Naissance des cinémas militaires
Sébastien Denis, Bénédicte Rochet et Xavier Sené
Aux origines de l'imagerie militaire : les vues Lumière (1896-1897)
Laurent Véray
La France en guerre
Les opérateurs français et les différentes institutions cinématographiques pendant la Grande Guerre (1915-1919)
Véronique Goloubinoff
Le bureau d'études d'Alsace-Lorraine, la propagande et le cinéma (1917-1919)
Joseph Schmauch
Le cinéma au service des inventions militaires et de la formation des soldats durant la Grande Guerre (1917-1922)
Magalie Balthazard et Patrice Delavie
Singularités nationales
Grand angle sur le front belge : les services photographique et cinématographique de l’armée belge (1914-1918)
Bénédicte Rochet
La Roumanie derrière l’écran : le service cinématographique de l’armée roumaine pendant la Première Guerre mondiale (1916-1919)
Dorin Stanescu
Une nation non préparée ? Les trois phases de construction du service cinématographique des armées en Italie (1916-1919)
Alessandro Faccioli et Luca Mazzei
Les films de la campagne de la Somme et la naissance du cinéma militaire en Grande-Bretagne (1916-1917)
Toby Haggith
Le développement du cinéma militaire officiel aux États-Unis (1917-1918)
Ron Van Dopperen et Cooper Graham
D’une guerre, L’autre
Un tonnerre lointain : la constitution du cinéma militaire en Espagne durant la guerre du Maroc et la guerre civile (1909-1939)
Ángel Quintana
Le cinéma militaire en Russie-URSS (1914-1940)
Alexandre Sumpf
Le capitaine Alexandre Dumitresco, ingénieur et cinéaste au service de l’armée roumaine (1919-1939)
Adrian Leonte et Cornel Mitut
La diffusion du cinéma militaire français auprès des armées étrangères (1920-1939)
Stéphane Launey
Du champ de bataille aux archives : les films de propagande allemands pendant et après la Première Guerre mondiale (1916-2014)
Alexander Zöller
La Porte de Brandebourg restaurée ferme désormais la Place de Paris qui est en train de retrouver sa forme et son allure premières : à la place des palais aux affectations diverses, se dressent des immeubles modernes dont l'austérité n’a guère à envier à la sévérité classique de la place originale, les grandes banques côtoient les ambassades, celle de France, inaugurée en 2002, et celle des Etats-Unis, au volume imposant, en cours d’achèvement. Les deux ambassades retrouvent ainsi les sites qui étaient les leurs à Berlin, pour la première de 1860 et pour l’autre de 1931 à la Deuxième Guerre mondiale. Des travaux ont commencé en 2005 pour creuser une nouvelle ligne de métro qui reliera la Porte de Brandebourg à la nouvelle Gare centrale, l’ancienne Lehrter Bahnhof dont la première réalisation remonte à 1871, l’année de l’unité allemande. La nouvelle gare, inaugurée en mai 2006, est un colosse de verre jeté au dessus d’une multitude de niveaux où l’usager ne se retrouve qu’après une pause nécessaire à son orientation puisque aussi bien les trains circulent, à l’issue d’un long tunnel, au niveau zéro, selon l’axe nord-sud tandis que plus haut, en dessous d’une longue voûte de métal et de verre tous les trains possibles, ICE, trains régionaux et de banlieues, S-Bahn, circulent selon l’axe est-ouest dans un incessant mouvement. La gare, qui est le plus grand carrefour ferroviaire d’Europe, est en même temps un immense centre commercial. De loin, elle ressemble à un long tube coupé de deux hautes tours transparentes. L’alliance du verre et du métal donnent une sensation de puissance et de solidité en même temps que de légèreté et de