Avec le temps, la recherche littéraire dédiée à l'œuvre de Volker Braun est devenue aussi riche que complexe. Si je ne m’abuse, il lui manque encore un dictionnaire, un index des mots traversant l’ensemble de l’œuvre de cet écrivain (ou seulement un genre, la poésie par exemple), comme il en existe aujourd’hui pour une multitude de grands auteurs, de Goethe à Celan. Il lui manque également un inventaire de la bibliothèque de notre auteur, ou plus exactement un commentaire de ce qu’il a lu et intégré dans sa vie. Cela existe déjà, avec plus ou moins d’exhaustivité et de précision pour Gottfried Benn et, une fois encore, pour Celan. Si j’évoque ces exemples, c’est simplement parce qu’ils me sont assez familiers et que j’utilise les outils dont je parlais pour mes propres recherches. Pourquoi ce genre d’instrument m’apparaît-il souhaitable aussi dans le cas précis de Volker Braun ? Eh bien ces index lexicaux permettent d’avoir une idée précise des concepts et des mots qui revêtent une signification particulière pour un auteur, ils peuvent même donner une perspective pour la lecture de son œuvre. Et l’analyse des titres constituant la bibliothèque d’un écrivain nous ouvre la porte de son atelier ; concrètement, elle nous apprend s’il a lu certains textes littéraires, philosophiques ou autres, et si oui, lesquels, quand et comment il les a intégrés.

Pour le Roman de Hinze et Kunze, écrit entre 1980 et 1981, mais publié seulement en 1985, j’affirmerai deux choses. De fait, il s’agit bien là d’affirmations et non d’assertions dûment prouvées. D’abord, le mot « vie » (Leben) ainsi que ses dérivés comme « vivant » ou « vécu », « les vivants » et quelques mots composés à partir de là ont pour Braun une signification centrale. Il suffit de penser au titre du cycle poétique « Matière à vivre » (Der Stoff zum Leben 1) ou bien à des expressions du poème « Dans la vallée de l’Ilm » (Im Ilmtal) telles que « Un jour je vécus ainsi, rempli de joie / Avec les camarades » et « Je ne peux vivre sans les amis / Et vis et vivote ainsi ! ». Ce poème se termine ainsi : « Et ce que je commence, avec eux / J’adviens seulement / Et puis vivre, et me ressens à nouveau /dans mon cœur. » 2 – Un autre exemple serait le poème devenu célèbre « La propriété » (Das Eigentum) avec ce vers paradoxal et magnifique : « Ce que je n’ai pas vécu me manquera toujours. » 3 Un vers que l’on peut d’ailleurs considérer, soit dit en passant, comme une clé du Roman de Hinze et Kunze. Le titre d’une nouvelle de 1995, « Ce qu’on n’a pas vécu » (Das Nichtgelebte 4), souligne encore une fois cette négation de la « vie » ou du « vécu », d’où cette expression dans le titre de ma communication. Ces différentes utilisations du mot « vie » et de ses variantes (« vivre ») ont toutes en commun l’emphase avec laquelle elles sont employées. Le mot, qu’il s’agisse du substantif ou du verbe, n’est jamais prononcé incidemment. Il est chargé tout d’abord d’une signification positive. Ou bien, ce qui finalement revient au même, la déclinaison sur le mode du (se) laisser vivre (comme dans le poème « Ilmtal ») donne à entendre qu’il manque encore quelque chose de décisif pour atteindre à une vie pleine et véritable (ici, ce sont les amis, les camarades). Le poème « La vie freinée » (Das gebremste Leben 5) constitue aussi une réflexion programmatique sur le même thème.

Voici maintenant ma seconde affirmation : on le sait, le Roman de Hinze et Kunze établit un lien avec Diderot, Hegel, Cervantès, Brecht, Franz Fühmann, Faust ou l’histoire de Don Juan – mais pas seulement. Le livre renvoie également, et cela me paraît essentiel, aux écrits du jeune Karl Marx. Cela est tout à fait frappant dans un passage du roman. Kunze se remémore l’époque agitée où il essayait de former à la politique sa compagne et future « épouse » encore jeune, Trude (Kunze se sert toujours de cette expression pour désigner celle qui est encore sa femme). Il l’avait inscrite à des cours du soir et lui avait mis dans la main un classique dont il avait déjà surligné « presque chaque ligne ». L’origine du long passage en italique 6 n’est pas stipulée, mais il est facile de la deviner. Il s’agit d’un extrait de L’Idéologie allemande de Marx et Engels, autrement dit, de l’un des premiers écrits de ces deux auteurs à être « canonisé » après sa publication en 1845-1846. Je reviendrai sur ce passage, qui bien entendu n’est pas intégré par hasard dans le roman. Mais ce qui me semble constituer le véritable pré-texte du roman, ce sont en réalité ces Manuscrits parisiens de 1844, plus connus sous le titre de Manuscrits économico-philosophiques.

