« Combien il est difficile de s'en tenir au strict récit d’une histoire d’amour, il n’est que de lire Diderot pour s’en convaincre. »

Ce que nous percevons au premier abord dans cette citation 1, c’est l’aspect narratologique : la difficulté de raconter l’amour, de faire de l’amour un récit ; cet aspect est mis en rapport avec une référence intertextuelle à Diderot. La formule allemande « nicht strikt erzählen », en fait, invite à plusieurs lectures. Elle vise tout d’abord l’écriture narrative telle que Diderot la pratique, notamment dans son roman Jacques le Fataliste, et qui se caractérise par le procédé de la discontinuité : les histoires d’amour que se racontent le maître et son valet, tout au long de leurs chevauchées, sont des histoires qui n’ont ni queue ni tête, interrompues sans cesse par des digressions de toutes sortes. Mais chez Diderot, la formule « nicht strikt erzählen » pourrait se lire d’une autre façon encore, dans le sens d’une transgression : son écriture bouleverse les règles narratologiques en vigueur en déployant un jeu ironique, parodique et satirique sur les modèles et schémas : roman galant, roman libertin, roman sentimental, tragique et comique. Ce jeu, en même temps, introduit une subversion des différents codes de l’amour en créant un espace de liberté esthétique où le thème de l’amour est traité d’une manière plaisante et jouissive, affranchie de toute contrainte morale. La difficulté de « s’en tenir au strict récit d’une histoire d’amour » voudrait donc dire, chez Diderot déjà, le refus de ces « modèles de tricot » (« Strickvorlagen ») prônés par Madame le Professeur Messerle, présidente de la Commission chargée de veiller sur lesdits modèles, et qui formule des reproches sévères à l’adresse du narrateur/auteur de notre Roman de Hinze et Kunze. Il aurait scandaleusement négligé les modèles en question, affichant un comportement désobéissant, irresponsable à l’égard des lecteurs, et dangereux aussi, car ce sont précisément ces « modèles de tricot » qui constituent un « sûr bastion contre la réalité peu fiable » 2, affirme-t-elle, dévoilant involontairement le fond de sa pensée et révélant ainsi malgré elle ce qui devrait rester caché : cette réalité peu fiable, justement. Notre auteur aurait tout simplement fourni « un tissu bâclé » : « Il a fait des noeuds avec le fil conducteur. On ne retrouve plus la maille ! […] Qu’il ne s’étonne pas si le lecteur ne veut pas endosser cet habit. » 3

Ce n’est nullement un hasard si Madame le Professeur Messerle, lors de sa leçon sur la confection du récit d’après le modèle prescrit, appuie sa démonstration sur les histoires d’amour. C’est là, sur ce terrain glissant, que le danger de perdre pied, de s’égarer sur des chemins non balisés et de « faire des nœuds avec le fil conducteur » est particulièrement menaçant. L’énergie subversive de l’amour, de l’érotisme et de la sexualité, il s’agit de la canaliser, – dans l’intérêt de la société, bien entendu – c’est-à-dire qu’il faut la fonctionnaliser en vue de ce même intérêt, comme l’aurait réussi de façon si exemplaire l’auteur N. Dans son histoire d’amour 'modèle’, il aurait montré comment un homme évolue vers les objectifs les plus élevés. « Pour montrer cela, concéda Madame le Professeur sur un ton ironique, tous les moyens sont bons, même l’amour, s’il est manipulé de la sorte. » 4 Par contre, tout ce qui déborde ce cadre ne serait qu’obscénité, comme c’est le cas chez l’auteur B : « […] un roman d’amour qui n’est que cela (dit Madame Messerle) mouille … (sa langue fourcha, elle s’empêtra) souille… brouille notre vie qui se développe décemment. » 5 Ainsi Madame le Professeur semble-t-elle emportée par une excitation plutôt suspecte qui lui fait perdre le contrôle de son discours officiel, accompagnée de symptômes corporels non moins suspects : elle était assise là, à sa tribune, « toute rouge » et « les genoux serrés ». Nous sommes invités à nous demander si Madame Messerle n’est pas affectée du même ‘mal’ que celui qu’elle a diagnostiqué chez l’auteur B : « … victime de ses pulsions, de ses propulsions, de ses …désirs, de ses …nous connaissons tous cela, ses illusions…. » 6 L’ironie du narrateur est grinçante : Madame Messerle se révèle elle-même victime de cette déviance obscène contre laquelle la censure, dont elle est le porte-parole officiel, livre un combat acharné et dont le véritable enjeu est bien de promouvoir des histoires d’amour nettoyées de l’effet subversif du désir érotique.

