Es hilft nun aber nichts, zu sagen, es gebe für uns keine Tabus, wenn es sie gibt.
(Volker Braun : Tabus, 1972)

Ma propriété
Je suis là encore et mon pays va vers l'Ouest.
GUERRE AUX CHAUMIERES PAIX AUX PALAIS !
Je l’ai mis à la porte comme on fait d’un vaurien.
Il brade à tout venant ses parures austères.
L’été de la convoitise succède à l’hiver.
Et à mon texte entier on ne comprend plus rien
On me dit d’aller voir là où le poivre pousse.
On m’arrache ce que je n’ai jamais possédé.
Ce que je n’ai vécu va toujours me manquer.
Comme un piège sur la route : l’espoir était à vif.
Ma propriété, la voici dans vos griffes.
Quand redirai-je à moi en voulant dire à tous ? 1

Si, après 1989/90 et durant toute la décennie des années 1990, on attendait le grand roman de la réunification allemande, le poème Das Eigentum (1990) de Volker Braun que l’on peut traduire aussi bien par « Le Patrimoine » que par « La Propriété », peut être considéré comme un des poèmes les plus importants de cette période, comme un poème « classique » de la période de la réunification. En tant qu’auteur de l’ex-RDA jusque là considéré comme l’un des plus virulents de la dissidence intérieure du pays, Volker Braun exprime ses regrets quant à la réunification allemande: poussé par le désir de consommation, son pays « part à l’Ouest ». Après les années de disette, « d’hiver » en matière de consommation ; l’Est ne résiste plus aux sirènes de l’Ouest, le système politique et social de la RDA s’effondre. Braun est conscient d’avoir lui-même contribué à la chute de son pays, de lui avoir donné le coup de pied fatal (vers 3 : Ich selber habe ihm den Tritt versetzt). Mais maintenant que son pays est en train de se dissoudre dans le processus de la réunification allemande, le dissident se transforme en défenseur des «maigres» acquis de la RDA (vers 4 : magre Zierde) tout en réduisant l’Ouest à un capitalisme sauvage que Braun, en inversant la fameuse devise büchnerienne, présente comme un système qui déclare « la guerre aux chaumières, la paix aux palais ». La deuxième partie du poème est la plus intéressante dans le cadre de notre questionnement sur le canon littéraire : le moi lyrique du poème, facilement identifiable à son auteur Volker Braun, se voit obligé de rester « là où il est », dans cette RDA trahie et abandonnée par sa population. Dans cette nouvelle situation historique, le poète dissident s’identifie à son pays en déliquescence, il craint que « son texte entier », ses œuvres en général, deviennent incompréhensibles avec la fin de la RDA. L’utopie d’un socialisme à visage humain auquel il aspirait lui est arrachée, le rêve de cette utopie s’évanouit avec la disparition du pays du socialisme allemand réellement existant. Braun est conscient que c’est justement cet espoir, cette utopie du socialisme idéal qui l’a piégé et qui a barré la route à la réalisation du socialisme rêvé. Les « griffes » qui s’emparent de la propriété de l’auteur, ce ne sont probablement pas seulement celles du capitalisme de l’Allemagne de l’Ouest qui, aux yeux de Braun, est en train de phagocyter la RDA, ce sont aussi les œuvres de l’écrivain qui tombent sous les griffes de nouveaux lecteurs qui vont lire les textes hors du contexte de la RDA. Braun redoute donc qu’avec la disparition de la RDA, avec la disparition des conditions réelles dans lesquelles il a conçu et réalisé ses œuvres, celles-ci deviennent incompréhensibles, il craint de perdre les lecteurs capables de lire et de comprendre ses ouvrages, de se trouver hors-champ avec sa production littéraire. Il exprime ainsi une position souvent entendue à l’époque de la réunification, la thèse que les lecteurs de la RDA étaient les meilleurs lecteurs de la littérature de la RDA, qu’ils savaient lire entre les lignes et comprendre au mieux la critique cachée dans les textes, qu’ils étaient de connivence avec leurs auteurs et seuls à-mêmes de répondre aux schibboleths formulés dans 'leur’ littérature. Or, cette position réduit la validité de cette littérature au seul contexte de la RDA, elle suggère qu’en dehors de ce contexte, elle perdrait sa lisibilité.

Le cadre stable dans lequel se positionnait la littérature de la RDA était la théorie esthétique du « réalisme socialiste ». Contrairement aux thèses de la théorie du champ littéraire de Pierre Bourdieu, les auteurs de la RDA n’étaient pas libres de définir leurs règles de l’art 2 ; dans l’espace des pays du bloc de l’Est, les luttes pour la canonisation n’avaient pas lieu entre auteurs autonomes, c’était toujours le nomos politique qui définissait le cadre très strict de la théorie esthétique et même le travail de subversion des auteurs d’avant-garde se définissait par rapport au dogme du réalisme socialiste. Si, pour Bourdieu, tout auteur est lié à la tradition propre de son champ et doit, même dans une perspective de subversion, inévitablement se situer dans l’espace des possibles qu’elle impose 3, les écrivains de la RDA devaient se situer dans l’espace très rigide du canon esthétique du socialisme réaliste qui visait à contrôler et à discipliner la vie et la communication littéraire de la RDA. Martina Langermann constate que, bien qu’ils soient généralement en décalage et en contradiction avec le canon contraignant du réalisme socialiste, tous les textes écrits en RDA se réfèrent au canon officiel imposé par les autorités politiques 4. Carsten Gansel observe qu’une querelle du canon existait de manière larvée et permanente en RDA 5.

En ce qui concerne la position de V. Braun exprimée dans son poème « La propriété », il s’agit de savoir si, avec la disparition brusque du contexte politique du réalisme socialiste, il regrette le cadre contraignant mais stable de son écriture ou si, avec la projection hors du champ habituel de sa créativité, il craint de perdre la raison d’être de son travail dans un champ élargi inconnu. En ce qui concerne la lutte pour le canon littéraire, toujours lié à la question de la durée de la littérature, la position de Braun semble contradictoire : dans son poème de 1990, il place son écriture dans une perspective de courte durée, où son « texte » serait périmé dès l’abolition du contexte politique et social. Dans un texte théorique paru en 1972, il est vrai bien antérieur et formulé en réaction à une réunion plénière du bureau politique du SED traitant de la littérature, Braun aspire à une durée dans le temps et donc à une certaine valeur canonique de sa propre littérature, en soulignant qu’il fallait de toute urgence donner de la durée à la poésie de la RDA qui jusque-là ne s’inscrivait que dans l’éphémère. Il considère qu’au-delà de la pure protestation, il fallait s’en servir de manière universelle, qu’il fallait enraciner la poésie dans l’espace des possibilités humaines pour la rendre plus ouverte, plus sobre, plus rigoureuse et plus réaliste. Cet ancrage est pour Braun la source véritable et profonde du plaisir que procure la poésie 6. Est-ce que le Volker Braun de 1990, peut-être face à la nouvelle réalité politique allemande, abandonne l’idée d’une littérature universelle de la durée au profit d’une littérature du jour mêlée aux affaires courantes et à date de péremption à brève échéance? Pour répondre à cette question, on se penchera sur Le roman de Hinze et Kunze de Volker Braun qui l’a occupé durant une période d’au moins dix-sept ans, de 1968 à 1985, de la première version sous la forme d’une pièce de théâtre, en passant par des aphorismes et textes de petite prose publiés en 1983, jusqu’à la publication du roman en 1985, après bien des déboires avec la censure.