clarté : la modernité de la puissance contrôlée, à l’image de la transparence de la coupole qui a transformé le Reichstag. Devant la gare, s’étirent les berges du coude de la Spree, qui jadis, il y a encore 18 ans, séparait ici l’Ouest de l’Est. Les berges sont aujourd’hui une promenade prisée des Berlinois et des touristes, on peut s’aventurer au delà de la chancellerie et repartir, de l’autre côté en direction de l’île au Musée, en passant devant les multiples bâtiments qui sont autant de bureaux adjoints au Bundestag. Sur le mur de verre de l’un d’eux, le passant peut lire les articles de la Loi fondamentale consacrés aux droits fondamentaux des citoyens ! Des passerelles permettent de passer aisément d’une rive à l’autre, de la rive du Reichstag à l’Ouest au Schiffbauerdamm à l’Est… En ce week-end prolongé d’Ascension qui a vu aussi fêter les pères, Berlin a un air de goguette, d’excursion, de détente. Sur les berges de la Spree, des centaines de transats invitent au repos, à la terrasse du café attenant, un lit en plein air invite au repos du guerrier sous un léger baldaquin, une scène sur laquelle sont braqués des projecteurs fait croire au consommateur qu’il est lui-même l’acteur de son bonheur. Partout ailleurs dans Berlin, des terrasses couvertes d’immenses parasols et équipées de braseros au gaz invitent à poursuivre la vie dehors, aussi tard que possible le soir. Comme partout en Europe, les Berlinois et les Allemands goûtent aux plaisirs de la vie dehors, avec une évidente satisfaction.
Venant de la Friedrichstrasse, la boule de la tour de l’Alexanderplatz, seul reliquat de la RDA à avoir maintenu son statut de symbole de la ville, semble tout à coup s’encastrer dans la couronne qui termine la coupole restaurée du Musée Bode, le premier de l’Ile aux musées à avoir été restauré et ouvert à nouveau au public en octobre 2006. Sous la coupole, la statue du Grand Electeur, Frédéric-Guillaume 1er de Brandebourg, caracole bravement. De l’autre côté de la Spree, dans le parc Monbijou, où la scène alternative de Berlin-Est a exprimé, dans les mois qui ont suivi le tournant de 1989, sa joie de vivre et goûté aux excès de la liberté, une plage – pardon une beach ! – a été aménagée : quelques palmiers suffisent à créer l’illusion de la Méditerranée ou des tropiques. Plus loin sur ces berges qui ont vu courir les manifestants de l’automne 89 aux cris de Gorbatchov alors que celui-ci était reçu par un Erich Honecker réfractaire au changement, se profile la seule véritable ruine du Berlin d’aujourd’hui, la carcasse métallique du Palais de la République, inauguré en 1976 par le même E. Honecker, trois ans après son arrivée au pouvoir, quand il pensait encore la RDA éternelle. Conçu pour être un lieu de rencontres populaire autant que le siège de la Chambre du peuple, ses concepteurs avaient vu grand et solide : les poutrelles d’acier, faites pour durer, ne peuvent être démontées que petit à petit, maintenant, pour un certain temps encore, une impression trouble d’un passé qui ne veut pas encore complètement disparaître, alors que de l’autre côté de la Spree, les immeubles massifs de la reconstruction repoussent plus loin ces habitations de banlieue que les dirigeants de la RDA avaient crû pouvoir installer dans le centre même de leur capitale. Les blessures de la division se cicatrisent, le centre de Berlin a, pour l’essentiel, retrouvé son unité. On n’y trouve plus guère de grues, davantage d’échafaudages pour ravaler les façades.