Bien sûr, on m’objectera que la référence à Marx chez Braun n’a rien de nouveau, nous savons depuis longtemps que notre auteur est un marxiste cultivé. Certes, mais j’estime que la référence à l’œuvre de jeunesse de Marx – lequel n’a jamais été canonisé en RDA – est fondamental car il y est explicitement question du « gaspillage » (de « l’hinzation » ou de la « kunzation » 7) de l’homme dans le système capitaliste, et plus particulièrement des multiples formes d’« aliénation » des travailleurs à de nombreux points de vue, et de l’annulation possible, mais en aucun cas automatique, de cette aliénation dans le « communisme ». Il ne fait pas de doute que ce qui, dans le Roman de Hinze et Kunze, relève du roman au sens traditionnel du terme, à savoir les trois personnages Kunze, Hinze et sa femme Lisa ainsi que les relations qu’ils nouent entre eux, est ancré dans ce socialisme « réel » ou « réellement existant ». C’est l’une des raisons qui font que le roman de Braun nous donne presque à tous, et sans doute particulièrement aux plus jeunes d’entre nous, l’impression d’être un véritable roman historique. Après la fin de la RDA, le système, le milieu d’où provient ce texte et où il se passe est en effet de moins en moins relié à une vision du monde et à une expérience. Quoi qu’il en soit, on sait – et il n’y a aucune alternative à cette façon de voir les choses, aucune possibilité immédiate de transfert – que ce roman se réfère au « Socialisme » – et même, au-delà, au « Communisme ». Il convient donc de prendre cette référence au sérieux. Ce que je fais, en essayant de comprendre avant tout le triangle relationnel Hinze-Kunze-Lisa dans la perspective du socialisme/communisme, entendu dans le sens de Braun comme l’alternative à une autre vie, totalement différente, « vraie ». Autrement dit, en recoupant des passages du roman avec des passages des Manuscrits éonomico-philosophiques de Marx ainsi qu’avec la citation explicite de L’Idéologie allemande 8.

Dans les Manuscrits économico-philosophiques de 1844 précédemment évoqués, Marx rend la notion de propriété privée (et pas seulement celle des moyens de production) responsable de la vie totalement fausse et aliénée que mènent, dans le capitalisme moderne, non seulement les travailleurs mais aussi finalement les autres membres de la société. Ainsi, le communisme en tant qu’alternative au statu quo se définit pour lui comme « l’expression positive de la suppression de la propriété privée », tout d’abord sous la forme d’une « propriété privée universelle. » 9 Cette formule peut paraître hermétique au premier abord. Marx veut dire par là – si l’on en croit le projet qu’il échafaude pour l’avenir – que les hommes, dans la première phase succédant à la propriété privée capitaliste, ne sont encore capables de penser que de manière égoïste à leur intérêt personnel. Cela signifie que, face à la propriété privée telle qu’elle existait jusqu’alors mais étendue maintenant et subitement accessible à tous, ils ne sont pas encore capables d’un autre comportement que celui qui consiste à vouloir posséder, à posséder sans partage. Marx démontre cela à travers l’exemple des relations entre hommes et femmes dans le monde « communiste » qu’il envisage : « D’autre part, tendant à opposer à la propriété privée la propriété privée universelle, ce mouvement trouve son expression bestiale dans le fait d’opposer au mariage (qui est certes une forme de la propriété privée exclusive) la communauté des femmes […]. » Et Marx d’ajouter : « Cette idée de la communauté des femmes constitue, à n’en pas douter, le secret révélé d’un communisme qui est encore tout vulgarité et instinct. De même que la femme passe du mariage à la prostitution universelle, de même tout l’univers de la richesse […] passe de son mariage exclusif avec le propriétaire privé à l’état de la prostitution universelle avec la communauté. […] Le communisme vulgaire ne fait que parachever cette envie et ce nivellement en imaginant un minimum. […] Dans le comportement à l’égard de la femme, proie et servante de la volupté commune, s’exprime l’infinie dégradation [dévalorisation, humiliation, NdlA] de l’homme vis-à-vis de lui-même, car le secret de ce comportement trouve sa manifestation non équivoque, décisive, évidente, nue, dans le rapport de l’homme à la femme et dans la manière dont le rapport direct et naturel des sexes est conçu. […] Du caractère de ce rapport, on peut conclure jusqu’à quel point l’homme est devenu pour lui-même [!] un être générique, humain et conscient de l’être devenu. » 10

Ne peut-on pas dire que le comportement des deux hommes, Hinze et Kunze, tel que le présente Braun, en particulier lorsqu’il s’agit de la désirable Lisa, est un bel exemple de cette version immature, « encore très vulgaire », du communisme ? J’essaierai de montrer cela en détails. Quoi qu’il en soit, on n’entend tout d’abord guère parler du rapport de Hinze à sa femme Lisa. Il la voit « penchée sur la table, l’embrassa d’un tendre regard mais ses mains se contentèrent des cuisses, à la naissance de la courbe, facile à atteindre sous la blouse ; elle se tourna subitement vers lui, déçue » et dit : « Traite-moi au moins comme ta bagnole » – HINZE : « Comment ça ? » – LISA : « Là, c’est par le haut qu’tu commences. » Et elle tourna la clé de contact et le levier des vitesses mais elle avait le fer à repasser au poing et marcha vigoureusement sur le pied de Hinze : T’apprendras donc jamais ! » 11

Hinze est déçu et en colère, il frotte son pied meurtri et la douleur le tire de son état d’ivresse. La première rencontre érotique que décrit Braun entre un homme et une femme se solde par un échec : l’homme encore empêtré dans le rituel bien connu d’une prise de possession de la femme considérée comme objet sexuel, tandis que celle-ci s’élève contre cette attitude. Ils parviennent tout de même à s’embrasser affectueusement une page plus loin. Ce sont des échanges beaucoup plus violents qui ont lieu bientôt entre Kunze et Lisa. Auparavant, Hinze, le chauffeur, se rend à la cantine d’une usine. Mais au lieu de manger un ou deux des plats proposés, il dévore les quatre menus du jour : « côte de porc choucroute, pommes de terre et une pomme, 1 mark ; petits pois saucisse et une mandarine, 0,50 mark ; goulasch, pommes de terre et chou en salade, 1 mark ; nouilles à la vanille avec beurre, sucre et une banane, 0,50 mark. » 12 Par là, il nous montre à nous, lecteurs, qu’il vénère un concept de liberté totalement primitif. Il ne connaît que la voracité, que cette faim pure qui équivaut à la satisfaction de besoins physiologiques, alors que « l’autre faim » 13 – pour parler comme le jeune Marx : les besoins pas seulement « animaux » 14 – reste sur la touche. Une sensualité crue donc, sans aucun sens (pour reprendre les mots sur lesquels joue le titre du roman de Jane Austen Sense and sensuality, publié en 1811). « Alors tu as mangé, mais tu n’es au courant de rien. » 15, l’admoneste ensuite son chef, Kunze – il plaide ainsi, sans doute avec la même intention que le narrateur, pour une forme de jouissance librement choisie, consciente et cultivée, une utilisation des sens et de la sensualité dotée d’un sens qui, dans l’esprit de Marx, est plus que simplement « animale ».