Dès le début, V. Braun situe l’écriture du roman dans le contexte du canon officiel de l’écriture du réalisme socialiste. Après avoir présenté dans un exposé de quelques lignes les trois leitmotivs centraux du roman, – à savoir la question de ce qui maintient ensemble Hinze et Kunze, l’affirmation de décrire purement et simplement sans comprendre ce qu’il écrit et l’intérêt de la société, « cette chose au nom de laquelle j’écris » 7, il passe à la présentation des personnages éponymes, Hinze, le chauffeur, et Kunze, son patron, qui se retrouvent dans la voiture de fonction, une Tatra noire. Ce deuxième paragraphe du roman se termine par la remarque « et nous les connaissons déjà. » (RHK 8/HKR 7.) La présentation des personnages semble donc êtres faite de manière conventionnelle. Mais la narrateur n’en reste pas là, il se reprend : « Non, ce n’est pas ainsi que les choses se passaient ; ce n’est pas selon le schéma commun que je travaille si je fais l’effort de travailler, quand je m’y mets que ce soit selon la nature, que ce soit un plaisir. » Et le narrateur/auteur de présenter une deuxième version qui fait ressortir les rapports amicaux et cordiaux entre Hinze et Kunze. Kunze demande à son chauffeur : « eh bien conduis-nous à, tu sais bien, encore un bout, tu es formidable, [...] ». De la version allemande il ressort encore plus clairement ce que Kunze demande à son chauffeur, la désignation elliptique de la destination, « so fahren wir ins, du weißt es selbst, noch ein Stück, du bist großartig, [...] » (HKR 8), ne peut être complétée que par « ins Blaue », qui signifie rouler sans but précis au petit bonheur. On verra par la suite que ce seront les mollets d’une jeune personne à jupe jaune qui sont le but à suivre, filature difficile qui obligera le chauffeur Hinze à emprunter, entre autres, un sens unique à contre-sens. Ce n’est qu’après cette deuxième présentation qu’on connaît les personnages et l’action du roman qui, dès les premières pages, prend l’allure d’un roman galant plutôt que d’un roman engagé de la littérature du réalisme socialiste.

L’allégorie du début du roman est éloquente, d’emblée l’auteur du Roman de Hinze et Kunze réfute les critères principaux du réalisme socialiste qui, avec l’élément principal, la théorie du reflet, la mimesis, la présentation « fidèle » de la réalité (Widerspiegelungstheorie), sont la partialité en faveur de la classe ouvrière (Parteilichkeit), la perspective socialiste (Perspektive) et l’écriture populaire (Volkstümlichkeit). Un narrateur qui déclare dès le début de son roman ne pas comprendre ce qu’il décrit, ne répond pas à l’exigence de la littérature engagée « partiale », un roman qui présente des personnages manifestement déboussolés ne s’inscrit pas dans cette perspective concrète et la forme du Roman de Hinze et Kunze est de toute façon une forme inhabituelle et peu populaire. Avant de laisser partir ses personnages filer les mollets d’une jeune personne, l’auteur prend pourtant ses précautions en affirmant qu’il prend bien appui sur la théorie officielle quand il déclare : « mais à présent, nous pouvons les (Hinze et Kunze, R.Z.) suivre, on peut tout déballer. Une fois les positions fermement assurées, il n’y a pas de tabous. » (RHK 8/HKR 8.) Volker Braun cite ici le représentant du nomos politique et culturel le plus important de la RDA de l’époque : à la réunion du Comité central du SED des 16 et 17 décembre 1971, le nouveau secrétaire général du parti, Erich Honecker, avait déclaré : « En partant des positions fermes du socialisme, il ne peut à mon avis pas y avoir de tabous dans le domaine de l’art et de la littérature. » 8 De manière ironique, V. Braun profite ici du flou de la définition des normes du canon esthétique du réalisme socialiste. Tout en nageant à contre-courant du canon officiel, il déclare avoir des positions fermement ancrées dans le canon esthétique officiel. Il prétend adopter les mêmes positions fermes que les représentants du pouvoir idéologique tout en minant la validité de la théorie bâtie sur cette idéologie. Dans ce passage, Braun oublie délibérément un autre discours du même Erich Honecker qui, deux ans plus tard, déclarait qu’il fallait, à tout prix et par tous les moyens, défendre les progrès de la RDA sur le terrain de la culture et de l’art, en s’opposant fermement à toute concession à la « déformation moderniste de l’art » 9. Dans son travail de sape du canon esthétique du réalisme socialiste, Braun adopte habilement les mêmes stratégies que les détenteurs du pouvoir canonique de l’époque, qui se servaient bien volontiers du flou des définitions esthétiques pour asservir et contrôler la vie littéraire de la RDA. Martina Langermann constate que les concepts flous du réalisme socialiste se prêtaient bien à être instrumentalisés par le pouvoir 10. Ici, l’écrivain subvertit la langue de bois du pouvoir politique pour se débarrasser du carcan de l’idéologie esthétique et pour la prendre à rebours. Ce qui pose le plus de problèmes dans la théorie du réalisme socialiste et dans toutes les théories esthétiques ‘réalistes’ depuis Aristote, c’est le flou de son élément maître, la théorie de la mimesis qui s’y trouve sous forme de la théorie du reflet (Widerspiegelungstheorie). Tandis que, pour les théoriciens du marxisme vulgaire, la présentation de ce qu’on appelle la ‘réalité’ ne semble pas poser de problème et ne prête pas à discussion, l’écrivain qui se bat concrètement avec ce problème, comprend très vite que le rapport entre cette ‘réalité’ et sa représentation dans l’art, plus particulièrement dans la littérature, n’est pas simple : en donnant deux versions du début du roman, Braun nous le fait comprendre 11. Le débat le plus important du réalisme socialiste concernant cette théorie a eu lieu dans les années 20 et 30 du XXe siècle, dans les querelles autour du réalisme et du formalisme (Realismusdebatte/Formalismusdebatte) dont les protagonistes les plus importants en Allemagne furent Georg Lukács et Bertolt Brecht. En simplifiant beaucoup, on pourrait dire que Lukács basait sa théorie d’écriture réaliste sur la littérature classique et le réalisme critique du XIXe. Pour Lukács, l’écrivain du réalisme socialiste devait suivre l’exemple de ces auteurs du XIXe, les auteurs de la modernité du XXe, ceux de l’expressionnisme en particulier, étaient jugés décadents et formalistes. Brecht en revanche, dans sa recherche d’un réalisme adapté aux luttes de classes du XXe, était ouvert aux formes nouvelles. Selon lui, il ne fallait pas renouer avec les bonnes vieilles formes littéraires, mais avec les mauvaises formes nouvelles des expressionnistes pour les adapter aux besoins d’une littérature socialiste moderne destinée aux masses modernes 12. Pour Brecht, Lukács tente de faire entrer de force des nouveaux contenus dans des moules anciens 13, ce qui, aux yeux de Brecht, disqualifie sa théorie esthétique. En RDA, depuis la fin des années cinquante, la querelle semble avoir tranché en faveur de Brecht et Lukács être tombé en disgrâce 14. Dans le dictionnaire philosophique de Klaus/Buhr, on reproche à Lukács de vouloir réduire la littérature socialiste à une « simple copie de l’existant » 15. Or, rien ne semble moins sûr que cette prétendue suprématie canonique des concepts brechtiens dans la réalité du réalisme socialiste de la RDA. Le consensus esthétique des années soixante et soixante-dix en RDA était encore fortement imprégné des concepts de Lukács. Dans un ouvrage collectif intitulé Einführung in den sozialistischen Realismus, publié en RDA en 1975, cinq ans après la déclaration de Honecker, les rares références à Lukács sont presque toujours négatives et pour la plupart sans indications bibliographiques 16. Mais en regardant de près la façon dont sont traités les courants de la littérature moderne et avant-gardiste tels que le Surréalisme, le Nouveau Roman ou la littérature du Popart, les positions avancées sont clairement plus proches du conservateur Georg Lukács que du novateur esthétique Bertolt Brecht, ce qui n’est d’ailleurs pas étonnant dans une théorie esthétique qui se revendique fortement de « l’héritage classique et humaniste » du XIXe, concept hérité de ...Georg Lukács. Les auteurs de l’ouvrage mettent en garde contre un « réalisme sans bornes » se revendiquant de Bertolt Brecht ; pour eux, il serait dangereux de se servir du prétexte de « l’ampleur et la multiplicité de l’écriture réaliste » revendiquée par Brecht 17 pour ériger « l’art bourgeois tardif en exemple esthétique » 18.

