Allemagne d'aujourd'hui, n°178/octobre - décembre 2006

Secrets de famille,non–dits ou tabous? Présence du passé national–socialiste dans lalittérature allemande contemporaine
Première édition

Livre broché - 11,00 €

Spécifications


Éditeur
Presses Universitaires du Septentrion
Marque d'éditeur
Association pour la Connaissance de l'Allemagne d'Aujourd'hui
Partie du titre
Numéro 178
Avec
,
Revue
Allemagne d'aujourd'hui | n° 178
ISSN
00025712
Langue
français
Catégorie (éditeur)
Catalogue Septentrion > Littératures > Lettres et littératures étrangères > Pays germaniques et scandinaves
Catégorie (éditeur)
Catalogue Septentrion > Littératures > Lettres et littératures étrangères
BISAC Subject Heading
POL000000 POLITICAL SCIENCE
Code publique Onix
05 Enseignement supérieur
CLIL (Version 2013-2019 )
3283 SCIENCES POLITIQUES
Date de première publication du titre
15 février 2007
Subject Scheme Identifier Code
Classification thématique Thema: Politique et gouvernement

Livre broché


Date de publication
15 février 2007
ISBN-13
978-2-85939-958-0
Code interne
1003
Format
13,5 x 21 cm
Poids
275 grammes
Prix
11,00 €
ONIX XML
Version 2.1, Version 3

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Sommaire


Secrets de famille, non-dits ou tabous ? Présence du passé nationaI-socialiste dans la littérature allemande contemporaines Un dossier publié sous la direction de Carola Hähnel-Mesnard
Carola Hähnel-Mesnard*
Perspectives sur le national-socialisme chez Maxim Biller, Marcel Beyer et Martin Walser
B. Besslich
Une source vive de Martin Walser
M. Tambarin
Chassés de l'enfer de Robert Menasse
V. Holler
En crabe de Günter Grass et le débat médiatique autour des expulsions
C. Bouillot
Regards genrés sur le crime des « pères »
M. Allal
Meines Vaters Land de Wibke Bruhns
Margot Taureck
Le rapport des petits-enfants au passé chez T. Dückers, M. Wildenhain, D. Leupold et I. Dische
N. Colin
Les difficultés du devoir de mémoire dans Porcelaine de D. Grünbein
Cécille Millot
Réévaluation du passé chez trois écrivains juifs allemands : V. Roggenkamp, R. Seligmann, M. Biller
C. Mariotte
L'aveu tardif de Günter Grass
Jérôme Vaillant
De 1946 à 2006, l’héritage du droit de Nuremberg F. Ferlan
Les éléctions régionales de Berlin et Mecklembourg-Poméranie occidentale H. Menudier
Pierre-Paul Sagave (Berlin 1913 – Paris 2006)
A. A
André Gisselbrecht (1927 – 2006)
A. A
Entretien avec Thomas Medicus


Extrait


Secrets de famille, non-dits ou tabous ? Présence du passé nationaI-socialiste dans la littérature allemande contemporaines Un dossier publié sous la direction de Carola Hähnel-Mesnard

Le rapport au passé national-socialiste et à la Seconde guerre mondiale
dans la littérature allemande contemporaine : contextes et expressions

résumés
texte intégral
Avec ce nouveau millénaire, le paysage littéraire germanophone accorde une place considérable à desœuvres (auto)biographiques, documentaires, fictionnelles ou poétiques qui reviennent sur le passé national-socialiste, la Seconde guerre mondiale et leurs conséquences. Si ce sujet n'a jamais été absent de la littérature allemande, sa recrudescence actuelle témoigne d’un saut aussi bien quantitatif que qualitatif (le nouveau roman familial, la représentation des Allemands comme victimes), une évolution que le présent dossier se propose d’élucider. Cet article introductif contextualise l’actuel retour sur le passé national-socialiste depuis les années 1990 et donne un aperçu rapide de quelques publications importantes.


Seit der Jahrtausendwende kann man in der deutschen Gegenwartsliteratur eine große Anzahl von (auto)biographischen, dokumentarischen, fiktionalen und poetischen Werken verzeichnen, die sich mit der nationalsozialistischen Vergangenheit, dem Zweiten Weltkrieg und deren Auswirkungen beschäftigen. Obgleich dieses Thema in der deutschen Literatur nie gefehlt hat, zeugt der aktuelle Boom von einem quantitativen und qualitativen Sprung (der neue„Familienroman, die Darstellung der Deutschen als Opfer). Das vorliegende Dossier will dieser Entwicklung nachgehen. Dieser einführende Artikel kontextualisiert das gegenwärtige Interesse an der nationalsozialistischen Vergangenheit seit den 90er Jahren und gibt einen kurzen Überblick über einige wichtige Werke.

Carola HÄHNEL-MESNARD*

Le rapport au passé national-socialiste et à la Seconde guerre mondiale
dans la littérature allemande contemporaine : contextes et expressions

résumés
texte intégral

En ce début de nouveau millénaire, le paysage littéraire germanophone accorde une place considérable à des œuvres (auto)biographiques, documentaires, fictionnelles ou poétiques qui reviennent sur le passé national-socialiste, la Seconde guerre mondiale et leurs répercussions sur l’après-guerre. Si ce sujet n’a jamais été absent de la littérature allemande, sa recrudescence actuelle témoigne d’un saut aussi bien quantitatif que qualitatif (le nouveau « roman familial »1). Selon Aleida Assmann, l’actuelle littérature du souvenir « traduit les non-dits de la mémoire familiale privée dans la mémoire culturelle et les reconduit de l’inconscient vers la réflexion publique »2. Le présent dossier se propose d’élucider cette évolution. Quelles sont les modalités actuelles, en littérature, du retour sur le passé national-socialiste ? De quelle façon la littérature réagit-elle aux débats ambiants portés par le discours social, comment se positionne-t-elle ? Quels thèmes sont mis en avant, quelles stratégies narratives et quels partis pris esthétiques sont adoptés ? Quelles différences constate-t-on d’une génération d’auteurs à l’autre, entre enfants et petits-enfants des acteurs de l’époque ?

Sur le plan littéraire, la parution, en 2002, de Im Krebsgang de Günter Grass a été considérée comme la fin d’un « tabou », celui de thématiser les victimes allemandes de la guerre au lieu de représenter le passé en mettant l’accent sur la culpabilité allemande. Trente ans après la publication de Kindheitsmuster (1976) de Christa Wolf, Günter Grass semble vouloir renouer avec deux fils narratifs apparemment abandonnés par sa collègue et rendre plus explicite ce qui est pourtant déjà bien présent dans ce roman de C. Wolf où on lit au début : « D’autres ébauches, plus anciennes, commençaient autrement : par l’exode – lorsque l’enfant avait presque seize ans –, ou par la tentative de décrire le travail de la mémoire, comme une démarche de crabe, […] »3. Que d’autres que Grass se soient saisis de cette thématique a été vite évincé du débat. Ce qui comptait était le fait que Grass, considéré comme un auteur et intellectuel exemplaire en matière de « maîtrise du passé », ait choisi ce sujet tout en problématisant le rapport de la gauche aux souffrances des civils allemands pendant la guerre, lui reprochant – et se reprochant à soi-même – d’avoir laissé cette thématique à la droite et à l’extrême droite. Au niveau littéraire, ce livre fut immédiatement suivi en 2003 et 2004 par nombre d’autres publications liées au passé national-socialiste. Ici, le livre de Grass n’a pas pu être déclencheur, l’écriture des autres textes ayant commencé bien avant. Il faut donc interroger l’actuel intérêt pour le sujet à partir d’un changement du rapport au passé en Allemagne intervenu depuis la chute du Mur.

Après 1989, les débats historiographiques, intellectuels et littéraires portaient essentiellement sur l’appréciation et la réévaluation du passé de la RDA. Le nouvel essor des théories du totalitarisme dans ce contexte aboutissait à des approches comparatistes entre les dictatures, thématique déjà au cœur du Historikerstreit en 1985, avec le risque de mettre sur le même plan les deux « États de non droit » et de méconnaître les différences entre les systèmes national-socialiste et est-allemand4. Sur le plan littéraire, le début des années 1990 était marqué par les débats sur la littérature est-allemande, sur le rapport entre politique, morale et esthétique. Alors que les écrivains est-allemands les plus connus étaient accusés d’avoir produit une « esthétique d’opinion », un verdict semblable frappait une partie de la littérature « engagée » de l’ancienne RFA, accusée d’œuvrer dans le sens de la « légitimation d’une société ». Selon Clemens Kammler, ces débats visaient à instaurer une conception de la littérature selon laquelle celle-ci ne participe plus au travail de mémoire d’une société5. Ces « vœux » ont été remis en question par la production littéraire même des années 1990, comme en témoignent l’incessante quête du « Wenderoman » pendant toutes ces années et le retour sur le passé est-allemand de la part de différentes générations d’auteurs.

Depuis le milieu des années 1990, il existe également un nouvel intérêt pour le passé national-socialiste, provoqué par les commémorations du 50e anniversaire de la fin de la guerre. Ainsi, deux œuvres fictionnelles très distinctes parues en 1995 ont fait parler d’elles : Flughunde de Marcel Beyer et Der Vorleser de Bernhard Schlink. Marcel Beyer, né en 1965 et représentant de la génération des « petits-fils », ne s’intéresse pas encore – contrairement aux auteurs de sa génération, aujourd’hui – à l’histoire familiale, à la question de la transmission trans-générationnelle de l’héritage du passé, et il opte pour une perspective interne au Troisième Reich. Si le livre de Beyer a été remarqué pour son approche narrative, la nouveauté du roman de Schlink résidait dans le regard jeté sur les rapports de la seconde génération avec les acteurs nationaux-socialistes, rompant avec le geste accusateur de la génération des soixante-huitards contre les « bourreaux »6. Si certains, comme Harald Welzer, y voient une tentative de réconciliation ainsi qu’une métamorphose du bourreau en victime, la critique portait en général sur le caractère trivial du roman et sur le risque de manipulation du lecteur, amené à ressentir de la « compassion avec un monstre »7.

Depuis 1995, les débats et controverses concernant le rapport au national-socialisme vont s’accélérant. Parallèlement aux commémorations du 50e anniversaire de la fin de la guerre, l’exposition sur les crimes de la Wehrmacht organisée par le Hamburger Institut für Sozialforschung8 posait pour la première fois la question de la participation active des soldats allemands aux crimes de masse nationaux-socialistes. Cette exposition, aussi bien que le débat autour du livre de Daniel J. Goldhagen, Les bourreaux volontaires de Hitler (1996), qui ramenait la participation d’« Allemands ordinaires » dans l’Holocauste à un antisémitisme « éliminationniste » ancestral, foncièrement allemand9, peuvent être considérés comme des événements déclencheurs qui ont conduit les Allemands à s’interroger sur l’implication de membres de leurs propres familles dans les crimes du national-socialisme et à thématiser celle-ci dans un contexte englobant plusieurs générations10. Les réactions hostiles notamment à l’exposition sur la Wehrmacht, dont on trouve l’expression immédiate dans le documentaire Jenseits des Krieges (1997) de Ruth Beckermann11, ont toutefois révélé dès cette époque le clivage entre un savoir historique et une « mémoire culturelle » institutionnalisée et ritualisée, rendant hommage aux victimes de l’Holocauste et reconnaissant la culpabilité allemande, et l’image de soi des Allemands, la transmission du vécu familial dans l’échange intergénérationnel, en grande partie constitutif de la « mémoire communicative », si on suit les catégories proposées par Jan Assmann. Selon Harald Welzer, « l’encyclopédie » sur le passé national-socialiste se trouve côte à côte avec « l’album de famille » dont les images se distinguent profondément des crimes, exclusions et de l’extermination, et mettent l’accent sur l’héroïsme et la fascination, la souffrance, le renoncement et le sacrifice des Allemands12.

Le clivage entre « mémoire culturelle » et « mémoire communicative » se trouve au centre du discours tenu par Martin Walser à l’Église Saint-Paul lors de la réception du Prix de la Paix des libraires allemands en octobre 1998 et de la controverse qui s’en est suivie. Walser dénonçait « l’instrumentalisation de la mémoire d’Auschwitz » par les médias ainsi que le rappel permanent, tel qu’une « massue morale », de la « honte nationale » des Allemands. Ces propos polémiques ont été provoqués par la critique adressée à son dernier roman Ein springender Brunnen, dénonçant l’absence de toute référence à l’Holocauste. Dans ce roman, Walser réclamait en effet le droit de parler du passé sans devoir tenir compte du savoir historique ultérieur. L’enjeu de ces propos est de taille, dans la mesure où la primauté de la mémoire individuelle revendiquée par Walser tend à exclure la mémoire des victimes du national-socialisme. Si du point de vue d’une œuvre littéraire, cette mémoire individuelle, exclusive, peut se justifier, ces propos sont plus problématiques lorsqu’ils relèvent du discours social et remettent globalement en question, et cela d’une façon non productive, les modalités de la mémoire collective. Ainsi, Régine Robin voit dans cette « querelle sur la mémoire collective » un « changement d’époque », dans la mesure où à présent, il ne s’agit plus d’établir les faits, mais de « s’interroger sur la façon dont l’Allemagne doit collectivement se souvenir de son passé et de sa responsabilité »13. Parallèlement à la remise en question par Walser du discours allemand sur la mémoire, un changement de perspective intervient au niveau de la politique de la mémoire de l’Allemagne fédérale. Avec l’arrivée au pouvoir du chancelier Gerhard Schröder à l’automne 1998, un nouveau discours de la normalité s’instaure, fondé sur un changement de génération, décrivant l’Allemagne comme une nation adulte et décomplexée, qui assume certes son passé et la responsabilité qui en résulte, mais qui a le regard en avant.

Bien avant la publication de Im Krebsgang de G. Grass, il y a donc deux autres facteurs qui ont largement travaillé, consciemment ou inconsciemment, les auteurs qui choisiront quelques années plus tard une approche familiale et une perspective intimiste de la thématique du national-socialisme. C’est à un niveau individuel, l’interrogation à l’intérieur des familles sur la participation active aux crimes du national-socialisme et, au niveau de la société, une remise en question des modalités du discours mémoriel de l’Allemagne, avec une approche plus « décontractée » du passé allemand. Avant l’essor du « roman familial » au tournant du millénaire, quelques voix littéraires particulières se sont déjà fait entendre dans les années 1990 pour évoquer dans leurs récits les répercussions de la Seconde guerre mondiale sur la population civile allemande. Une place singulière revient à Walter Kempowski qui a publié entre 1993 et 2005 les dix tomes de son « journal collectif » Echolot. Cette œuvre, un collage déconcertant d’extraits de journaux intimes, d’articles de journaux, de lettres et d’images datant de la période 1941-1945, donne la voix aussi bien aux bourreaux qu’aux victimes, qu’ils soient des inconnus ou des personnages illustres, et laisse ainsi une place importante aux expressions privées et intimes des Allemands sous le Troisième Reich. L’auteur ordonne le matériel qu’il a recueilli, renonce à des commentaires ou à une approche critique de ses sources pour présenter l’histoire de façon authentique et à travers une multitude de perspectives. En 1997, W.G. Sebald, dont l’œuvre a thématisé, tout au long des années 1990, les victimes du national-socialisme et de l’Holocauste et dont le style particulier a influencé plus d’un auteur14, présente à Zurich ses conférences sur Luftkrieg und Literatur. Il reproche à la littérature allemande de l’après-guerre de ne pas avoir su représenter, à quelques exceptions près, « l’expérience vécue par des millions de gens dans les dernières années de la guerre, cette humiliation nationale sans précédent », une expérience qui n’a pas été partagée par ceux qui l’ont vécue ni transmise aux générations suivantes15. Pour les écrivains restés en Allemagne pendant la guerre, il aurait été plus important, après-guerre, de redéfinir ou de « retoucher » leur image que de faire entrer ces expériences de la destruction dans la mémoire collective. Dans ce contexte, les auteurs n’ont pas essayé de briser le « tabou » de ce « secret de famille » honteux que représentait « l’état réel d’anéantissement matériel et moral » du pays (21). Tout en reconnaissant les difficultés à représenter ces expériences, Sebald regrette que les « images de ce chapitre effroyable de notre histoire n’ont jamais véritablement franchi le seuil de la conscience nationale » (22), que la République fédérale a refoulé ces expériences et qu’elle les a évacuées de son « économie affective » (23).

Ces appréciations de Sebald ont provoqué un large débat dans les pages culturelles de la presse allemande, certains essayant de donner des contre-exemples aux thèses de Sebald16. Ainsi, un auteur plutôt confidentiel comme Dieter Forte, né en 1935, a été évoqué comme exemple pour avoir représenté et thématisé les bombardements aériens dans son roman Der Junge mit den blutigen Schuhen, paru en 1995. Or, il faut rappeler que la critique de Sebald concernait tout d’abord la génération d’auteurs ayant pu écrire juste après-guerre, c’est à eux que s’adressait le reproche de s’être tu et d’avoir perpétué un tabou dans la société dont les débats fervents actuels sont, selon Peter Schneider, comme « l’anamnèse collective »17.

Après cette discussion limitée au domaine de la littérature, la question des bombardements aériens et de ses conséquences sur la population civile est réapparue en 2002 avec la parution du livre Der Brand de l’historien Jörg Friedrich18. Avec la publication de Im Krebsgang de Günter Grass la même année, largement exploitée par la presse – ne pensons qu’à la série du Spiegel sur l’exode et l’expulsion hors des territoires de l’Est –, deux grands thèmes représentant les Allemands en tant que victimes de la guerre étaient à présent au centre d’un large débat public. La question qui se pose alors est moins celle du « droit » des Allemands à se souvenir des expériences traumatiques qu’ils ont vécues, que celle de la façon dont ce souvenir est représenté et contextualisé. En effet, le risque d’une décontextualisation, d’une relativisation des événements historiques et d’une comptabilité des souffrances est apparu en même temps que le retour de la mémoire des victimes allemandes. Et c’est en effet ce qu’on peut reprocher au livre de Friedrich qui recourt à un vocabulaire de l’extermination propre au contexte de l’Holocauste et des massacres sur le front de l’Est19. Lors des commémorations du 60e anniversaire des bombardements de Dresde en février 2005, la presse regorgeait de descriptions et de reconstitutions graphiques de la « tempête de feu » qui s’était abattue sur la ville, mais elle renonçait le plus souvent à placer les bombardements dans le contexte historique du national-socialisme. Il est intéressant de comparer cette commémoration avec celle du 40e anniversaire des bombardements. Dans une émission de la ZDF de 1985, la parole était donnée à de nombreux témoins des bombardements, les images de la destruction ne manquaient pas – la présence des « victimes allemandes » dans le discours public n’est donc pas tout à fait nouvelle –, mais l’ensemble fut accompagné d’un souci de contextualisation historique, avec un renvoi aux bombardements allemands de Varsovie, Rotterdam, Londres et Coventry20. Le 60e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale cristallise donc lui aussi le clivage entre mémoire individuelle et mémoire collective, entre d’une part une vision victimisante de la population civile allemande largement véhiculée par la presse et, d’autre part, la reconnaissance du plus grand crime du national-socialisme par l’Allemagne unifiée, avec l’inauguration en plein centre de la capitale allemande du Mémorial pour l’Holocauste la même année, garantissant un rappel et une commémoration publiques à long terme des crimes nationaux-socialistes21.