On peut se demander pourtant si Kunze, le chef, le fonctionnaire, le cadre, est bien lui-même en mesure de mettre en pratique ce qu’il professe à l’égard de Hinze. Pas le moins du monde. Nous nous rendons chez Hinze et sa femme, Lisa, une simple ouvrière à la langue bien pendue, typique de Berlin, au cœur du vieux Prenzlauer Berg prolétaire (avant donc le phénomène de « boboïsation » observé ces quinze dernières années). Et pendant que Hinze paie le prix de sa gloutonnerie et vidange ses intestins dans les toilettes situées à mi-étage, Kunze découvre ce que c’est que de désirer la femme de son prochain, qui n’a même plus besoin d’être son subalterne voire son esclave. Il est tout d’abord frappé de constater que, en dépit « d’une construction ancienne [dans laquelle] on ne fait pas dans la dentelle », il y a plus qu’il ne pensait dans ces immeubles prolétaires de la Lottumstrasse : « Disparue la façade, l’Etat à nu, mais il y avait là plus qu’il ne paraissait, et qui vivait sa vie. Pas officiellement. » 16 La vie vivante est donc visiblement justement là où les relations ne sont pas encadrées officiellement par des règles et des normes, tel est le message. Et lorsque Lisa, vêtue d’une simple blouse de travail, vient à la rencontre de Kunze, le lecteur découvre pour la première fois sa « vulnérabilité », « ses crises », sa « maladie », une convoitise puissante et aveugle de la femme, par laquelle il se laisse dominer jusqu’à en devenir violent. Sur « le ton habituel », il gueule ces « mots stupides des commandements venant de sa centrale » 17. Si Lisa éprouvait encore au début quelque chose de l’ordre de la concupiscence et du désir pour l’homme sensuel tel qu’est effectivement décrit Kunze, elle n’éprouve plus maintenant que la crainte et la désillusion, qui trouvent leur expression dans son cri : « Mais quels cochons, quels cochons ! » 18 Kunze n’est, du moins ici, rien qu’un « communiste vulgaire » au sens de Marx et en tant que tel, il représente seulement « [le parachèvement] de cette envie et ce nivellement [par] un minimum [imaginé] ». La façon dont Kunze entre en relation avec Lisa relève dans un premier temps du viol pur et simple, il ne la considère que comme « servante de la volupté commune »
– et en cela, il devient l’agent d’une « infinie dégradation », autrement dit d’une dévalorisation et d’une humiliation 19. Et lorsque ces deux hommes et cette femme se retrouvent ensuite devant une bière dans une sorte de vaudeville où « les taureaux l’ignoraient d’un œil torve. » 20, cela n’efface en rien ce qui vient de se passer. Du reste, la banalisation de cet épisode par le narrateur/auteur un peu plus loin n’y réussit pas non plus, avec la reprise de ce calembour chauviniste et machiste : « vergewohltätigen » (où, au croisement entre « vergewaltigen » et « Wohltätigkeit », le viol devient caritatif [NdlT])
– ah, cette passion fatale de Braun, brillant homme d’esprit, pour le calembour ! Dans son monologue intérieur, Kunze divague au sujet d’une « femme fantastique », un « corps utopique », et le bilan qu’il tire alors : « Nous avons pris du retard, le sujet est dépassé » 21 n’ouvre aucune perspective d’avenir sensé pour cette relation triangulaire. Cela ne veut pas dire pour autant que le héros littéraire Kunze, et avec lui son créateur, le narrateur, n’essaie pas à de nombreuses reprises d’actualiser malgré tout ce « non-vécu », ce qui, précisément, mériterait d’être vécu dans la relation entre un homme et une femme, et de donner ainsi à ce « non-vécu » un 'sens dans la sensualité’. On assiste finalement à l’union sexuelle de Kunze et Lisa, désirée maintenant par cette dernière – toutes fenêtres ouvertes cependant dans ce vieil appartement où l’on vit à l’étroit, ce qui donne à Kunze le sentiment de « le » faire au vu et au su de tout le monde, tandis qu’en plus, quelque part, quelqu’un regarde la télévision de l’Ouest. A la fin, c’est cette fois Kunze qui n’est plus vraiment à l’affaire. Lisa aura un orgasme sans l’homme, qui s’est ‘absenté’. Elle jouit de l’acte de tous ses sens – mais sans que cela ait un sens finalement. Encore une fois, ils ont fait l’amour en passant à côté de l’essentiel, sans réaliser cette part de « non-vécu » (après le coït presque interrompu en plein milieu de la première rencontre). Pour Hinze, le chauffeur, il n’y a de toute façon que ce vieil adage de soldat qui vaille : « Attendre [est] la moitié de la vie », mais cela vaut de façon générale, comme nous l’explique le narrateur après la scène de sexe qui vient d’être esquissée. « C’était le lot de chacun, tous ici attendaient quelque chose. Une bière, garçon, un poste, la retraite, le communisme. L’avenir s’étendait devant eux, là rien n’avait changé, même si c’était un avenir meilleur, même si on le laissait derrière soi ! » 22 Autrement dit, le communisme, qui serait peut-être tout de même cet Autre radical (je reviendrai sur la description laudative qu’en fait Marx), n’est pas encore advenu : il relève toujours bien de « ce qui n’a pas été vécu ».