On comprend donc que Volker Braun, peut-être le plus brechtien des écrivains de RDA, ait rencontré des difficultés pour faire publier son Roman de Hinze et Kunze 19 et qu’il puisse encore être considéré comme un provocateur quand il cite des auteurs de la modernité classique tels que Kafka (RHK 55/HKR 61) et anticipe une critique virulente de son propre livre avant que cette critique ne soit effectivement rédigée et publiée (RHK 131s./HKR 147s.). Les canons esthétiques du nomos politique étant stables et prévisibles, la provocation était facile à concevoir mais bien sûr pas sans risques pour l’auteur provocateur.

Mais revenons à la critique du concept du « reflet de la réalité » du marxisme vulgaire. Dans un article intitulé « Querelle autour de la boîte noire », Lothar Baier se penche sur la question du « schématisme » de la théorie du reflet, du rapport entre couples de termes tels que base et superstructure, forme et contenu, réalité et reflet dans la théorie du réalisme socialiste. Pour Baier, ces couples théoriques utilisés dans la théorie de l’art socialiste éclipsent la véritable question de savoir ce qui se passe entre les deux. Baier constate que le parti pris commun aux conceptions classiques et marxistes est de postuler que l’œuvre et sa fonction dans la société se trouvent à la fin du processus de création, qu’en son début se situe l’auteur et son appartenance de classe. Baier conclut que « ce qui se passe entre les deux, se joue dans la boîte noire. » 20 Pour rendre cette boîte plus transparente, Baier propose d’abandonner l’idée du mimétisme, de ne plus concevoir la création littéraire d’après le schématisme binaire et simple de base/superstructure, situation originale/aboutissement, réalité/reflet de la réalité, mais d’observer le processus de création dans le contexte social, « d’historiser » les significations et de les comprendre dans le contexte de la réception des œuvres. C’est l’idée qui se trouve exprimée à la dernière page du Roman de Hinze et Kunze, où son auteur, prétendant une dernière fois ne pas comprendre ce qu’il écrit, délègue la compréhension de son poème à une auditrice à l’occasion d’une lecture publique. Ce n’est plus l’œuvre qui se trouve à la fin du processus de la création, c’est sa réception, et cette réception est changeante et historique parce qu’elle varie avec les générations qui ‘réceptionnent’ l’œuvre. Peu importe si Volker Braun a eu connaissance de l’article de Lothar Baier ou non 21, il se sert de la même image de la « boîte noire » pour analyser les tenants et aboutissants de l’écriture à l’époque du règne canonique du réalisme socialiste. C’est la voiture de fonction de Hinze et Kunze, la « Tatra noire », qui lui permettra d’observer ce qui se passe à l’intérieur de la boîte noire : à la première page, la voiture de fonction de Hinze et Kunze est présentée comme une « boîte étincelante » qui héberge son « chauffeur maigre, comme un insecte » (RHK 7/HKR 7). D’emblée, la voiture apparaît comme une sorte de boîte d’observation et d’expérimentation. Plus tard dans le roman, Kunze s’interroge à propos de Hinze : « Ne devrait-il pas le délivrer de cette capsule, de cette boîte noire ? » (RHK 152/HKR 171) Pour poursuivre à pied la filature de la jupe jaune au début du roman, « Kunze bondit hors de la réserve ambulante » (RHK 9/HKR 9), le mot de « réserve » (Reservat) soulignant encore une fois l’aspect de modèle réduit propice au regard observateur. Plus tard, le narrateur constate : « Dans cette entreprise à deux personnes, tout fonctionnait d’une façon modèle. Les réunions avaient lieu pendant les trajets : on prenait sur les heures de travail, pour éviter de perdre du temps. » (RHK 103/HKR 116.) Mais le « bousier noir » (RHK (-), 151/HKR 97, 170) ne sert pas seulement de salle de réunion, la voiture exerce d’autres fonctions, elle se transforme en ambulance noire qui transporte le malade obsédé sexuel et incurable qu’est Kunze (RHK 102, 107/HKR 114, 121) ; quand Hinze s’oppose ouvertement à la demande de Kunze de désormais aussi conduire Lisa et qu’il endommage la voiture de fonction, les programmes de l’Ouest des postes de télévision voisins attisent la haine de Hinze en l’appelant « à laisser tomber », « à se tirer », « à descendre de la bagnole » et en traitant la voiture de « corbillard qui fonce vers le précipice » (RHK 147s./HKR 166) ; à d’autres occasions, « la voiture noire si commode » fait office de camionnette, de camion de déménagement ou de « roulotte noire » hébergeant Hinze (RHK 72, 170s./HKR 81, 192s.). La Tatra noire n’est donc pas seulement une simple voiture de fonction, on peut aisément l’interpréter comme une allégorie de la RDA, la voiture officielle est le modèle réduit qui permettra à son auteur de présenter la société de la RDA et sa théorie esthétique de manière satirique. Produite en Tchécoslovaquie, la Tatra pourrait même symboliser l’esthétique en vigeur dans tous les pays du bloc de l’Est. L’allégorie de la boîte noire roulante permet d’ironiser sur la direction politique à adopter. On a vu que, dès le début du roman, la voiture noire encore étincelante ne prend pas les chemins battus de l’idéologie politique et esthétique officielle, qu’elle prend au contraire les sens uniques à contre-sens : elle devient ainsi une image, appliquée à la RDA, de la fameuse thèse de Walter Benjamin selon laquelle toute transmission culturelle est aussi toujours un témoignage de la barbarie : dans la sixième thèse de son texte Sur le concept d’histoire, Benjamin écrit : « Car il n’est pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie. Cette barbarie inhérente aux biens culturels affecte également le processus par lequel ils ont été transmis de main en main. C’est pourquoi l’historien matérialiste s’écarte autant que possible de ce mouvement de transmission. Il se donne pour tâche de brosser l’histoire à rebrousse-poil. » 22 Pour Benjamin, une théorie à la Lukács 23 qui érige en exemple absolu l’héritage culturel du XIXe siècle, en véhicule aussi les aspects barbares et totalitaires ; pour lui, le processus de transmission doit être interrompu, les normes canoniques du passé doivent êtres passées au crible et analysées par les générations suivantes. Si Benjamin oppose ainsi le véritable matérialiste critique au « matérialiste » soumis à la tradition qui ne fait que perpétuer la barbarie, l’impact d’une telle théorie dans le contexte de la littérature du réalisme socialiste qui se réfère au patrimoine culturel classique, est manifeste. Les personnages de Volker Braun qui brossent l’histoire et en particulier l’histoire de littérature à rebrousse-poil, se positionnent ainsi dans la lignée subversive du matérialisme benjaminien. Le premier texte littéraire de Benjamin, publié après sa propre conversion au matérialisme, s’appelle d’ailleurs « Sens unique », il est dédié à Asja Lacis qui a initié Benjamin au matérialisme marxiste et qui, d’après la dédicace, a « brisé en lui » la pensée à sens unique 24.