Notre sujet ne sera pas étudié de façon systématique et encore moins exhaustive ; il s’agira simplement de proposer quelques éclairages de la thématique de l’amour et de son traitement dans le roman. Au centre de notre démonstration, nous avons placé deux séquences textuelles qui correspondent à deux perspectives – différentes et en même temps complémentaires – de la problématique. Dans ces séquences, le procédé du dialogue intertextuel avec Diderot et d’autres écrivains ainsi que le jeu des rapports intra-textuels acquièrent une signification particulière en vue de l’éclairage critique du temps présent. Nous nous intéresserons notamment à la question de la pensée utopique en temps de crise de l’utopie, qui est reliée au problème d’une écriture utopique, de ses possibilités ainsi que de ses formes.

Pour ce qui est de la première séquence, il s’agit de l’épisode où le maître et son valet chevauchent par la plaine de Prusse et où Kunze a une aventure sexuelle avec une femme qui travaille dans les champs. Le cadre de l’action est bien ici le socialisme réellement existant. La mise au jour du potentiel utopique s’opère grâce au traitement satirique de la situation présente et de ses structures de pouvoir. Dans la deuxième séquence envisagée, l’écriture utopique revêt des formes différentes. Il y va de la représentation d’une « utopia imaginée » (imaginiertes Utopia) 7, telle qu’elle est décrite dans « la plus belle histoire d’amour » de Hermann. Cette représentation renoue avec le complexe métaphorique ‘africain’ (das Innerste Afrika) que Braun déploie dans son essai sur Rimbaud de 1984 et qu’il reprend sous forme d’un interlude dans la pièce Transit Europa, Ausflug der Toten de 1987. La signification de ce changement de lieu de la plaine prussienne à l’Afrique n’est évidemment pas d’ordre géographique : ‘l’Afrique profonde’ représente le ‘continent noir’, le terrain inconnu des profondeurs de la subjectivité qu’il s’agit d’explorer.

Le cas Kunze

La recherche a souligné à maintes reprises à quel point l’amour, la sexualité et l’érotisme constituent pour Braun des sources d’énergies subversives et créatives, capables de faire éclater la stagnation et la paralysie du système social et politique, à quel point il y voit, souvent lié à la figure de la femme, des forces porteuses d’espoir. Or, la représentation de cette problématique ne suit nullement un schéma binaire positif/négatif qui opposerait deux pôles : stagnation, pétrification d’un côté, érotisme, sexualité, mouvement et dynamisme de l’autre. Il n’y a pas de fil conducteur de ce type, le traitement du thème est diversifié et contradictoire. Braun prend un réel plaisir à brouiller les pistes et les cartes, le cas Kunze en témoigne. On ne pourrait dire que ce personnage manque d’énergie érotique et sexuelle, ce qui, pourtant, n’en fait pas un personnage exemplaire. Tout dépend comment on utilise ce potentiel, ce qui fait de ce problème une affaire sociale et politique en rapport avec le pouvoir et l’exercice du pouvoir. Or, Kunze est « un de ceux qui travaillent à l’abri des regards, dans l’appareil », et son comportement sexuel correspond à sa fonction. Dans la création verbale « vergewohltätigen » par laquelle l’auteur/narrateur désigne les activités sexuelles débordantes de son protagoniste, se condense toute l’ambiguïté du rapport que celui-ci entretient au sexe et aux femmes, un mode de relation oscillant entre viol (vergewaltigen) et bienfaisance (Wohltat). Mais où est la vérité ? Et qu’est-ce qui pousse notre Kunze à courir avec tant d’ardeur après l’autre sexe ? Le narrateur nous répond : « […] il suffit que je le raconte, à vous d’en saisir le sens. » 8 Disons-le tout de suite : au terme de notre enquête aucun sens univoque ne s’imposera.