Par la suite, le roman nous place dans des situations très différentes dans lesquelles se pose aussi bien aux protagonistes qu’au narrateur et aux lecteurs la question de ce qui vaudrait la peine d’être vécu mais ne l’est pas encore : notamment à travers le personnage de Hinze qui, rétrospectivement, éprouve le travail de tourneur comme une charge et une jouissance (le ‘travail’, soit dit en passant, est présenté comme une « guerre » et une « bataille » – ce qui nous rappelle désagréablement le mythe du travailleur moderne, « puissance et forme » chez Ernst Jünger). Mais aussi, à travers la « découverte sensationnelle » que fait Hinze lorsqu’il en arrive à se dire que « rien d’autre qu’eux-mêmes ne donnait un sens à leur vie » 23. Cette question se pose encore différemment dans l’épisode où Kunze, en voyage à l’Ouest, se retrouve dans un sex-shop de la Reeperbahn à Hambourg où il couche avec une prostituée noire, ce qui l’amène à réfléchir à une façon peut-être moins autoritaire de construire le « socialisme réel » et à inciter Lisa, simple opératrice, à devenir ingénieur en électronique. Enfin, avant que Lisa ne parte pour sa formation, le fil de la narration nous ramène à la relation que celle-ci entretient avec Kunze et à leur récente rencontre sexuelle, qui leur a fait éprouver « plus de peur que d’amour. » 24 Mais le lendemain surgit pourtant LE moment d’utopie au cœur de la vie vécue : « Lorsqu’au matin ils allèrent à la boulangerie au coin de la Lottum et de la Wilhelm-Pieck, Lisa tout d’un coup pressa brièvement et énergiquement les doigts de sa main. Il rentra la tête dans les épaules, le bras pareil à un trésor des fouilles, on ne pouvait rien trouver de plus. Une joie qu’il avait oubliée pavoisait sur son épiderme. – Ce fut l’instant essentiel de ces années-là. » 25

De fait, c’est une scène touchante que cet instant d’amour réalisé, c’est presque une épiphanie, et ce n’est pas un hasard s’il n’est justement pas connoté sexuellement. Mais ce moment de proximité humaine a-t-il pour autant à voir avec l’autre, la nouvelle forme sociale ? Avec le communisme « brut » ou si l’on veut, le communisme ‘authentique’ ? Ne vous déplaise, je dirais qu’il n’en est rien. En effet, il s’agit d’un instant de proximité possible partout et nulle part, dans tous les systèmes politiques et dans aucun, et qui se caractérise précisément par son autonomie par rapport aux conditions propres à ces systèmes. Dans le Roman de Hinze et Kunze de Braun, ce moment demeure ponctuel et finalement sans conséquence. « L’évolution » de Lisa, sa qualification professionnelle, imposée par Kunze, est visiblement un succès, mais ne fait pas d’elle pour autant une femme plus heureuse. A son retour (elle y a tout de même laissé quatre ans de sa vie), elle fait partie désormais des puissants – Kunze suggère même que Hinze pourrait maintenant être son chauffeur à elle, mais cela ne l’intéresse pas. Kunze voit en elle, qui brusquement « roule sur le parquet » avec Hinze, son mari, elle, la supérieure hiérarchique qui, dans un « mélange des genres », s’unit à son serf, une utopie devenue réalité : « Elle était différente, elle n’était pas devenue sa pareille. […] Kunze constatait tout réjoui : elle n’était pas de ce monde, un être du futur. » 26

Mais stop, le narrateur s’interrompt lui-même à cet endroit pour nous faire savoir à nous, lecteurs, que « les choses ne se déroulaient pas aussi simplement » ; « je ne travaille pas selon le schéma ordinaire, comme je l’ai dit, mais selon la nature, pour que ce soit épouvantable. » 27 Ce qui s’impose en réalité, cette version appelée ensuite B, c’est le vieil égoïsme brut de Kunze, sa maladie, ses accès de concupiscence sans égard pour qui que ce soit. Plus tard, Lisa, qui est tombée enceinte (comment, nous ne le saurons pas), accouchera d’une petite fille dont le père est sans doute Hinze, l’époux légitime, mais dont le narrateur prophétise déjà qu’elle ne ressemblera à aucun de ses deux pères potentiels. Mais surtout, lorsque Lisa apprend par ouï-dire que Hinze n’accorde aucune importance à son rôle de père et qu’il est tout à fait prêt à remettre son enfant aux mains de l’institution sociale, elle tourne définitivement le dos à celui qui est encore son mari (« C’gars-là, il me fait honte », dit-elle 28) – mais elle envoie également au diable un Kunze étonné 29. Sur quoi, elle s’autoproclame mère célibataire. Notons bien que le narrateur ne considère pas que cette décision et ses conséquences fassent d’elle une héroïne, mais il ne minimise pas non plus son acte. Lisa considère sans illusion ce qui l’attend et elle le dit au narrateur qui essaie de la consoler : « Je n’attends rien. Cette vie-là, j’en ai assez. (Les larmes coulèrent) » 30.

Ce bilan sans concession, tiré à la fois par le narrateur et par sa protagoniste, me semble très important, car il va à l’encontre de tendances observées habituellement dans l’interprétation des textes de Braun et particulièrement de notre roman : on veut y voir en général des personnages féminins qui seraient l’incarnation d’une utopie et la promesse d’un avenir forcément meilleur (et c’est là seulement que les avis divergent, certains trouvant cela fantastique, d’autres émettant des réserves à cet égard). La réflexion que se fait Braun au sujet de la constellation Hinze-Kunze et de la place de Lisa en particulier, est plus modérée, ainsi qu’on peut le lire dans une note du 6 sep-tembre 1985 : « le roman de Hinze et Kunze, la description d’un état qui montre à quel point nous sommes englués dans des contradictions que nous avons-nous-mêmes provoquées ; ce texte ne conduit à rien, il ne fait pas exploser son monde. Même Lisa, l’héroïne positive qui passe de mains en mains, ne possède aucun pouvoir de transformation, elle se qualifie seulement un peu plus, en tant que camarade émancipée, mais elle garde un état d’esprit conventionnel ; elle ne se réalise pas dans ces misérables relations, et elle est trop peu impliquée dans des processus ‘‘génératifs’’ pour en arriver ne serait-ce qu’à un délire égocentrique. l’histoire ne débouche pas sur une utopie (sauf peut-être à la fin, en privé). » 31 Cette interprétation personnelle de Braun me semble être ce que j’ai lu de plus convaincant sur le roman.