Les mouvements de la voiture noire permettent à Braun d’ironiser également sur les notions politiques de gauche et de droite. Quand le chauffeur Hinze demande s’il faut tourner à droite ou à gauche, son patron Kunze, politiquement correct, lui demande de tourner à gauche (RHK 11/HKR 11). Mais comme on tourne en rond en toujours tournant à gauche, Kunze donne une autre direction à la « ligne du récit » (RHK 10/HKR 10) en demandant à Hinze de lui présenter sa femme, ce qui écartera encore le roman du droit chemin du socialisme réaliste, le transformant définitivement en roman galant. Kunze et son auteur préfèrent toujours se laisser guider par un jupon plutôt que par la doctrine esthétique officielle, ce que leur reprochera plus tard la critique à la foi fictive et réelle Frau Professor Messerle (RHK 133/HKR 149). Tandis que les théoriciens du réalisme socialiste semblent bien connaître la direction à prendre, les personnages dans la boîte noire et leur auteur semblent bien désorientés. Au milieu du roman, enflammé par une discussion politique avec Kunze, le chauffeur se met à couper les virages pour, ainsi que le constate son auteur, « sortir des voies habituelles » (RHK 84/HKR 94). Une fois encore, la boîte noire ne suit pas les chemins tracés par la doctrine officielle. Quelques pages plus loin, lorsque, dans une autre discussion politique qui a encore lieu dans la voiture noire, Kunze déclare qu’il s’agit de trouver la ligne, Hinze rétorque « Et de savoir comment prendre le virage ». (RHK 94/HKR 106) La réplique résume bien les différences de caractère politique des deux personnages : tandis que Kunze cherche à trouver sa propre ligne, certes extravagante, Hinze ne cherche qu’à se débrouiller et à s’arranger avec l’Etat socialiste.

Les mouvements de la voiture noire permettent également de railler le concept de progrès du socialisme réellement existant et la langue de bois des discours officiels qui l’accompagnent. Ainsi, Braun ironise sur les devises officielles glorifiant le progrès du socialisme commençant par le mot « en avant » (vorwärts). Lorsque, après la deuxième rencontre, cette fois-ci plus musclée, avec le policier, ce dernier somme Hinze et son auteur de circuler sans indiquer la direction à prendre, Hinze demande « alors en avant » tout en partant en sens inverse : « et le bousier noir et bosselé se faufila en marche arrière dans les embouteillages. » (RHK 151/HKR 170.) Au paragraphe suivant, c’est la politique de la « direction nouvelle », du « Nouveau cours » (Neuer Kurs) adoptée en 1953 qui est soumise à un traitement satirique : tout comme cette « direction nouvelle » (conçue pour atténuer les méfaits de la construction accélérée du socialisme décrétée en 1952) ne changeait pas grande chose à la réalité du socialisme réellement existant, de la même façon le maître et son chauffeur s’engagent dans une « direction nouvelle » à travers le centre ville « qui était en gros l’ancienne » (RHK 151/HKR 170). Cette direction nouvelle des protagonistes du roman qui ne change rien aux faits, n’est pourtant pas conforme à l’idéal du progrès et à la perspective socialiste souhaitée pour les romans du réalisme socialiste, les deux personnages qui tournent en rond ne seraient pas non plus dignes de figurer dans un roman de formation classique, ils n’évoluent pas.

Mais la boîte noire qu’est la voiture de fonction de Hinze et Kunze ne fournit pas seulement l’image allégorique et satirique de la bonne voie à prendre (où à ne pas prendre), elle est un modèle réduit qui permet d’observer les rouages de la société est-allemande. La voiture est à la fois un endroit public et privé, ou plutôt un espace privé qui évolue dans l’espace public, la boîte noire montre à la fois à quel point il est difficile de les distinguer clairement. Si Jacques et son maître et même encore Puntila et son valet Matti agissaient dans un espace où les rôles étaient encore clairement définis, le socialisme prétend avoir aboli la lutte des classes et les distinctions sociales, les intérêts particuliers des individus semblent définitivement conciliés avec l’intérêt public, leitmotiv principal du roman pourtant systématiquement soumis à un traitement subversif et satirique. Vers la fin du roman, l’auteur se demande : « Dans l’intérêt de la société / disent mes lecteurs. / Bof, bien sûr, / que je réponds : mais qui pose la question de savoir ce que c’est au juste ? » (RHK 152/HKR 171.) C’est dans la « boîte noire » que la question taboue est traitée. Dans un article de 1966 intitulé « La vérité simple ne suffit pas » 25, Volker Braun présente Brecht comme le dernier dramaturge à avoir eu affaire aux luttes de classe. Braun se demande dans la lignée de Marx, comment, dans une société apaisée où l’individu et le citoyen font un, où les gens ne font plus partie de classes différentes et où les protagonistes sont amis, une dramaturgie nouvelle peut encore présenter les antagonismes persistants entre dirigeants et dirigés qui se distinguent encore par le pouvoir dont ils disposent. Pour Braun, cette nouvelle dramaturgie ne doit pas proposer de solution, c’est au public de la trouver, il faut tout simplement donner un maximum d’informations sur la structure de la société. Bien que l’article soit de vingt ans antérieur à la publication du roman et qu’il puisse paraître naïf de considérer la RDA de l’époque comme une société sans classes, Le roman de Hinze et Kunze, au départ conçu sous forme de pièce de théâtre, semble suivre ces consignes : le narrateur prétend sans cesse ne pas comprendre ce qu’il décrit et c’est au lecteur de trouver la réponse aux contradictions du roman. Vus de loin ou de l’extérieur de la boîte d’expérimentation, les rapports entre Hinze et Kunze sont effectivement amicaux. Ce n’est qu’en proposant de regarder de près ce qui se passe à l’intérieur de la boîte noire où se rencontrent les domaines privés et publics que l’auteur nous permet de mieux saisir les antagonismes subsistants. Dans le chapitre déjà évoqué de l’entreprise à deux personnes fonctionnant à merveille, les différences entre Hinze et Kunze sont présentées dans une réflexion auctoriale à double fond satirique : l’auteur constate que Kunze, situé en haut de l’échelle sociale, avait une vision uniforme du monde, tandis que Hinze avait une conscience double et se cramponnait avec entêtement à son barreau en bas de l’échelle : « Il restait en bas, dans la bagnole, et se laissait guider. » (RHK 104s./HKR 117.) Cela ne signifie pas, au contraire, que la vision uniforme de Kunze lui permette de voir plus clair que Hinze. On apprend que Kunze ne tolère pas la vision double de son ami Hinze, qu’il exige son accord et que des divergences de principe le déchireraient. C’est sa situation sociale qui lui permet de concevoir de manière simple, voire simpliste, les rapports entre base et superstructure. Sa façon de considérer les choses « de haut en bas en haut, saisissant les pôles » est devenue sa « seconde nature, sa vision politique bondissant de la même façon entre base et sommet. [...] son regard allait de haut en bas / de bas en haut pour compenser la différence. » (ibid.) Ce regard qui saisit les pôles, lui donne une certaine supériorité, surtout sur ses ‘objets’ préférés, les femmes, même sur Lisa : à leur première rencontre, Kunze, en regardant la tête de Lisa, a l’impression que ses lèvres « n’avaient à jamais rien à me dire » qu’elle était « belle et inaccessible. » (RHK 20/HKR 21.) C’est en regardant ensuite la « base » de Lisa, ses pieds nus, « deux animaux confiants » aux « dix orteils en plein mouvement comme s’ils jouaient du piano » qu’il reprend confiance, il relève rapidement la tête et surprend un regard doux sur le visage de Lisa qui exprime de la curiosité et de l’intérêt qui, pour Kunze, devient intimité. Kunze est d’emblée convaincu que « sans elle me manquerait quelque chose d’important, quelque chose de moi-même. Ensemble nous serions autres. » (RHK 20s./HKR 21s.) C’est le départ de l’histoire d’amour entre Kunze et Lisa. Le paragraphe se termine de la façon suivante : « J’avais les yeux fixés sur l’admirable base, sans être en mesure de lire les pensées dans la superstructure. C’était un rapport qui ne m’apparaissait pas clairement, pouvais-je en avoir un avec elle ? J’étais fou de désir. » (RHK 21/HKR 22.)