Une chose semble établie : Kunze n’est pas un cas isolé. Dans l’établissement où il est admis pour suivre une cure, la plupart des curistes souffrent de la même maladie. « Qu’est-ce qui se passe, camarades ? Qu’est-ce qu’ils ont ou n’ont pas, les gens ? Cette maladie du peuple, qui étend ses ravages, qui surgit précisément lorsqu’on retire des rouages les personnes exténuées par le travail ! Quand ils sont censés se détendre et s’accorder un peu de réflexion, ils pénètrent sans réfléchir dans les fourrés. Sous les ombrages la curiste, au soleil du socialisme ! » 9 La métaphore nous suggère que ces déviances sexuelles pourraient être quelque chose comme le côté ombre (Schattenseite) du socialisme ‘ensoleillé’ ; ce sont précisément ces zones d’ombre que le narrateur/ auteur a décidé d’éclairer. Dans cette perspective, regardons de près l’épisode qui se déroule dans la plaine prussienne où Kunze, justement, succombe à une de ses crises. Il s’agit d’un passage où Braun se plaît particulièrement à brouiller les pistes et à troubler ses lecteurs. Plusieurs niveaux de réalité temporels et spatiaux se superposent, se croisent et interfèrent, oscillation entre la contrée berlinoise et les steppes du Far West, entre temps présent et Ancien Régime. Nos deux valeureux chevaliers, cependant, suivent une route rectiligne, ils chevauchent « DE L’AVANT », imperturbables : « […] ils ne déviaient pas de la route, le cap sur les objectifs quotidiens fixés par le plan […] » 10 Il s’avèrera cependant qu’ils changeront de cap pour poursuivre des objectifs d’un intérêt social pour le moins douteux. En chevauchant, nous apprend-on, le maître et son valet ne se racontent pas leurs histoires galantes, comme chez Diderot par exemple, mais, la place serait-on tenté de dire, le narrateur nous en livre une qui se passe lors de la même chevauchée, à la lisière d’un champ, entre Kunze et une femme, épisode qui de surcroît entretient un rapport intertextuel avec un récit de Jacques le Fataliste. Ce qui relie tout d’abord les deux histoires, c’est la perspective narratologique qui correspond à une ‘position’ précise du narrateur, et ceci au sens littéral du terme. Dans les deux cas, l’on raconte dans la perspective du valet, témoin auriculaire d’un acte sexuel. Jacques tend l’oreille tout près de la mince paroi qui sépare sa chambre d’auberge de celle des aubergistes ; Hinze, lui, est à aux aguets près des fourrés où son maître a rabattu son ‘gibier’. Ces récits, faits dans la position de celui qui écoute, nous semblent d’autant plus intéressants qu’ils passent entièrement par le canal de l’oreille.

Jacques devient témoin d’une dispute entre mari et femme dans le lit conjugal : l’homme a envie, la femme, elle, a peur de tomber enceinte une nouvelle fois. A vrai dire, elle a envie aussi, mais puisque cela ne peut se dire directement, elle a trouvé une jolie métaphore : l’oreille qui lui démange. C’est ainsi que se fait entendre ce dialogue plaisant, voire jouissant :

« […] Je suis sûre que je vais être grosse ! […]
Et cela n’a jamais manqué quand l’oreille me démange après,
et j’y sens une démangeaison comme jamais.
Ton oreille ne sait ce qu’elle dit.
Ne me touche pas ! laisse là mon oreille ! »

« Ah ! mon oreille ! Ah ! l’oreille ! » 11 Plaisir du jeu sexuel et plaisir du jeu de mots se combinent. Jacques, qui est à l’écoute, le ressent aussi, c’est comme si ses oreilles jouissaient : « … cela me fit plaisir. Et à elle donc ! » 12 Comment Braun met-il en scène cet épisode ? Juste à la pause du petit-déjeuner, il était en train de mâcher son biscuit, le désir de Kunze (où devrait-on parler de besoin ?) fut réveillé par la vue d’une femme qui travaillait dans les champs : « […] il abandonna au valet le reste de son biscuit, arracha le jabot de son cou et se précipita dans les labours, tel un coq courant sur des charbons. » 13 Ce qu’il aperçut, c’est plus exactement le postérieur de cette personne, penchée sur les raves, dans la boue jusqu’aux mollets. Quelle activité, quelle « position » indignes ! Kunze se devait d’intervenir, déjà dans l’intérêt de la société, il fallait faire en sorte qu’elle change de ‘position’. Dans les fourrés, il se mit à l’œuvre ; le valet tendait l’oreille et, tout comme celui de Diderot, il se délecta de ce qu’il entendait ; les paroles que son maître adressa à la femme, il les « buvait comme du petit lait » : « Non … pas comme ça, sans être préparée, que vont dire les gens ? » – Quels gens ? – Au village ! S’ils l’apprennent. » – « Commence d’abord, on en parlera plus tard. » […] La femme d’un ton plus rude : « Non, n’insiste pas, trop… » Le maître avec vivacité : J’en suis sens dessus dessous. Je te remets dans le bon sens. Bâtie comme tu l’es. – « Arrête … je ne peux pas… ah …vas-tu arrêter. » Le maître, criant : « Ta position ne se défend pas. Tu ne sais pas ce qui est bon . Serre les dents. » La femme fit entendre un gémissement. […] « Fais un effort. Mets-y du tien. Fixe-toi un objectif. » « Ah, toi, ah, ah, je … » – « Il faut que tu maîtrises les nouvelles techniques. » 14 Kunze obtint ce qu’il voulait, et la femme un stage de formation. C’est de la sorte que Kunze a, une fois de plus, œuvré à la promotion de la femme, améliorant sa ‘position’ qui, bien entendu, n’a absolument plus rien de commun avec celle qu’elle occupait dans la Prusse ancienne : « Elle n’était plus une servante, elle tenait son rôle d’homme dans la planification aussi bien que n’importe lequel, elle fut promue à son bonheur […] ». 15 La satire du narrateur est cinglante. En effet, comment ne pas être scandalisé ? Ce Kunze, cadre supérieur de l’Etat socialiste, est-il meilleur que le grand propriétaire capitaliste ‘antédiluvien’ Puntila dans la pièce de Brecht de 1930, qui, flanqué de son valet Matti, règne en maître sur ses terres et les femmes qui y travaillent ? Méfions-nous, le scandale n’est pas si évident. Il semble que la femme a quand même tiré du profit de cette histoire, et pas seulement à cause du stage de formation. On nous dit que sa « curiosenvie » (Neubegier) s’était réveillée : à nouveau une de ces créations de mot où « Neugier » (curiosité) et « Begehren » (désir sexuel) s’entrecroisent et se condensent. En fait, l’aventure sexuelle n’a pas été sans plaisir, ce que sa langue balbutiante (« Ah toi, Ah, je … ») nous laissait déjà supposer ; de plus, cette expérience érotique lui a ouvert les yeux ; en elle, quelque chose a bougé : « […] elle voudrait embrasser de plus grandes responsabilités que celles de la ‘mécanique’ », nous apprend le narrateur, jouant de l’équivoque comme il l’a fait tout le long de cette histoire. 16