La question de la contextualisation et de la représentation des souffrances allemandes se pose également pour l’exode et les expulsions qui ont fait l’objet de deux expositions récentes à Berlin. De mai à août 2006, le Deutsches Historisches Museum a montré l’exposition itinérante « Flucht, Vertreibung, Integration » [« Exode, expulsion, intégration »] conçue par le Haus der Geschichte de Bonn. D’août à octobre 2006, la première exposition de la fondation du « Centre contre les expulsions » lié au Bund der Vertriebenen, « Erzwungene Wege » [« Chemins forcés »], fut présentée au Kronprinzenpalais. La première exposition mettait l’accent sur l’intégration des réfugiés en Allemagne, mais commençait par la guerre des Balkans de 1912/1913 pour se terminer sur des camps de réfugiés albanais et africains. La seconde représentait neuf expulsions de masse au XXe siècle, des Arméniens aux Bosniaques. La question de l’internationalisation et de la contextualisation se pose donc pour les deux expositions22. L’histoire particulière des expulsions des Allemands, liée aux agressions d’autres peuples, à la guerre totale et aux crimes d’extermination nationaux-socialistes, apparaît comme une fatalité propre à toutes les guerres. Autre détail : en arrivant à la première exposition, le visiteur peut tirer un ticket et ainsi suivre, à trois étapes, le parcours particulier d’un expulsé. Volonté pédagogique d’une « histoire vivante », certes, mais qui prend pour modèle le dispositif fondateur du Musée de l’Holocauste à Washington. La question des modalités de la mémoire, de sa représentation et de sa transmission est donc essentielle.

Si cette conjoncture d’événements politiques, commémoratifs et culturels spécifiquement allemands représente un cadre dans lequel s’inscrivent ou auquel réagissent les œuvres littéraires contemporaines, il ne faut pas non plus négliger l’impact plus général de ce « nouvel âge de la mémoire » que nous vivons depuis les années 1990 où « le passé vient nous visiter en permanence, à l’échelle mondiale »23. Certains voient dans l’actuelle fascination pour les questions du passé et de la mémoire aussi le symptôme du changement rapide des représentations de la temporalité, de l’espace et de l’identité dans un monde médiatisé et globalisé24. Ainsi, la prédilection actuelle pour les textes autobiographiques ou pour les romans générationnels exprime certainement le besoin d’un ancrage historique à une époque marquée par l’instabilité temporelle, par l’éphémère et la dispersion25.

Les articles de ce dossier se proposent d’analyser des œuvres significatives des questions mémorielles, parues ces dernières années, et de chercher quelles modalités de retour sur le passé elles empruntent. Si de nombreux critiques se focalisent sur le « roman familial » en parlant des productions littéraires récentes ayant trait au passé national-socialiste, nous verrons que celles-ci ont en réalité de multiples facettes. Pour en donner un aperçu, nous présenterons ici, en dehors des articles, également certaines œuvres qui n’ont pas pu être traitées dans ce dossier. Les deux premières contributions se focalisent sur des œuvres parues encore dans les années 1990. En s’interrogeant sur les fonctions de la technique de la « narration non fiable » (« unreliable narration ») dans l’œuvre de Maxim Biller, Marcel Beyer et Martin Walser, Barbara Beßlich insiste sur la capacité des textes à insécuriser le lecteur dans ses jugements sur le passé et à représenter de nouvelles formes du souvenir qui correspondent aux changements de la culture mémorielle en Allemagne après 1989. Marcel Tambarin revisite le roman Ein springender Brunnen (1998) de Martin Walser pour comprendre la critique qui lui a été adressée et le débat déjà évoqué qui s’en est suivi. Avec son analyse de Die Vertreibung aus der Hölle (2001) de Robert Menasse, Verena Holler se consacre ensuite à un auteur autrichien d’origine juive qui a écrit un « roman familial » avant l’actuel « boom », roman qui tente de saisir la grande histoire à travers une généalogie familiale longue de quatre siècles, où la Shoah se fait l’écho des persécutions des juifs à l’époque de l’Inquisition. Avec l’article de Corinne Bouillot sur Im Krebsgang de Günter Grass nous entrons dans l’actualité récente du nouveau rapport à l’histoire et à la mémoire observé depuis les années 1990. En analysant aussi bien la nouvelle de Grass que les différentes positions adoptées lors du débat déclenché par elle, l’auteure s’interroge sur le « tabou » brisé par Grass en thématisant l’exode et les expulsions et sur son rôle de « déclencheur et de révélateur » d’un changement de paradigme de la culture mémorielle en Allemagne, avec une forte tendance à l’autovictimisation observable ces dernières années. Que le débat déclenché par le livre de Grass ait été davantage politique et mémoriel que littéraire, cela se confirme lorsqu’on observe les productions littéraires parues depuis. Quant aux thématiques qui apparaissent, les deux grands sujets de la victimisation, l’exode et les expulsions ainsi que la guerre aérienne, sont relativement peu traités. Pour le premier, il faut mentionner en amont de Günter Grass le récit Der Verlorene (1998) de Hans-Ulrich Treichel où l’auteur décrit la recherche, de la part d’une famille allemande dans les années 1950, d’un enfant disparu lors de l’exode. Le comique et le grotesque du récit mettent à nu les survivances de l’idéologie nationale-socialiste, et la perspective narrative du jeune frère « en concurrence » avec l’enfant disparu écarte toute compassion. Die Unvollendeten (2003) de Reinhard Jirgl parle des expulsions de la population allemande des Sudètes à travers le sort de trois générations de femmes d’une même famille. Le sociologue Harald Welzer a remis en question la légitimité de l’auteur de tenter la transmission intergénérationnelle d’une expérience traumatique et sa représentation littéraire ; il parle de « stylisation » et y voit un risque de récupération politique26. Or, c’est justement le style très complexe et original de Jirgl qui rend possible l’expression des souffrances encourues par les personnages sans tomber dans le moindre pathos et en mettant le lecteur à distance. Quant à la thématique de la guerre aérienne, on a pu remarquer des œuvres aussi différentes que Knietief im Paradies (2003) de Helga Schütz, où l’expérience des bombardements de Dresde est transmise par le regard à la fois naïf et distancié d’une adolescente (faisant penser au protagoniste d’Être sans destin de Kertész), et Vom Feuer (2006) de Gerlind Reinshagen. Dans ce roman, le pathos cherche l’adhésion non distanciée du lecteur et le recours à des topoï comme l’indicible et l’incommensurable rappelle certaines réflexions sur la représentation de l’Holocauste. Ce qui pose de nouveau la question des formes de représentation de la souffrance allemande.

Une très grande partie de la littérature actuelle est consacrée à des investigations sur un membre de la famille susceptible d’avoir été impliqué dans les crimes nationaux-socialistes ; en cela les auteurs ont plutôt été influencés par l’exposition sur les crimes de la Wehrmacht que par le débat plus récent sur les victimes allemandes. Les auteurs poursuivant parallèlement un processus d’autoréflexion autobiographique, leurs textes incluent en général des informations historiques ou d’histoire culturelle que, chez certains, des photographies viennent compléter. C’est ici que l’influence de l’œuvre complexe de W.G. Sebald, caractérisée par l’assemblage d’éléments autobiographiques et fictionnels, de réflexions et de documents et d’images, se fait le plus sentir. Selon Assmann, le « roman familial » actuel est un « genre hybride qui contourne les frontières nettes entre fiction et documentation »27. C’est le cas de Thomas Medicus qui, dans notre entretien, revient sur son approche du destin de son grand-père, un général de la Wehrmacht tué en 1944 dans une embuscade de partisans. Ce qui est mis en avant, ce sont de nouvelles modalités du rapport au passé dues à un changement de génération. La confrontation à la génération des parents, propre à la « littérature des pères » des années 1970/1980, est remplacée par « un haut degré de distance et de réflexion, mais aussi par la disposition à l’empathie et à l’approche affective des ancêtres »28. Si Medicus se définit dans le rapport généalogique comme un auteur de la troisième génération, d’autres – et ici on trouve principalement des femmes – se consacrent au passé de leurs pères. Dans son article inspiré des « gender studies », Marina Allal se demande à partir des textes de Dagmar Leupold et d’Ute Scheub si la perspective adoptée par des auteures induit un nouveau regard sur le passé. Margot Taureck se consacre à Meines Vaters Land (2004) de Wibke Bruhns qui présente l’histoire de sa famille à partir des investigations menées sur son père Hans-Georg Klamroth, impliqué dans l’attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler. Un grand nombre des textes mentionnés montrent dans leur forme même que les auteurs ne peuvent puiser dans leur mémoire personnelle et qu’ils recourent à l’archive familiale, aux journaux intimes, lettres ou photos retrouvés – le motif du grenier où l’on peut faire des trouvailles revient d’ailleurs dans nombre de textes. Cette médialité29 est d’autant plus importante que la distance avec le passé est grande. Ceci vaut notamment pour la jeune génération qui s’intéresse également depuis quelques années au passé de leurs familles et qu’on appelle souvent la « génération des petits-enfants ». Leur rapport au passé peut se définir comme appartenant à la « post-mémoire », d’après le concept de Marianne Hirsch, qui signifie que l’absence d’expériences propres induit un rapport imaginatif et créatif à l’objet traité30. Comme le montre Nicole Colin, la part du « vécu » de ces textes diminue au profit de la fictionnalité, et le rapport à leur propre présent est souvent aussi important pour les auteurs que le rapport au passé. Dans son analyse du recueil Porzellan (2005) de Durs Grünbein, Cécile Millot montre que le véritable sujet du recueil n’est pas la destruction de Dresde, mais les difficultés de l’auteur à transmettre des expériences non vécues et de s’inscrire ainsi dans une histoire familiale31. Elle insiste également sur la nécessaire construction du souvenir par l’imagination. Dans un dossier sur la littérature contemporaine et la présence du passé national-socialiste, il était également important de regarder du côté de la littérature des auteurs juifs allemands. Dans cette perspective, Christian Mariotte interroge desœuvres de Viola Roggenkamp, de Rafael Seligmann et de Maxim Biller pour constater que ces auteurs ne suivent pas les « modes » de la littérature allemande – les conséquences du passé étant une constante dans leurœuvre – et qu’ils travaillent à l’instauration d’une « mémoire marginale », rendant visible les écarts qui les séparent de la culture dominante.

Ce qu’il est intéressant de voir, c’est qu’un auteur de la jeune génération, allemand non juif, a récemment écrit un très court roman dans la perspective des victimes de l’Holocauste. Dans Nahe Jedenew, Kevin Vennemann, né en 1977, décrit un pogrome avec le point de vue de deux sœurs jumelles qui observent la destruction de leur univers familial à partir d’une cachette. Le récit très dense, télescopant passé et présent, permet, grâce à un manque d’indications temporelles précises, de lire ce texte également dans une perspective contemporaine réfléchissant toute sorte d’exclusion[xxxii]. Avec ce roman de 150 pages, Vennemann se trouve, et par son sujet, et par son style, aux antipodes de l’actualité littéraire française attirée également par le Troisième Reich – Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Un dossier consacré à l’actualité dans le domaine littéraire n’est pas à l’abri des fluctuations de cette dernière. Ainsi, il nous a paru important de ne pas ignorer les débats provoqués par les révélations récentes de Günter Grass sur son enrôlement dans la Waffen-SS. Cet épisode de sa vie analysé par Jérôme Vaillant est décrit dans l’autobiographie de Grass Beim Häuten der Zwiebel parue en septembre dernier.

* Maître de conférences à l’École Polytechnique.


1 Il ne s’agit toutefois pas dans tous les cas de romans, de fictions, qui mettent au centre les liens entre plusieurs générations en interprétant le microcosme familial comme un exemple particulier de la grande histoire, qui sont racontés de façon chronologique ou réclament une totalité des événements et des personnages. Cf. Ursula März, « Erforschen oder Nacherzählen. Stefan Wackwitz und Simon Werle zeigen, wie verschieden Familienromane heute sein können », in Die Zeit du 30 avril 2003.

2 Aleida Assmann, Generationsidentitäten und Vorurteilsstrukturen in der neuen deutschen Erinnerungsliteratur, Wiener Vorlesungen, Vienne, Picus, 2006, p. 25.

3 Christa Wolf, Trame d’enfance, Traduit de l’allemand par Ghislain Riccardi, Paris, Gallimard, 1987, p. 18. Traduction légèrement modifiée.

4 Peter Reichel parle d’une « indifférenciation des différentes phases historiques ». Cité dans Friederike Eigler, Gedächtnis und Geschichte in Generationenromanen seit der Wende, Berlin, Erich Schmidt Verlag, 2005, p. 18.

5 Clemens Kammler, « Deutschsprachige Literatur seit 1989/90 », in Clemens Kammler/Torsten Pflugmacher (éds.), Deutschsprachige Gegenwartsliteratur seit 1989. Zwischenbilanzen – Analysen – Vermittlungsperspektiven, Heidelberg, Synchron, 2004, p. 14.

6 Cf. Harald Welzer, « Schön unscharf. Über die Konjunktur der Familien- und Generationenromane », in Mittelweg 36, 1/2004, pp. 53-64, ici : p. 55.

7 Clemens Kammler, « Deutschsprachige Literatur seit 1989/90 », op. cit., p. 28.

8 « Vernichtungskrieg – Verbrechen der Wehrmacht 1941-1944 » (mars 1995 à octobre 1998) et « Verbrechen der Wehrmacht. Dimensionen des Vernichtungskrieges 1941-1944 » (novembre 2001 à mars 2004). Suite à des critiques de fond, la première exposition fut retirée et entièrement remaniée. Plus d’un million de visiteurs ont vu les deux expositions. Cf. http://www.verbrechen-der-wehrmacht.de.

9 Daniel J. Goldhagen, Les bourreaux volontaires de Hitler. Les Allemands ordinaires et l’Holocauste, Paris, Seuil, 1997.

10 Cf. Thomas Medicus, « Im Archiv der Gefühle. Tätertöchter, der aktuelle 'Familienroman’ und die deutsche Vergangenheit », in Mittelweg 36, 3/2006, pp. 2-15 (ici p. 10) et Harald Welzer, « Schön unscharf… », op. cit., p. 54.

11 Les réactions des visiteurs, souvent offensés et réagissant avec un grand emportement émotionnel (notamment la deuxième génération) ont été filmées par la cinéaste lors du passage de l’exposition à Vienne en 1996. Cf. Ruth Beckermann, Jenseits des Krieges, 1997, Autriche, documentaire, 1h47. L’exposition a provoqué une grande manifestation du NPD en 1997 à Munich et elle a fait l’objet d’un attentat à Sarrebruck en 1998.

12 Cf. Harald Welzer, Sabine Moller, Karolin Tschuggnall, « Opa war kein Nazi ». Nationalsozialismus und Holocaust im Familiengedächtnis, Francfort/Main, Fischer Taschenbuchverlag, 2002, pp. 10, 12sq.

13 Cf. « Entretien avec Régine Robin », in Philippe Mesnard, Consciences de la Shoah. Critique des discours et des représentations, Paris, Kimé, 2001, p. 57.

14 L’œuvre de Sebald a été qualifiée de « travail de deuil réussi » sur la destruction des juifs d’Europe (Peter M. McIsaac, « Autorschaft und Autorität bei W.G. Sebald », in C. Kammler/Th. Pflugmacher, Deutschsprachige Gegenwartsliteratur…, op. cit., p. 147). Voir également le hors série n°2/2005 de la revue Recherches germaniques sur « W. G. Sebald. Mémoire. Transferts. Images » sous la direction de Ruth Vogel-Klein.

15 W.G. Sebald, Luftkrieg und Literatur (1999), Francfort/Main, Fischer, 2001 et De la destruction comme élément de l’histoire naturelle, traduit de l’allemand par P. Charbonneau, Arles, Actes Sud, 2004, p. 10. Par la suite, les indications de pages de la traduction française se trouvent dans le texte ; traduction légèrement modifiée.

16 Sur le livre et le débat, voir Ruth Vogel-Klein, « Guerre aérienne, littérature et mémoire », in Allemagne d’aujourd’hui, n°167/2004, pp. 141-151.

17 Peter Schneider, « Deutsche als Opfer ? Über ein Tabu der Nachkriegsgeneration », in Lothar Kettenacker, Ein Volk von Opfern. Die neue Debatte um den Bombenkrieg 1940-1945, Berlin, Rowohlt, 2003, p. 160.

18 Jörg Friedrich, L’Incendie – L’Allemagne sous les bombes 1940-1945, Paris, Editions de Fallois, 2004.

19 Voir entre autres Hans-Ulrich Wehler, « Wer Wind sät, wird Sturm ernten », in Lothar Kettenacker (éd.), Ein Volk von Opfern ?, op. cit., pp. 140-144.

20 Cf. Rekonstruktionen. Die Todesnacht von Dresden, un film de Carl-Ludwig Paeschke et Dieter Zimmer, ZDF, 1985, documentaire, 45’.

21 Cf. Peter Reichel, Vergangenheitsbewältigung in Deutschland (2001), Bonn, Bundeszentrale für politische Bildung, 2003, p. 207.

22 Cette approche universalisante des victimes n’est toutefois pas propre à l’Allemagne, même si elle est plus problématique dans ce pays dans la mesure où elle peut conduire à une décontextualisation et à une déhistoricisation des faits. On vit à l’époque de la mondialisation des mémoires et de la « concurrence des victimes » où l’Holocauste est devenu une métaphore plurivalente. Cf. Norbert Frei, « 1945 und wir », in id., 1945 und wir. Das Dritte Reich im Bewusstsein der Deutschen, C.H. Beck, 2005, p. 15, 22.

23 Cf. Régine Robin, La mémoire saturée, Paris, Stock, 2003, p. 16 sq.

24 Tel Andreas Huyssen cité par F. Eigler, Gedächtnis und Geschichte…, op. cit., p. 11.

25 Ibid., p. 12.

26 Cf. Harald Welzer, « Schön unscharf... », art. cit., p. 58. Parfois Welzer tente trop d’appliquer les résultats de son étude (voir supra) à la littérature qu’il analyse avec son regard de sociologue, alors que lesœuvres qu’il critique sont souvent beaucoup plus complexes et nuancées.

27 Aleida Assmann, Generationsidentitäten..., op. cit., p. 27.

28 Telle est une des descriptions que Eigler donne des romans générationnels et familiaux qu’elle analyse. Cf. Friederike Eigler, Gedächtnis und Geschichte…, op. cit., p. 25.

29 Ibid., p. 26.

30 Marianne Hirsch, Family Frames. Photography, Narrative and Postmemory, Cambridge, Harvard University Press, 1997, p. 22.

31 Cette impossibilité et ce refus de s’intégrer dans une histoire familiale et généalogique est le sujet du roman d’Arno Geiger Es geht uns gut (2005) qui s’inscrit dans la tradition des « romans d’extinction » autrichiens. Cf. Bernhard Jahn, « Familienkonstruktionen 2005. Zum Problem des Zusammenhangs der Generationen im aktuellen Familienroman », in Zeitschrift für Germanistik, 3/2006, p. 591.

32 Cf. « Kevin Vennemann : Sick of standing my hands in my pockets », Entretien avec Katrin Zimmermann, in Bella Triste. Zeitschrift für junge Literatur, 15/2006, pp. 70-73.


Perspectives sur le national-socialisme chez Maxim Biller, Marcel Beyer et Martin Walser

La narration non fiable au service de la mémoire

Perspectives sur le national-socialisme chez Maxim Biller, Marcel Beyer et Martin Walser

Depuis 1989, la littérature allemande témoigne d'un nouveau rapport au passé national-socialiste et à la culture mémorielle allemande. La position de supériorité morale vis-à-vis des parents et d’identification avec les victimes a été de plus en plus remise en question. Innovateurs au niveau des techniques narratives, les textes recourent souvent à la « narration non fiable ».