Bien qu’il ne soit pas tout à fait sûr de bien comprendre le rapport entre base et superstructure, dont le schématisme, nous le savons, se passe dans la boîte noire, Kunze saisit et conquiert Lisa dans sa totalité en regardant les pôles extrêmes. A aucun moment Kunze n’est conscient d’abuser tout simplement de sa position sociale supérieure quand il condescend à « compenser la différence » (RHK 104/HKR 117). Sa façon de s’intéresser à « Ce qui était plus bas », aux femmes du peuple (RHK 51/HKR 56), pourrait certes être interprétée comme une version marxiste de la pulsion platonicienne qui recherche sa partie manquante pour re-constituer le tout et pour réaliser l’union harmonieuse des prolétaires et prolétariennes prônée par Kunze (RHK 107/HKR 120), mais on oublierait que c’est surtout sa position sociale qui permet à Kunze de se transformer en une sorte d’activiste à la Adolf Hennecke qui fait exploser les normes dans le domaine sexuel. Hinze, en revanche, avec sa conscience double (RHK 104 / HKR 117), apparaît comme un personnage incohérent, mais c’est tout au contraire cette perspective double qui lui permet de voir les contradictions de façon plus claire. Avec sa façon d’aller dans le vif du sujet, il échoue certes auprès de Lisa : quand il la saisit aux « cuisses, à la naissance de la courbe » (RHK 15/HKR 15) pour la saluer, Lisa, déçue, lui demande de la traiter au moins comme sa voiture en commençant par le haut (on comprend pourquoi plus tard, Kunze aura plus de succès auprès d’elle), mais en matière d’empathie, Hinze, l’homme à conscience double, est capable de se mettre à la place de Kunze et de le comprendre, sans pour autant adopter ses positions politiques et idéologiques. En s’accrochant à son barreau en bas de l’échelle sociale, il ne se trouve certes pas en position d’imposer l’unité et l’union des hommes (ne serait-elle que charnelle), mais sa perspective double, qui est aussi une perspective du bas vers le haut, lui permet de mieux cerner les antagonismes du socialisme réellement existant. Cette clairvoyance ne le pousse pourtant pas à l’engagement social ou politique, il s’en sert au contraire pour mieux s’installer dans sa niche sociale. En brossant ce tableau des messieurs tout le monde de la RDA, le dirigeant aveugle aux réalités sociales et le sujet désabusé, Volker Braun donne une image réaliste de la société des quinze dernières années de la RDA, réalisme qui ne correspond pas du tout aux normes du réalisme socialiste. Le regard à l’intérieur de la boîte noire donne de tout autres résultats que ceux escomptés par l’idéologie esthétique.

Le regard dans la Tatra noire permet à son auteur de bien faire ressortir un aspect qui explique ce désenchantement des dernières années de la RDA : l’attente de jours meilleurs et de l’avènement définitif du communisme. De manière ironique, la population de la RDA qualifiait son pays de « communauté d’attente socialiste » (sozialistische Wartegemeinschaft). Pour traiter cet aspect, la profession de Hinze est encore une fois très bien choisie : le chauffeur passe beaucoup de temps à « rester en bas, dans la bagnole » (RHK 105/HKR 117) à attendre son patron. Dès le début du roman, on apprend que « le chauffeur maigre, comme un insecte dans la boîte étincelante attendit un long moment ». Le fait de devoir attendre ne le dérange pas, il semble plutôt bien s’accommoder de ce temps vide. C’est seulement quand l’attente professionnelle s’entremêle avec la vie privée, quand il s’agit d’attendre en bas pour qu’en haut, dans son propre appartement, son patron Kunze en finisse avec sa femme Lisa, que le chauffeur s’impatiente. Dans le chapitre clé en la matière, Hinze constate en discours indirect-libre : « Le pire pour Hinze, ce n’était pas les attentes au troquet tandis que Kunze comblait l’humanité de ses bienfaits. Attendre était la moitié de la vie ; c’était le lot de chacun, tous attendaient quelque chose. Une bière garçon, un poste, la retraite, le communisme. L’avenir s’étendait devant eux, là rien n’avait changé, même si c’était un avenir meilleur, même si on le laissait derrière soi ! On attendait d’une manière ou d’une autre, longtemps. » (RHK 63/HKR 70.) En empruntant à sa façon bien particulière à la fameuse neuvième thèse de Sur le concept d’histoire de Walter Benjamin 26, Hinze se fabrique sa propre philosophie de l’histoire, il essaie ensuite de se faire une raison quant à sa situation personnelle en se rappelant ses privilèges par rapport à d’autres professions qu’il n’est pas obligé d’exercer. Mais malgré tous ses arguments et le nombre élevé de bières ingurgitées, il n’arrive pas à faire définitivement abstraction du fait que c’est sa propre femme et non l’humanité que son patron est en train de combler : « Il était assis au bistrot où on lui passait la bière et devinait que dans le coin d’autres choses se passaient sans lui. Parce qu’il ne sortait pas de ses gonds, pour prendre une résolution. Il écoutait au fond de lui, où s’engouffrait la bière, si personne n’irait dire à Kunze ses quatre vérités. Et retrousser ses manches ! Mais rien ne bougeait. » (RHK 64/HKR 71.)

