou non des clauses en neutralisant plus au moins l’efficacité théorique.

Le plan d’action pour l’emploi des seniors
L’attitude des salariés seniors est un paramètre important pour l’accroissement du taux d’emploi voulu par le gouvernement, mais ce n’est qu’un aspect du problème. C’est pourquoi le plan de cohésion sociale voulu par le gouvernement prévoyait que les partenaires sociaux s’engagent dans une négociation nationale interprofessionnelle relative à l’emploi des seniors. Celle-ci était censée déboucher sur un plan d’action complétant les dispositions réglementaires de l’Etat par un volet d’incitations émanant notamment des entreprises et des syndicats. Les partenaires sociaux ont confirmé leur volonté d’élaborer un plan d’action national pour concrétiser les dispositions inscrites dans leur accord signé le 9 mars 2006. Un groupe de travail, comprenant des représentants des partenaires sociaux, du gouvernement et du Conseil économique et social (CES) a été créé sous l’égide du ministre du Travail Gérard Larcher. Le plan, dont les détails ont été présentés au public par le CES le 6 juin 2006, « se fixe pour ambition prioritaire de concourir à une augmentation du taux d’emploi des 55-64 ans de l’ordre de 2 points par an sur la période 2006-2010 afin d’atteindre un taux de 50% à l’horizon 2010 ». Dans l’esprit de ses concepteurs, le plan d’action distingue trois domaines, l’amélioration de la cohésion sociale, la croissance économique et la viabilité des systèmes de protection sociale, dans cet ordre ; la valorisation des compétences et de l’expérience des seniors, leur meilleure insertion dans le monde du travail sont inclus dans le premier domaine, considéré comme prioritaire. Ils n’hésitent pas à considérer cette « promotion d’un vieillissement actif au travail » comme un nouveau défi, tout aussi important que celui qui a consacré l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail.

Le plan pour l’emploi des seniors fixe cinq objectifs qui se déclinent en 31 actions. Le premier objectif est l’amélioration de l’image du senior au travail par une meilleure information, surtout une information plus positive, du grand public et des entreprises sur les atouts des seniors en matière d’emploi, pour changer la perception encore largement négative dont pâtit cette frange de la population dans une société empreinte de « jeunisme ». Pour ce faire, le gouvernement souhaite s’inspirer de l’expérience finlandaise. La Finlande a en effet débuté la promotion de l’emploi des seniors à la fin des années quatre-vingt-dix en lançant une vaste campagne de communication à destination de l’opinion publique, pour combattre les préjugés encore très largement répandus. Les résultats de cette campagne, réitérée pendant toute la durée du plan finlandais, ont été probants (Mäkelä, 2006). En soutien à cette action de communication, le premier objectif prévoit également de faire connaître les bonnes pratiques en matière d’emploi des seniors et d’encourager la recherche sur les enjeux liés à l’âge des salariés. Cette perception de la Finlande comme précurseur en la matière est partagée par l’Allemagne qui la cite souvent en exemple.

Le deuxième objectif est de prolonger l’activité des seniors qui détiennent un emploi en améliorant la gestion des âges dans les entreprises. La première priorité porte sur la généralisation des entretiens de deuxième partie de carrière, vers 45 ans, et le renforcement de la formation professionnelle des seniors suite à l’établissement de bilans de compétence. S’y ajoute le développement des accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, notamment dans les PME/PMI. Le recours aux préretraites et aux accords abaissant l’âge de mise à la retraite d’office sera limité, voire interdit. L’accent est également mis sur l’amélioration des conditions de travail et sur le développement des actions de prévention en matière de santé. Le troisième objectif concerne principalement les chômeurs âgés : une dizaine d’actions sont prévues en vue de faciliter la réintégration des seniors dans le monde du travail. En dehors de l’amélioration des services de l’ANPE, y figurent le refus, symbolique mais difficile à mettre en œuvre, de la discrimination par l’âge lors du recrutement et l’encouragement à la création et la reprise d’entreprise. Conscients des difficultés réelles que rencontrent les chômeurs de plus de 50 ans, les concepteurs du plan n’hésitent pas à proposer toute une palette de mesures qui créent des statuts précaires plutôt que de véritables emplois, tels que la création d’un contrat à durée déterminée réservé aux seniors à partir de 57 ans, la mobilisation des contrats aidés, habituellement réservés aux jeunes chômeurs, ainsi que le développement des nouvelles formes d’emploi. Cette dernière proposition désigne, dans l’esprit de ses concepteurs, essentiellement le portage salarial, considéré comme particulièrement adapté à la situation des seniors qui souhaitent se mettre à leur compte. La troisième partie du plan comprend également la proposition de supprimer les freins à l’emploi liés à la contribution Delalande.