L’article analyse l’impact de cette technique narrative dans les œuvres de trois auteurs de trois générations différents : Martin Walser, Maxim Biller et Marcel Beyer. On s’aperçoit que cette technique permet d’interroger la crédibilité des témoins, de problématiser le caractère construit de la mémoire et la possibilité de la falsifier. Par ailleurs, elle sert de stratégie de déstabilisation du lecteur par rapport à ses propres jugements et certitudes morales concernant le passé.

Unzuverlässiges Erzählen im Dienst der Erinnerung

Perspektiven auf den Nationalsozialismus bei Maxim Biller, Marcel Beyer und Martin Walser

Die deutsche Literatur nach 1989 zeichnet sich durch ein neues Verhältnis zur nationalsozialistischen Vergangenheit und zur deutschen Erinnerungskultur aus. Die Position der moralischen Überlegenheit gegenüber der Elterngeneration und der Identifizierung mit den Opfern wurde immer mehr in Frage gestellt. In den erzähltechnisch oft innovati­ven Texten spielt dabei das „unzuverlässige Erzählen" eine wichtige Rolle.

Der Artikel analysiert die Bedeutung dieser Erzähltechnik in den Werken dreier Autoren aus drei verschiedenen Generationen: Martin Walser, Maxim Biller und Marcel Beyer. Diese Technik erlaubt es, die Glaubwürdigkeit der Zeitzeugen zu hinterfragen und die Konstruktivität von Erinnerung und die Möglichkeit von Erinnerungsverfälschung zu problematisieren. Des Weiteren dient sie als Strategie zur Irritation des Lesers in Bezug auf seine eigene Urteilssicherheit und seine moralischen Gewissheiten über die Vergangenheit.


Une source vive de Martin Walser

Résumé

Lorsqu'en 1998 Martin Walser a publié son roman "Une source vive" (titre orig. "Ein springender Brunnen"), qui relate la vie de son alter ego Johann entre 1932 et 1945, il s'est trouvé un critique pour lui reprocher de ne pas même y avoir mentionné Auschwitz et l'accuser ainsi d'avoir édulcoré un passé que Walser prétendait quant à lui relater dans la perspective de son protagoniste, c'est-à-dire sans passer par le filtre d'un savoir a posteriori.

La mémoire de ce roman, qui ignore des événements parmi les plus dramatiques de la période en question, entre en quelque sorte en collision avec la mémoire officielle du passé nazi de l'Allemagne et ne répond nullement aux attentes qu'a su, à l'opposé, si bien satisfaire l'imposteur Bruno Doessekker, en faisant paraître sous le nom de Binjamin Wilkomirski de prétendus souvenirs d'enfance dans les camps, salués quant à eux par la critique.

L'accueil réservé à ce roman de Walser pose la question de la coexistence d'une mémoire officielle et d'une mémoire divergente nourrie de souvenirs personnels, qui peuvent aller jusqu'à s'exclure mutuellement quand elles se trouvent en contradiction, mais dont on peut penser aussi qu'elles participent chacune à une élaboration dialectique de la mémoire collective. En même temps, le débat suscité par ce roman soulève le problème du contrôle de la mémoire de la génération des témoins, voire de la dépossession du souvenir par le discours ritualisé, comme l'a formulé Imre Kertesz.

Zusammenfassung

Als Martin Walser 1998 seinen Roman "Ein springender Brunnen" veröffentlichte, in dem er das Leben seines Alter ego Johann zwischen 1932 und 1945 erzählt, wurde ihm von einem Kritiker vorgeworfen, dass in diesem Roman Auschwitz nicht einmal erwähnt wird und somit eine Vergangenheit verharmlost wird, die Walser seinerseits nur aus der Perspektive seiner Hauptfigur zu erzählen vorgab, das heißt ohne sie durch nachträglich erworbenes Wissen zu filtern.

Die Erinnerung in diesem Roman, der zum Teil dramatischste Ereignisse aus dieser Zeit auslässt, stößt sozusagen frontal mit der offiziellen Erinnerung an die nationalsozialistische Vergangenheit zusammen und entspricht keineswegs den Erwartungen, denen im Gegenteil der literarische Hochstapler Bruno Doessekker so treffend entgegenkam, als er unter dem Namen Binjamin Wilkomirski angebliche Kindheitserinnerungen aus dem KZ veröffentlichte, die ihrerseits allerdings von der Kritik begrüßt wurden.

Die Art und Weise, wie Walsers Roman aufgenommen wurde, stellt die Frage der Koexistenz eines offiziellen Gedächtnisses und einer aus persönlichen Erlebnissen gespeisten Erinnerung, die sich bisweilen sogar ausschließen, wenn sie im Widerspruch miteinander stehen, die aber auch zu einer dialektischen Erarbeitung des Kollektivgedächtnisses beitragen können. Gleichzeitig wirft die durch den Roman ausgelöste Debatte das Problem der Kontrolle über die Erinnerung der Augenzeugengeneration auf, wenn nicht gar der Enteignung der Erinnerung durch den ritualisierten Vergangenheitsdiskurs, wie es Imre Kertesz formuliert hat.

Abstract

When in 1998 Martin Walser published his novel " The Springing Fountain " (original title : " Ein springender Brunnen ") which recounts the life of his alter ego, Johann, between 1932 and 1945, one critic reproached him for not even mentioning Auschwitz, and thus accused him of watering down past events that Walser was pertaining to relate through the eyes of his protagonist and therefore whithout any hindsight knowledge.

Memory presented in this novel which ignores some of the most dramatic events of the period in question can be said to clash with the official memory of Germany's Nazi past and does not meet the expectations that the imposter Bruno Doesseker manages to satisfy so well by evoking, und the name of Binjamin Wilkomirski, various supposed childhood memories in camps that have been so well received by critics.

The reception of this novel by Walser questions the coexistence of an official memory and a divergent memory fed by personal recollections which can mutually exclud one another when in contradiction with each other, but which we can suppose contribute to a dialectic elaboration of the collective memory. At the same time, the debate presented by this novel brings to the fore the problem of controlling the memory of the witness generation, and indeed the dispossession of memory by riutalised discourse,as formulated by Imre Kertesz.


Chassés de l’enfer de Robert Menasse

Die Vertreibung aus der Hölle de Robert Menasse vise à saisir l'Histoire à travers une généalogie familiale. En entrelaçant trois dimensions temporelles ce travail littéraire de mémoire commence par la fin des Lumières contemporaine et remonte jusqu’à leur début afin d’explorer ce que sont l’Histoire, la mémoire et l’oubli. C’est la Shoah qui forme le noyau implicite de ce croisement de mémoire familiale et de mémoire collective et qui constitue en quelque sorte le lien traumatique entre le XVIIe et le XXe siècle. La réminiscence constante de ce qui reste indicible est due à une construction spéculaire à plusieurs égards ainsi qu’au fait que ce roman s’avère être une véritable mise en scène des mécanismes de la mémoire. C’est un récit contemporain qui se met à la recherche des contradictions indissolubles de notre notion de l’histoire, de la mémoire et de l’identité avec des moyens profondément littéraires.

Als eine etwas andere Spielform der in den letzten Jahren in Mode gekommenen Erinnerungsliteratur zielt auch Die Vertreibung aus der Hölle über das Erzählen einer Familiengeschichte auf die Geschichte schlechthin ab. In drei ineinander verwobenen Erzählsträngen spannt Robert Menassse in seinem jüngsten Roman den Bogen vom zeitgenössischen Ende der Aufklärung zurück zu deren Beginn, um Begriffe wie Geschichte, Gedächtnis, Vergessen und Identität auszuloten bzw. die ihnen immanenten Widersprüche aufzuspüren. Den thematischen Subtext dieser Verschränkung von familiärem und kollektivem Gedächtnis, den traumatischen Konnex zwischen dem 17. und dem 20. Jahrhundert bildet der Holocaust: Die immer wiederkehrenden Reminiszenzen an das, was ungenannt bleibt, ergeben sich zum einen aus einer komplexen spiegelbildlichen Struktur sowie zum anderen aus der Entsprechung von Inhalt und Form, kommt der Text doch einer Inszenierung der Funktionsweise des Gedächtnisses selbst gleich.


En crabe de Günter Grass et le débat médiatique autour des expulsions

En crabe de Günter Grass et le débat médiatique autour des expulsions

La parution, en février 2002, de la nouvelle de Günter Grass En crabe, centrée sur le drame des réfugiés du Gustloff, suscita un grand débat médiatique qui tourna en particulier autour du tabou qu'aurait brisé l’écrivain en thématisant les souffrances des expulsés allemands. Outre une analyse du contenu de la nouvelle, des visées et procédés de Grass ainsi que des critiques qui se sont exprimées dans la presse, cet article est consacré au changement de paradigme de la culture mémorielle de l’Allemagne unifiée tel qu’il a été cristallisé par Grass et est apparu dans d’autres controverses comme celle portant sur la création d’un « centre contre les expulsions ».

Im Krebsgang von Günter Grass und die Mediendebatte um die Vertreibung

Die Veröffentlichung der „Flüchtlingsnovelle" Im Krebsgang von Günter Grass im Februar 2002 löste eine heftige Mediendebatte aus, in welcher vor allem die Frage aufgeworfen wurde, ob der Schriftsteller mit der Thematisierung der Leiden der deutschen Vertriebenen ein Tabu gebrochen habe. Neben der Analyse des Inhalts der Novelle, der Grassschen Anliegen und Verfahren, sowie der verschiedenen Pressestimmen, geht es in diesem Beitrag um den Paradigmenwechsel der Erinnerungskultur im vereinigten Deutschland, wie er von Grass kristallisiert wurde und in anderen Kontroversen wie derjenigen um ein „Zentrum gegen Vertreibungen“ zum Vorschein kam.


Regards genrés sur le crime des « pères »

Le crime des « pères » ? Regards genrés sur le passé national-socialiste dans le roman allemand contemporain.

Résumé

Ces dernières années, on assiste à une recrudescence de récits autobiographiques notamment écrits par des femmes et ayant pour objet l'Allemagne sous le nazisme, appréhendé par le biais de l’histoire familiale. La narration rend compte d’une quête d’identité à travers la confrontation avec une figure paternelle souvent haïe et débouche sur un constat d’échec face à une personnalité et un passé insaisissable mais qui n’en finit pas de hanter le présent. La perspective genrée, qui semble impliquer une exclusivité masculine des acteurs du nazisme, ne conduit néanmoins pas leurs auteures à se dédouaner d’un sentiment de culpabilité collectif, tant l’identité nationale et familiale semble au final prôner sur l’identité sexuelle. En déplaçant les responsabilités de la guerre à l’après-guerre, les récits font le procès de la génération des pères en condamnant un mutisme qui aurait contribué à transmettre leur culpabilité et leurs traumatismes aux générations futures.

Abstrakt

Seit einigen Jahren nimmt die Anzahl der Publikation von autobiographischen Berichten zu, welche sich mit Deutschland im dritten Reich unter dem Blickwinkel der Familiengeschichte beschäftigen und von Frauen geschrieben wurden. Die Erzählweise zeichnet eine Identitätssuche nach, die sich in der Konfrontation mit einer oft verhassten Vaterfigur äussert und angesichts einer unnahbaren und unfassbaren Persönlichkeit und Vergangenheit in einem Gefühl des Scheiterns mündet. Unter der Geschlechterperspektive wird klar, dass sich die Autorinnen nicht von einem Gefühl der kollektiven Schuld befreien können, obwohl ihre Werke oft eine ausschliessliche Männlichkeit der Akteure des NS zu implizieren scheinen. Am Ende wird die nationale und familiäre Identität über die geschlechtliche Identität gestellt, wobei die Problematik der Kriegszeit in die Nachkriegszeit verlagert wird.

Marina Allal: The crimes of the 'fathers'? The role of gender in the national-socialist past described in German contemporary novels.

Abstract

In recent years many women have fictionalised autobiographical accounts of Nazi Germany in relation to the institution of the family. Increasingly, the narrative focuses on a search for identity which is made explicit by a confrontation with a frequently detested father figure. The father symbolises a distant and intangible personality with an inaccessible personal and national history surrounded by a sense of failure. From a gender-related angle, the female authors seem to be unable to liberate themselves from a collective feeling of guilt. Their work appears to privilege an exclusive masculinity of the Nazi-actors. Consequently, the national and family identity is portrayed as being more significant and influential than the gender identity. The sense of guilt and trauma is thus unacknowledged and is transferred onto future generations.


Meines Vaters Land de Wibke Bruhns

Zusammenfassung

Das Buch von Wibke Bruhns ist der Versuch einer Annäherung an ihre engsten Verwandten und eine persönliche Spurensuche. Diese packende Familienchronik verbindet Zeitgeschichte mit individuellem Erleben und beabsichtigt zugleich, die gesellschaftlichen Rahmenbedingungen der Ereignisse zu ergründen. Reiches Quellenmaterial, ein abwechslungsreicher Stil und vorurteilsfreie Kommentare machen die Lektüre zu einer lebendigen, ergreifenden Geschichtsstunde.

Résumé

Le livre de Wibke Bruhns constitue une tentative de rapprochement avec les parents et une recherché d'identité très personnelle. Cette captivante chronique familiale relie l’histoire contemporaine et un témoignage individuel. Elle vise en même temps l’approfondissement des conditions sociales des évènements. Une documentation très riche, un style varié et des commentaires exempts de préjugés transforment la lecture du livre en un cours d’histoire à la fois vivant et émouvant.

Abstract

Wibke Bruhns’ book is both an attempt to come closer to her parents and a very personal search for her own identity. This captivating family chronicle links contemporary history and an individual witness account. At the same time it aims at a deeper study of the social conditions of the events. Very rich source materials, a varied style and prejudice-free comments make reading the book into a history lesson which is both lively and moving.


Le rapport des petits-enfants au passé chez T. Dückers, M. Wildenhain, D. Leupold et I. Dische

Zusammenfassung

Das literarische Feld der deutschen Vergangenheitsbewältigung, das lange den Zeitzeugen vorbehalten war, wird immer mehr auch von jüngeren Autoren entdeckt. Auffällig ist, dass die so genannte Enkelgeneration sich dem historischen Phänomen häufig über den Umweg der Familie nähert. Ausgehend von diesem Aspekt, der auch in der Soziologie immer mehr auf Interesse stößt, will der Artikel einige Beispiele eines literarischen Umgangs mit „Familiengeheimnissen" analysieren.

Résumé

Le champ littéraire de la « maîtrise du passé » allemand, longtemps réservé aux témoins de l'époque, fait de plus en plus l’objet d’une découverte par des jeunes auteurs. Il est à noter que l’approche de ce phénomène historique par la « génération des petits-enfants » se fait souvent par le détour de la famille. Partant de cet aspect qui intéresse par ailleurs de plus en plus les sociologues, l’article se propose d’analyser quelques exemples du traitement littéraire des « secrets de famille ».


Les difficultés du devoir de mémoire dans Porcelaine de D. Grünbein

Porcelaine de Durs Grünbein –
Un enfant de l'après-guerre face à la destruction de Dresde
ou les difficultés du devoir de mémoire.

Le volume de poésies Porcelaine – Poème sur la destruction de ma ville paraît à l’occasion du soixantième anniversaire des bombardements de Dresde. Dans le contexte d’une littérature qui revient sur le vécu de la deuxième guerre mondiale, ce recueil occupe une place particulière. La « naissance tardive » de l’auteur lui permet d’échapper sans équivoque au risque d’une empathie irréfléchie avec les victimes. Mais on s’aperçoit vite que, plus que la destruction de Dresde et les souvenirs de ceux qui l’ont vécue, le véritable sujet pour Grünbein est tout autant l’impossibilité de transmettre les éléments d’une histoire familiale concrète et d’exprimer un sentiment de deuil (l’un et l’autre se perdent dans les stéréotypes), que l’impossibilité de satisfaire au « devoir de mémoire », si souvent invoqué actuellement : mémoire et imagination, passé et présent se relaient dans la confusion – jusqu’à ce que le poète, sous la figure de l’archéologue, refasse du passé un objet historique.

Porzellan von Durs Grünbein –
Ein Nachgeborener über die Luftangriffe auf Dresden
oder von den Schwierigkeiten der „Erinnerungspflicht".

Der Lyrikband Porzellan – Poem vom Untergang meiner Stadt erscheint anlässlich des sechzigsten Jahrestags der Luftangriffe auf Dresden. Im Kontext einer Literatur, die sich wieder auf den zweiten Weltkrieg besinnt, spielt dieses Buch eine besondere Rolle. Die „späte Geburt“ des Autors ermöglicht es ihm, dem Risiko eines unüberlegten Mitgefühls mit den Opfern zu entgehen. Bald aber stellt sich heraus, dass für Grünbein das eigentliche Thema nicht die Zerstörung Dresdens und die Erinnerungen der Beteiligten ist, sondern sowohl die Unmöglichkeit, Elemente einer konkreten Familiengeschichte zu vermitteln und der Trauer Ausdruck zu verleihen (beide gehen unter den Stereotypen verloren), als auch die Unmöglichkeit, der heute so oft erwähnten „Erinnerungspflicht“ zu genügen. Erinnerung und Phantasie, Vergangenheit und Gegenwart wechseln sich in der größten Verworrenheit ab – bis der Dichter in Gestalt des Archäologen aus der Vergangenheit wieder einen historischen Gegenstand macht.


L’aveu tardif de Günter Grass

Limites et portée de l'aveu tardif de Günter Grass

Que s’est-il passé au juste ? En plein été 2006, en cette période étale de l’année où rien ne défraie la chronique, G. Grass accorde à la FAZ1 un entretien en avant-première pour présenter son livre autobiographique dont la sortie est prévue à l’automne. G. Grass a donné à son livre le titre à la fois sibyllin et révélateur : Beim Häuten der Zwiebel 2. Quand on épluche des oignons, on met à jour les strates successives d’une histoire et, si l’on n’y prend garde, on peut aussi en pleurer. Comme il l’écrit dans les premières pages, G. Grass veut « avoir le dernier mot » dans l’interprétation d’une biographie restée jusqu’alors incomplète : « Ici et là, il y a des additifs à faire », écrit-il pudiquement. Le livre aborde quelques aspects encore inconnus de sa vie, avec plus de distance et d’effets de retardement que ne l’a fait l’entretien accordé à la FAZ : G. Grass n’a pas été seulement un de ces jeunes nazis enthousiastes et serveur d’une batterie de défense antiaérienne à la fin de la guerre - ce que l’on savait déjà, ne serait-ce que parce qu’il a fait de cet épisode le sujet de Katz und Maus et a thématisé son enfance et son adolescence dans Die Blechtrommel -, il a devancé l’appel et s’est retrouvé enrôlé dans la division Jörg von Frundsberg des Waffen SS, en qualité de canonnier, à compter de septembre 1944. Après une période de drill, il a participé aux opérations de cette division dans les tout derniers mois de la guerre. C’est aux Américains qu’il s’est rendu. Sa fiche de prisonnier de guerre, reproduite dans l’édition du Spiegel du 21 août 2006, qui représente sans complaisance en couverture un Günter Grass en habit de marin, jouant du tambour sur un casque des Waffen SS, montre qu’en janvier 1946, il ne cherche nullement à masquer la vérité – il est vrai aussi qu’un mensonge pouvait alors avoir des conséquences pour les prisonniers de guerre détenus par les vainqueurs. G. Grass indique qu’il a appartenu à la division Frundsberg des Waffen SS, mais la fiche mentionne aussi que sa « profession dans le civil » est celle d’un élève (Schüler-pupil). Né le 16 octobre 1927, il a, le jour de l’armistice du 8 mai 1945, 17 ans.