Hinze réalise qu’il est en train de se faire berner par son patron et que sa soumission, sa patience et son inactivisme sont les conséquences d’une idéologie qui promet des avenirs qui chantent tout en laissant les choses en l’état. En adoptant le genre du roman galant ou le plus intime se lie au public, en présentant le patron Kunze en activiste sexuel, Volker Braun réussit à faire comprendre à travers son personnage Hinze que, même dans le socialisme, ceux du bas de l’échelle sont toujours en train de se faire b... par les fausses promesses de bonheur de ceux qui détiennent le pouvoir. Malgré sa souffrance, Hinze ne réagit pas. Le chapitre se termine de la façon suivante : « Une fin n’est pas prévisible : certes il n’allait pas se tuer. Il se réservait pour des temps meilleurs, pour l’avenir : celui qui s’étendait devant eux. (A ta santé.) Mais dans son dos il serrait, nous l’avons vu, le poing. » (RHK 64/HKR 72.) Ce n’est plus l’image de « l’Angelus Novus » benjaminien poussé, le dos en avant, vers l’avenir par la tempête du progrès et qui n’arrive plus à refermer ses ailes déployées 27, c’est le poing serré dans le dos qui devient le leitmotiv de la révolte avortée de Hinze. Ce n’est qu’à première vue que Hinze ressemble encore au chauffeur Matti de Bertolt Brecht qui déclare que les chauffeurs sont des gens particulièrement rebelles qui n’ont pas de respect pour leurs patrons à force de les entendre parler au fond de leur voiture 28. Le chauffeur de Kunze représente le citoyen de la RDA ayant compris que les fausses promesses d’un avenir meilleur le tiennent en échec, que la perspective socialiste était un leurre, et qui, désabusé, baisse les bras et cache sa révolte. Il n’est pas le seul, son auteur regrette de rencontrer souvent le « regard voilé, battu » de « ces gens qui regardent joyeusement l’avenir dans les yeux tout en évitant ceux des autres. » (RHK 158/HKR 178.) C’est cette attitude, partagée par une grande majorité de la population, qui fut à l’origine de l’implosion de la RDA 29. A l’autre bout de l’échelle sociale, les efforts du côté du pouvoir sont timides : dans son seul moment de lucidité, Kunze, lui aussi, se met à la place de Hinze : « Tout songeur, [...], voilà qu’il se mettait à la place de Hinze, son chauffeur digne de confiance, cet expert. (Quand l’avait-il essayé ? Cette fois-là seulement.) Toute la journée à attendre et à conduire, à rouler et à l’attendre, lui ! Le volant en mains, sans diriger ? Ne devrait-il pas le délivrer de cette capsule, de cette boîte noire ? Comment pouvait-on oublier cela. A présent, Kunze était assis derrière et devant en même temps, et cela le déchirait, une douleur vive et enivrante qui le ramenait à lui. A l’autre en lui, qui était chauffeur, lui aussi. Comme s’il trouvait l’apaisement en étant ensemble. En poussant un soupir, il s’enfonça au fond de lui-même, là où l’autre l’attendait. Il le prit dans ses bras, le pressa contre sa poitrine, bouleversé par une joie muette. » (RHK 151s./HKR 171.) Même dans son seul moment d’empathie profonde avec son chauffeur, Kunze est incapable d’abandonner sa vision unique du monde, tout se passe en lui-même, ce n’est pas son véritable chauffeur qu’il découvre, mais le chauffeur en lui. De cette façon, il peut s’imaginer « assis derrière et devant en même temps » sans abolir les « devant » et « derrière » et sans renoncer à sa recherche d’harmonie, à l’apaisement que lui procure la sensation d’être « ensemble ». Cette phrase est encore plus révélatrice dans le texte original : « Als fände er seine Ruhe miteinander. » Gramma-ticalement fausse, la phrase fait clairement comprendre que Kunze ne fait pas la paix avec son chauffeur en chair et en os en changeant la réalité sociale, mais que, dans son solipsisme d’homme de pouvoir, il se solidarise avec le Hinze qui est en lui, donc un Hinze factice et modulable à sa guise. C’est encore sa position de dirigeant qui lui permet de vivre dans sa subjectivité sans être déchiré par la réalité sociale. Ses réflexions n’ont pas d’impact, c’est une empathie complètement individuelle qui ne change rien à la situation réelle des différences de classe. Les phrases qui suivent l’expriment clairement : « Hinze ne se doutait de rien, il ne partageait pas sa joie, il filait tout droit dans le sens indiqué par Kunze (traduction modifiée par R.Z.). Rien d’autre ne se passa. » (RHK 152 / HKR 171.)

Dans ses réflexions sociales, Kunze vit lui-même dans une sorte de boîte noire hermétiquement bouclée dont les structures fonctionnent hors contexte, sans contact véritable avec la réalité extérieure. Dans son attitude qui le maintient éloigné de la réalité, le monde intérieur de Kunze ressemble au salon de son épouse Trude dont voici l’impression de Hinze à l’occasion de sa première (et dernière) visite : « Il pénétra dans le vestibule. L’épouse fit son apparition. [...] Il ne vit que des meubles, des pièces encombrées. Elle trônait sur le canapé, Biedermeier berlinois, velours rouge. Une dame dans la cinquantaine, du massif, en chêne. C’était richement ouvragé, sans une rayure. Table mise, le beau service de café. Le gâteau sablé comme de la poussière dans la gorge. Elle passait de la dentelle devant les lèvres pincées. Des petits yeux comme des nœuds de bois sous le vernis. » (RHK 73/HKR 81s.) Hinze cligne des yeux, et en la regardant à nouveau, l’épouse se transforme en « grande desserte sombre à placage, inamovible, pleine de verres et de bibelots, ce qu’on possède, et par-dessus une imposante horloge abîmée aux aiguilles tremblotantes. » Le salon de Trude au « Biedermeier berlinois, velours rouge » est l’allégorie de l’Etat aussi bien que de la doctrine esthétique de la RDA, tout encombrée de normes solidement bâties. Tandis que, dans la « Lotterstraße », Kunze ne pénètre pas seulement dans le salon de Lisa, le salon verni de Trude reste figé et impénétrable pour Hinze. Quelques vingt pages plus tôt, son auteur constatait que tout devenait problématique quand la société se mettait à réfléchir à la place des autres et il ajoutait : « Alors tout s’accordait à la maison, sauf qu’on attendait dehors. » (RHK 55/HKR 60s.) Autant Hinze se sent exclu du salon de Trude qui ne lui convient pas, autant il est exclu des réflexions de Kunze qui réfléchit à sa place. Tout ce qui rappelle une quelconque ouverture dans la description du salon de Trude, c’est l’horloge aux aiguilles tremblotantes : le temps semble s’y être arrêté, mais les aiguilles de l’horloge expriment une certaine nervosité et contradiction intérieure de ce salon petit-bourgeois, formant une « image dialectique » dirait Walter Benjamin qui appelle à être interprétée 30. En offrant un regard à l’intérieur de la boîte noire, Volker Braun nous appelle à soumettre à cette lecture critique le salon esthétique trop bien arrangé qui ne laisse pas de place à la réflexion autonome. Dans Le roman de Hinze et Kunze, Braun va droit au fait et ne laisse pas les choses en place. En nous introduisant dans le salon, en le décrivant, et les descriptions ne sont pas aussi anodines que le prétend le narrateur, il appelle le lecteur à soumettre le mobilier à une analyse critique qui ne le laissera pas intact. Braun montre comment se présente, pour un écrivain de la RDA des années soixante-dix et quatre-vingt, l’intérieur de la boîte, à savoir les rapports entre gauche et droite, entre l’intérieur et extérieur mais tout d’abord entre le haut et le bas, entre base et superstructure. La question centrale qui en résulte, celle de savoir comment présenter la réalité sociale qui se pose et repose dans le roman, en fait un texte lisible hors du contexte restreint de la RDA, car la question du traitement de ce qu’on appelle la ‘réalité’, du réalisme, est une question intrinsèque à toute littérature et à l’art en général qui se pose toujours de nouveau sous d’autres auspices.