Quant au langage de l’amour, la comparaison avec le dialogue chez Diderot est révélatrice. Dans les deux scènes, le langage est de nature équivoque, mais cette duplicité s’avère de facture et de visée différentes chez les deux auteurs. Ce qui ravit l’oreille de Jacques, c’est le jeu métaphorique plaisant, sur fond de substitution de l’oreille à l’organe sexuel. Il s’agit d’un échange verbal ludique et véritablement dialogique. Dans les fourrés de la plaine prussienne, par contre, c’est l’homme qui ‘commande’ ; son langage ‘amoureux’ est double, mais nullement au sens d’un jeu avec les mots ; il se révèle comme doublure, en quelque sorte, du discours politique officiel, dont il emprunte les formules (« Fixe-toi un objectif » – « Il faut que tu maîtrises les nouvelles techniques. ») C’est à travers ce langage que Braun dénonce à quel point la sphère des relations intimes est façonnée par le modèle social et politique qui, telle une carapace, la fige et l’étouffe. Dans cette même perspective d’une comparaison contrastive, lisons un autre passage de Diderot que Braun « transpose » dans la réalité du socialisme réellement existant. Après le récit que Jacques fait de la scène conjugale, un dialogue s’instaure entre le maître et son valet, qui reprend, en la filant, la métaphore de l’oreille pour introduire des considérations d’ordre général à propos de la femme et la sexualité :

« Jacques : Vous croyez apparemment que les femmes qui ont une oreille comme la sienne écoutent volontiers ?

Le Maître : Je crois que cela est écrit là-haut.
Jacques : Je crois qu’il est écrit à la suite qu’elles n’écoutent pas longtemps le même, et qu’elles sont tant soit peu sujettes à prêter l’oreille à un autre. » 17

Cet échange de mots galant et délicieusement équivoque au sujet des caprices sexuels de la femme conduit directement à la jolie « Fable de la Gaine et du Coutelet » où la Gaine et le Coutelet se disputent au sujet de l’infidélité sexuelle de la femme :

Gaine, ma mie, vous êtes une friponne, car tous les jours vous recevez de nouveaux Coutelets… La Gaine répondit au Coutelet : Mon ami, vous êtes un fripon, car tous les jours vous changez de Gaine. 18

La disposition symétrique des discours masculin et féminin reflète le principe d’égalité entre homme et femme par rapport à la pratique et au plaisir sexuels. C’est en ce sens que la querelle est réglée à l’amiable grâce à un arbitre ‘éclairé’ :

Vous Gaine, et vous, Coutelet, vous fîtes bien de changer, puisque changement vous duisait, mais vous eûtes tort de vous promettre que vous ne changeriez pas. Coutelet, ne voyais-tu pas que Dieu te fit pour aller à plusieurs Gaines, et toi, Gaine, pour recevoir plus d’un Coutelet ? 19

Les considérations sur l’infidélité sexuelle sont affranchies de tout jugement moral, prenant en compte, pour l’homme ainsi que pour la femme, le seul principe de plaisir, qui, de surcroît, se trouve légitimé en quelque sorte par la création divine.

