Apparue dans les années 1990, la notion de « scène » appliquée notamment à l'étude des musiques populaires visait alors à proposer une alternative au concept de contre-culture, politiquement très marqué, ou de subculture. Le terme de scène est envisagé dans ce dossier dans son acception ouverte, comme « une manifestation large de l’urbanité, comme partie intégrale de la théâtralité de la vie urbaine » (Straw, 2014). Les scènes sont en effet bien plus que des agréments culturels. Elles composent étroitement le maillage urbain et façonnent les villes à tel point qu’en Allemagne, elles ont donné leur nom à ces quartiers qualifiés d’alternatifs et de plus en plus gentrifiés - les très prisés Szeneviertel - dont la traduction française de « quartier en vogue » restitue mal le sens originel. Le terme, qui fait référence à ces quartiers où se concentrent les scènes artistiques, désigne en réalité des sociotopes urbains multiculturels qui disposent d’une offre artistique et nocturne riche, des quartiers attractifs pour les artistes et la communauté LGBT, concentrant une population plutôt jeune et étudiante. « La notion de scène offre des perspectives probantes d’analyses sociologiques de l’art en permettant d’articuler à la fois le local et le global, l’artistique et le social, le culturel et le politique » (Kaiser, 2014). Si l’art y est souvent présent, il n’en constitue pas nécessairement l’alpha et l’oméga.
Manier la scène comme outil d’analyse implique d’étudier les conditions de production et de réception de l’objet culturel au sens large du terme. En 2018, dans son rapport annuel, la Club Commission - fédération des clubs de Berlin et des organisateurs d’événements liés à la musique électronique - rappelle que la scène, appliquée au champ des subcultures techno, dessine une communauté composée de trois volets : les producteurs et organisateurs d’événements, les artistes et, pour finir, le public. La scène techno en l'occurrence a pour spécificité d’être produite par les acteurs de la scène et pour les acteurs de la scène. Elle se situe à l’écart des systèmes de production et des circuits de distribution dominés par les majors de l’industrie musicale. La scène, en tant que marqueur de distinction sociale, est aussi étroitement liée à la notion d’« authenticité subculturelle » et d’exclusivité. Les clubs veillent à constituer un espace sûr pour leur public et à garantir cette authenticité en obligeant le public à mobiliser un « capital subculturel » (Thornton, 1995).