En m’approchant, vu le flot de touristes, je fus un instant tenté de penser que G. Schröder ne s’était peut-être pas trompé quand, si honteusement maladroit, il avait dit qu’il fallait créer là " un endroit où l’on aimerait se rendre le dimanche ". Mais plus j’essayais de comprendre ce qui se passait en moi au vu de ces stèles au fond desquelles je m’engageais, et plus je me rendais compte que cette impression était superficielle jusqu’à ce qu’une touriste dise ce que ce monument dédié à la mémoire des juifs d’Europe assassinés avait pour elle d’oppressant ! Le lieu est oppressant et bouleversant ! Martin Walser a tort de voir là une manifestation de gigantisme pour mieux brandir une " massue morale " contre les Allemands. De par leur taille - au centre du mémorial, les stèles dominent de leur quatre mètres au moins le visiteur qui a pénétré dans un simple cimetière aux stèles allongées -, leur dislocation qui rappelle sobrement le cimetière juif de Prague, leurs différents niveaux, leur étendue en plein centre de Berlin, ces stèles sont à l’échelle du crime commis, elles pénètrent le visiteur d’une émotion profonde et invitent au recueillement. Vu de haut, cet immense champ de stèles, à deux pas de la Porte de Brandebourg, au cœur du Berlin politique, au cœur du Berlin touristique, est plus impressionnant encore, il donne à l’incommensurabilité du crime sa dimension, sa portée pour notre mémoire. Même sous un soleil radieux de mai, on descend progressivement vers le centre où le souvenir de la mort impose son silence. Les enfants peuvent jouer à cache-cache entre les premières stèles, les jeunes gens jouer à se perdre comme dans un labyrinthe, ce mémorial exprime, là où il le fallait, l’immensité et la singularité du crime nazi.
Réforme du code de nationalité, nouvelle législation en matière d'immigration et modernisation du droit des étrangers entérinent l’échec en Allemagne du multiculturalisme en même temps qu’ils mettent fin au mensonge d’une Allemagne sans immigrés. La notion de culture de référence, qui a émergé dans ce contexte aura eu, malgré l’usage électoraliste qui en a été fait par certains, le mérite de provoquer une salutaire discussion et une prise de conscience. L’Allemagne a enfin abandonné la fiction qu’elle n’était pas un pays d’immigration. Placée devant le choix d’une assimilation utopique ou d’une intégration citoyenne encore étrangère à sa culture, elle semble avoir opté pour l’instant pour une forme d’acculturation imposée d’une part et pour un traitement essentiellement économique et utilitariste de l’immigration de l’autre.
Reformiertes Einbürgerungsrecht, neues Einwanderungsrecht und Modernisierung des Ausländerrechts besiegeln in Deutschland das Scheitern der Multikultigesellschaft und setzen zugleich der Lebenslüge Deutschland sei kein Immigrationsland, ein Ende. Dem in diesem Zusammenhang geprägten Begriff der Leitkultur kommt, trotz des wahlpolitischen Mißbrauchs zu dem er einzelne verleitete, der Verdienst zuteil, eine längst überfällige Diskussion und späte Einsicht herbeizuführen. Deutschland hat die Fiktion aufgegeben es sei kein Einwanderungsland. Vor der Wahl zwischen einer utopischen Assimilation und einer der deutschen Kultur bisher noch fremden staatsbürgerlichen Integration, scheint es sich vorerst für eine Form der auferlegten Akkulturation einerseits und einer wirtschaftlich motivierten, utilitaristischen und gezielten Immigration andererseits entschieden zu haben.
Reformed legislation regarding naturalization, new legislation on immigration and modernisation of Aliens Law confirm the failure of multiculturalism in Germany and give the lie to the belief that Germany is not an immigration country. The notion of a German cultural identity which has appeared in the context of long-awaited discussions has had the merit of raising beneficial discussions and getting deeper insight into this problem, even though it has been the subject of electoral misuse. Germany has finally stopped misrepresenting itself and has accepted the fact that it is an immigration country. Faced with the choice between utopian assimilation and integration through citizenship, Germany seems to have opted for a type of imposed acculturation on the one hand and for an economically motivated, utilitarian and selective immigration on the other hand.
Zusammenfassung
Das seit Januar 2005 geltende Zuwanderungsgesetz wird in diesem Artikel aus verschiedenen Blickpunkten beleuchtet. Grundsätzlich geht es um die Frage, inwiefern die Bundesrepublik mit dem Zuwanderungsgesetz einen Paradigmenwechsel erreicht hat. Ausgehend von der historischen Entwicklung der Ausländerpolitik in der Bundesrepublik werden zunächst die markanten Etappen der Debatte im Vorfeld des Zuwanderungsgesetzes geschildert. Versucht wird dann die bisherige Umsetzung des Gesetzes zu analysieren, und den Erfolg abzuschätzen.