Les actions déclinées dans l’objectif n° 4 visent à améliorer les fins de carrière en prenant en compte à la fois la volonté de favoriser la transmission de l’expérience des seniors à la génération suivante et le souhait des plus anciens de continuer à travailler, certes, mais en ralentissant progressivement le rythme de leur engagement. Pour éviter que l’expérience des seniors ne tombe dans l’oubli, les concepteurs du plan suggèrent d’introduire ou d’élargir le tutorat, une pratique qui devrait concerner tant les seniors proches de la retraite que des salariés déjà retraités, dont on s’est parfois aperçu un peu tard qu’ils sont partis avec un savoir faire qui fait défaut à l’entreprise. La possibilité de passer au temps partiel et l’introduction de la retraite progressive répondent au besoin de travailler moins, alors que le gouvernement, soucieux de retenir les seniors au travail n’a pas oublié d’inclure dans ses propositions l’amélioration de la sur-cote pour les retraitables ayant leurs annuités mais désireux de continuer à travailler, ni la promotion du cumul emploi-retraite pour les bas salaires. Le cinquième objectif marque la volonté du gouvernement que soit assuré un suivi tripartite du plan d’action dès son début d’application en 2006.

La plupart des propositions, y compris celle émanant des syndicats et peut-être coûteuse pour les entreprises, d’améliorer la formation continue des seniors, procèdent d’un consensus entre les parties prenantes de cette initiative inédite. Il ne faut pas en déduire pourtant que les partenaires sociaux voient la situation de la même manière. On sort tout juste d’une période pendant laquelle syndicats et patronat estimaient, dans une belle unanimité, bien que pour des raisons différentes, que les seniors devaient quitter leur emploi tôt, afin de laisser la place aux jeunes. S’ensuivit la prolifération des systèmes de préretraite et de dispositifs de dispense de recherche d’emploi pour les seniors au chômage qui ont conduit à l’écroulement du taux d’emploi des seniors. Ils ont maintenant pris conscience de la nécessité de changer de comportement, et ils recherchent des solutions en présentant des propositions qui ont bien des difficultés à devenir consensuelles.

Selon les syndicats, la productivité inférieure ou supposée telle des seniors est essentiellement due à un savoir périmé ; ils souhaitent donc un renforcement de la formation continue spécifiquement dédiée aux seniors pour améliorer leur employabilité. Si les entreprises, dans le cadre du plan d’action, ont accepté d’accroître leurs efforts de formation, assortis de mesures d’accompagnement du gouvernement, elles demandent que soit entérinée l’idée que les seniors sont un groupe de salariés à part, à l’employabilité faible, auquel devront être appliquées des mesures spécifiques. Ainsi, le patronat appelle de ses vœux la création d’un contrat à durée déterminée de 18 mois, renouvelable une fois, qui serait réservé aux chômeurs de 57 ans révolus. Il estime qu’il accroîtrait considérablement les chances des demandeurs d’emploi seniors à retrouver du travail, même à trois ans de la retraite, alors qu’actuellement, ils sont même dispensés de recherche d’emploi. Les syndicats sont hostiles à la création d’un contrat « vieux » spécifique, qui risquerait de stigmatiser les salariés seniors. Bien que cette mesure figure parmi les actions du plan d’emploi, ils s’y opposent, avec des arguments analogues à ceux développés pour refuser le contrat première embauche réservé aux jeunes.

En attendant l’implémentation du plan d’action, l’attitude des entreprises envers les seniors – et celle des seniors envers l’emploi – ne change que lentement. S’il est vrai que le taux d’emploi des seniors augmente depuis quelques années, c’est probablement davantage dû à la réforme des retraites et à l’accès de plus en plus difficile aux préretraites qu’à un changement de mentalité dans la stratégie de recrutement des entreprises. Pourtant, les premières tentatives de retenir les seniors au travail se font jour, notamment dans les grandes entreprises. Une des premières pistes de réflexion porte sur la réduction de la pénibilité des postes pour les travaux manuels, élément particulièrement important pour le maintien des seniors dans l’emploi. Dans le même ordre d’idées, quelques grandes entreprises proposent déjà, sans attendre l’implémentation du plan d’action gouvernemental, le passage au temps partiel pour les salariés seniors. L’introduction de systèmes de départs progressifs s’accompagne souvent d’un transfert de compétences qui permet aux seniors de passer leur savoir-faire aux salariés qui restent, notamment en direction des plus jeunes. Si ces premiers aménagements montrent la voie à suivre, il reste pourtant beaucoup à faire pour rejoindre la moyenne européenne en matière de taux d’emploi des seniors, voire atteindre l’objectif de Lisbonne et ainsi mettre fin à l’exception française dans ce domaine.