A cette fable galante, « une fable pas trop morale, mais gaie », racontée par Jacques, Braun répond par sa fable satirique des « Queues et des Trous ». Braun se réfère tout d’abord à l’hypotexte pour aborder le thème de la fidélité sexuelle en critiquant, tout à fait au sens de l’auteur des Lumières, ces « situations régularisées » (ordentliche Verhältnisse), où l’on a assigné aux Queues leurs Trous dans lesquels ils se glissent sans désir et sans plaisir. On rappelle en même temps les conséquences désastreuses, patriotisme, plaisir organisé de la destruction etc., d’un tel détournement du désir. Mais la question qui se pose à présent est la suivante : qu’en est-il de cette affaire dans la situation actuelle, celle de la société nouvelle ? Pour débattre du problème les Queues tiennent congrès : une réunion exclusivement masculine, dans un gymnase décoré pour la circonstance : « Queues déléguées, triées sur le volet, appartenant toutes au mouvement PLUS VITE PLUS LONGUEMENT, PLUS PROFONDÉMENT, membres vaillants de notre société travailleuse. » 20 C’est précisément dans cette nouvelle société que les Queues se voient confrontées à un problème tout particulier : « naturellement » les Queues étaient de longueur et de grosseur inégale, alors que tout le monde, en principe se trouvait mis sur un pied d’égalité. Une contradiction se fait jour entre une inégalité individuelle, ‘naturelle’, et une égalité décrétée d’en haut. La discussion aboutit à la scène grotesque d’une mise à égalité (Gleichmachung) : ils sortaient des couteaux et « s’égalisaient à coups de lames ». 21 « Avec les couteaux ou avec la norme », commente Hinze, soulignant la dimension politique de cette automutilation. Les Trous, « tout en pouffant de rire au spectacle de la solution masculine », proposent leur solution : pour eux égalité n’a rien à voir avec « se tailler d’une façon égalitariste », mais signifie quelque chose comme un droit individuel (Gleichberechtigung) : « On arrivera bien à se mettre d’accord. A chacun son dû, c’est compris, et pas n’importe quel droit égalitaire. » Cette solution, cependant, demande un certain ‘effort’ : « Laissez-vous donc aller pour une fois, donnez-vous tels que vous êtes, abandonnez-vous. » 22 Ce qui est demandé ici, sur un ton léger et badin vise, en fait, un changement radical : faire éclater la carapace imposée par la norme, pénétrer jusqu’au tréfonds de sa propre subjectivité, devenir un ‘autre’. C’est cette utopie-là que Hermann imagine au travers de ce qu’il appelle sa ‘plus belle histoire d’amour’.

La plus belle histoire d’amour de Hermann

« Nous devons partir en voyage d’exploration vers l’intérieur, prêts à vivre une aventure. » 23

L’histoire de Hermann, en effet, ressemble à un récit d’aventure, étrange, exotique et fantastique, qui nous transporte sur une île lointaine ; étrange aussi le personnage qui raconte, l’un des deux curistes avec lesquels Kunze partage sa chambre ; en passant nous apprenons qu’il est artiste. Il raconte son histoire incroyable sur un ton étrangement objectif, comme s’il parlait d’affaires : « J’avais juste été invité à manger un cochon. » 24 Le festin commence de façon plutôt conventionnelle : l’invité échange un regard avec la maîtresse de maison, une belle femme mulâtre. Cet échange de regards provoque un renversement radical de la situation : c’est lui, l’invité, qui sera paré, épicé, rôti à petit feu, découpé en morceaux et dévoré par les autres convives. A propos de cette histoire on est tenté de rappeler ce que Braun dit dans son essai sur Rimbaud : « D’abord nous disposons de quelques points de référence, rares et troublants. Des cartes de randonnées esthétiques ne nous seront pas d’une grande utilité, nous devons trouver un sentier inconnu à travers les différents niveaux de signification. » 25 Une de ces pistes à explorer est le rapport intertextuel de ce passage avec le Chant X de l’Odyssée. 26 Nous connaissons l’histoire : sur l’île Eéa, lors d’un festin, la belle magicienne Circé transforme ses convives masculins, compagnons d’Ulysse, en cochons. Ulysse, lui, échappe à cet ensorcellement grâce à une ruse. Horkheimer et Adorno commentent cet épisode dans la perspective d’une ‘dialectique de la raison’ : « Ulysse résiste à la magie exercée par Circé. C’est précisément pour cette raison qu’il obtient ce que la magie de celle-ci a fait miroiter à ceux qui ne lui ont pas résisté : Ulysse partage sa couche […]. Le plaisir qu’elle accorde a un prix : Il faut que ce même plaisir ait été refusé. » 27 Ulysse est donc celui qui, au prix d’un renoncement à ses pulsions, a sauvegardé et confirmé son moi. Ce n’est pas ici le lieu d’approfondir cette perspective. Elle nous paraît cependant intéressante comme une sorte d’antithèse à la solution féminine proposée par les Trous d’une part, et à l’histoire de Hermann de l’autre. Hermann, lui, ne résiste pas à la magie de la femme, il‘s’abandonne’, et ceci au sens fort du terme : il abandonne son propre moi pour devenir autre : « Le noble maître de maison sépara d’un coup de couteau la queue du ventre. Alors je me mis enfin à crier, m’arrachant à moi-même, et en ricanant j’avalai le rhum et saisis sous la table la main de la maîtresse de maison, pour qu’elle brûle. Et elle brûla en effet. » 28 Cette ‘renaissance’ à un autre moi est présentée comme l’acte brutal d’un arrachement qui nous fait penser à la métaphore de la chenille et du papillon, image utopique qui clôt les Récits de Hinze et Kunze : « Tu vois le papillon ? Avant de prendre son envol, il est la chenille qui ne fait que ramper et manger et qui se retire dans son cocon de sorte qu’elle a l’air d’une momie : cet être ailé en devenir. » 29