En s’attaquant à la boîte noire du réalisme socialiste, Volker Braun fait son devoir d’auteur autonome selon Bourdieu, il s’engage dans la lutte pour la canonisation en se situant dans l’espace des possibles de son époque et de son contexte politique pour en modifier le mobilier et pour imposer son propre capital symbolique. Dans le cadre de la théorie très contraignante et surannée du réalisme socialiste, il mène un combat à l’ordre du jour depuis plus de cinquante ans, à savoir le combat pour la libération du lecteur, émancipation qui intègre mieux le lecteur et le fait participer à l’action. Pour ce faire, la littérature ne peut plus être prescriptive. C’est pour cette raison que le narrateur ne cesse de souligner qu’il décrit l’action sans la comprendre. A la fin du roman, le narrateur qui se confond ici encore avec son auteur, nous décrit le lecteur idéal de ses textes. L’auteur/narrateur manifestement conscient de sa situation de privilégié qui a fait du plaisir et du luxe son métier (RHK 174/HKR 196s.), son « propre chauffeur, qui se dirige et pense par lui-même » (RHK 175/HKR 198), Hinze et Kunze à la fois, découvre dans le public une jeune femme qui le regarde sans poser de questions, tandis que l’auteur se trouve « confronté aux questions d’un expert » (RHK 174/HKR 198). Auditrice et probablement également lectrice idéale, la femme muette semble intuitivement comprendre en observant : « Elle semblait saisir tout ce que je ne saisissais pas... ce que je décris. » (RHK 175/HKR 198). V. Braun n’est probablement pas le seul écrivain pour qui le lecteur idéal ressemble à une jeune personne de connivence avec son écrivain admiré, capable de comprendre ses textes par pure intuition sans poser des questions «d’expert». Or, toute littérature, au moins celle qui compte rester, doit pouvoir se confronter à des lecteurs qui la lisent en dehors de son contexte historique d’origine. Dans son roman, Braun revendique systématiquement la participation du lecteur, mais celle-ci ne devrait pas se limiter aux lecteurs contemporains en connivence muette avec lui. Comme dans son poème cité au début, Braun semble sous-estimer le capital symbolique de son propre ‘patrimoine’ littéraire en réduisant sa valeur au seul contexte de la RDA. Vu l’importance qu’il accorde au lecteur et à la réception de ses textes, V. Braun doit savoir qu’une fois publiées, ses œuvres ne sont plus sa « propriété » intellectuelle. Ce qu’il semble craindre dans son poème « La Propriété », c’est de se trouver engagé dans un processus de décanonisation qui brade tout le patrimoine de la littérature de la RDA. En ce qui concerne son Roman de Hinze et Kunze, ces craintes sont injustifiées et les lecteurs de l’après-RDA peuvent se féliciter de pouvoir se mettre sous la dent (ou d’avoir sous ses griffes, comme il est dit dans le poème) cette lecture à première vue indigeste. Au delà de la réception intuitive et empathique, le roman gagne à être lu et relu, et à être analysé, et il ne doit craindre ni les questions de l’expert ni l’avis du grand correcteur tel que l’auteur fictif et réel à la fois l’invoque dans le post-scriptum de son ouvrage : « [...] ; tel que c’est sur le papier, cela ne demeure pas. Oh, s’écria-t-il, si l’on voulait ainsi lire pour correction tous nos livres, o grand correcteur, puissant correcteur! Et il tourna au coin de la rue, vers une région non (d)écrite. »

Notes

* R. Zschachlitz. Professeur à l'Université Lumière Lyon 2.

1. Traduction d’Alain Lance (sur le site internet www:lyrikline.org, sans indication de la source.) Original : « Das Eigentum / Da bin ich noch: mein Land geht in den Westen. / KRIEG DEN HÜTTEN FRIEDE DEN PALÄSTEN. / Ich selber habe ihm den Tritt versetzt. / Es wirft sich weg und sein magre Zierde. / Dem Winter folgt der Sommer der Begierde. / Und ich kann bleiben wo der Pfeffer wächst. / Und unverständlich wird mein ganzer Text / Was ich niemals besaß, wird mir entrissen. /Was ich nicht lebte, werd ich ewig missen. / Die Hoffnung lag im Weg wie eine Falle. / Mein Eigentum, jetzt habt ihrs auf der Kralle. / Wann sag ich wieder mein und meine alle. » In : Volker Braun, Texte in zeitlicher Folge, Band 10, Halle, Mitteldeutscher Verlag 1993, p. 52. Dans l’interprétation qui suit, je me réfère à la version originale.

2. Cf. Pierre Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris (seuil) 1992, p. 191. Pour l’utilité de la théorie du champ littéraire pour la théorie du canon littéraire cf. R. Zschachlitz : « Blocage canonique », « espace des possibles », « dialectique à l’arrêt » – Eléments d’une théorie du canon chez Assmann, Bourdieu et Benjamin, in : Etudes Germaniques 62, 2007, pp. 543-557.

3. Cf. Bourdieu, ibid., pp. 149, 413.

4. Cf. Martina Langermann, Kanonisierungen in der DDR. Dargestellt am Beispiel des ‘sozialistischen Realismus’, in : Heydebrand, Renate von: Kanon, Macht, Kultur. Theoretische, historische und soziale Aspekte ästhetischer Kanonbildungen, Stuttgart / Weimar (Metzler) 1998, pp. 552, 549, 559.

5. Carsten Gansel : Für « Vielfalt und Reichtum » und gegen « Einbrüche bürgerlicher Ideologie ». Zu Kanon und Kanonisierung in der DDR ; in : H.L. Arnold (dir.) : Text und Kritik, Literarische Kanonbildung, München 2002, p. 243.

6. Cf. Volker Braun : Unnachsichtige Nebensätze zum Hauptreferat, in : Texte in zeitlicher Folge, Band 4, Halle, Mitteldeutscher Verlag, 1990, p. 275.

7. Volker Braun : Le roman de Hinze et Kunze, Traduit de l’allemand par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein, Paris (Editions Messidor), 1988, p. 7. Cette édition sera citée dans le texte sous le sigle « RHK », suivi de l’indication de la page de l’édition allemande sous le sigle « HKR » : Volker Braun : Hinze-Kunze-Roman, Frankfurt/M., Suhrkamp, 1988. (première édition : Halle, Mitteldeutscher Verlag, 1983).