Pour les uns, G. Grass a surtout réussi une magnifique opération publicitaire pour le lancement de son livre ; pour d’autres, son aveu tardif compromet définitivement sa crédibilité ; pour d’autres encore, il n’est qu’un imposteur qui n’aurait jamais dû prendre la pose de l’inquisiteur qu’il a été pour la société allemande d’après-guerre, surtout à l’époque des chanceliers chrétiens-démocrates, K. Adenauer et plus tard H. Kohl. A gauche, on est surpris, mais on prend plutôt sa défense : pour John Irving, G. Grass reste un « héros en tant qu’écrivain et repère moral » ; pour Ralph Giordano, un témoignage qui compte plus que d’autres vu la qualité de ses ouvrages sur la culpabilité allemande3, cet aveu « ne compromet en rien sa crédibilité morale. » C’est peut-être en France, où l’on a trop adulé G. Grass parce qu’il livrait de l’Allemagne l’image critique que l’on se plaisait à attendre de lui, que l’on a enregistré les critiques les plus venimeuses. Dans Le Point du 24 août, dans un commentaire sans doute trop hâtivement écrit, Bernard-Henri Lévy ne pardonne pas à Grass ne pas avoir dit plus tôt la vérité. Il a la réaction excessive d’un ami déçu, floué : l’écrivain allemand est désormais à ses yeux d’autant plus « un salaud » qu’il avait auparavant incarné la « conscience de l’Allemagne ». BHL a des mots très durs : « Le commandeur était Tartuffe, le professeur de morale était l’incarnation même de l’immoralité qu’il pourfendait. » Il en vient à dire qu’ « il y a quelque chose de pourri au royaume de la langue et de la mémoire allemandes » avant de conclure par une comparaison qui se voudrait plaisante et reste pourtant d’un goût douteux : « G. Grass, ce gros poisson des lettres, ce turbot congelé par soixante ans de pose et de mensonge, et qui, soudain, se décompose à la chaleur d’une vérité tardive. Ce type de dégel a un nom : c’est, à la lettre, une débâcle. » C’est vite dit, ce n’est guère réfléchi, à ce point qu’on se demande si ce n’est pas ce parangon de vertu que voudrait être BHL qui est le plus hypocrite. Peut-on aborder cet aveu tardif d’un simple point de vue moral et vertueux?

On est assurément en droit de s’étonner que G. Grass, si critique à l’égard de ceux qui n’ont pas su faire leur examen de conscience après la guerre et à l’égard de tout ce qui était suspect de conservatisme à ses yeux en Allemagne de l’Ouest, n’ait pas plus tôt fait cet aveu ou n’ait pas trouvé dans sa propre expérience de la vie la raison de mieux comprendre ce qui s’est passé en Allemagne de la guerre au miracle économique des années 50. On est en droit, après coup, d’attendre de lui plus d’humilité, moins d’arrogance face aux défaillances des autres. Mais que dit-il pour sa défense ? Il dit que, comme bien d’autres jeunes de son époque, il a aimé tout ce qu’il pouvait y avoir de romantique et d’aventureux dans la vie qu’offraient les Jeunesses hitlériennes (HJ) et le Reichsarbeitsdienst (RAD). Il reconnaît qu’il n’a pas su, qu’il a été incapable de voir et de reconnaître ce qui se passait autour de lui, qu’il a omis de poser les questions qu’il aurait fallu poser. Si ce n’était que cela, il n’y aurait rien de bien nouveau. Carola Stern4 (née en 1925) a aussi réclamé pour elle d’avoir été séduite par les feux de camp et d’avoir été, avec enthousiasme, chef de groupe au sein du Bund deutscher Mädel (BDM) avant d’être une des journalistes engagées les plus remarquées du Westdeutscher Rundfunk. Franz Fühmann5 (né en 1922) a été également de ces jeunes qui ont suivi le même parcours (HJ, RAD puis Wehrmacht). Même quand G. Grass ajoute qu’avec le recul du temps, il se reproche de n’avoir pas voulu savoir, il ne va pas plus loin que tous ces écrivains de l’après-guerre devenus hostiles au national-socialisme, au IIIe Reich et à Hitler en réaction à ce qu’ils ont entrevu puis, avec le temps, perçu et compris. Là n’est donc pas le vrai problème.

G. Grass évoque, avec beaucoup de distance, l’enfant et l’adolescent qu’il a été, comme s’il lui était devenu entre-temps étranger, mais il est aussi suffisamment écrivain pour chercher à faire comprendre, en le communiquant à son lecteur, l’enthousiasme du jeune hitlérien qu’il a été : il recourt alors au « nous » collectif ! Il expose ensuite, non sans détours qui témoignent de la difficulté – réelle ou feinte ? – qu’il a à passer à cet aveu, comment il en est venu à être enrôlé dans les Waffen SS. A quinze ans, il s’était seulement porté volontaire pour servir dans un sous-marin (d’où l’allusion au costume de marin dans la couverture du Spiegel), par enthousiasme juvénile pour les grands faits d’arme dont les actualités cinématographiques se faisaient l’écho, mais aussi pour échapper à l’étroitesse du milieu familial, et plus encore à la promiscuité d’un deux-pièces trop exigu pour une famille de quatre personnes. Il avait été renvoyé parce que trop jeune, son tour viendrait bien assez vite, lui avait-on dit au bureau de recrutement, la guerre réclamerait bien assez tôt son dû, la Wehrmacht ne l’oublierait pas, le moment venu ! Un engagement volontaire resté, dans un premier temps, sans suite. Puis, un beau jour de septembre 1944, peu avant ses 17 ans, l’ordre de mobilisation était arrivé, il s’était rendu à Berlin, de là il avait été envoyé en formation en Bohême et affecté à la division SS Frundsberg. Le jeune Grass ne se pose pas trop de questions et imagine que, dans son romantisme guerrier, il avait vu dans cette division portant le nom d’un des chefs de guerre de la Ligue Souabe pendant la Guerre des paysans une dimension de libération et une dimension européenne. Ensuite vinrent les champs de bataille, sans exploit et sans gloire, la défaite, l’effondrement, la reddition et la captivité. Grass ne fait pas seulement un aveu tardif, il se torture mentalement pour essayer de comprendre le gamin qu’il a été. C’est qu’il sait que l’association de son nom aux deux S runiques des Waffen SS le confronte non seulement à la représentation qu’il a de lui-même, mais à l’évaluation que la société et l’histoire font et feront de lui. C’est bien d’ailleurs pourquoi, à son retour de captivité, il a, comme tant d’autres, préféré occulter ce compromettant épisode de sa vie, se contentant de s’inscrire dans la génération des « Flakhelfer ». N’avons nous pas là un premier indice de la véritable portée de cet aveu tardif ?

G. Grass n’a pas eu, comme Joachim Fest6, la chance de grandir dans une famille bourgeoise qui a été, tout au long du IIIe Reich, un modèle de refus du nazisme, il est, par contre, représentatif de la génération des « Flakhelfer », de cette authentiquement jeune génération qui inquiétait, au lendemain de la guerre, les puissances d’occupation parce qu’elle avait été, pour l’essentiel, socialisée sous le IIIe Reich, mais dans laquelle celles-ci mettaient aussi leurs espoirs : ayant été témoins et acteurs de l’aventure meurtrière du IIIe Reich, leur expérience personnelle leur avait permis de corriger ce que leur formation (déformation) leur avait apporté. Le chef du Bureau de l’Education publique à Baden-Baden, Raymond Schmittlein, écrivait, à leur propos, en 1948, dans un rapport sur la rééducation du peuple allemand7 que ces jeunes Allemands avaient « compris le caractère criminel de l’hitlérisme et (étaient) particulièrement indignés d’en avoir été les complices inconscients ». Sans doute n’étaient-ils pas encore acquis à la démocratie, mais R. Schmittlein exprimait la conviction que « cette partie de la jeunesse sera demain à celui qui lui parlera de justice. » Il fallait donc envisager un programme de rééducation pour lui permettre de se libérer des chaînes d’une pensée imposée et lui apprendre à penser par elle-même. Pour réintégrer dans la vie civile les jeunes clandestins, les Français s’associèrent, à l’époque, à Heinrich Hartmann, un ancien bras droit de Baldur von Schirach, chef de la HJ, et créèrent, à l’initiative de ce dernier, en 1949, le Internationaler Bund für Kultur- und Sozialarbeit8, un des piliers du rapprochement entre jeunesses française et allemande, un des vecteurs de la démocratisation des jeunes allemands à la recherche de nouveaux repères, au lendemain de la guerre.

Ne serions-nous pas devenus en 2006 de beaucoup plus intransigeants qu’après 1945 quand il s’agissait de ne pas laisser à l’abandon des jeunes dont on comprenait alors que, s’ils avaient fait la guerre avec enthousiasme, ils en avaient été aussi les victimes et qu’il ne fallait pas les stigmatiser si on voulait leur ouvrir une perspective et les conduire à la démocratie ? G. Grass est, avec bien d’autres intellectuels et écrivains de sa génération, qui se sont ouverts à l’engagement politique en faveur d’une démocratie radicale en réaction contre le IIIe Reich, la preuve que le pari fait en 1945 a été tenu. Comme d’autres, il a caché par honte et par peur des conséquences, une partie de sa biographie : son aveu lui fait perdre son aura de héros irréprochable, en même temps il le rend plus humain et nous rappelle que personne ne sort vraiment indemne d’une guerre ou d’une dictature. Les meilleurs ont un secret caché qui n’est apparu au grand jour qu’avec le temps. La performance dès lors de cette génération n’est-elle pas d’avoir réussi cette difficile conversion du national-socialisme à la démocratie occidentale ? N’est-ce pas cela qu’il conviendrait de faire ressortir dans cet aveu de G. Grass ? Pour éviter de réduire une biographie de près de 80 ans aux deux lettres runiques d’un uniforme porté par un engagé de 17 ans, qui, dans le civil, n’était encore qu’un simple élève (Schüler-pupil) ! On trouve déjà sur internet des articles qui affirment que G. Grass a passé des années dans les Waffen SS. Pour un intellectuel radical tel que Walter Jens ou Walter Höllerer, un germaniste comme Peter Wapnewski, l’essentiel serait aujourd’hui de savoir s’ils ont adhéré, qui en 1942, qui en 1941 ou 1940, au NSDAP ou s’ils y ont été introduits à leur insu, alors qu’aucune activité au sein du parti nazi n’a pu leur être reprochée et que, quand bien même ils auraient adhéré, dans ces années de guerre, dans un souci de préservation, leur adhésion leur aurait, au pire, valu en 1945 d’être blanchis comme adhérents purement nominaux. Leur combat pour la démocratie après la guerre, oublié ? Certes, il est des cas troublants comme celui de Hans Schwerte, germaniste de formation, entré dans la SS en 1937 comme spécialiste de la recherche généalogique, déclaré disparu après la guerre et qui réapparaît sous une nouvelle identité. Sous le nom Hans Ernst Schneider, il refait des études de germanistique après 1945 et entame une carrière qui le conduira jusqu’aux fonctions de Recteur de l’Université technique d’Aix-la-Chapelle9.

Et pourtant ceux qui se réclament le plus fort de la morale et de la vertu pour jeter la première pierre ne sont-ils pas, décidément, les vrais Pharisiens ? Cette question rhétorique pourrait être une bonne chute pour une conclusion et pourtant, on ne peut en rester tout à fait là : en effet, il faut être sûr que comprendre sans accuser ne conduit pas à pardonner inconsidérément, pour reprendre, en la transformant, la formule de Thomas Medicus (cf. dans ce même numéro l’entretien accordé à C. Hähnel-Mesnard), que cela n’incite pas à la relativisation voire au révisionnisme. En écrivant Im Krebsgang et en cherchant à garder le dernier mot sur sa biographie – rien n’est moins sûr qu’il en soit ainsi – par son aveu, G. Grass restitue l’Allemagne et les Allemands dans la totalité de leur passé. Ce faisant, il contribue sans aucun doute à l’émergence d’une nouvelle identité que confusément encore ceux-ci cherchent à définir depuis la fin de la guerre froide. Grass peut encore servir de référence, mais il faut aussi donner raison à ces jeunes auteurs – la génération des petits-enfants - qui réclament à cor et à cri de sortir toutes les histoires de famille pour les soumettre à une nouvelle évaluation qui soit à la fois expiatoire, émancipatoire et tournée vers l’avenir.

1 FAZ, 12.08.2006

2 G. Grass, Beim Häuten der Zwiebel, Göttingen (Steidl Verlag) 2éme éd., 2006, 480 p.

3 Cf. R. Giordano, Die zweite Schuld oder Von der Last Deutscher zu sein, Hamburg (Rasch und Röhring) 1987.

4 Cf. C. Stern, Doppelleben, Cologne (Kiepenheuer & Witsch) 2001. Le titre ne fait pas allusion à une double vie sous le IIIe Reich, mais au fait que C. Stern a été pendant la guerre froide un agent au service des USA alors qu’elle était en RDA membre du SED.

5 Cf. C. Sebisch, « F. Fühmann, un écrivain ‚bourgeois’ dans un pays socialiste" in AA, No 63/1978, pp. 127-134. Né en 1922 à Rochlitz an der Iser, F. Fühmann a adhéré, après l’annexion des Sudètes en 1938, à l’Organisation des cavaliers de la SA (Reiter-SA) puis fait la guerre en Russie et en Grèce dans les renseignements.

6 Né en 1926, J. Fest a intitulé son autobiographie, parue en 2006, peu avant sa mort, Ich nicht. Erinnerungen an eine Kindheit und Jugend, Reinbek (Rowohlt).

7 Cf. R. Schmittlein, « La rééducation du peuple allemand » in J. Vaillant (éd.), La dénazification par les vainqueurs. La politique culturelle des occupants en Allemagne 1945-1949, Lille (PUL) 1981, pp. 139-156.

8 Cf. H. Humblot, “Contrôle et incitation des mouvements de jeunesse en Wurtemberg du Sud" in J. vaillant (éd.), op. cité, pp. 37-52.

9 Interrogé sur les accusations portées par l’Internationales Germanistenlexikon 1800-1950 ( 3 vol. , éd. par Christoph König, Berlin/New York (De Gruyter) 2003) contre W. Höllerer et W. Jens par la FAZ (22.12.2003), G. Grass livre une réaction et fournit une analyse qui mérite d’être relue à la lumière de son aveu d’aujourd’hui. Il s’exprime également sur le cas de H. Schwerte qu’il estime, à juste titre, être complètement différente de par ses activités effectives comme membre de la SS. Le Germanistenlexikon, réalisé avec le soutien de la Deutsche Forschungsgemeinschaft, reste cependant un ouvrage essentiel pour comprendre l’histoire d’une discipline à travers les âges.


Pierre-Paul Sagave (Berlin 1913 – Paris 2006)

Pierre-Paul Sagave, un grand connaisseur de la civilisation allemande contemporaine, vient de disparaître à Paris dans sa 94ème année. Né prussien le 3 janvier 1913 à Berlin dans une famille huguenote, P.-P. Sagave était devenu français en 1935. En 1931, il était venu faire ses études en France, à Dijon, puis à Bordeaux et enfin à Aix-en-Provence où il avait obtenu, avec le soutien de Pierre Viénot, un poste de lecteur d'allemand. Appelé à 25 ans sous les drapeaux, il a combattu dans les rangs de l’armée française en 1939-40, puis, devenu professeur agrégé d’allemand, il a poursuivi son combat contre le nazisme au sein du groupe de résistance « Marcel » (1943-44) de Marseille. Après la guerre, il a enseigné de 1950 à 1964 à l’Université d’Aix-Marseille, dès 1954 en qualité de professeur titulaire des universités, puis il est monté à Paris où il a fondé le département d’Etudes germaniques de la toute nouvelle université de Paris X-Nanterre ; il y est resté jusqu’à son éméritat en 1981.

Spécialiste de Theodor Fontane et de Thomas Mann avec lequel il a entretenu une importante correspondance, il comptait pourtant, au sein de la germanistique française, parmi les représentants de la « civilisation allemande » tant il était convaincu, avec son collègue Pierre Bertaux, que les études d’allemand devaient s’ouvrir au monde contemporain, à l’histoire, aux réalités politiques, économiques et sociales de l’Allemagne, en particulier à la civilisation urbaine, si importante pour comprendre l’Allemagne des 19 et 20èmes siècles. C’est ainsi que, travaillant avec les méthodes de l’historien, du politologue et de l’économiste, il a lui-même magistralement retracé l’histoire et le rayonnement de Berlin, capitale de la Prusse et du Reich allemand, en même temps que grande métropole européenne. Resté attaché à la Prusse qui avait accueilli les huguenots chassés de France par la révocation de l’Edit de Nantes en 1685, il voyait d’abord dans cet Etat la fille des Lumières. Il était membre du conseil de patronage d’Allemagne d’aujourd’hui après en avoir été un des refondateurs en 1966 et y avoir tenu la rubrique économique.

Pendant les 25 dernières années de sa vie, Pierre-Paul Sagave ne s’est pas contenté de « cultiver son jardin ». Grâce à une bourse de la Fondation Humboldt, il a, entre autres, poursuivi ses recherches dans les archives et les bibliothèques berlinoises. Parmi ses publications les plus récentes, un article consacré à Paris et Berlin, paru en 2004 dans l’ouvrage qui retrace les avatars de l’ambassade de France à Berlin : « Pariser Platz 5. Die französische Botschaft in Berlin ». Il a également tenu de nombreuses conférences à l’invitation d’universités telles que Berlin, Munich, Tübingen, Coimbra. Pierre-Paul Sagave était Officier dans l’ordre des Palmes académiques, il avait obtenu, parmi d’autres décorations, la Croix de guerre, la Croix d’officier de l’ordre du mérite de la République fédérale d’Allemagne et la Médaille du Goethe Institut. On se reportera au No 163 (janvier-mars 2003) de la revue pour une présentation plus complète de la carrière et des publications de ce grand germaniste.


André Gisselbrecht (1927 – 2006)

Né en 1927, André Gisselbrecht est décédé le 22 octobre 2006 à Nanterre. Plus qu'un universitaire, ce qu’il a pourtant été avec grandeur et dévouement, il a été un brillant intellectuel qui, s’il a trouvé son ancrage au sein du Parti communiste français, ne lui a pas ménagé ses critiques. Comme germaniste, il a commencé sa carrière universitaire à Nancy, puis à Nantes, avant d’être nommé à « Vincennes », ce centre universitaire expérimental né de mai 1968, auquel il est resté attaché au delà des avatars d’une évolution qui a conduit à son intégration dans l’Université de Paris 8 après s’être dénommé « Vincennes à Saint-Denis ». Spécialiste de Thomas Mann dont il a édité une cinquantaine d’essais inédits portant sur le rapport de l’écrivain au politique, au social, au culturel (« Etre écrivain allemand à notre époque », textes traduits par D. Daun, Paris (Gallimard) 1996), il a contribué également à faire connaître Brecht en France, plus particulièrement son théâtre qu’il a traduit et publié chez l’Arche, avec d’autres germanistes dont il était proche, tel Gilbert Badia, mais aussi avec Philippe Ivernel. Mais c’est peut-être plus encore dans le débat d’idées qu’il a donné le meilleur de lui-même, dans des articles publiés dans « France nouvelle », « Recherches internationales » et plus particulièrement dans la « Nouvelle critique » quand il en était rédacteur en chef adjoint, se prononçant pour un socialisme émancipé des errements staliniens sans renoncer pour autant à l’essentiel de ce qui restait, à ses yeux, les grands acquis du marxisme. Sa pensée intellectuelle, esthétique et morale l’a conduit vers Lukacs et Gramsci. Toujours curieux des évolutions de la société française, il a signé en 1990 l’appel des 250, « Ras l’front », pour mettre en garde contre la montée en puissance du Front national. Collaborateur des premières années d’ « Allemagne d’aujourd’hui », il a été membre du comité de rédaction, puis membre de son comité de patronage, un titre qui lui tenait à cœur.