Le maître découpe le rôti en portions et les ‘donne aux cochons’ qui les dévorent avec avidité. Ceux que l’on nomme les ‘cochons’, ce sont les autres compagnons de Hermann, les technocrates, venus avec leurs techniques allemandes de calcul pour « planifier » l’île. Ils sont restés au stade de la chenille, ‘qui ne fait que ramper et manger’ ; ils ne connaissent que le besoin animal, la possession et l’appropriation de l’autre, ce que la métaphore culinaire nous indique. Hermann, par contre, a connu le désir qui ne vise pas la possession de la femme aimée, mais qui signifie brûler et être brûlé. L’aventure de Hermann sur l’île lointaine se lit comme la représentation d’une transgression radicale des frontières de son propre moi. En ceci, elle est l’exact contraire de cette autre aventure, celle du voyageur Kunze qui franchit la frontière entre les deux Allemagnes pour échouer dans un bordel à Hambourg auprès d’une femme noire. Excédé par le marchandage interminable du prix, il passe à l’acte : « Il ferma les yeux, découvrit sa puissante mâchoire, appuya sa main molle et féminine contre le visage noir et procéda, plein de rage. La femme eut un bêlement d’effroi, mais retint tout de suite sa respiration et le voyageur, tel un porc écumant, ahanant, enjambant avec brutalité le fossé séparant le Nord et le Sud. » 30

L’utopie de Hermann n’est pas confinée à l’île exotique et lointaine. Des fils conducteurs se tissent jusqu’aux histoires d’amour de l’auteur/narrateur. Leur point de départ est le motif du regard, et plus précisément l’échange de regards, figure emblématique de la poésie d’amour depuis toujours. Dans l’aventure de Hermann, c’est bien par là que tout avait commencé : « Les gens avaient pris place sur un banc, penchés, salivant de convoitise. Or donc, voilà que la belle femme pénétra dans la cour, posant un tendre regard sur l’animal, le regard de la bête se prolongeant dans le mien : je le lui rendis. Et c’est à ce moment-là que ça arriva […]. » 31 C’est lors d’une lecture publique de poésies d’amour, à la tombée d’une nuit d’été, sous les arbres du Grand Jardin de Dresde, que notre auteur, à son tour, vit une aventure initiée par un échange de regards avec une jeune femme du public. Le décor ainsi que l’ambiance du lieu sont comme érotisés : le parfum enivrant qui monte des prairies, l’air qui grésille, les arbres géants qui se dressent « vie épanouie, organes déployés ». Soudainement il la voit qui le regarde : « […] elle me regardait sans détourner les yeux et je la regardais sans détourner les miens, même lorsque je lui tournais le dos […] ». 32 L’auteur est bouleversé de fond en comble, comme pris d’une ivresse inexplicable. Son état nous est décrit comme une véritable métamorphose : « La sueur perçait mon masque. Au bout d’un temps indéfiniment long, je me retournai à nouveau et remarquai qu’en faisant ce mouvement, une autre tête se détachait de mon tronc […]. » 33 Cette métamorphose rappelle les crises de Kunze, le rapprochement est fait par l’auteur lui-même, et ceci sans doute pour que le lecteur s’aperçoive de la différence : dans le Grand Jardin de Dresde, le réveil du désir érotique, contrairement à ce qui se passait dans le champ de la plaine prussienne, n’aboutit pas à la possession de la femme. Celle-ci disparaît ; mais juste avant, son regard a encore une fois joué un rôle important : « La femme observait ma métamorphose sans s’effrayer. Elle semblait saisir tout ce que je ne saisissais pas … ce que je décris. » 34

« Je ne le saisis pas, je le décris » (Ich begreife es nicht, ich beschreibe es.), c’est la formule poétologique sur laquelle s’ouvre le roman. La rencontre érotique avec la femme serait-elle une voie qui pourrait mener vers une certaine compréhension ? Mais une autre question s’impose aussitôt : comment raconter cette rencontre ? En tout cas, pour ce qui est de l’autre histoire, celle que l’auteur nomme expressément sa plus belle histoire d’amour, c’est la femme qui lui fait comprendre qu’il sera impossible d’en faire le récit. C’est Anna, qui ne veut pas que leur expérience amoureuse soit écrite : « elle trouvait impensable qu’on exploitât le passé. Comme si elle n’était pas en vie, maintenant ! Comme si maintenant elle n’aimait pas ! C’était maintenant cet instant dont je devais me souvenir, le plus beau peut-être, la véritable histoire. – Celle qu’il fallait écrire. » 35 Le désarroi de l’auteur est complet : « Bon, l’instant, oui, mais l’histoire ?
– Ah, cet instant, ces instants. – Et où est passée l’histoire ? » 36 Eternel dilemme entre l’immédiateté du vécu, que le mot « Augenblick » exprime dans toute sa dimension temporelle et érotique, et l’acte de narration qui se fonde sur le travail du souvenir : comment vivre et écrire, écrire et vivre ? Et il apparaît encore une fois, ‘combien il est difficile de s’en tenir au strict récit d’une histoire d’amour‘.