Pauschale Verurteilung verdient das Gesetz nicht –immerhin beruht jetzt das deutsche Migrationsrecht auf einem breiten politischen Konsens- aber einige Punkte erscheinen aufgrund konzeptionneller Schwächen im Gesetzeswerk noch problematisch. Nicht zufriedenstellend gelöst wurde die zentrale Frage der Attraktivität Deutschlands für hoch qualifizierte Zuwanderer. Weiterer geseztgeberischer Handlungsbedarf besteht auch im Integrationsbereich.
Résumé
La loi sur l'immigration en vigueur depuis janvier 2005 est ici analysée selon différentes perspectives. La République fédérale a-t-elle instauré par cette loi un nouveau paradigme ? A partir de l’évolution historique de la politique de la RFA envers les étrangers sont d’abord exposées les étapes marquantes du débat qui a précédé la loi sur l’immigration. Suit une appréciation de l’application de la loi, pour tenter d’en mesurer le succès.
Condamner en bloc loi sur l’immigration serait une erreur –grâce à elle, la législation migratoire repose aujourd’hui en Allemagne sur un large consensus - mais les faiblesses conceptionnelles de la nouvelle législation rendent certains points problématiques. La question essentielle de l’attractivité de l’Allemagne pour les immigrés très qualifiés n’est pas résolue de façon satisfaisante. La question de l’intégration appelle aussi des correctifs.
The immigration law in force since January 2005 is analysed here from different angles.
Did the Federal Republic institute a new paradigm with this law? The outstanding stages of the debate preceding the law are first set out considering the historical evolution of the country policies towards foreign born residents.Then comes an assessment of the law implementation to try and evaluate its success.
One would be mistaken in condemning the law out of hand -thanks to it, in Germany today the immigration legislation is widely accepted even though problems may arise due to some weaknesses in the new legislation.
Two questions still remain which are unsufficiently dealt with: Germany's attractiveness for highly qualified immigrants and the integration process which may require amendments.
Résumé :
Cet article retrace la politique d'asile allemande de ces soixante dernières années. La question de l’asile politique a en effet été l’objet de nombreux débats et d’aussi nombreuses mesures en Allemagne de l’Ouest durant toute la période étudiée. Cette politique d’asile se caractérise tout d’abord par une grande générosité, de l’immédiat après-guerre au milieu des années 1970. Une phase de grandes restrictions du droit d’asile la suit, dont la réforme constitutionnelle de 1993 constitue l’apogée. Au même moment, la politique d’asile s’européanise de plus en plus et l’Allemagne joue un rôle important dans cette évolution. A partir de 1993 et jusqu’à aujourd’hui, la politique d’asile est l’objet de compromis, ce que l’actualité récente de la présidence allemande de l’UE et du problème des déboutés du droit d’asile illustrent particulièrement bien.
Zusammenfassung :
Dieser Artikel stellt die deutsche Asylpolitik der letzten sechzig Jahre vor. Die Asylfrage ist während des ganzen untersuchten Zeitraums in Westdeutschland Gegenstand zahlreicher Debatten und genauso zahlreicher Massnahmen gewesen. Die Asylpolitik ist zunächst durch ihre Grosszügigkeit gekennzeichnet, von den unmittelbaren Nachkriegsjahren bis in die Mitte der siebziger Jahre. Darauf folgt eine Phase starker Verschärfung des Asylrechts, deren Höhepunkt die Verfassungsreform im Jahre 1993 bildet. Zur gleichen Zeit verschiebt sich die Asylpolitik immer mehr auf die europäische Ebene und Deutschland spielt dabei eine erhebliche Rolle. Ab 1993 und bis heute ist die Asylpolitik eher Gegenstand von Kompromissen, was die aktuellen Entwicklungen unter der deutschen EU-Ratspräsidentschaft und der Frage des Bleiberechts für geduldete Ausländer hervorragend veranschaulichen.