« Allemagne d’aujourd’hui » présente à sa compagne et à ses proches ses sincères condoléances.


Entretien avec Thomas Medicus

« Comprendre et non pas accuser, sans pardonner »

Dans son livre In den Augen meines Großvaters (« Dans les yeux de mon grand-père », 2004), Thomas Medicus tente de reconstituer les derniers mois dans la vie de son grand-père Wilhelm Crisolli, général de la Wehrmacht tué par des partisans en septembre 1944 en Toscane. L'entretien questionne les possibilités de l’approche de cette biographie par le petit-fils, interroge les modalités d’écriture, le style et quelques thèmes récurrents comme la description du paysage. On s’aperçoit du regard différent que porte ici la « troisième génération » sur le passé, un regard où la simple condamnation morale est remplacée par la tentative de comprendre, sans toutefois excuser ou relativiser les crimes.

In seinem Buch In den Augen meines Großvaters (2004) versucht Thomas Medicus, die letzten Monate im Leben seines Großvaters, des Wehrmachtsgenerals Wilhelm Crisolli, der im September 1944 in der Toskana von Partisanen getötet wurde, zu rekonstruieren. Das Gespräch hinterfragt die Möglichkeiten der Annäherung an diese Biographie durch den Enkel und interessiert sich für die Modalitäten des Schreibens, den Stil sowie einige rekurrente Themen wie z. B. die Landschaftsbeschreibung. Insgesamt wird der veränderte Blick der„dritten Generation" auf die Vergangenheit deutlich, dem nicht die schnelle moralische Verurteilung zugrunde liegt, sondern der Versuch zu verstehen, ohne dabei die Verbrechen zu entschuldigen oder zu relativieren.

résumés
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Nicht anklagen, sondern verstehen – aber nicht verzeihen

Fragen von Carola Hähnel-Mesnard an Thomas Medicus

C.H.-M.: Ihr Buch versucht neben dem Schicksal Ihres Großvaters einen Erkenntnisprozess im Umgang mit der Vergangenheit nachzuzeichnen. Dem Versuch der Einfühlung „um der größtmöglichen Authentizität der Erfahrung willen“, des Nachempfindens von Gefühlen, die Ihr Großvater hätte empfinden können – der Tabubruch der Einfühlung in den „Täter“ wirkt zunächst irritierend – folgt der Rückgriff auf historische Quellen und die Befragung von Zeitzeugen, um die Umstände des Todes des Großvaters in Italien zu rekonstruieren. Den dabei aufkommenden Rätseln und Unstimmigkeiten der Zeugenaussagen setzen Sie die Mittel der Fiktion entgegen.
Welche Rolle spielt für Sie Fiktionalität bei der Rekonstruktion von Vergangenheit?

Lassen Sie mich zunächst zum Thema Empathie und anschließend etwas zum Problem der Authentizität sagen. Von hier aus können wir leichter zum Thema „Fiktionalität“ übergehen. Sich in einen „Täter“ „einzufühlen“ hat bei einigen deutschen Kritikern tatsächlich Verwirrung ausgelöst. „Darf man so weit gehen?“ lautete die rhetorische Frage in diesem Zusammenhang. „Warum nicht“ bzw. „Wer oder was verbietet solch ein Vorgehen?“ lautet meine gleichermaßen rhetorische Gegenfrage. Sich in moralisch fragwürdige oder gar böse Figuren hineinzudenken, ist ja das tägliche Brot von Schriftstellern oder Drehbuchautoren, und natürlich hat sich auch schon eine Reihe von Historikern in manch üble Figur der Weltgeschichte hineinversetzt. Warum sollte der Nationalsozialismus davon ausgenommen sein? Einer der Gründe für solche Tabuisierungen ist das populäre Missverständnis, Empathie sei subjektiv und dies wiederum affirmativ, „kritisch“ seien allein „sachliche Darstellungen“. Wer sich, wie ich, seinem Großvater, empathisch nähere, so die Befürchtung oder auch Unterstellung, empfinde Sympathie und gerate damit in inakzeptable moralische Untiefen. Solche Gleichungen halte ich allerdings für grundfalsch, für mich auch ein Grund, den im Deutschen leicht missverständlichen und zum Kitsch neigenden Begriff der „Einfühlung“ am liebsten gar nicht zu verwenden.
Warum habe ich dennoch den Weg der Empathie gewählt? Zu Anfang meiner Recherchen wusste ich über meinen Großvater fast nichts, ich wusste nur, dass er 1895 in Berlin geboren worden und im September 1944 in Italien bei einem Partisanenüberfall ums Leben gekommen war. Wollte ich möglichst viel über Wilhelm Crisolli erfahren, blieb mir nur eine Annäherung, die sich nicht allein auf das Sammeln bloßer Fakten beschränken durfte. Wie der Titel meines Buches sagt, riskierte ich das Experiment, herauszufinden, mit welchen Augen der Berufsoffizier, der mein Großvater war, seine Welt betrachtet hatte und welche Erfahrungen ich seinem auf diversen fotografischen Porträts festgehaltenem Blick ablesen konnte. Es ging mir dabei nicht allein um die Mentalitätsgeschichte eines Offiziers, der drei Armeen gedient hatte, der des Kaiserreichs, der Weimarer Republik wie dem nationalsozialistischen Deutschen Reich. Mir war auch daran gelegen, mich als Enkel und Autor nicht von Anfang an über meinen Großvater zu erheben und mir ein Zeugnis moralischer Überlegenheit dadurch auszustellen, dass ich Wilhelm Crisolli in meinem Buch als Personifikation des Bösen präsentiere. Das wäre nichts als ein gängiges Klischee gewesen und hätte zudem mein Erkenntnisinteresse eingeschränkt.
Was mich am meisten interessierte, war die Frage, wo dieser beschwiegene Großvater im familiären Nachkriegsgedächtnis geblieben war und welche bewusste oder unbewusste Rolle er für die einzelnen Familienmitglieder spielte. Wie sehr mein militärischer Herkunftskomplex, dem ich erst durch mein Buch auf die Spur kam, meine Sozialisation beeinflusst hatte, war auch für mich erstaunlich festzustellen. In den fünfziger Jahren nahm dieser Komplex eine zivile Form an und hat das familiäre Bewusstsein, einer sozialen Elite anzugehören, die vom Krieg nichts, von Militär wenig, von Bildung, Wohlstand und Etikette aber umso mehr erwartete, stark beeinflusst. In meinem Buch spielt mein militärischer Großvater deshalb unter anderem auch so etwas wie die Rolle eines Alter ego. Sein Kriegshandwerk schreckte mich zwar lange, zu meinem eigenen Erstaunen und im Widerspruch zur Zivilität meiner Erziehung entdeckte ich, dass mich seine soldatische Männlichkeit auch unbewusst fasziniert hatte. Wer sich nicht allein mit Fakten begnügt, kann irgendwann auch Phantasmen nicht mehr aus dem Wege gehen.
An dieser Stelle kommt die Funktion der Fiktionalisierung ins Spiel. Sie geschieht durchweg auf der Grundlage von Fakten, hat also mit der literarischen Erfindung vollständig fiktionaler Wirklichkeiten nichts zu tun. Vom Begriff der Authentizität mache ich deshalb eher nur ironischen Gebrauch. Wie der in Hamburg lebende österreichische Schriftsteller Norbert Gstrein treibe auch ich ein „Spiel mit Fakten und Fiktionen“. Nach authentischer Erfahrung sehne ich mich nur in dem Bewusstsein, dass ich solch eine Erfahrung nicht erlangen werde. Fiktionalisierung ist ein wesentliches Hilfsmittel meiner Rekonstruktionsversuche. Mir ging es um die Konkretisierung historischer Vorgänge, generationenübergreifender Sozialisationen, aber auch um langfristig wirksame Wahrnehmungsprägungen meines Großvaters. Zum Beispiel behaupte ich in meinem Buch, Wilhelm Crisolli nehme die Toskana mit den Augen des kaiserlichen Jägeroffiziers wie auch preußischen Junkers wahr. Den Zweiten Weltkrieg missverstehe er dadurch als Wiederkehr des Großen Krieges, die Toskana nehme er nach Maßgabe der kleinadelig-bürgerlichen Welt Hinterpommerns wahr, die in den Zwanziger Jahren bereits im Niedergang war. Beweisen lassen sich solche Missverständnisse weder durch Zeugenaussagen noch mit Hilfe irgendwelcher Unterlagen aus dem Familienarchiv. Wenn man die sozialen Verhältnisse Ostelbiens in der Zwischenkriegszeit sowie deren Geschichte kennt, ist diese Annahme aber durchaus plausibel. Darüber hinaus mache ich das spezifische Verhältnis des kaisertreuen Jägeroffiziers Crisolli auch für die Härte seines Partisanenkampfes in der Toskana des Jahres 1944 verantwortlich. Auch für diese These wäre ein wissenschaftlicher Beweis schwer zu finden, mit Hilfe literarischer Fiktion lässt sich dieser Zusammenhang aber schlüssig behaupten.
Daraus ergibt sich eine weitere wichtige Funktion der Fiktionalisierung. Weil sie sich als solche selbstreflexiv kenntlich macht, wird dem Leser nicht suggeriert, die hier geschilderte Wirklichkeit sei der des Archivs, der Geschichtswissenschaft oder auch der durch Empathie gewonnenen Gefühlswelten über- oder unterlegen. Die fiktionalen Passagen stehen gleichberechtigt neben anderen Textsorten, was mich interessiert, sind die Bruchlinien wie auch die Reibung, die dadurch entsteht. Außerdem möchte ich den Leser nicht bevormunden, sondern ihn an der Deutungsarbeit des Autors beteiligen. Das schafft bei Lesern, die eine moralische Botschaft erwarten, Missverständnisse. In Deutschland ist noch immer am erfolgreichsten, wer möglichst viele Schuldgefühle erzeugt.

C. H.-M.: Warum haben Sie für Ihr Buch eine genreübergreifende Form, eine Komposition aus kulturgeschichtlichem Essay, Autobiographie und Roman gewählt und welche Bedeutung messen Sie dieser Form zu?

Die gesamte Biographie meines Großvaters zu rekonstruieren, der zuletzt zwar General, dennoch kein historisch bedeutender Militär war, hat mich nie interessiert. Die Rekonstruktion irgendwelcher Ganzheiten halte ich für ideologisch, lineares Erzählen empfinde ich als langweilig. Was ist Anfang, was Ende, was das Ganze? Niemand weiß das. Es gab Kritiker meines Buches, denen der „historische Gesamtzusammenhang“ fehlte. Was das sein soll, weiß ich nicht. Das Wiederholen bekannter Geschichtsverläufe oder die Übertragung irgendwelcher Geschichtsdaten auf die Biographie Wilhelm Crisollis? Komplettierungsbedürfnisse hielt ich für unsinnig, im Bewusstsein der Unabschließbarkeit meines Unternehmens begnügte ich mich mit Fragmenten. Aus diesem Grund stellte ich auch das biographische Bruchstück in den Mittelpunkt, das ich aus den wenigen Erbstücken, die ich beim Tod meiner Großmutter erhalten hatte, umrisshaft rekonstruieren konnte. Mein archivarischer Ausgangspunkt waren etwa fünfzig Fotografien, ein handgeschriebener Brief meines Großvaters, sein Wehrpass und Soldbuch sowie wenige andere Schriftstücke. Aus diesen Dingen ergab sich eine von Mai bis zum September 1944 währende Zeitspanne von dreieinhalb Monaten, die letzte Lebenszeit meines Großvaters in Italien. Was folgte, war der Versuch, dieses Material zu kontextualisieren. Allein mit den Aussagen der wenigen noch lebenden Zeitzeugen, die ich befragte, war das aber nicht zu bewerkstelligen.
Hauptgrund für die genreübergreifende Form ist eine Erinnerung, die sich auf sich selbst nicht mehr verlassen kann und durch den zeitlichen Abstand zu den historischen Ereignissen des Zweiten Weltkrieges selbstreflexiv geworden ist. Weil Erinnerung für uns weitgehend Geschichte geworden ist, umkreise ich auf labyrinthischen Umwegen meinen Gegenstand, versuche mich ihm dadurch anzunähern, dass ich meinen Großvater aus verschiedenen Blickwinkeln und mithilfe unterschiedlicher Gedächtnisspeicher betrachte. Die Erinnerungen meiner Mutter sowie deren Cousine, den letzten lebenden Familienmitgliedern, die Wilhelm Crisolli noch gekannt haben, montiere ich mit dem Aktenmaterial aus militärhistorischen oder anderen wissenschaftlichen Archiven, aber auch mit den Ergebnissen kritischer Geschichtsforschung. Aktenstücke, Zeitzeugenaussagen oder Fotografien erhielten dadurch die Qualität wechselseitiger Korrektive, die den strikten Gegensatz von dokumentarischen Fakten und Fiktionen trügerisch erscheinen ließen.
Ich wählte diese offene Form, um der Widersprüchlichkeit, Vielschichtigkeit, aber auch Zufälligkeit der Ereignisse gerecht zu werden. Moralische Leserunterweisungen ließen sich vor allem dadurch vermeiden, dass ich mein Recherchematerial möglichst nicht vereindeutigte. Das wird man auch vom Autor einer akademischen Generation, die an der Universität mit Dekonstruktion und Poststrukturalismus groß geworden ist, kaum anders erwarten. Eigentlich habe ich nichts anderes getan, als die Koordinaten des bundesdeutschen Erinnerungsdiskurses mit Elementen der literarischen Moderne oder philosophischen Postmoderne zu verschieben. Im Übrigen glaube ich, dass die Form der Erinnerung zukünftig von entscheidender Bedeutung sein wird. Woran wir uns erinnern sollen, wissen wir, aber wie und zu welchem Zweck, ist unklar.

C. H.-M.: Ihre Annäherung an die Vergangenheit erfolgt über die stark sinnliche Wahrnehmung von Landschaften, zunächst fast unbewusst über osteuropäische Erinnerungslandschaften, dann über die ganz gegensätzliche südländische Toskanalandschaft.
Haben Natur bzw. Landschaft eine metaphorische oder allegorische Bedeutung? Welche Rolle spielen für Sie Beschreibungen?

Meinen Blick auf Landschaften könnte man als gegenständliches Erinnern bezeichnen. Dieses Verfahren ergibt sich natürlich auch daraus, dass mein Buch zum Teil in das Genre der Reiseerzählungen bzw. Reiseerinnerungen fällt. Auf der Suche nach meinem Großvater verschlug es mich nach Polen, in das Baltikum, innerhalb Deutschlands von Berlin nach Franken und die Lausitz, vor allem aber in die Toskana. Wer als Deutscher nach Italien reist, tut das natürlich im Horizont einer reichen literarischen Tradition, erinnert sei nur an die italienischen Aufenthalte Goethes, Heines oder August von Platens, der in meinem Buch eine gewisse Rolle spielt, weil einer seiner Nachfahren zu den Stabsoffizieren Wilhelm Crisollis in Italien zählte. Einflussreich waren Eichendorffs „Taugenichts“, aber auch Hugo von Hofmannsthals „Andreas-Fragment“, das mich sehr lange beschäftigt hat und mich bis heute in Bann hält. Literarische Texte sind ja immer Gewebe aus verschiedenen Codes und Stimmen, in meinem Buch ist das nicht anders.
Poetologisch spielen Beschreibungen von Landschaften für mich eine eminent bedeutende Rolle. Ohne Landschaftswahrnehmung oder die Beschreibung von Landschaften wäre mein Schreiben wahrscheinlich gar nicht möglich. Als inspirierende Elemente stehen Landschaften an erster Stelle. Ich kommuniziere mit ihnen, versuche sie zu lesen, ihre Geschichte zu entziffern. Landschaften sind für mich Allegorien des Gedächtnisses, die wichtigsten Medien willkürlicher wie auch unwillkürlicher Erinnerung. Ich hebe historisch Schicht für Schicht ab und versuche in meiner Vorstellung, die sichtbaren Veränderungen rückgängig zu machen und dabei in der Zeit zurückzugehen. Gäbe es die Möglichkeit der Zeitreise, ich würde sie ergreifen. Das Beschreiben von Landschaften macht einen Großteil der Lust am Schreiben sowie der Arbeit am Text aus, weil es sich dabei um imaginäre Zeitreisen handelt. Ob sich das Ergebnis als Naturgeschichte bezeichnen lässt, will ich der Interpretation anderer überlassen. Wie sich in meinem Buch die „Dekonstruktion von Familienmythen an die Verabschiedung eines ästhetischen Landschaftsdiskurses bindet“, hat die am University College in Dublin lehrende Germanistin Anne Fuchs jüngst kenntnisreich erläutert.
Meine eigenen Überlegungen beim Schreiben meines Buches sahen so aus, dass ich mir die Biographie von Personen ohne die umgebende Landschaft gar nicht vorstellen konnte, in gewisser Weise betrachtete ich Person und Landschaft sogar als eine Art mythische Einheit. Landschaft ist für mich das ländliche bzw. kleinstädtische Gesellschaften maßgeblich prägende Element. Vielleicht verhält es sich auch ein wenig wie bei Fernand Braudel, in dessen Mittelmeer-Epos die Geographie zur Entdeckung einer „quasi unbewegten Geschichte“ führt. In meinem nächsten Buch, das seinen Mittelpunkt in Böhmen hat und von dort wieder nach Italien führt, aber auch bis in die Vereinigten Staaten ausgreift, werde ich dieses Verfahren abermals anwenden und auszuweiten versuchen. Nordböhmen wird dabei als Bäder-, Industrie-, Kriegs- wie Auswanderungslandschaft erscheinen, jede dieser Landschaften wird durch eine andere Biographie repräsentiert. Weil mein Blick auf Landschaften die in der Gegenwart anwesende Vergangenheit sichtbar zu machen versucht, sind auch Allegorien des Unvergänglichen im Spiel. Dass nichts vergeht, sondern in veränderter Gestalt wiederkehrt, ist dabei poetischer Grundsatz. Vielleicht ist das aber auch nur der Blick desjenigen, der wie ich auf dem Lande aufwuchs und es gewohnt ist, den Wechsel der Zeiten mittels verschiedener Landschafts- und Himmelszeichen zu deuten.

C. H.-M.: Sie fühlen sich der dritten Generation, der Enkel-Generation zugehörig. Wie würden Sie diese Generation definieren, die ja auch Autoren einschließt, die in den 60er/70er Jahren geboren wurden und die dadurch einen ganz anderen Erfahrungshorizont in Bezug auf die Vergangenheit haben?