Notes

* I. Haag. Professeur à l'Université d'aix-en-Provence.

1. T, 119, « Wie schwer es ist, eine Liebesgeschichte strikt zu erzählen, kann man bei Diderot nachlesen. » (p. 133. Nous citons la traduction d’Alain Lance et de Renate Lance-Otterbein : Volker Braun, Le roman de Hinze et Kunze, Editions Messidor, 1988 (T + numéro de page). Le texte allemand est cité d’après : Volker Braun, Hinze-Kunze-Roman, Suhrkamp(st 1538), Frankfurt 1988.

2. T, 131, « eine sichere Bastion gegen die unzuverlässige Wirklichkeit » (p. 147).

3. T, 133, « Er hat den roten Faden verfitzt. Man erkennt die Masche nicht mehr ! […] Er muß sich nicht wundern, wenn der Leser den Rock nicht anziehen will. » (p.149).

4. T, 132, « Das zu zeigen ist uns, genehmigte Frau Prof. ironisch, ist uns jedes Mittel recht, selbst die Liebe, wenn sie so gehandhabt wird. » (p. 149).

5. T, 133, « Aber ein bloßer amoureuser Roman ( : Frau Messerle) befleckt … (sie verhaspelte, sie verhackselte sich) bekleckt … verdeckt unser Leben, das sich anständig entwickelt. » (p. 149).

6. T, 133, « Opfer seiner Triebe, seiner Antriebe, seiner, nun, Sehnsüchte, seiner, wir kennen das alle, Wunschvorstellungen … » (p. 150).

7. Winfried Grauert, Ästhetische Modernisierung bei Volker Braun, Würzburg 1995, p. 95.

8. T, 135, « […] es genügt, daß ich es erzähle, ihr müßt euch selber den Reim darauf machen. » (p. 152).

9. T, 111, « Was ist los, Genossen ? Was haben die Leute oder nicht ? Diese grassierende, diese Volkskrankheit, die gerade zum Ausbruch kommt, wenn man die abgearbeiteten Personen herausnimmt aus dem Getriebe ! Wenn sie ohnehin ausspannen und zur Besinnung kommen sollen, dringen sie besinnungslos ins Unterholz. In den Kurschatten, unter der Sonne des Sozialismus ! » (p. 125).

10. T, 34 sq., « […] und sie schlugen einen klaren Kurs ein, ein Tagessoll auf das Planziel zu […] » (p. 37).

11. Denis Diderot, Jaques le Fataliste et son maître, Pocket Classiques, 2006, p. 33 sq.

12. Ibid., p. 35. Brecht, lecteur de Diderot, a dû y trouver le même plaisir. C’est le personnage de Ziffel des Flüchtlingsgespräche qui l’exprime en réfléchissant sur la différence entre pornographie et art : « Und Diderot, solche Stellen wie die, wo jemand zuhört, wie die Frau beim Akt immer davon redet, wie sie ihr Ohr juckt, und wenn es dann heißt : « Mei-n …O-hr ! vereint mit dem darauffolgenden Stillschweigen, und wie ihr Ohrjucken auf irgendeine Weise zur Ruhe gekommen war, das machte mir Vergnügen. Und ihr erst ! An so was kann man sich immer nur mit Rührung erinnern. Das ist Kunst und wirkt aufregender als eine gewöhnliche Spekulation auf die Sinnlichkeit. » (Gesammelte Werke in 20 Bänden, edition suhrkamp, Franfurt 1967, Bd. 14, p. 1415sq.).

13. T, 36, « […] er überließ dem Knecht den Rest seiner Biscuits, riß sich das Jabot vom Hals und lief, wie der Hahn über die Kohlen, in den Acker. » (p. 38 sq.).

14. T, 36sq., « Nein … so mir nichts dir nichts - was sollen die Leute sagen. » - « Welche Leute ! » - « Im Dorf ? Wenn sie es erfahren. » […] Der Herr heftig : « Ich krieg dich herum. So wie du gebaut bist - « Hör auf … Ich kann nicht, hörst du, ach - « Der Herr schreiend ; « Du liegst schief. Du weißt nicht, was gut ist. Beiß die Zähne zusammen. » Die Frau stöhnte auf. […] « Streng dich an, mach mit. Hab ein Ziel vor den Augen. » - Ach du, ach, ha ich … » - « Du mußt die neue Technik meistern. » (39 sq.).