8. « Wenn man von festen Positionen des Sozialismus ausgeht, kann es meines Erachtens auf dem Gebiet von Kunst und Literatur keine Tabus geben. « Références dans : Lesehilfen zu Volker Brauns Hinze-Kunze-Roman, Zusammengestellt von Jean Mortier, unter Mitarbeit von Birgit Dahlke, Polycopié (31 p.) distribué à la Journée d’études consacrée à Volker Braun, Université de Lyon 2, 11 janvier 2008. Cf. aussi : V. Braun : Tabus, in : Texte in zeitlicher Folge, Band 4, Halle, Mitteldeutscher Verlag, 1990, p. 269sq.

9. « Wir sollten jeglichem Bestreben entgegentreten, unseren Fortschritt auf dem Gebiet der Kultur und Kunst durch Konzessionen an die modernistische Verzerrung der Kunst zu beeinträchtigen. » Erich Honecker : « Zügig voran bei der weiteren Verwirklichung der Beschlüsse des VIII. Parteitags der SED, in : Erwin Pracht (dir.) : Einführung in den sozialistischen Realismus, Berlin, Dietz-Verlag, 1975, p. 163.

110. Martina Langermann, Kanonisierungen in der DDR. Dargestellt am Beispiel des ‘sozialistischen Realismus’, in : Heydebrand, Renate von : Kanon, Macht, Kultur. Theoretische, historische und soziale Aspekte ästhetischer Kanonbildungen, Stuttgart / Weimar 1998, p. 553. Il semble en revanche difficilement défendable de prétendre à l’instar de Carsten Gansel que des critères précis n’existaient pas pour le canon du réalisme socialiste. (C. Gansel, Für « Vielfalt und Reichtum » und gegen « Einbrüche bürgerlicher Ideologie ». Zu Kanon und Kanonisierung in der DDR; in: H.L. Arnold (dir.): Text und Kritik, Literarische Kanonbildung, München 2002, p. 244 et note 52.) Les termes évoqués ci-dessus, sont des critères de définition largement reconnus du réalisme socialiste qui furent enseignés aux futurs professeurs en RDA : cf. par exemple Hellmuth Barnasch: Grundlagen der Literaturaneignung, Verlag Volk und Wissen 1972.

11. Cf. aussi RHK 67-69 / HKR 74-76, où Braun présente deux versions du même chapitre.

12. Bertolt Brecht : Die Essays von Georg Lukács ; in : Bertolt Brecht, Schriften zur Literatur und Kunst 2, Gesammelte Werke Band 19, Frankfurt/M. 1967, p. 296 sq.

13. Bertolt Brecht : Über sozialistischen Realismus ; in : Bertolt Brecht, Schriften zur Literatur und Kunst 2, Gesammelte Werke Band 19, Frankfurt/M. 1967, p. 378.

14. Cf. par exemple : Klaus Völker: Brecht und Lukács. Analyse einer Meinungsverschiedenheit, in : Kursbuch, No. 7, 1966, pp. 80-101. Wener Mittenzwei : Marxismus und Realismus ; in : Jutta Matzner : Lehrstück Lukács, Frankfurt/M. 1974, pp. 125-164.

15. G. Klaus / M. Buhr : Philosophisches Wörterbuch, Leipzig 1974, p. 698, entrée « Kunsttheorie ».

16. Erwin Pracht e.a. (dir.) : Einführung in den sozialistischen Realismus, Berlin, Dietz-Verlag, 1975. Même ses anciens camarades du « Grand Hôtel Abîme » (p. 377), les auteurs de l’Ecole de Francfort, également mis à l’Index en RDA, y sont traités avec plus de respect en ce qui concerne les indications bibliographiques que le propagateur du socialisme réaliste dans l’espace germanophone lui-même.

17. Cf. l’article programmatique de Brecht : Weite und Vielfalt der realistischen Schreibweise ; in : Bertolt Brecht, Schriften zur Literatur und Kunst 2, Gesammelte Werke Band 19, Frankfurt/M. 1967, p. 340.

18. Erwin Pracht e.a. (dir.) : Einführung in den sozialistischen Realismus, Berlin, Dietz-Verlag, p. 308.

19. Cf. York-Gothart Mix (dir.) : Ein ‘Oberkunze darf nicht vorkommen’. Materialien zur Publikationsgeschichte und Zensur des Hinze-Kunze-Romans von Volker Braun, Wiesbaden (Harrassowitz) 1993.

20. Lothar Baier : Streit um den schwarzen Kasten. Zur sogenannten Brecht-Lukács-Debatte, in : Jutta Matzner : Lehrstück Lukács, Frankfurt/M. 1974, p. 253.

21. L’article de Baier a été publié deux fois dans deux publications qui devaient intéresser l’écrivain, l’une consacrée à Brecht dans la revue Text und Kritik (Sonderband Bertolt Brecht 1, München, 1972, p. 37ff.), l’autre dans le recueil consacré à Lukács cité ci-dessus.

22. Walter Benjamin, Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000, p. 433.

23. En opposition à la théorie du reflet du marxisme vulgaire et en contact directe avec son ami Bertolt Brecht, Walter Benjamin a développé sa propre théorie du schématisme esthétique : cf. Ralf Zschachlitz: Walter Benjamins « Traum von einer Sache », in : Etudes Germaniques, Walter Benjamin, No. 1 1996, pp. 59-80.

24. Cf. Walter Benjamin, Gesammelte Schriften IV.1, Frankfurt/M. 1974, p. 83.

25. Volker Braun : Es genügt nicht die einfache Wahrheit ; in : Volker Braun, Texte in zeitlicher Folge, Band 1, Halle, Mitteldeutscher Verlag, 1990, p. 236s.

26. Cf. Walter Benjamin, Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000, p. 434.

27. Cf. ibid., p. 434.

28. Cf. Bertolt Brecht : Herr Puntila und sein Knecht Matti ; in : Bertolt Brecht, Grosse kommentierte Berliner und Frankfurter Ausgabe, Band 6, Berlin / Weimar / Franfurt/M. 1989, p. 321.

29. Si, dans son roman, Braun choisit pour référence la neuvième thèse de Benjamin pour stigmatiser le mythe du progrès à l’origine de la chute de la RDA, Heiner Müller, dix ans plus tard, se réfère au texte de petite prose Les armes de la ville de Kafka pour expliquer la chute par l’attentisme politique dû aux concepts de progrès du marxisme vulgaire : cf. Karl-Heinz Götze : Der Turm zu Babel oder : Heiner Müller läßt Kafka erzählen, wie die DDR untergegangen ist ; in : Cahiers d’Etudes Germaniques, No. 51, 2006, pp. 217-236. Cf. aussi: R. Zschachlitz: La notion de progrès chez Walter Benjamin ; in : F. Malkani (dir.), Etudes Allemandes, Institut d’Etudes Allemandes et Scandinaves de l’Université Lyon 2, à paraître.

30. Cf. Walter Benjamin: Paris, capitale du XIXe siècle, Paris (cerf) 1989, p. 479 s. , N3, 1.