Poursuivant son entreprise de renouvellement des études de linguistique historique, appliquée précédemment à la lexicographie médiévale (Lexique 4) et à l'étymologie de l'Antiquité à la Renaissance (Lexique 14), Claude Buridant a réuni dans ce volume un ensemble de contributions portant un regard nouveau, documenté par des théories contemporaines, sur différents aspects de la construction des mots dans l'ancienne langue française mais aussi occitane.
Claude Buridant
La morphologie dérivationnelle dans l'ancienne langue française et occitane : présentation
Kathryn Klingebiel
La dérivation dans la Concordance de l'occitan médiéval : morphologie et ambiguïté chez les troubadours
Robert Martin
Sémantique préfixale du moyen frnaçis : les préfixes de-/des-
Michel Roché
La dérivation en -ier(e) en ancien français
Brian Mérilees
La morphologie dérivationnelle en français médiéval : l'apport des lexiques
Hugues Galli
Interrogation sur la préfixation (de la concurrence de certains préfixes)
Jean-Christophe Pellat
Orthographe française : étymologie et sémiographie au XVIIe siècle
Résumés en français
English Abstracts
Résumé
L'étude de la langue des troubadours est maintenant facilitée par la publication de la Concordance de l'occitan médiéval (CaM) sur CD-ROM, dirigée par Peter T. Ricketts ; cette publication rend possible l'accès instantané à toutes les formes lexicales dans les éditions canoniques des troubadours. Des zones d'hésitation se révèlent dans cette "lenga anciana", où se croisent, d'une part, morphologie dérivationnelle et morphologie flexionnelle, d'autre part, morphologie dérivationnelle et composition. Sont examinés et exemplifiés dans la COM I'affixation simple et double, la composition, les hybrides et la conversion. En outre, certains effets de sens ambigus relèvent directement d'une manipulation consciente de la morphologie de l'ancien occitan littéraire. L'examen du corpus troubadouresque, brillamment facilité par ce nouvel outil qu'est la CaM, permet maintenant d'accéder à une multiplicité d'éventuelles lectures des procédés dérivationnels de l'ancienne langue du Midi de la France.
Summary
Study of the language of the troubadours has been made easier by the publication ofthe Concordance de l'occitan médiéval (COM) on CD-ROM, directed by Peter T. Ricketts. Instantaneous access is now available to all the word-fonns of the "lenga anciana", in which there occur hesitations between derivational and inflectional morphology, on the one hand, and between derivational morphology and compounding, on the other. Examined for ambiguity and exemplified in the COM are: simple and double affixation, compounding, hybrids, and conversion. Additional ambiguous effects can be obtained through explicit manipulation of Old Occitan morphology. The study of the troubadour corpus, brilliantly aided by this new electronic tool, now makes it possible to access a wide range of possible readings of medieval Occitan derivational processes.
Résumé
La tradition distingue, dans l'histoire du français, deux préfixes de-/des-, l'un issu du latin de-, l'autre du latin dis-. Bien qu'elle soit parfois contestée en raison de recouvrements, cette distinction s'impose. On avance ici l'hypothèse qu'il convient même d'ajouter un troisième préfixe de-/des-, dont l'étymon serait de- + ex-. Les matériaux rassemblés portent tous sur la période du moyen français.
Summary
The de-/des- prefixes are, in the history of French, traditionally distinguished as two prefixes, the reflexes of Latin de- and dis- respectively. It is shown that this distinction, although it has been questioned because of overlappings, is to be maintained. The present paper further advocates that a third prefix be added with de- + ex- as etymon. The data collected, on which the discussion is based, are all from Middle French.
Résumé
Comme en latin avec -arius, -aria, -arium et en français moderne avec -ier, -ière, la dérivation en -ier(e) en ancien français est principalement de type actanciel : elle suppose un procès dont le dérivé (ou le nom recteur du dérivé) représente l'agent ou l'instrument et la base généralement l'objet. Mais elle a connu aussi d'importantes innovations. Fondamentalement adjectivale en latin, elle est devenue directement nominale. La confusion des suffixes -ier(e) issu de -arius, -aria, -arium et -er issu de -aris, -are a introduit un autre modèle de type relationnel. Les nombreuses interférences entre les deux modèles sont à l'origine de nouvelles séries lexicales. La morphologie constructionnelle médiévale est par ailleurs fertile en irrégularités diverses : doublets, dérivés synonymes de leur base, suffixations décalées au moyen d'un interfixe, interférences entre dérivations en -ier et en -eor, etc. Ces libertés et ces infléchissements, qui ont laissé des traces dans le lexique contemporain, ne permettent pas de rendre compte de ce suffixe au moyen d'une règle unique considérée comme panchronique.