15. T, 37, « Sie war keine Magd mehr, sie war so gut ein Mann wie jeder in der Planung, sie wurde gefördert zu ihrem Glück. » (40).

16. T, 38. La traduction de Lance gomme quelque peu cette équivoque : « … Elle voudrait embrasser de plus grandes responsabilités que celles de la fabrique. » - « […] sie würde mehr Dingen obliegen wollen als der Mechanei. » (p. 41).

17. Jacques le Fataliste et son maître, op. cit., p. 158.

18. Ibid.

19. Ibid.

20. T, 136, « ausgesuchte , delegierte Schwänze, die alle der Bewegung SCHNELLER LÄNGER TIEFER angehörten […]. » (p. 153).

21. T, 138, « schnitzten sich auf ein Maß » (p. 156).

22. T, 139 sq. « Wir werden uns schon einig. Jeder soll zu seinem Recht kommen , versteht ihr : zu seinem, nicht zu irgendeinem gleichen. » […] Laßt euch einmal gehn, gebt euch wie ihr seid, gebt euch hin – ». (p. 157).

23. « Wir müssen uns auf eine Forschungsreise begeben, ins Innere, bereit, ein Abenteuer zu bestehen. » (« Das innerste Afrika » In Rimbaud. Ein Psalm der Aktualität, Reclam, Leipzig 1990, p. 119).

24. T, 117, « Geladen war ich nur, ein Schwein zu essen. » (p. 132).

25. « Wir haben zunächst spärliche oder verwirrende Anhaltspunkte. Ästhetische Wanderkarten helfen nicht weiter, wir müssen einen unbekannten Pfad finden durch die Bedeutungsschichten. » (Ibid., p. 119 sq.).

26. Cf. à ce sujet Isabella von Tretzkow, Französische Aufklärung und sozialistische Wirklichkeit, Würzburg 1996, pp. 127-134.

27. « Odysseus widersteht dem Zauber der Kirke. Darum wird ihm gerade zuteil, was ihr Zauber nur trugvoll denen verheißt, die ihr nicht widerstehn. Odysseus schläft mit ihr. […] Auf die Lust, die sie gewährt,, setzt sie den Preis, daß die Lust verschmäht wurde. » (Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Dialektik der Aufklärung. Philosophische Fragmente, Fischer Taschenbuch, 1995, p. 80. (Trad. I. H.).

28. T, 118, « Der Hausherr stolz schnitt jetzt den Schwanz vom Bauch. Da schrie ich endlich und riß aus mir mich und goß den Rum grinsend in mich hinein und hielt der Hausfrau Hand unter dem Tisch, daß sie verbrenne, und sie brannte auch. » (p. 133).

29. « Siehst du den Schmetterling ? Bevor er sich in den Wind hebt, ist er die Raupe, die nur kriecht und frißt, und sich einpuppt, bis man sie für eine Mumie ansehen kann : dies werdende Flügelwesen. » Volker Braun, Berichte von Hinze und Kunze, ed. suhrkamp, 1983, p. 86. (Trad. I. H.).

30. T, 82, « Er schloß die Augen, entblößte sein kräftiges Gebiß, preßte seine weiche, weiberhafte Hand auf das schwarze Gesicht und ging wütend vor. Die Frau bläkte erschrocken auf, hielt aber sofort die Luft an, und der Reisende, ein schäumendes, röchelndes, das Nord-Süd-Gefälle brutal nutzendes Schwein – » (p. 92).

31. T, 117 sq. « Die Leute saßen vor gier krumm auf der Bank. Indessen trat in den Hof die schöne Frau, ihr Blick sanft auf dem Tier, des Tieres Blick geweitet in meinem : ich gab ihn ihr zurück. Sodann geschahs […]. » (p. 132).

32. T, 197, « […] sie sah mich unverwandt an, und ich sah sie unverwandt an, auch als ich ihr den Rücken kehrte […]. (p. 197).

33. T, 174, « Schweiß brach mir aus der Maske. Ich wandte mich nach unendlich langer Zeit wieder herum und merkte wie in der Bewegung ein anderer Kopf aus meinem Rumpf schnellte […]. » (Ibid.)

34. T, 175, « Die Frau betrachtete meine Verwandlung, ohne zu erschrecken. Sie schien alles zu begreifen, was ich nicht begriff … was ich beschreibe. » (p. 198).

35. T, 123, « […] es war ihr ganz undenkbar, etwas Vergangenes auszuschlachten, als wäre sie jetzt tot. Als lebte sie nicht jetzt. Als liebte sie jetzt nicht! Jetzt, jetzt war der Augenblick, an den ich mich erinnern mußte, der schönste womöglich, die eigentliche Geschichte. - Die zu schreiben war. » (p. 139).

36. T, 123, « Gut, der Augenblick … und die Geschichte ? - Ah, dieser Augenblick ! Die Augenblicke ! - Und wo ist die Geschichte ? » (p. 139).