Mais comme nous le savons, Volker Braun n’aime pas seulement la contradiction en général : il se contredit aussi souvent lui-même. Dans un autre commentaire, destiné d’emblée à un public, certes, il voit tout de même en Kunze un homme qui, « dans ses sentiments les plus profonds est aussi un homme de demain. La véritable démarche du livre », dit Braun un peu plus loin, « consiste à réfléchir à cette étrange soif ou aspiration de Kunze que l’accomplissement du devoir professionnel n’apaise pas et qu’il cherche à étancher dans une action privée, utopique, grotesque en faisant prendre conscience à d’autres de leurs chances, de l’égalité de leurs chances. Il s’adresse en particulier aux femmes, à celle de Hinze également, si bien que Lisa devient ainsi en secret le personnage principal de ce livre. Peut-être cette aspiration ne devient-elle acceptable qu’à la fin, lorsque l’auteur lui-même est assailli par elle. » 32 Je doute que cette étrange « soif » ou « aspiration » de Kunze puisse jamais être « acceptable ». J’ajouterais sans humour aucun que, par principe, rien ne saurait justifier un assaut sexuel. Quoi qu’il en soit, vers la fin, le roman se détourne effectivement de ses personnages de fiction et fait partir le narrateur (auteur) – un homme sans chauffeur, son propre « cocher » 33 – pour une lecture publique dans sa ville natale de Dresde. Lors de cette lecture de poèmes d’amour, on assiste à une belle ‘communion’ entre l’auteur et son auditoire, puis à une rencontre d’un seul instant ou presque avec une jeune auditrice qui ne donne lieu à aucune intimité physique ni à aucune intrigue sexuelle au sens courant du terme, mais qui est pourtant indéniablement chargée sur le plan érotique : le narrateur, un homme qui raconte à la première personne, se retrouve dans un état de trouble avancé, il est excité, fiévreux, sans voix et, en même temps, immensément heureux. Visiblement, il vit dans la réalité ce qui, quinze pages auparavant, avait été débattu abstraitement dans une dernière confrontation entre Hinze et Kunze. En dépit de leur perplexité face à ces questions, ils avaient déjà postulé « la vie » en soi comme le bien suprême 34. Reste encore sans réponse cette question posée par Hinze : « Comment l’accomplissement de la vie procure-t-il du plaisir ? Comment passerons-nous de l’homme de fait à l’homme du possible ? » 35 Il est intéressant de voir que seule la « fin en privé », comme dit l’auteur, semble indiquer une solution : par exemple (mais il ne s’agit que d’un exemple !) l’acceptation et la jouissance (individuelle) d’un ressenti érotique et sensuel sans que cela dût être absolument vécu en actes. Cela irait effectivement dans le sens de ce que Marx ébauche dans les Manuscrits économico-philosophiques comme l’utopie d’un comportement communiste (plus évolué). Il dit en effet : « L’homme s’approprie sa nature universelle d’une manière universelle […]. Chacun de ses rapports humains avec le monde, voir, entendre, sentir, goûter, toucher, penser, contempler, vouloir, agir, aimer, bref, tous les actes de son individualité, aussi bien que, sous leur forme directe, ses organes génériques sont, dans leur comportement envers l’objet, l’appropriation de celui-ci : ce comportement et cette appropriation sont l’affirmation de la réalité humaine […]. » 36 Cependant, constate Marx, « la propriété privée nous a rendus si sots et si bornés qu’un objet est le nôtre uniquement quand nous l’avons, quand il existe pour nous comme capital, ou quand il est immédiatement possédé, mangé, bu, porté sur notre corps, habité par nous, etc., bref quand il est utilisé par nous […]. » 37 Et pour résumer tout cela en quelque sorte, il emploie une formule désormais célèbre : « L’éducation des cinq sens est l’œuvre de l’histoire universelle tout entière. Prisonnier du besoin élémentaire, le sens n’a qu’un sens borné. » Il s’ensuit une définition du communisme comme « humanisme accompli [équivalant à] un naturalisme » et comme « résolution de l’énigme posée par l’histoire » et se comprenant comme « cette solution » 38. Ce sont là sans doute de grands et magnifiques mots qui rappelleront, non sans émotion, au lecteur plus âgé comme moi l’époque de la première lecture vers 1970. En même temps, il réalise combien le fossé est profond entre cette exigence – rien moins que la fin de l’aliénation de l’homme et l’acquisition d’une faculté à agir librement et en toute conscience – et la réalité sociale et politique de la RDA dans les années 1970-1980.