Der dritten Generation gehöre ich natürlich nur in bezug auf meinen Großvater an, ein für mich hinsichtlich des Zweiten Weltkriegs allerdings maßgebliches genealogisches Verhältnis, da mein Vater schon vor 35 Jahren starb. Die verschiedenen Jahrgänge unterscheiden sich selbstverständlich voneinander. Die Kohorte der Enkelgeneration, der ich angehöre, nimmt eher eine Zwischenposition ein. Nicht nur zwischen Vater und Großvater, sondern auch auf der Schwelle zwischen kommunikativem und kulturellem Gedächtnis, manches ist für mich noch Erinnerung, vieles schon Geschichte. Die zwischen 1950 und 1960 Geborenen, zu denen ich gehöre, gelten als „Kinder des Konsums“. Zwar können wir uns noch an einige wenige Kriegsruinen in den großen Städten erinnern, prägend waren für uns jedoch das bundesdeutsche Wirtschaftswunder sowie der politische Machtwechsel 1969 von den Konservativen zu den Sozialliberalen. Die repräsentative Symbolfigur ist hier Willy Brandt. Maßgeblich war aber auch der Wertewandel hin zu einer Kultur der Selbstverwirklichung.
Diejenigen, die zwischen 1960 und 1970 geboren wurden, sind Kinder der Krise. Sie lernten Wirtschaftsrezessionen in Gestalt zweier Ölkrisen kennen und wurden durch ein wachsendes Bewusstsein vom Ende industriellen Wachstums bestimmt. Die Erfahrung des Nationalsozialismus spielt für die Lebensgeschichte der Konsum- wie Krisenkinder, die ja allesamt nach dem Krieg geboren wurden, naturgemäß keine entscheidende Rolle mehr. Was das Nachfolgebewusstsein ihrer Eltern und Großeltern wie auch ihr eigenes Lebensgefühl angeht, waren Zweiter Weltkrieg und Holocaust auf unterschiedliche Weise jedoch durchaus präsent. Ich zum Beispiel kann mich noch an das beredte Schweigen bzw. das verschwiegene Sprechen meiner Eltern wie meiner beiden Großmütter über die NS-Vergangenheit erinnern.
Bei der Suche nach meinem Großvater habe ich mich bewusst in eine genealogische wie generationelle Abfolge gestellt und dabei die verstörende Erfahrung in Kauf genommen, auch Kriegsverbrechen in das familiäre Gedächtnis aufnehmen zu müssen. Diese historische Perspektive des Generationenromans dürfte das den Büchern der Konsum- und Krisenkinder gemeinsame Element sein. Man will verstehen, nicht anklagen, dennoch nicht verzeihen, emotional alles in allem keine leichte Sache. Einschränkend muss allerdings gesagt werden, dass in Deutschland bislang die Bücher der heute 60- bis 65-jährigen Kriegskinder dominieren und die meisten dieser Publikationen selbsttherapeutischen Bekenntnischarakter besitzen. Die Familienromane jüngerer Generationen blieben bislang in der Minderheit, allmählich zeichnet sich aber auch hier eine Entwicklungsrichtung ab.
Meiner Einschätzung nach leitet der aktuelle Familienroman zu einer allmählich literarischen Darstellung der Zeitgeschichte des Zweiten Weltkriegs über. In der spanischen Gegenwartsliteratur sind die familiären Auswirkungen des Bürgerkriegs ja schon länger Gegenstand belletristischer Verarbeitung. In Deutschland gab es lange eine Art moralischen Wahrheits- und Authentizitätsgebotes, das sich als literarisches Bilderverbot auswirkte und entsprechende Darstellungen tabuisierte (die es dennoch gab). Sechzig Jahre nach dem Ende des Zweiten Weltkrieges hat sich die Situation geändert, der 2004 erschienene Skandalroman „Endstufe“ eines Thor Kunkel wies aber nachdrücklich darauf hin, wie vermint dieses Gelände nach wie vor ist. Der Familienroman „Es geht uns gut“ des 1968 geborenen österreichischen Autors Arno Geiger, im letzten Jahr mit dem Deutschen Buchpreis ausgezeichnet, bedeutete demgegenüber einen echten literarischen Fortschritt. Weiter hoffen muss man allerdings auf neue, um die totalitäre Signatur des 20. Jahrhunderts bemühte Narrative. Von den Autoren der ersten Generation, einem Jorge Semprun etwa, könnten dabei zukünftige Schriftsteller, wie ich finde, viel lernen.

Welche Position nehmen Sie gegenüber solchen Kritikern ein, die Ihr Buch als „Rechtfertigungsliteratur“ bzw. „beschönigende Biographie der Vorfahren“ bezeichnen?

Alles, was ich bis jetzt gesagt habe, erübrigt eigentlich eine Antwort auf diese „Kritik“, aber auch deshalb, weil sie diffamierend ist. Jeder, der mein Buch gelesen hat, weiß, dass der Vorwurf der Beschönigung falsch ist. Gegen meinen Großvater führe ich ja unter anderem eine Art Indizienprozess, der nicht mit einem Freispruch endet. Die „Kritiker“, von denen Sie sprechen, zeichnen sich vor allem dadurch aus, dass sie den Großteil meines Buches unterschlagen. Die Porträts der drei Frauen etwa, die drei unterschiedliche Arten des Beschweigens nationalsozialistischer Vergangenheit in der alten Bundesrepublik repräsentieren, kommen gar nicht vor. Auch die genreübergreifende literarische Form ist ihnen kein Wort wert, was allein interessiert, ist die Reduktion der Multiperspektivität und Vielstimmigkeit meines Buches auf einen „Nazi-Plot“.
Natürlich steht mein Großvater im Mittelpunkt, seine Beteiligung an Kriegsverbrechen wie die Aufklärung der italienischen Kriegsvorgänge ist mal mehr, mal weniger deutliches Leitmotiv. Was mich in diesem Kontext am meisten beschäftigte, waren aber die transgenerationellen Auswirkungen des Nationalsozialismus in einer deutschen Nachkriegsfamilie, also eine für meine Generation nicht untypische Strategie der Selbstaufklärung. Die Differenz zwischen den Erinnerungsdiskursen der zweiten und dritten Generation kommt aber bei den von Ihnen zitierten „Kritikern“ nicht vor, es scheint ihnen nicht einmal bewusst zu sein, dass es hier einen Generationenkonflikt gibt. Der für die Achtundsechziger typisch moralistische Diskurs der Anklage wird stattdessen normativ verwendet, wer anders denkt, verleumdet. Die dritte Generation führt aber einen anderen Vergangenheitsdiskurs und hat eine andere Reflexionsstufe erreicht als die längst in die Jahre gekommenen Altachtundsechziger. Der mit Reue, Sühne und Betroffenheit operierende Schulddiskurs der alten Bundesrepublik ist obsolet geworden und hat seine gesellschaftliche Bindungskraft eingebüßt. Wir leben im Zeitalter des Post-Gedächtnisses, in dem es – auch wegen des Abschieds der Zeitzeugen – kaum mehr individuelle Erinnerung oder Erfahrung gibt, die an die Epoche des Zweiten Weltkrieges unvermittelt anknüpfen könnte. Das nehmen die von Ihnen angesprochenen „Kritiker“ aber ebenso wenig zur Kenntnis wie die Veränderung der geschichtspolitischen Konstellation seit 1989. Inzwischen ist ja nicht nur die Epoche des Nationalsozialismus Geschichte, sondern sowohl die alte Bundesrepublik als auch die DDR. Unsere Wahrnehmung von Nationalsozialismus und Krieg ist also nur noch mittelbar, die Geschichtspolitiken der beiden deutschen Staaten, die ja eine jeweils unterschiedliche Antwort auf das NS-Reich darstellen, sind gleichermaßen obsolet wie historisch geworden.
Wer auf die Veränderungen eines nach 1989 entstandenen Erinnerungsdiskurses mit Vorwürfen der Beschönigung, Rechtfertigung oder gar Schuldrelativierung reagiert, zeigt nur, dass er die Deutungshoheit über die Geschichte des Nationalsozialismus längst verloren hat. Ich finde, wir befinden uns in einem Zustand produktiver Verunsicherung, in dem wir uns fragen müssen, welche symbolischen Repräsentationen die „deutsche Vergangenheit“ zukünftig erhalten soll. Neue selbstreflexive Erzählstrategien zeigen, dass es dabei nicht mehr um Vergangenheitsbewältigung geht, sondern um so etwas wie eine Ästhetik der Erinnerung. Der Missbrauch von Geschichte als sinnstiftende Ersatztheologie hat hoffentlich ausgedient.

C. H.-M.: Stellt Ihr Großvater für Sie eine Heldenfigur dar? Würde dann in Ihrem Familienroman Ihrem Vater, der ja auch 1939 eingezogen wurde, die Rolle des Antihelden zukommen?

T.M.: Ich würde gründlich missverstanden werden, wenn den Lesern meines Buches mein Großvater als Held erschiene. Ich hoffe, dass dieses Missverständnis gar nicht erst entsteht. Warum mein Großvater ein Held sein sollte, wüsste ich auch nicht zu sagen. Militärische Heldentaten, die es in der Wehrmacht während des Zweiten Weltkrieges zweifellos auch gegeben hat, sind in Deutschland ja immer insofern dubios, als sie der Legitimation eines totalitären Regimes, deren Angriffs- und rassistischen Weltanschauungskriegen dienten. Jeder militärische Ruhm hat in Deutschland bis heute einen schalen Nebengeschmack, militärische Helden sind unbeliebt, Kriegerdenkmäler, die es hierzulande natürlich auch gibt, sind eine zweischneidige Angelegenheit. Nein, mir kam es auf etwas ganz anderes an: Empathie spielt wie gesagt eine große Rolle, aber eher als Vorstufe einer anderen Darstellungsebene. Interessiert haben mich vor allem biographische Konstellationen in Kriegs- wie Nachkriegszeiten. Ein deutscher Wehrmachtsgeneral, der 1944 in der Toskana bei einem Partisanenüberfall tödlich verletzt wird, den italienischen Familiennamen Crisolli trägt – diese ebenso komplexe wie kontingente Konstellation erschien mir in all ihrer Faktizität als romanhafter Stoff, als literarische Herausforderung. Deshalb habe ich auch das Leben meines Großvaters von seinem rätselhaften Tod her versucht zu rekonstruieren, den genauen Hergang des Überfalls wie dessen Gründe kannte in meiner Familie niemand.
Eher wäre mein Großvater ein tragikomischer Held, sein Schicksal, auch sein Ende, ist teilweise so grotesk, dass man sogar lachen könnte. Die Komik eines fast fließend Italienisch sprechenden deutschen Wehrmachtsgenerals namens Wilhelm Crisolli, der in toskanischen Villen seine Quartiere aufschlägt, beim Tee gerne mit den Damen des Hauses konversiert, italienische Männer für Schlappschwänze hält und zuletzt zufällig einem Partisanenüberfall zum Opfer fällt, erscheint ausgedacht, ist aber historische Wirklichkeit. Meine Strategie, Konstellationen wie Situationen, in die Personen hineingeraten, zu akzentuieren, ist eigentlich antiheroisch und stellt den Versuch dar, dem geschichtlichen Alltag seine Banalität zurückzugeben. Deshalb ist auch mein Vater weniger Antiheld als Nebenfigur (die Darstellung seiner Biographie bliebe einem weiteren Buch vorbehalten), seine Funktion ist, eine andere Generation zu repräsentieren. Mein Vater war 1939 achtzehn Jahre alt, legte das „Notabitur“ ab und ging wenig später (als Sanitätsoffizier) an die Front. Als einer jener typischen Kriegsheimkehrer, die die militärische Niederlage Deutschlands in eine tiefe, lang anhaltende und vielleicht nie bewältigte Männlichkeitskrise stürzte, trägt er zugegebenermaßen Züge eines tragischen Antihelden. Um die Männlichkeit, die der im Kaiserreich geborene Preuße Wilhelm Crisolli noch viel ungebrochener leben konnte, war es 1945 ja endgültig geschehen. An meinem Vater hat mich am meisten der jähe Absturz einer bundesrepublikanischen Erfolgsbiographie interessiert, in der sich der Zweite Weltkrieg fast unkenntlich eingekapselt hatte.

C. H.-M.: Sie schreiben, Ihr Interesse an der Vergangenheit, am Schicksal Ihres Großvaters, wurde 1996 beim Besuch des Weltausstellungsmuseums in Flushing Meadows geweckt, durch die Entdeckung der so genannten „time capsule“, die Alltagsgegenstände des Jahres 1939 für zukünftige Generationen aufbewahren sollte, während zur selben Zeit in Europa die Welt im Chaos versank. Spielte bei diesem zunehmenden Interesse nicht auch eine bestimmte Konstellation der Gegenwart eine Rolle, der Beginn der Wehrmachtausstellung und die Gedenkfeiern zum 50. Jahrestag des Kriegsendes im Jahre 1995?

Objektiv haben diese beiden Daten gewiss eine Rolle gespielt, die bundesrepublikanische Erinnerungskultur veränderte sich durch die beiden Ereignisse ja auf unterschiedliche Weise entscheidend. Die Geschichte der 1995 eröffneten sogenannten „Wehrmachtsausstellung“ dokumentiert besonders prägnant die Geschichtsdebatten der neunziger Jahre. Der offizielle Titel lautete „Vernichtungskrieg. Verbrechen der Wehrmacht 1941 - 1944“. 1999 wurde diese Ausstellung wegen erheblicher Fehler zurückgezogen und anschließend in einer grundlegend überarbeiteten Konzeption gezeigt, ein Vorgang, der erneut hitzige öffentliche Debatten entfachte. Die entscheidende Wirkung beider „Wehrmachtsausstellungen“ bestand darin, Hunderttausende von Besuchern mit der Frage zu konfrontieren, ob auch Mitglieder der eigenen Familie an den Verbrechen des Nationalsozialismus beteiligt gewesen seien. Die wenig später publizierten „Familienromane“ versuchten ja auf die Schuldfrage dieser Ausstellung eine familienbiographische Antwort zu geben. Die Autoren dieser Bücher, wie ich meist keine Berufsschriftsteller, begannen die Familienarchive nach Dokumenten zu durchsuchen, die die Kriegsvergangenheit von Vätern und Großväter bezeugten. Die erbitterten Debatten vor allem um die erste „Wehrmachtsausstellung“ dürfen aber nicht darüber hinwegtäuschen, dass sie Teil einer Erinnerungskultur waren, die 1995 ein ungewohnt pluralisiertes Geschichtsbild bot. Ohne des Revanchismus oder der Relativierung deutscher Schuld verdächtigt zu werden, konnte auch deutschen Bombenkriegsopfern, den Opfern von Flucht und Vertreibung aus den deutschen Ostgebieten oder dem Schicksal deutscher Kriegsgefangener in sowjetischer Haft gedacht werden.
Selbstverständlich wurde auch ich durch die „Wehrmachtsausstellung“ wie die Pluralisierung der Erinnerung im Kontext des Gedenkjahres von 1995 beeinflusst, ohne diese beiden Ereignisse wäre mein Buch undenkbar. Subjektiv bedeutender waren für mich jedoch die geopolitischen Folgen des Jahres 1989, das ich, der ich 1983 nach Berlin (West) gezogen war, dort in all seinen Verläufen erlebt hatte. In meinem Buch beschreibe ich, wie mir die Wiederentdeckung des ehemaligen deutschen Ostens, von wo meine Mutter als Jugendliche 1945 geflohen war, dazu verholfen hat, der Vergangenheit meines Großvaters nachzugehen. Wäre der Eiserne Vorhang nicht verschwunden, so mein Gedankengang, wäre ich nicht ins heute polnische Hinterpommern gekommen, wo Wilhelm Crisolli als junger Offizier gelebt und er meine Großmutter kennen gelernt und geheiratet hatte. Meine häufigen Besuche in Hinterpommern lenkten meine Aufmerksamkeit schließlich auf die letzten Kriegsmonate meines Großvaters in der Toskana, riefen aber auch ein bis heute anhaltendes Interesse an den Geschicken der polnischen Nation hervor. In meiner Biographie besitzt das Jahr 1989 zwei Gesichter. Zum einen ist es ein politisches Ereignis, dessen Augenzeuge ich war, dank der Wiederkehr meiner Familiengeschichte aber auch ein mythenbildendes Ereignis. „Der Osten“ ist dabei der mich bis heute fesselnde stärkste Mythos.

Könnte man diese Bewusstwerdung mit Walter Benjamins Konzept des „Jetzt der Erkennbarkeit“ beschreiben, demzufolge erst eine bestimmte Konstellation der Gegenwart den Blick auf die Vergangenheit ermöglicht und die Vergangenheit gleichzeitig die Gegenwart erhellt?

Das kann man durchaus so beschreiben und ist auch von den Kritikern, die diesen Namen verdienen, genauso gesehen worden. In der „Süddeutschen Zeitung“ war zum Beispiel davon die Rede, dass ich, aber auch andere Verfasser von&Mac226;Familienromanen’, „messianische Mikrologen“ seien, „die wie Benjamin hinter jedem Komma die Pforte zum Paradies wittern. Oder das Tor zur historischen Wahrheit.“ Das trifft zu. Wie schon erwähnt, gilt aber, dass jeder Text ein Gewebe mannigfaltiger Lektüren ist. Auch für Benjamins Konzept habe ich deshalb keine bewusste Entscheidung getroffen. Wie vieles andere war dieses Lektüreerlebnis entscheidend für die intellektuelle Sozialisation meiner Generation. Ich könnte aber auch Marcel Proust oder den 2001 tödlich verunglückten deutschen Schriftsteller W.G. Sebald nennen, der meinte, es bestehe immer die Möglichkeit, dass einen unvermutet aus der Vergangenheit etwas einholt, das mitten ins Herz trifft.
Vergessen werden sollte aber auch nicht, dass in vielen Passagen meines Buches – deutlich vor allem bei meinen Reisen in die Toskana – die Psychoanalyse Pate stand, Reise, Traum und Unbewusstes sind auf ungefähr derselben Ebene angesiedelt. Überhaupt, um auch das an dieser Stelle zu betonen, spielt das Unbewusste in meinem Buch über weite Strecken eine viel größere Rolle als das Bewusstsein. Und weil es sich um eine Familienbiographie handelt, sind natürlich auch die ödipalen Beziehungen zwischen den Familienmitgliedern von Bedeutung sowie meine Suche nach dem, was Mann und Männlichkeit heißt. Dennoch beschreibt Benjamins „Jetzt der Erkennbarkeit“ mein Verfahren ziemlich genau, wenngleich ich einschränkend hinzufügen muss, dass ich natürlich weder Erlösung noch Wahrheit erwartet habe. Die den Blick auf die Vergangenheit ermöglichende Konstellation der Gegenwart war in der Tat extrem günstig. Ich weise hier noch einmal auf die bereits erwähnte generationsbedingte Distanz zu den Ereignissen des Zweiten Weltkrieges hin, sowie den allmählichen Wandel von Erinnerung in Geschichte, den wir gerade erleben.

C. H.-M.: Sie haben die Ermittlungen über Ihren Großvater bewusst abgebrochen, ohne Endgültiges erfahren zu haben. Am Ende Ihres Buches erkennen Sie die Notwendigkeit des Erinnerns an, plädieren aber auch für das Vergessen. Hat dieses Vergessen bei Ihnen eine ethische Dimension? Inwiefern enthält es auch die Frage der Vermittlung?