Summary:
This article studies German asylum policies in the last sixty years. The question of political asylum has indeed been the subject of many debates, thus of many measures in West Germany during the whole studied period. These asylum policies are first characterised by their big generosity from the immediate post war time until the middle of the seventies. A time of big restrictions of asylum laws followed, with the changes in the constitution in 1993 as its climax. At the same time, asylum policies became more and more a European issue and Germany had an important part in this evolution. From 1993 until today, asylum policies have been the subject of compromises, which is perfectly illustrated in the recent German EU-presidency and the problem of rejected asylum seekers.
1 L'intégration de la société française et de la société allemande
Depuis maintenant plus d’un siècle, l’intégration de la société moderne demeure une interrogation centrale en France et en Allemagne. Dès sa naissance, la sociologie notamment s’est presque entièrement organisée autour de cette question indissociablement " politique " et " scientifique " : comment construire une société nationale, l’unifier, la rendre cohérente et comment, en même temps, y faire adhérer et participer des individus très divers, issus de cultures locales ou étrangères. En France, avec la modernité, c’est la nation et la raison qui sont apparues comme les principes devant fonder la construction d’une telle société, égalitaire et libre, succédant ainsi au monde traditionnel et hiérarchisé des communautés et de la religion. Dans ce contexte, la nation française est née comme conception volontariste et politique unissant tous les citoyens dans un " plébiscite de tous les jours " (Ernest Renan) autour des mêmes valeurs politiques. En Allemagne, en revanche, où le rayonnement des Lumières était moins fort, la nation s’est définie par la culture et la langue ou, comme le disait le poète Ernst Moritz Arndt, l’espace politique de la nation allemande est " là où l’on parle allemand ".
Ces naissances des nations modernes ont été accompagnées, depuis la fin du 19e siècle, par la formation de la société industrielle. Selon un modèle européen ce type de société associait économie de marché, lutte des classes, système démocratique et Etat providence. La France et l’Allemagne sont ainsi devenues des sociétés industrielles et nationales " intégrées " dont faisait partie la classe ouvrière luttant pour ses droits sociaux et politiques et bénéficiant de la solidarité nationale. Les " Trente Glorieuses " en France et les années d’après-guerre du " Wirtschaftswunder " en Allemagne ont constitué l’apogée de cette société nationale. En son sein se sont développées les villes industrielles qui avaient la fonction de " machines d’intégration " construites autour des usines et de l’habitat des ouvriers. En France se sont ainsi formées les " banlieues rouges " ouvrières, gouvernées dans la plupart des cas par le Parti communiste. En Allemagne, les quartiers semblables étaient dominés par une culture ouvrière sociale-démocrate, par exemple dans la région industrielle de la Ruhr.