Mais c’est justement ce fossé qui constitue le thème récurrent, le fil conducteur du roman de Braun. Deux choses sont mises en lumière clairement et sans concession : « la communauté » de ce pays n’était pas de nature à permettre à l’individu de « développer complètement ses possibilités […] » et d’atteindre à une « liberté personnelle » 39. Inversement, l’être humain, l’individu tel qu’il est sorti de l’ancien système, doté de son « sens de la possession », n’est pas encore totalement dépassé. Bien sûr, c’est pourtant précisément ce que le Manifeste du Parti Communiste avait postulé dans la dernière phrase de sa deuxième partie intitulée « Prolétaires et communistes ». Il était écrit que « le libre développement de chacun » – donc des individus – devait être « la condition du libre développement de tous » 40. En disant cela, on voit le paradoxe de la vision marxiste-communiste de l’avenir ramené à ce concept : il n’y a pas de communauté nouvelle, libre, sans justement ce genre d’individus ayant déjà laissé derrière eux l’Ancien – mais il n’y a pas non plus d’individus nouveaux, non aliénés, libres, sans une telle communauté pour leur servir de terreau. L’un est condition de l’autre et réciproquement, de sorte que le serpent se mange la queue ce qui signifie qu’il y a une erreur dans le raisonnement logique. Si l’on voulait considérer avec bienveillance l’histoire et la fin de l’Etat est-allemand au bout de quarante ans, on pourrait dire qu’elles ne font en réalité que confirmer dans les faits l’aporie que Marx avait formulée en théorie (sans bien sûr la définir ni la souligner comme telle).

Comment une société nouvelle, communiste, pourrait-elle bien se constituer à partir d’un tas de « vieux Adams », en d’autres termes, comment des hommes nouveaux pourraient-ils grandir sous une tutelle permanente et au sein d’une société dont l’organisation repose sur l’autorité, la défiance et l’absence d’amour ? Volker Braun non plus ne peut résoudre ce dilemme. Le Roman de Hinze et Kunze malmène cette aporie (en allemand, « l’absence de voie ») tout à la fois sur le mode du jeu et de la rigueur, avec humour et plus de sérieux encore. C’est pourquoi, cinq ans avant la chute de l’Etat RDA, ce livre est aussi une sorte d’épilogue désespéré qui anticipe la mort de ce projet historique que l’auteur, et beaucoup d’autres avec lui, considérait comme sa « propriété ». Ses censeurs auront au moins eu le mérite d’avoir reconnu le sens profond de cette ‘post-histoire’.

Dans l’histoire Le territoire inoccupé (Das Unbesetzte Gebiet) de 2004, Volker Braun a introduit une sorte de manifeste personnel qui, à mon avis, pourrait aussi s’appliquer à la relation qu’il entretient aujourd’hui à son Roman de Hinze et Kunze : « A présent, je suis dans l’histoire [il est question ici de celle du territoire temporairement ‘‘inoccupé’’ autour de Schwarzenberg dans les Monts métallifères, entre le printemps et le début de l’été 1945, NdlA] qui ne pose pas d’autre question, même si elle appartient au passé ; même si elle est passée et perdue, et que l’on distingue maintenant ce qui fut vrai et ce qui ne fut pas. Car c’est mon propre territoire qui est inoccupé par les troupes de la doctrine et de la foi et seul peut-être l’espoir s’installe, l’espoir qui nous trompe et nous porte un peu plus loin. » 41

(Traduction : Marguerite Gagneur)

Notes

* W. Emmerich. Professeur à l'Université de Brème.

1. Braun, Volker, Der Stoff zum Leben 1 – 3. Gedichte, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1990. Il s’agit de la première édition complète des trois parties.

2. Braun, Volker, « Im Ilmtal » (avril 1970) in Texte in zeitlicher Folge, Bd. 4, Halle/Leipzig, Mitteldeutscher Verlag, 1990, p. 78 : « Einmal lebte ich so, freudig / Mit den Genossen […] Ich kann nicht leben ohne die Freunde / Und lebe und lebe hin! […] Und was ich beginne, mit ihnen / Bin ich erst / Und kann leben, und fühle wieder / Mich selber in meiner Brust. »

3. Braun, Volker, « Das Eigentum » (juillet 1990) in : Texte in zeitlicher Folge, Bd. 10, Halle/S., Mitteldeutscher Verlag, 1993, p. 52 : « Was ich nicht lebte, werd ich ewig missen. »

4. Braun, Volker, Das Nichtgelebte. Eine Erzählung, Leipzig, Mitteldeutscher Verlag, 1995.

5. Braun, Volker, « Das gebremste Leben » (1983) in : Texte in zeitlicher Folge, Bd. 8, Halle/S., Mitteldeutscher Verlag, 1992, p. 71-73.

6. Braun, Volker, Hinze-Kunze-Roman, Halle/Leipzig, Mitteldeutscher Verlag, 1985, p. 107. La référence sera dorénavant indiquée par les initiales HKR suivies du numéro de page. Voir aussi Marx, Karl, Die deutsche Ideologie, in : Marx Engels Werke (MEW), Bd. 3, Berlin (Ost), Dietz, 1959, p. 32.

7. Ici, l’auteur joue sur la proximité phonique entre Verhunzung, Verhinzung et Verkunzung, les deux derniers termes établissant un lien entre le premier et les personnages éponymes du roman, jeu de mots habile que la traduction peine à rendre en français.

8. Juste avant que ne commence le 19 janvier 2008 à Paris le colloque organisé autour du Roman de Hinze et Kunze de Braun, je pus lire les « Aides à la lecture du Roman de Hinze et Kunze de Volker Braun » que leur auteur, Jean Mortier, avait achevées quelques jours seulement avant la rencontre et qu’il venait de publier. A ma grande surprise – mais à ma grande satisfaction également – Mortier propose, outre des commentaires utiles de certains extraits, un appendice (p. 28 sq.) dans lequel il a collé des citations tirées des Manuscrits économico-philosophiques qui recoupent largement les passages que j’ai moi-même mis en jeu par la suite. On notera que Mortier n’a pas été en mesure de citer des phrases précises du roman de Braun pour étayer son propos. Ce qui ne fait que confirmer mon hypothèse selon laquelle le roman de Braun a été écrit « dans l’esprit » du jeune Marx et a, sans doute (c’est une réflexion personnelle) évité des citations fidèles pour ne pas offrir à la censure plus de raisons encore de refuser la publication du livre. Lorsque j’ai abordé ce sujet avec l’auteur ce 19 janvier 2008 à Paris, il ne s’est pas expliqué très clairement et a simplement suggéré que ses pensées autour de ce thème avaient été plutôt influencées par la lecture de Rudolf Bahro.