Es wäre falsch, von Abbruch in dem Sinne zu sprechen, dass meine Ermittlungen erfolglos geblieben wären. Am Ende wusste ich mehr über meinen Großvater als ich anfangs erwartet hatte und mehr als irgendjemand sonst in der Familie wusste. Richtiger wäre zu sagen, dass ich meine Recherchen deshalb beenden konnte, weil mir klar war, dass ich nichts mehr finden würde, was den Gehalt oder die Aussagen meines Buches nach drei Jahren Arbeit noch grundsätzlich hätte verändern können. Auch wenn ich noch mehr Details aneinandergefügt hätte, wäre kein vollständiges Bild entstanden. Von Abbruch kann also nur in dem Sinn die Rede sein, dass ich mich mit einer gewissen Unabschließbarkeit zufrieden gab. Außerdem befürchtete ich, mich in Nebensächlichkeiten zu verlieren, oder schlimmer, aus der geschichtlichen Vergangenheit, in die ich mich hineinversetzt hatte, nicht mehr herauszufinden. Irgendwann war es Zeit, meine Zeitreise zu beenden und zurückzukehren.
Was Erinnern und Vergessen angeht, ist zunächst festzustellen, dass jeder von uns ja erst vergessen muss, bevor er sich wieder erinnern kann. Und weil eins vom anderen nicht zu trennen ist, lässt sich auch eines nicht gegen das andere ausspielen, schon gar nicht moralisch. Eine Ethisierung der Erinnerung halte ich für ebenso unsinnig wie eine Ethisierung des Vergessens. Man sollte aus beidem kein Dogma machen und die Dialektik von Erinnern und Vergessen vom (meist polemisch-geschichtspolitischen) Kontext der Schuldverdrängung oder Schuldrelativierung ablösen.
Im Übrigen ist es ja vollkommen falsch zu glauben, Erinnern sei grundsätzlich eine moralisch gute, sinn- oder wertvolle Tätigkeit. In Deutschland ist ohnehin häufig unsäglich gefühlsbeladen von Erinnerung dann die Rede, wenn man besser von Geschichtsschreibung oder Geschichtspolitik reden müsste. Man hat vergessen oder will nicht wahrhaben, dass die Mobilisierung von Erinnerung durchaus handfesten Interessen an der Konstruktion bestimmter Geschichtsbilder dienen kann. Das Kollektivgedächtnis oder auch die Kollektivgedächtnisschwäche ganzer Nationen können so funktionieren. Die Erinnerung Russlands an den Zweiten Weltkrieg galt im Gedenkjahr 2005 dem Sieg über Deutschland, nicht aber dem repressiven Charakter der stalinistischen Diktatur, die diesen Sieg errang. Die 1940 im Massaker von Katyn ermordeten polnischen Offiziere passten ebenfalls nicht in die offizielle Geschichtsbetrachtung des Putinschen Russland. Wenn wir uns vergewärtigen, wie revanchistisch und mit welch katastrophalen Folgen man sich in Deutschland an den Versailler Frieden in der Zwischenkriegszeit erinnerte, weiß man, was Erinnerung oder das, was man dafür hält, anrichten kann. Was das Vergessen angeht, sollten wir uns eingestehen, dass wir ohne Vergessen gar nicht handlungsfähig, ja nicht einmal in der Lage wären, uns zu versöhnen. Darauf hat Jorge Semprun ebenfalls 2005 während einer Veranstaltung in Berlin hingewiesen. Mit Blick auf die heutige deutsch-polnische Grenze meinte der spanische Schriftsteller und ehemalige Buchenwald-Häftling, ohne Vergessen wäre die dort mittlerweile vorhandene Nachbarschaftlichkeit kaum möglich. Für die deutsch-französische Grenze gilt Ähnliches. Wie furchtbar wäre es, spielte Elsass-Lothringen im Kollektivgedächtnis der Deutschen oder Franzosen noch immer eine emotionale oder geschichtspolitische Rolle. Vergessen ist nicht notwendigerweise eine Schande, wohl aber die Verweigerung von Wissen. Über meinen Großvater konnte ich mich so weit selbst aufklären, dass ich seine sechzigjährige Existenz als unheimlicher Widergänger beenden konnte und ihn nun getrost vergessen kann. Es ist höchste Zeit den sich um den Begriff der Erinnerung rankenden Kitsch in Gestalt erbaulicher Pädagogisierung, Instrumentalisierung oder Emotionalisierung von Geschichte über Bord zu werfen.

Berlin, den 3. November 2006


Die französische Fassung dieses Textes erscheint in der französischen Germanistikzeitschrift Allemagne d’aujourd’hui (Nr. 178/2006), Dossier „Secrets de famille, non-dits ou tabous? Présence du passé national-socialiste dans la littérature allemande contemporaine“ unter der Leitung von Carola Hähnel-Mesnard.

résumés
version française
version allemande

Thomas MEDICUS

" Comprendre et non pas accuser, sans pardonner "
Retour sur le passé à l’époque de la post-mémoire

Né en 1953, Thomas Medicus est auteur et journaliste et vit à Berlin. Il a été rédacteur au Tagesspiegel et responsable des pages culturelles à la Frankfurter Rundschau dont il a été correspondant culturel à Berlin jusqu’au printemps 2006. Ensuite, il a été chercheur invité au Hamburger Institut für Sozialforschung. Son livre In den Augen meines Großvaters est paru en 2004 à la Deutsche Verlags-Anstalt. Ce livre tente de reconstituer les derniers mois dans la vie du général de la Wehrmacht Wilhelm Crisolli, tué par des partisans en septembre 1944 en Toscane. Cet entretien, mené à Berlin en novembre 2006, a été conduit et traduit en français par C. Hähnel-Mesnard.

Carola Hähnel-Mesnard : En dehors du destin de votre grand-père, votre livre tente de retracer un processus de prise de conscience concernant le rapport au passé. La tentative d’empathie " en faveur de la plus grande authenticité de l’expérience ", la tentative de connaître, de ressentir les sentiments que votre grand-père aurait pu avoir – le tabou brisé d’une empathie avec le " bourreau " est d’abord déconcertant – est relayée par le recours à des sources historiques et par l’interrogation de témoins de l’époque afin de reconstituer les circonstances de la mort de votre grand-père en Italie. Ensuite, vous répondez avec les moyens de la fiction aux énigmes qui apparaissent lors de votre enquête et aux incohérences des témoignages. Quel rôle joue pour vous le fictionnel pour la reconstitution du passé ?

Thomas Medicus : Laissez-moi d’abord dire quelque chose au sujet de l’empathie et ensuite sur le problème de l’authenticité. De là on pourra plus facilement passer au thème de la " fictionnalité ". Éprouver de " l’empathie " avec un " bourreau " a effectivement troublé certains critiques allemands. " A-t-on le droit d’aller jusque là ? " était la question rhétorique dans ce contexte. " Pourquoi pas " ou " Qui ou quoi interdit un tel procédé " est la question aussi bien rhétorique que je pose en retour. Se mettre à la place de personnages moralement douteux, voire méchants est le pain quotidien d’écrivains ou de scénaristes, et bien sûr plus d’un historien s’est déjà mis à la place de tel ou tel mauvais personnage de l’histoire mondiale. Pourquoi en exclure le national-socialisme ? Une des raisons pour de tels tabous est le malentendu très répandu que l’empathie est subjective, et du coup affirmative, alors que seulement les " représentations objectives " seraient " critiques ". Celui qui, comme moi, approche son grand-père de façon empathique – telle la crainte ou l’insinuation – ressentirait de la sympathie et tomberait ainsi dans des abîmes moraux inacceptables. Je pense que de telles équations sont profondément erronées, une raison pour moi d’éviter le terme " empathie " (" Einfühlung ") qui, en allemand, provoque facilement des malentendus et tend vers le kitsch.
Pourquoi avoir quand même choisi la voie de l’empathie ? Au début de mes recherches, je ne savais quasiment rien sur mon grand-père. Je savais seulement qu’il était né à Berlin en 1895 et qu’il était décédé en septembre 1944 en Italie, dans une embuscade de partisans. Si je voulais savoir le plus de choses possible sur Wilhelm Crisolli, il ne me restait qu’une approche qui ne pouvait se limiter à la collection de simples faits. Comme l’exprime le titre de mon livre, j’ai risqué l’expérience de découvrir avec quel regard l’officier de carrière qu’était mon grand-père observait son monde et quelles expériences je pouvais lire dans son regard que je trouvais fixé sur différents portraits photographiques. Ce qui m’importait n’était pas seulement l’histoire des mentalités d’un officier qui avait servi dans trois armées, celle de l’Empire, de la République de Weimar et du Troisième Reich. Je tenais aussi à ce que, en tant que petit-fils et auteur, je ne m’élève pas dès le début au-dessus de mon grand-père et me procure ainsi une preuve de supériorité morale en présentant dans mon livre Wilhelm Crisolli comme une personnification du mal. Cela n’aurait été rien d’autre qu’un cliché habituel et aurait, en plus, limité mon intérêt de connaissance. Ce qui m’intéressait le plus était la question : où était passé ce grand-père, sur lequel on gardait le silence, dans la mémoire familiale de l’après-guerre et quel rôle, conscient ou inconscient, il jouait pour les différents membres de ma famille ? J’ai été moi-même étonné de constater à quel point mon complexe militaire d’origine que j’ai seulement découvert à travers mon livre, a influencé ma socialisation. Dans les années 1950, ce complexe a pris une forme civile et il a fortement influencé la conscience familiale d’appartenir à une élite sociale qui n’attendait rien de la guerre, peu de l’armée, mais d’autant plus de l’éducation, de la prospérité et de l’étiquette. C’est la raison pour laquelle dans mon livre, mon grand-père militaire joue, entre autres, aussi quelque chose comme le rôle d’un alter ego. Pendant longtemps, son métier de guerrier me terrifiait, mais à ma grande surprise et en contradiction avec la civilité de mon éducation j’ai découvert que sa virilité militaire m’avait aussi inconsciemment fasciné. Lorsqu’on ne se contente pas de faits, on ne peut plus non plus fuir les phantasmes.
C’est là qu’entre en jeu la fonction de la fictionnalisation. Elle se fait sans exception sur la base de faits, elle n’a donc rien à voir avec l’invention littéraire de réalités entièrement fictionnelles. C’est pourquoi j’utilise le terme d’authenticité plutôt de façon ironique. Comme l’auteur autrichien Norbert Gstrein, qui vit à Hambourg, je pratique également un " jeu avec des faits et des fictions ". En aspirant à l’expérience authentique, je suis conscient de ne jamais pouvoir atteindre une telle expérience. La fictionnalisation est un outil essentiel de mes tentatives de reconstitution. Il s’agissait pour moi de rendre concrets des processus historiques et des socialisations englobant plusieurs générations, mais aussi de comprendre l’efficacité à long terme des modèles de perception de mon grand-père. Je soutiens par exemple dans mon livre que Wilhelm Crisolli perçoit la Toscane avec le regard aussi bien d’un officier des chasseurs de l’Empire que d’un junker prussien. Raison pour laquelle il se méprend sur la Seconde Guerre mondiale en la considérant comme le retour de la Grande Guerre ; la Toscane est perçue suivant le monde de la petite aristocratie et de la bourgeoisie de Poméranie, en déclin déjà depuis les années 1920. De tels malentendus ne se laissent prouver ni par des témoignages ni à l’aide de quelconques documents des archives familiales. Mais quand on connaît les conditions sociales à l’Est de l’Elbe entre les deux guerres ainsi que leur histoire, cette hypothèse est tout à fait plausible. De plus, je tiens la condition spécifique de l’officier des chasseurs Crisolli, fidèle à l’Empereur, également pour responsable de sa dureté lors du combat contre les partisans en Toscane en 1944. Pour cette thèse aussi il serait difficile de trouver une preuve scientifique, mais grâce à la fiction littéraire, un tel lien se laisse affirmer de façon concluante.
Il en résulte une autre fonction importante de la fictionnalisation. Puisqu’elle se donne à voir de façon autoréflexive, on ne suggère pas au lecteur que la réalité décrite ici serait supérieure ou inférieure à celle des archives et de l’historiographie ou aux mondes sensibles auxquels on accède par empathie. Les passages fictionnels se situent sur le même niveau que les autres types de textes, ce qui m’intéresse, ce sont les lignes de rupture ainsi que la friction qui en résulte. Je ne voudrais pas dicter au lecteur ce qu’il doit penser, mais au contraire le faire participer au travail d’interprétation de l’auteur. Cela crée des malentendus auprès de lecteurs qui s’attendent à un message moral. En Allemagne, le succès est toujours garanti à celui qui engendre le plus de sentiments de culpabilité possible.

C. H.-M. : Pourquoi avez-vous choisi pour votre livre une forme dépassant un seul genre, une composition entre essai d’histoire culturelle, autobiographie et roman ? Quelle signification accordez-vous à cette forme ?

T.M. : Reconstituer la biographie entière de mon grand-père, qui à la fin était Général sans toutefois avoir été un militaire d’une importance historique, ne m’a jamais intéressé. La reconstitution de quelconques entités a pour moi quelque chose d’idéologique, la narration linéaire m’ennuie. Qu’est-ce que c’est le début, la fin, le tout ? Personne ne le sait. Certains critiques de mon livre ont regretté l’absence de " contexte historique global ". Je ne sais pas ce que cela est. La répétition du déroulement de l’histoire telle qu’on le connaît ou la transposition de dates historiques à la biographie de Wilhelm Crisolli ? Je ne ressentais pas le besoin de compléter ; conscient du caractère inachevable de mon entreprise, je me contentais de fragments. C’est la raison pour laquelle je mets au centre le fragment biographique dont j’ai pu reconstituer les contours grâce aux quelques objets hérités à la mort de ma grand-mère. Mon point de départ archivistique était une cinquantaine de photographies, une lettre manuscrite de mon grand-père, son passeport, son livret militaires ainsi que quelques rares autres documents. De tout cela se dégageait une période de trois mois et demi, de mai à septembre 1944, la fin de la vie de mon grand-père en Italie. Ensuite, j’ai tenté de placer ce matériel dans son contexte, ce qui n’était toutefois pas possible avec les seules déclarations des quelques témoins encore vivants que j’ai interrogés.
La principale raison pour la forme que j’ai choisie est une mémoire qui ne peut plus se fier à elle-même et qui est devenue autoréflexive en raison de la distance temporelle sui nous sépare des événements historiques de la Seconde Guerre mondiale. Puisque pour nous le souvenir est largement devenu de l’histoire, je tourne autour de mon objet par des détours labyrinthiques, j’essaie de m’approcher de lui en observant mon grand-père à travers différents points de vue et à l’aide de différents supports de la mémoire. Les souvenirs de ma mère et de sa cousine, les derniers membres vivants de la famille qui avaient encore connu Wilhelm Crisolli, sont assemblés avec les matériaux des dossiers trouvés dans des archives d’histoire militaire et dans d’autres archives scientifiques, mais ils sont également confrontés aux résultats de la recherche historiographique critique. Les pièces de dossier, les témoignages ou les photographies se sont ainsi révélés être des correctifs mutuels qui faisaient apparaître comme trompeur le strict antagonisme entre faits documentaires et fictions. J’ai choisi cette forme ouverte pour apprécier à leur juste valeur la contradiction, la complexité, mais aussi le hasard des événements. J’ai surtout évité les instructions morales aux lecteurs en préservant, autant que possible, l’ambiguïté de mon matériel de recherche. Il est par ailleurs difficile d’attendre autre chose d’un auteur appartenant à une génération qui, à l’université, a été formée avec les théories de la déconstruction et du post-structuralisme. Au fond, je n’ai rien fait d’autre que de décaler, avec les éléments de la modernité littéraire ou de la philosophie postmoderne, les coordonnées du discours sur la mémoire de la République fédérale. Du reste je crois qu’à l’avenir, la forme du souvenir sera d’une importance décisive. Nous savons de quoi nous devons nous souvenir, mais comment et à quelle fin, cela n’est pas clair.

C. H.-M. : Votre approche du passé s’effectue à travers une perception très sensorielle de paysages, d’abord de façon quasiment inconsciente à travers les paysages fortement imprégnés par la mémoire de l’Est de l’Europe, ensuite, à l’opposé, à travers le paysage méridional de la Toscane. Est-ce que la nature ou le paysage ont pour vous une signification métaphorique ou allégorique ? Quel rôle jouent pour vous les descriptions ?

T. M. : On pourrait désigner mon regard sur les paysages comme souvenir figuratif. Ce procédé résulte bien sûr aussi du fait que mon livre participe en partie du genre " récit de voyage " ou " souvenirs de voyage ". À la recherche de mon grand-père je me suis retrouvé en Pologne, dans les pays baltes, en Allemagne, à Berlin, en Franconie et en Lusace, mais surtout en Toscane. Lorsqu’en tant qu’Allemand on voyage en Italie, on le fait bien sûr avec l’horizon d’une riche tradition littéraire, qu’on pense seulement aux séjours italiens de Goethe, Heine ou August von Platen. Ce dernier joue un certain rôle dans mon livre, car un de ses descendants faisait partie des officiers supérieurs de Wilhelm Crisolli en Italie. J’ai été influencé par les Scènes de la vie d’un propre à rien de Eichendorff, mais aussi par le fragment Andreas de Hugo von Hofmannsthal sur lequel je me suis penché très longtemps et qui me fascine encore aujourd’hui. Les textes littéraires sont toujours tissés de différents codes et voix, dans mon livre ce n’est pas autrement.
D’un point de vue poétologique, les descriptions de paysages jouent pour moi un rôle de toute première importance. Sans la perception ou la description de paysages, mon écriture ne serait probablement pas du tout possible. Parmi les éléments qui m’inspirent, les paysages occupent la première place. Je communique avec eux, j’essaie de les lire, de déchiffrer leur histoire. Les paysages sont pour moi des allégories de la mémoire, les médias les plus importants du souvenir aussi bien volontaire qu’involontaire. Je dégage une couche historique après l’autre et j’essaie dans mon imagination d’annuler les changements visibles et de faire retour en arrière dans le temps. Y aurait-il la possibilité du voyage dans le temps, je le ferais. La description de paysages me procure une grande partie du plaisir dans l’écriture et constitue la majeure partie du travail sur le texte, car il s’agit là de voyages imaginaires dans le temps. Je laisse à d’autres l’interprétation pour savoir si le résultat peut se désigner comme une histoire naturelle. Le lien entre la " déconstruction de mythes familiaux et l’affranchissement d’un discours esthétique sur le paysage " dans mon livre a été récemment démontré par Anne Fuchs, germaniste au University College de Dublin .
Mes propres réflexions lors de l’écriture de mon livre étaient telles que je ne pouvais même pas imaginer la biographie de personnes sans le paysage qui les entoure, d’une certaine manière je regardais la personne et le paysage comme une sorte d’unité mythique. Pour moi, le paysage est l’élément décisif qui marque les sociétés rurales ou des petites villes. Peut-être en est-il un petit peu comme chez Fernand Braudel : dans son épopée sur la Méditerranée, la géographie conduit à la découverte d’une " histoire quasiment immobile ". Dans mon prochain livre qui aura pour sujet la Bohème et qui, de là, mène de nouveau en Italie, mais également aux États-Unis, je réutiliserai ce procédé tout en essayant de l’élargir. La Bohème du Nord apparaîtra comme un paysage thermal, industriel, de guerre et d’émigration ; chacun de ces paysages sera représenté par une autre biographie. Car mon regard sur les paysages essaie de rendre visible le passé dans le présent, les allégories de l’impérissable sont également en jeu. Que rien ne disparaît, mais revient sous une forme transformée est un principe poétique. Mais peut-être est-ce seulement le regard de quelqu’un qui comme moi a grandi à la campagne et qui a l’habitude d’interpréter le changement des saisons grâce aux différents signes du paysage et du ciel.

C. H.-M. : Vous vous sentez appartenir à la troisième génération, la génération des petits-enfants. Comment définiriez-vous cette génération qui inclut également des auteurs nés dans les années 1960/1970 et qui ont un horizon d’expérience tout à fait différent par rapport au passé ?