Summary
As with Latin -arius, -aria, -arium and Modem French -ier, -ière, derivation by -ier(e) in Old French is mainly associated with the argument structure of a process in which the derivative (or the noun modified by it) represents the Agent or Instrument and the base usually the Object. But it has also gone through major innovations. Fundamentally adjectival in Latin, it has become directly nominal. Confusion between the suffix -ier(e) from -arius, -aria, -arium and the suffix -er from -aris, -are induced another derivational pattern which coins relational adjectives. The many interferences between the two patterns triggered new lexical series. Moreover, mediaeval constructional morphology is prolific in irregularities of all kinds: doublets, derivatives synonymous with their base, suffixation "shifted" by an interfix, interferences between -ier and -eor, etc. Those liberties, that can still be traced in the contemporary lexicon, added to the evolutions of the derivational patterns, make it impossible to account for this suffix through a single, panchronic rule.
Résumé
L'étude de la morphologie dérivationnelle par le biais des lexiques bilingues du moyen âge ouvre plusieurs voies d'analyse. Tout d'abord, la juxtaposition d'équivalents latins et français permet souvent une précision et une compréhension qui peuvent manquer à d'autres textes, sous réserve de se méfier dans les lexiques d'un français et d'un latin qui semblent lexicographiquement déterminés. La dérivation latine pose parfois des problèmes de forme et de sens, car la présence de termes peu usités en latin peut influer sur la création de termes français, eux-mêmes destinés à une vie très brève ou une application limitée. Les lexiques fournissent aussi un portrait de la tension entre la créativité latinisante et la créativité francisante, ils enregistrent souvent des suffixes rivaux (-able/ -ible par exemple), nous permettant donc d'en tracer le sort, ils confirment enfm l'emploi de mots récemment créés et adoptés dans la langue française. En bref, les meilleurs lexiques sont des livres de référence, le reflet des tendances linguistiques de leur temps.
Summary
Medieval Latin-French glossaries and dictionaries are a rich source of material for the study of derivational morphology. In this paper classic examples are taken from a database of over 20 bilingual lexica to illustrate the derivational processes at work, specifically in the adoption of the adjectival endings -able and -ible, where there was often hesitation, in the creation of feminine agent terms in -eresse, and in the abstract noun endings -ation, -ment, -ance and -té. AIl cases produce anumber of neologisms, though these should be considered with caution as frequently sorne terms are found only in a dictionary context and never in other texts. Nonetheless, the material shows that word creation can be both latinising, that is essentially borrowing directly from Latin with superficial changes as in dampnabletés from 'dampnabilitas', and gallicising, often deconstructing terms and rebuilding them on the base of their French elements, as in blechabletés from 'ledibilitas'. The results, as a whole, confirm the value of these early dictionaries as witnesses of lexical development in üld and Middle French.
Résumé
Notre contribution s'inscrit dans le cadre d'un travail de recherche ayant pour thème général la préfixation, et en particulier l'étude du préfixe en-. Nous présenterons ici les premiers résultats d'une analyse diachronique menée dans le FEW sur un corpus de verbes préfixés en en-. Il s'agit dans un premier temps de déterminer les époques de formation et d'emploi des verbes construits grâce à ce préfixe afin d'en déterminer la productivité. Dans un second temps, il s'agit de montrer quelles ont été, dans l'ancienne langue notamment, les concurrences sémantiques entre les formes populaires en en- et en a-, entre la forme populaire en en- et la forme savante en in-, et enfin entre la forme préfixée et la forme simple.
Summary
The present contribution is part of a general research program on prefixation, focussing on the prefix en-. Initial results are presented of a diachronie analysis, based on the FEW, of a corpus of verbs prefixed with en-. The fust step is to establish the periods during which these verbs were coined and used, in order to determine the productivity of the prefix. The second step analyses the semantic competition, in üld French, between the popular forms with en- and with a-, between the popular forms with en- and the learned forms with in-, and finally between the prefixed and unprefixed forms.
Résumé
La dimension morphologique de l'orthographe française explique les valeurs de nombreux graphèmes. Dans l'histoire de l'orthographe française, marquée à partir du XVIe siècle par la concurrence entre deux traditions, "l'orthographe ancienne" et "l'orthographe moderne", la dimension sémiographique (les graphèmes renvoient à des unités de sens) prend une importance croissante et s'articule avec le principe étymologique. Au XVIIe siècle, celui-ci est souvent exploité à des fins sémiographiques, notamment dans le domaine morphologique : relations masculin / féminin, mot de base / dérivées), et usage des consonnes doubles. On aboutit ainsi à une régularisation partielle et incomplète de la morphologie dérivationnelle qui, dans certains cas, se libère de la contrainte étymologique.
Summary
The morphological dimension of French spelling can explain the signification of many graphemes. From the .sixteenth century onwards, the history of French spelling was affected by the coexistence and influence of two traditions: "old style spelling" and "modem spelling". The semiographic principle (i.e., graphemes refer to meaningful units) has since become increasingly important and works together with the etymological principle. In the seventeenth century, the etymological principle was exploited to semiographic ends, in particular in the domain of morphology: the relation between masculine and feminine, between lexical bases and words that are derived from them, and the use of double consonants.