9. Marx, Karl, Pariser Manuskripte, in Texte zu Methode und Praxis, Bd. 2, Reinbek, Rowohlt, 1968, p. 73. La référence sera dorénavant indiquée par les initiales PM suivies du numéro de page. Traduction Maximilien Rubel, Paris, Gallimard, 1968, p. 76 : « der positive Ausdruck des aufgehobenen Privateigentums […] [des] allgemeine[n] Privateigentum[s] ».

10. PM 74, trad. pp. 77-78 : « Endlich spricht sich diese Bewegung, dem Privateigentum das allgemeine Privateigentum entgegenzustellen, in der tierischen Form aus, daß der Ehe (welche allerdings eine Form des exklusiven Privateigentums ist) die Weibergemeinschaft, wo also das Weib zu einem gemeinschaftlichen und gemeinen Eigentum wird, entgegen gestellt wird. Man darf sagen », so Marx weiter, « daß dieser Gedanke der Weibergemeinschaft das ausgesprochene Geheimnis dieses noch ganz rohen und gedankenlosen Kommunismus ist. Wie das Weib aus der Ehe in die allgemeine Prostitution so tritt die ganze Welt des Reichtums […] aus dem Verhältnis der exklusiven Ehe mit dem Privateigentümer in das Verhältnis der universellen Prostitution mit der Gemeinschaft. […] Der rohe Kommunist ist nur die Vollendung dieses Neides und dieser Nivellierung von dem vorgestellten Minimum her. […] In dem Verhältnis zum Weib als dem Raub und der Magd der gemeinschaftlichen Wollust ist die unendliche Degradation [Abwertung, Erniedrigung, WE] ausgesprochen, in welcher der Mensch für sich selbst existiert, denn das Geheimnis dieses Verhältnisses hat seinen unzweideutigen, entschiedenen, offenbaren, enthüllten Ausdruck in dem Verhältnis des Mannes zum Weibe und in der Weise, wie das unmittelbare, natürliche Gattungsverhältnis gefaßt wird. […] Aus dem Charakter dieses Verhältnisses folgt, inwieweit der Mensch als Gattungswesen, als Mensch sich [!] geworden ist und erfaßt hat. »

11. HKR 15, traduction Alain Lance et Renate Lance-Otterbein, Paris, Messidor, 1988, p. 15 : « über den Tisch gebeugt, umfaßte sie mit einem zärtlichen Blick aber mit den Händen nur ihre Schenkel, den Ansatz der Wölbung, leicht zu erlangen unter der Kittelschürze, und sie fuhr enttäuscht herum » und sagt : « Behandle mir wenigstens wie deinen Wagen. – HINZE Wie den Wagen ? – LISA Da fängste ooch von oben an. – Und sie drehte Zündschlüssel und Schalthebel, hatte aber das heiße Plätteisen in der Faust, und trat hart auf Hinzes Fuß: Daß du et nie lernst ! ».

12. HKR 41, trad. p. 39 : « geschmorte Rippchen mit Sauerkraut, Kartoffeln und ein Apfel, 1,- M ; Erbseneintopf mit Bockwurst und eine Mandarine, -,50 M ; Zigeunergulasch, Kartoffeln und Krautsalat, 1,- M ; Vanillenudeln mit Butter, Zucker und eine Banane, -,50 M. »

13. HKR 43, trad. p. 40 : « der andere Hunger ».

14. PM 55, trad. p. 61 : « die nicht nur ‘tierischen’ Bedürfnisse ».

15. HKR 44, trad. p. 41 : « Dann hast du gegessen, aber weißt von nichts ».

16. HKR 47, trad. p. 44 : « Die Fassade weg, der nackte Staat, aber es war mehr als es schien. Das lebte ein Leben. Inoffiziell. » C’est Wolfgang Emmerich qui souligne.

17. HKR 50, trad. p. 46 : Im « gewohnten Ton ‘brüllt er’ blöde Worte Kommandos aus seiner Zentrale ».

18. HKR 50, trad. p. 47 : « Aber die Schweine, die Schweine ! »

19. « Nur die Vollendung dieses Neides und dieser Nivellierung von dem vorgestellten Minimum her. » Voir à la note 9 les passages cités tirés des Manuscrits économico-philosophiques.

20. HKR 51, trad. p. 47 : « Die Stiere stierten vorbei » – « eine fantastische Frau » – eine « utopische Körperschaft ».

21. HKR 54, trad. p. 50 : « Wir sind im Rückstand. Das ganze Thema ist veraltet. »

22. HKR 68, trad. p. 63 : « Warten ist das halbe Leben. […] Warten musste jeder, alle warteten hier auf was. Auf ein Bier, Herr Ober, auf einen Posten, auf die Rente, auf den Kommunismus. Die Zukunft lag vor ihnen, da hatte sich nichts geändert, auch wenn es eine bessere war, auch wenn man sie hinter sich ließ ! »

23. HKR 85, trad. p. 78 : Hinzes « sensationelle Entdeckung », dass « nichts außer ihnen selbst » existierte, « was ihrem Leben Sinn gab ». C’est Wolfgang Emmerich qui souligne.