T. M. : Bien sûr je n’appartiens à la troisième génération qu’en ce qui concerne mon grand-père. Mais par rapport à la Seconde Guerre mondiale, ce rapport généalogique est pour moi déterminant, car mon père est mort il y a 35 ans déjà. Les différentes classes d’âge se distinguent évidemment les unes des autres. La cohorte de la génération des petits-enfants à laquelle j’appartiens occupe plutôt une position intermédiaire. Non seulement entre père et grand-père, mais aussi sur le seuil entre mémoire communicative et mémoire culturelle. Certaines choses sont pour moi encore du souvenir, beaucoup est déjà de l’histoire. Ceux qui sont nés comme moi entre 1950 et 1960 sont considérés comme les " enfants de la consommation ". Certes, nous pouvons encore nous souvenir de quelques ruines de guerre dans les grandes villes, mais ce qui nous a marqué étaient le miracle économique en Allemagne fédérale ainsi que le passage des conservateurs à la coalition sociale-libérale en 1969, avec Willy Brandt comme figure symbolique représentative. Le changement des valeurs vers une culture de l’épanouissement personnel était également déterminant.
Ceux qui sont nés entre 1960 et 1970 sont les enfants de la crise. Ils ont connu des récessions économiques avec deux chocs pétroliers et ont été marqués par la conscience progressive de la fin de la croissance industrielle. En général, l’expérience du national-socialisme ne joue plus de rôle décisif pour la biographie des enfants de la consommation et de la crise, qui sont tous nés après la guerre. Mais concernant la conscience du passé de leurs parents et grands-parents ainsi que leur propre façon d’aborder l’existence, la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste étaient présents de différentes façons. Personnellement je me souviens encore du silence éloquent et de la parole gardant le silence sur le passé national-socialiste de mes parents et de mes deux grand-mères. À la recherche de mon grand-père, je me suis consciemment placé dans une lignée généalogique et générationnelle tout en acceptant l’expérience déroutante de devoir intégrer également des crimes de guerre dans la mémoire familiale. Cette perspective historique du roman générationnel est certainement l’élément commun des livres des enfants de la consommation et de la crise. On veut comprendre et non pas accuser, sans toutefois pardonner – somme toute pas une chose facile sur le plan émotionnel. Pour être précis, il faut toutefois ajouter qu’en Allemagne, ce sont jusqu’à présent les livres des enfants de la guerre, de ceux qui ont aujourd’hui entre 60 et 65 ans, qui dominent, et la plupart de ces publications ont le caractère d’une confession auto-thérapeutique. Les romans familiaux des générations plus jeunes étaient jusqu’à aujourd’hui en minorité, mais là aussi se dessine peu à peu une évolution.
À mon avis, l’actuel roman familial constitue la transition vers une représentation littéraire progressive de l’histoire contemporaine de la Seconde Guerre mondiale. Dans la littérature contemporaine espagnole, les conséquences familiales de la guerre civile font depuis un certain temps déjà l’objet d’un traitement fictionnel. En Allemagne, il y avait pendant longtemps une sorte de commandement moral de vérité et d’authenticité qui a eu pour conséquence une interdiction d’images littéraires et qui a rendu taboues les représentations correspondantes (qui ont toutefois existé). Soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la situation a changé. Mais le roman à scandale Endstufe (" Stade final ") de Thor Kunkel, paru en 2004, a montré à quel point ce terrain est encore miné. En revanche, le roman familial Es geht uns gut (" On se porte bien ") de l’auteur autrichien Arno Geiger, né en 1968, qui a reçu, en 2005, le Prix du livre allemand (" Deutscher Buchpreis ") signifiait un véritable progrès littéraire. Mais il faut espérer voir émerger de nouvelles formes narratives qui se soucient de la signature totalitaire du 20e siècle. Je trouve que de futurs écrivains pourraient apprendre beaucoup des auteurs de la première génération, comme par exemple d’un Jorge Semprun.

C.-H. M. : Quelle est votre position par rapport aux critiques qui voient en votre livre une réhabilitation de votre grand-père et qui le caractérisent comme " littérature de justification " ?

T. M. : Tout ce que j’ai dit jusqu’à présent devrait rendre inutile une réponse à cette " critique ", également parce qu’elle est diffamatoire. Ceux qui ont lu mon livre savent que le reproche qu’il s’agirait d’une euphémisation est faux. Je mène entre autres une sorte de procès par indices contre mon grand-père qui ne se termine pas par un acquittement. Les " critiques " dont vous parlez se distinguent surtout par le fait de se taire sur la majeure partie de mon livre. Les portraits des trois femmes par exemple, qui représentent trois façons différentes de se taire sur le passé national-socialiste en Allemagne fédérale, ne sont même pas mentionnés. Il en est de même de la forme littéraire qui dépasse un seul genre. Ce qui les intéresse, c’est de ramener la pluralité des perspectives et la polyphonie de mon livre à une " histoire de nazi ". Bien sûr mon grand-père est au centre, sa participation à des crimes de guerre ainsi que l’élucidation des événements de la guerre en Italie est, parfois plus, parfois moins, un leitmotiv évident. Mais ce qui me préoccupait le plus dans ce contexte, étaient les conséquences trans-générationnelles du national-socialisme dans une famille allemande d’après-guerre, une stratégie d’éclaircissement de soi-même qui n’est pas atypique pour ma génération. La différence entre les discours mémoriels de la deuxième et de la troisième génération n’est même pas présente chez ces critiques, ils ne semblent même pas avoir conscience qu’il y a ici un conflit de générations. Au lieu de cela, le discours moralisateur de l’accusation, typique pour les soixante-huitards, est utilisé de façon normative, celui qui pense autrement, est diffamé. Or, la troisième génération tient un autre discours sur le passé et elle a atteint un autre degré de réflexion que l’ancienne génération de 1968. Le discours de culpabilité de l’ancienne République fédérale, opérant avec le repentir, l’expiation et la consternation, est devenu obsolète et il a perdu sa force de lien social. Nous vivons à l’époque de la post-mémoire où – cela est également dû à la disparition des témoins – il n’y a presque plus de souvenirs ou d’expériences individuels qui pourraient directement se rattacher à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Les critiques dont vous parlez ignorent tout cela aussi bien qu’ils ignorent la transformation de la constellation historique et politique après 1989. Depuis, ce n’est pas seulement l’époque du national-socialisme qui est devenue histoire, mais également l’ancienne République fédérale et la RDA. Notre perception du national-socialisme et de la guerre n’est donc plus qu’une perception indirecte et les politiques de l’histoire des deux États allemands, qui représentent deux réponses différentes au Troisième Reich, sont également devenues obsolètes et historiques. Qui me reproche d’euphémiser, de justifier, voire de relativiser la culpabilité à travers les changements du discours sur la mémoire après 1989, ne fait que démontrer qu’il a perdu depuis longtemps le pouvoir d’interprétation sur l’histoire du national-socialisme. Je pense que nous nous trouvons dans un état de désorientation productive où nous devons nous demander quelles devront être à l’avenir les représentations symboliques du " passé allemand ". De nouvelles stratégies narratives autoréflexives montrent qu’il ne s’agit plus d’une " maîtrise du passé ", mais de quelque chose comme une esthétique de la mémoire. Espérons que le recours abusif à l’histoire comme théologie substitutive pourvoyeuse de sens est terminé.

C. H.-M. : Est-ce que votre grand-père représente pour vous une figure héroïque ? Et est-ce que dans votre roman familial, votre père, appelé sous les drapeaux en 1939, jouerait alors le rôle de l’anti-héros ?

T. M. : On m’aurait très mal compris si mon grand-père se manifestait aux lecteurs de mon livre comme un héros. J’espère que ce malentendu n’apparaît même pas. Je ne saurais même pas dire pourquoi mon grand-père serait un héros. Les actions héroïques militaires, qu’il y avait sans doute aussi dans la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale, sont toujours douteuses dans la mesure où elles servaient à légitimer un régime totalitaire et ses guerres d’agression et d’idéologie raciste. Toute gloire militaire provoque jusqu’à aujourd’hui en Allemagne un mauvais arrière-goût, les héros militaires sont peu aimés, les monuments aux morts qu’il y a évidemment aussi dans ce pays, sont une affaire à double tranchant. Non, il m’importait toute autre chose. Comme je l’ai déjà dit, l’empathie joue un rôle important, mais plutôt comme une phase préliminaire à un autre niveau de la représentation. Ce qui m’a surtout intéressé étaient les constellations biographiques pendant la guerre et l’après-guerre. Un général allemand de la Wehrmacht qui en 1944 est mortellement blessé dans une embuscade de partisans en Toscane, et qui porte le nom de famille italien Crisolli – cette constellation aussi bien complexe que contingente m’apparaissait, malgré son caractère réel, comme une matière romanesque, comme un défi littéraire. C’est la raison pour laquelle j’ai essayé de reconstituer la vie de mon grand-père à partir de sa mort énigmatique ; personne dans ma famille ne connaissait le déroulement exact de l’embuscade ni les raisons.
Mon grand-père serait plutôt un héros tragi-comique, son destin, et aussi sa fin, sont en partie tellement grotesques qu’on pourrait en rire. Le comique d’un général allemand de la Wehrmacht parlant couramment l’italien et portant le nom de Wilhelm Crisolli, qui prend ses quartiers dans des villas toscanes, qui aime faire la conversation avec les maîtresses de maison en buvant le thé, qui considère que les hommes italiens sont des lavettes et qui, finalement, est par hasard victime d’une embuscade de partisans, tout cela semble inventé, mais c’est la réalité historique. Ma stratégie d’accentuer les constellations et les situations dans lesquelles les personnes se trouvent prises, est au fond anti-héroïque et constitue la tentative de rendre au quotidien historique sa banalité. C’est pourquoi mon père est moins un anti-héros qu’un personnage secondaire (la présentation de sa biographie devrait être l’objet d’un autre livre). Sa fonction est de représenter une autre génération. Mon père avait dix-huit ans en 1939, il a passé le " baccalauréat de guerre " (Notabitur) et peu après, il est allé au front (en tant qu’officier du Service de santé). Faisant partie de ces rapatriés de guerre typiques que la défaite militaire de l’Allemagne a poussés dans une longue et profonde crise de virilité peut-être jamais dépassée, il porte, en effet, les traits d’un anti-héros tragique. Car en 1945, il en était définitivement fini de la virilité que le prussien Wilhelm Crisolli, né sous l’Empire, a pu encore vivre entièrement. Ce qui m’intéressait le plus dans le cas de mon père, c’était la brusque chute d’une biographie à succès ouest-allemande à l’intérieur de laquelle la Seconde Guerre mondiale s’était enkystée de façon presque invisible.

C. H.-M. : Vous écrivez que votre intérêt pour le passé et pour le destin de votre grand-père a été suscité en 1996 lors de la visite du musée des expositions mondiales à Flushing Meadows. C’est là que vous avez découvert la " capsule temporelle " destinée à sauvegarder pour des générations futures des objets du quotidien de l’année 1939, alors qu’à la même époque, l’Europe a sombré dans le chaos. Est-ce qu’une certaine constellation du présent n’a pas également éveillé votre intérêt, si on pense en 1995 aux commémorations du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre et au début de l’exposition sur les crimes de la Wehrmacht ?

T. M. : Objectivement, ces deux événements ont certainement joué un rôle, dans la mesure où ils ont transformé de façon décisive et différente la culture mémorielle en Allemagne. L’histoire de " l’exposition sur la Wehrmacht " inaugurée en 1995 documente de façon particulièrement significative les débats sur l’histoire des années 1990. Le titre officiel était " Guerre d’extermination. Crimes de la Wehrmacht 1941-1944 ". En 1999, cette exposition fut retirée à cause d’erreurs considérables et elle a ensuite été montrée dans une conception entièrement retravaillée – une procédure qui de nouveau a déclenché des débats publics passionnés. L’effet décisif de ces deux expositions venait du fait qu’elles confrontaient des centaines de milliers de visiteurs à la question de la participation, ou non de membres de leurs propres familles aux crimes du national-socialisme. Les " romans familiaux " publiés quelque temps après ont essayé de donner une réponse à la question de la culpabilité soulevée par cette exposition, à partir de la biographie familiale. Les auteurs de ces livres qui, comme moi, ne sont souvent pas des auteurs professionnels, ont commencé à fouiller les archives de famille à la recherche de documents attestant du passé des pères et grands-pères pendant la guerre. Les débats acharnés autour de la première exposition ne doivent pas empêcher de voir qu’ils faisaient partie intégrante d’une culture mémorielle qui, en 1995, a proposé une vision de l’histoire inhabituellement plurielle. Sans être soupçonné d’être revanchard ou de relativiser la culpabilité allemande, on pouvait également se souvenir des victimes allemandes des bombardements, des victimes de l’exode et des expulsions des territoires de l’Est ou du destin des prisonniers de guerre allemands en détention soviétique.
Évidemment moi aussi, j’ai été influencé par " l’exposition sur la Wehrmacht " et la pluralisation de la mémoire dans le contexte de l’année commémorative 1995, sans ces deux événements mon livre aurait été impensable. Mais d’un point de vue subjectif, les conséquences géopolitiques de l’année 1989 que j’ai vécue de tout près, ayant déménagé en 1983 à Berlin (Ouest), ont été plus importantes pour moi. Je décris dans mon livre comment la redécouverte des anciens territoires de l’Est d’où ma mère a fui en tant qu’adolescente en 1945, m’a aidé à remonter le passé de mon grand-père. Si le rideau de fer n’avait pas disparu, ainsi est mon raisonnement, je ne serais jamais venu dans la Poméranie aujourd’hui polonaise où Wilhelm Crisolli a vécu en tant que jeune officier et où il a fait la connaissance de ma grand-mère qu’il a ensuite épousée. Mes nombreuses visites en Poméranie ont finalement attiré mon attention sur les derniers mois de guerre de mon grand-père en Toscane, mais elles ont également provoqué un intérêt qui dure jusqu’à aujourd’hui pour le destin de la nation polonaise. Dans ma biographie, l’année 1989 a deux visages. D’une part un événement politique dont j’ai été témoin, mais d’autre part aussi un événement producteur de mythes grâce au retour de mon histoire familiale. " L’Est " est pour moi jusqu’à aujourd’hui le mythe qui me capte le plus.

C. H.-M. : Est-ce qu’on pourrait désigner cette prise de conscience par ce que Walter Benjamin entend par " Maintenant de la connaissabilité " (" Jetzt der Erkennbarkeit "), concept selon lequel seul une certaine constellation du présent permet une connaissance du passé et qu’inversement le passé éclaire en même temps le présent ?

T. M. : Cela peut tout à fait se décrire comme cela et les critiques qui méritent ce nom l’ont également vu ainsi. Dans la Süddeutsche Zeitung, il était par exemple question que moi, mais aussi d’autres auteurs de " romans familiaux ", nous étions des " micrologues messianiques " " qui comme Benjamin flairent derrière chaque virgule la porte du paradis. Ou la porte de la vérité historique ". Cela est juste. Mais comme je l’ai déjà dit, chaque texte est un tissu fait de nombreuses lectures. C’est pourquoi je n’ai pas non plus opté de façon consciente en faveur du concept de Benjamin. Comme beaucoup d’autres choses, cette expérience de lecture était décisive pour la socialisation intellectuelle de ma génération. Mais je pourrais également mentionner Marcel Proust ou W.G. Sebald, décédé en 2001, qui pensait qu’il y avait toujours la possibilité que quelque chose du passé vous rattrape inopinément et vous touche en plein cœur.
Il ne faudrait pas oublier non plus que dans de nombreux passages de mon livre – surtout lors de mes voyages en Toscane – la psychanalyse a exercé une influence déterminante. Le voyage, le rêve et l’inconscient se situent à peu près sur le même niveau. De façon générale, il faut le souligner, l’inconscient joue dans une grande partie de mon livre un rôle plus important que la conscience. Et comme il s’agit d’une biographie familiale, les relations œdipiennes entre les membres de la famille ont évidemment aussi une importance ainsi que ma quête de ce que signifient l’homme et la virilité. Toutefois le concept benjaminien du " Maintenant de la connaissabilité " décrit mon approche assez précisément, bien que je doive ajouter qu’évidemment je ne m’attendais pas à la rédemption ni à la vérité. La constellation du présent permettant le regard sur le passé était en effet très favorable. Je rappelle ici encore une fois la distance générationnelle par rapport aux événements de la Seconde Guerre mondiale et la transformation progressive des souvenirs en histoire que nous sommes en train de vivre.

C. H.-M. : Vous avez volontairement interrompu les investigations sur votre grand-père sans avoir appris quelque chose de définitif. À la fin de votre livre vous reconnaissez la nécessité de se souvenir, mais vous plaidez également pour l’oubli. Est-ce que cet oubli a chez vous une dimension éthique ? Dans quelle mesure il contient également la question de la transmission ?

T. M. : Il serait faux de parler d’interruption dans le sens où mes investigations auraient été sans résultat. À la fin j’en savais plus sur mon grand-père que ce que j’avais espéré au début et j’en savais plus que n’importe quel autre membre de ma famille. Il serait plus juste de dire que j’ai pu terminer mes enquêtes parce que je savais bien que je ne trouverais plus rien qui puisse encore fondamentalement changer le contenu et le message de mon livre après trois ans de travail. Même si j’avais rassemblé plus de détails encore, il n’y aurait pas eu de tableau complet. On ne peut donc parler d’interruption que dans le sens où je me suis contenté d’un certain caractère inachevable. De plus je craignais de me perdre dans des détails sans importance ou pire, de ne plus pouvoir sortir du passé historique dans lequel je m’étais plongé. Un jour il était temps de terminer mon voyage dans le temps et de revenir.
En ce qui concerne le souvenir et l’oubli, on peut d’abord constater que chacun de nous doit d’abord oublier avant de pouvoir se souvenir. Et comme l’un ne va pas sans l’autre, on ne peut pas non plus se servir de l’un contre l’autre, surtout pas moralement. Je pense qu’attribuer une valeur éthique au souvenir est aussi insensé qu’en attribuer une à l’oubli. Des deux il ne faudra pas faire de dogme et il faudra séparer la dialectique du souvenir et de l’oubli du contexte (souvent polémique et déterminé par la politique de l’histoire) du refoulement ou de la relativisation de la culpabilité.
Par ailleurs il est complètement faux de croire que, fondamentalement, le souvenir était une activité moralement bonne, sensée et précieuse. En Allemagne, on parle souvent de façon très émotionnelle du souvenir, alors qu’il vaudrait mieux parler d’historiographie ou de politique de l’histoire. On a oublié, ou on ne veut pas admettre que la mobilisation du souvenir peut tout à fait servir à des intérêts évidents dans la construction de certaines visions de l’histoire. La mémoire collective ou aussi la défaillance de la mémoire collective de nations entières peuvent fonctionner ainsi. Dans l’année commémorative 2005, le souvenir de la Seconde Guerre mondiale en Russie se concentrait sur la victoire sur l’Allemagne, mais ne tenait pas compte du caractère répressif de la dictature stalinienne qui a obtenu cette victoire. Les officiers polonais assassinés en 1940 lors du massacre de Katyn ne rentraient pas non plus dans la vision officielle de l’histoire de la Russie de Poutine. Si nous nous rappelons avec quel revanchisme l’Allemagne s’est souvenue du Traité de Versailles dans l’entre-deux-guerres et quelles en étaient les conséquences catastrophiques, on sait ce que le souvenir ou ce qu’on tient pour le souvenir, peut provoquer. Quant à l’oubli, il faudrait reconnaître que sans l’oubli nous serions incapables d’agir et que nous ne serions même pas en mesure de nous réconcilier. C’est ce que Jorge Semprun a fait remarquer lors d’une manifestation à Berlin en 2005. Pensant à l’actuelle frontière germano-polonaise, l’écrivain espagnol, ancien déporté à Buchenwald, disait que sans l’oubli, le bon voisinage qu’on observe entre temps là-bas ne serait guère possible. Pour la frontière franco-allemande, la situation est semblable. Ne serait-ce pas terrible si l’Alsace-Lorraine jouait encore un rôle émotionnel ou était un objet de la politique de l’histoire dans la mémoire collective des Allemands ou des Français. L’oubli n’est pas forcément une honte, contrairement au refus du savoir. En ce qui concerne mon grand-père, j’ai pu récolter suffisamment d’éléments pour moi-même de façon à pouvoir mettre fin à ses soixante ans d’existence en tant que fantôme inquiétant ; à présent, je peux l’oublier sans crainte. Il est grand temps de se débarrasser du kitsch qui se tisse autour de la notion du souvenir sous forme de pédagogisation édifiante, d’instrumentalisation ou d’émotionnalisation de l’histoire.