La confrontation des mesures prises par la France et l’Allemagne pour repousser l’âge de la retraite, maintenir les seniors dans l’emploi ou les y ramener s’ils sont au chômage, montre qu’elles suivent des voies analogues, même si elles paraissent plus détournées et plus timides en France. Les deux pays misent sur la suppression progressive des préretraites, l’introduction de bonus/malus, l’amélioration de la formation continue ainsi que la mise au point de CDD seniors spécifiques. En même temps, des efforts sont entrepris de part et d’autre du Rhin pour améliorer la communication destinée aux entreprises et au public afin d’améliorer l’image des seniors. Si les mesures entreprises par les deux gouvernements ne présentent pas de divergences sensibles, comment expliquer cette évolution différente des taux d’emploi des seniors ? Plusieurs aspects peuvent être cités. Le premier, probablement le plus important, est l’environnement économique. Ce facteur est particulièrement frappant quand le regard se porte sur les pays voisins où l’amélioration de la situation professionnelle des seniors est plus ancienne. Au Danemark, aux Pays-Bas et en Finlande, trois pays qui, dans les année quatre-vingt-dix, ont entrepris de gros efforts dans le domaine de l’insertion des seniors, portant notamment sur la formation, le conseil, et la politique de ressources humaines, la situation ne s’est réellement améliorée que quand l’économie est repartie à la hausse et que le marché de l’emploi s’est assaini. Appliquée au couple franco-allemand, cette analyse constate que la croissance économique a été plus forte en Allemagne en 2006 et en 2007 qu’en France et que la décrue du chômage, réelle dans les deux pays, a été beaucoup plus forte en Allemagne. Le deuxième aspect est celui de l’attitude peu claire de la France en matière de retraite anticipée. D’un côté, le gouvernement instaure des mesures destinées à retarder le départ en retraite, telle que la retraite progressive, le cumul emploi-retraite ou la création d’une sur-cote. De l’autre, il introduit des dispositifs qui, au contraire, permettent de prendre sa retraite plus tôt, comme le rachat d’années d’études ou la retraite anticipée pour carrières longues. Ces dernières mesures ayant été plébiscitées par les Français alors que celles destinées à les inciter à rester au travail n’ont guère attiré les salariés, on constate même un léger recul de l’âge moyen du départ à la retraite depuis l’introduction de la réforme Fillon, de 61,3 à 60,7 dans le secteur privé. A ces deux éléments s’ajoute celui de l’âge légal d’accès à la retraite. La France est désormais le seul pays au monde à maintenir une limite d’âge aussi basse, ce qui ne peut manquer d’avoir une influence sur le comportement des salariés. Même si la retraite n’est pas complète à soixante ans, de nombreux salariés préfèrent partir, d’une part parce que les Français sont nombreux à préférer le temps libre à un surcroît de salaire, et d’autre part, parce que les collègues ont tendance à considérer un salarié de soixante ans comme quelqu’un en sursis, qui n’a plus vraiment sa place au travail. Si on peut admettre que l’argument de la croissance économique joue un rôle important, il indiquerait par contre-coup que l’embellie de la situation des seniors sur le marché de l’emploi en Allemagne pourrait être de courte durée, les prévisions pour 2008 et 2009, de 1,8 % et 1,5 % respectivement, n’augurant rien de bon. De plus, on peut légitimement s’interroger sur la qualité des emplois réservés aux seniors. La précarité des emplois est en augmentation constante en Allemagne ; il est peu probable que ceux dévolus aux seniors y échappent.

Pour la France comme pour l’Allemagne, il est surtout nécessaire de changer d’état d’esprit. A une époque où les sexagénaires d’aujourd’hui sont souvent en meilleure santé et plus dynamiques que les quinquagénaires d’il y a une génération, la présence de salariés âgés doit être considérée comme une normalité, tant par les entreprises que par les salariés eux-mêmes. Des campagnes de communication ciblées sont indispensables pour aider à ce changement de mentalité. S’il est normal de travailler plus longtemps qu’auparavant, il faut aussi intégrer cette logique dans la gestion des ressources humaines, dans le recrutement, mais aussi dans la formation tout au long de la vie, des aspects où les seniors ne doivent pas être traités différemment des autres salariés. Ce qui pourrait contribuer à établir cette normalité, seule garante de la pérennité de l’emploi des seniors, serait la suppression d’une limite d’âge rigide de départ à la retraite. En France aussi, en France surtout, une limite mobile pourrait dédramatiser l’effet couperet des soixante ans. Avec une espérance de vie de quatre-vingts ans et une entrée dans la vie active de plus en plus tardive, les Français et les Allemands passent désormais moins de la moitié de leur vie au travail. Pour faire face aux défis démographiques à venir, cela ne peut suffire.

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