24. HKR 94, trad. p. 86 : « mehr Angst als Liebe ».

25. HKR 94, trad. p. 86 : « Als sie am Morgen zum Bäcker liefen, Lottum, Wilhelm-Pieck, drückte Lisa miteinmal kurz und fest die Finger seiner Hand. Er zog den Kopf ins Genick, hielt seinen Arm wie eine kostbare Ausgrabung, mehr gab es nicht mehr zu finden. Eine Freude, die er nicht mehr gekannt hatte, flaggte aus allen seinen Poren. – Es war der wesentliche Augenblick dieser Jahre. »

26. HKR 161, trad. p. 145 : « Sie war anders, sie war nicht seinesgleichen geworden. […] Kunze sah es beglückt, sie war nicht von dieser Welt, ein zukünftiger Mensch. »

27. HKR162, trad. p.146 : dass es so « harmlos nicht zu[ging] » ; « nach dem Schema F wie gesagt arbeite ich nicht, nach der Natur, daß es entsetzlich ist. »

28. HKR188, trad. p. 169 : « Mit den Mann schäm ick mirja in Abjrund rin. »

29. HKR 189, trad. p. 170.

30. HKR 190, trad. p. 170 : « Ick erwarte nischt. Ick ha so jenuch vons Leben. Die Tränen rannen. »

31. Braun, Volker, Arbeitsnotizen, in : Texte in zeitlicher Folge, Bd. 7, Halle/S., Mitteldeutscher Verlag, 1991, S. 223 : « der HINZE-KUNZE-ROMAN eine zustandsbeschreibung, der unsere festgefahrenheit in der selbstverschuldeten divergenz zeigt ; er hat nichts transitorisches, er sprengt seine welt nicht auf. Auch lisa, die kolportierte positive heldin, hat nicht die verwandelnde kraft, sie wird nur qualifiziert, als eine sozialistische emanze, mit konventionellem gemüt ; sie kommt nicht zu sich in diesen armen beziehungen und ist zu wenig in generatives verstrickt, kommt nicht einmal bis zum ego-trip. Die fabel ragt nicht in die utopie (erst der private schluß vielleicht). »

32. Braun, Volker, Antworten auf (verlorene) Fragen von Wilfried F. Schoeller, in Texte in zeitlicher Folge, Bd. 7, Halle/S., Mitteldeutscher Verlag, 1991, S. 228 : « Der eigentliche Vorgang des Buches ist das Nachsinnen über jene seltsame Sucht oder Sehnsucht Kunzes, die der Dienst offenbar nicht stillt, und die er sich in einem privaten, utopischen, grotesken Vorgriff erfüllen will, indem er andern ihre Chancen bewußt macht, ihre Chancengleichheit, Frauen zumal, auch Hinzes Frau Lisa, die so die heimliche Hauptfigur des Buches wird. Vielleicht wird diese Sehnsucht erst geheuer, wenn sich am Schluß auch der Verfasser von ihr befallen zeigt. »

33. HKR 193, trad. p. 173 : sein « eigener Kutscher ».

34. HKR 177, trad. p. 159.

35. HKR 181, trad. p. 163 : « Wie wird der Lebensvollzug zur Lust? Wie kommen wir vom faktischen zum möglichen Menschen ? »

36. PM 79, trad. p. 83 : « Der Mensch eignet sich sein allseitiges Wesen auf eine allseitige Art an […]. Jedes seiner menschlichen Verhältnisse zur Welt, Sehen, Hören, Riechen, Schmecken, Fühlen, Denken, Anschauen, Empfinden, Wollen, Tätigsein, Lieben, kurz alle Organe seiner Individualität, wie die Organe, welche unmittelbar in ihrer Form als gemeinschaftliche Organe sind in ihrem gegenständlichen Verhalten oder in ihrem Verhalten zum Gegenstand die Aneignung desselben, die Aneignung der menschlichen Wirklichkeit […]. »

37. PM 79, trad. p. 83 : « Das Privateigentum hat uns so dumm und einseitig gemacht, daß ein Gegenstand erst der unsrige ist, wenn wir ihn haben, [er] also als Kapital für uns existiert, oder von uns unmittelbar besessen, gegessen, getrunken, an unserem Leib getragen, von uns bewohnt etc., kurz gebraucht wird. […] ».

38. PM 81, trad. p. 85 : « Die Bildung der fünf Sinne ist eine Arbeit der ganzen bisherigen Weltgeschichte. Der unter dem rohen praktischen Bedürfnis befangene Sinn hat auch nur einen bornierten Sinn. » - « Kommunismus » als « vollendeter Humanismus = Naturalismus » und als « aufgelöste Rätsel der Geschichte », der « sich als diese Lösung » weiß.

39. Voici l’allusion à un passage de L’Idéologie allemande de Marx évoquée précédemment. Cf. note 6, HKR 107, trad. p. 97 : « Die Gemeinschaft » dieses Landes war nicht so beschaffen, dass sie dem « Individuum die Mittel, seine Anlagen nach allen Seiten hin auszubilden […] und damit die persönliche Freiheit ermöglicht hätte. »

40. Marx, Karl, Engels, Friedrich, Das kommunistische Manifest, 8. Autorisierte deutsche Ausgabe, Berlin, Buchhandlung Vorwärts, 1921, p. 45. Marx, Karl, Engels, Friedrich, Manifeste du Parti Communiste, Paris, Editions sociales, 1966, p. 70 : « die freie Entwicklung eines jeden ist die Bedingung für die freie Entwicklung aller. »

41. Braun, Volker, Das unbesetzte Gebiet. Im schwarzen Berg, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 2004, S. 48 : « Jetzt bin ich in der Geschichte [hier : die des im Frühjahr/Frühsommer 1945 zeitweilig ‘unbesetzten Gebiets’ um das erzgebirgische Schwarzenberg ; WE], und eine andere Frage stellt sie nicht, auch wenn sie vorbei ist ; vorbei und verloren ist, und man sieht nun, was wahr war und was nicht war. Denn es ist jetzt mein eignes Gebiet, das unbesetzt ist, von den Truppen der Doktrin und des Glaubens, und nur Hoffnung vielleicht siedelt, die uns betrügt und weiterträgt. » (Trad. MG)