2 L’immigration en France et en Allemagne
En France, la question de l’immigration est intrinsèquement liée à celle de la Nation et au-delà à celle de l’individu : le modèle d’intégration républicaine est aussi un modèle de la respectabilité individuelle, l’individu est pleinement libre et accompli s’il est rationnel et maître de ses émotions et de ses affects. D’un point de vue général, l’immigré, pour s’intégrer, doit abandonner sa culture particulière. En devenant Français, il accède à une culture moderne et rationnelle, qui lui permet ainsi de s’émanciper et de devenir un véritable individu accompli, un citoyen universel. En Allemagne, en revanche, la question de l’immigration est exclue de la conception de la nation. Font partie de la nation ceux qui sont de culture allemande. Dans ce contexte, il faut savoir que l’Allemagne a longtemps été un pays d’émigration ; l’immigration n’a véritablement commencé qu’après la deuxième guerre mondiale. Cette tradition fait que, jusqu’à nos jours, il n’existe pas de modèle d’intégration. La tradition du jus sanguinis (droit du sang) a très longtemps empêché de faire de l’acquisition de la nationalité allemande un but qui mène à une intégration. Si jamais un " modèle " a existé, il était fondé implicitement sur la réussite de l’insertion de l’immigré dans le marché du travail et sur les prestations sociales de l’Etat providence allemand
Dans ce cadre, l’histoire de l’immigration s’est déroulée très différemment dans les deux pays. En France, tout au long du 20e siècle, l’intégration des immigrés s’est faite selon les lignes de force du modèle républicain : en venant travailler, les immigrés s’intégraient au monde du travail, à la classe ouvrière notamment. Ils s’y socialisaient progressivement, c'est-à-dire qu’ils abandonnaient leurs anciens modes de vie pour adopter celui des communautés dans lesquelles ils s’étaient installés. Puis, ils finissaient par s’engager dans l’activité syndicale et par participer pleinement à la vie sociale et politique et surtout, finissaient par s’identifier à la Nation elle-même. Bien entendu, ce modèle n’a pas fonctionné sans difficultés et sans tensions. Le racisme et les discriminations ont lourdement pesé sur le destin des immigrés, mais dans l’ensemble, l’histoire de l’immigration fut tout au long du 20e siècle incluse dans celle de l’intégration nationale. C’est ainsi que la France est un vieux pays d’immigration : les vagues migratoires se sont succédées, marquées par une forte immigration européenne des années trente aux années soixante, Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais sont venus s’installer. Après la seconde guerre mondiale, les Maghrébins ont contribué fortement au développement économique. Dans les années soixante-dix, l’immigration s’est poursuivie avec l’arrivée de populations issues d’Afrique sub-saharienne, Mali, Sénégal, Côte d’Ivoire entre autres, et d’Asie, Vietnam et Chine.
En Allemagne en revanche, cette tradition d’immigration n’existe pas. Les immigrés polonais dans la Ruhr et les migrants russes à Berlin dans les années 20 ne sont là plutôt qu’une exception. Après la deuxième guerre mondiale, ce sont les réfugiés allemands, qui ont représenté en terme d’intégration un défi considérable pour la société allemande. Cependant, ces personnes avaient des affinités avec la langue et la culture allemande. C’est également le cas pour les migrants de souche allemande (Aussiedler et Spätaussiedler), venus avant et après 1989 de plusieurs pays d’Europe de l’Est, bien qu’une partie considérable de ces migrants maîtrise mal l’allemand et constitue aujourd’hui un problème d’intégration. Mais comparé avec la France, c’est également la politique de recrutement de " travailleurs-hôtes " (Gastarbeiter) qui a fait venir en Allemagne les migrants des années 60 et 70, arrivés du sud de l’Europe, de l’ex-Yougoslavie et enfin de la Turquie. C’est cette migration qui a fait de l’Allemagne, en relativement peu de temps, l’une des sociétés d’immigration les plus importantes d’Europe. Si ceci a, au départ, été nié, la prise de conscience de ce phénomène est maintenant quasi générale. Cependant, les traditions intellectuelles et les représentations mentales d’une conception de la nation basée initialement sur des représentations culturelles persistent, malgré les changements apportés, comme la réforme du code de la nationalité en l’an 2000, qui introduit des éléments du droit du sol. On le constate à l’exemple du débat allemand sur la culture de référence ou culture dominante (Leitkultur) qui serait impensable en France, puisque la défense du modèle dépend des valeurs républicaines et universelles indivisibles. Pour résumer, on peut dire que, dans les deux pays, la société industrielle et nationale a intégré les immigrés comme ouvriers en leur donnant une certaine stabilité professionnelle dans l’entreprise et ainsi un statut social. Mais, contrairement à la France où l’immigré était également devenu Français et citoyen, son homologue immigré en Allemagne n’a jamais fait partie d’une nation qui se serait définie politiquement de cette manière. Il reste culturellement " différent " et politiquement plus ou moins exclu.
3 Les mutations de l’intégration de la société
A partir des années soixante, puis plus brutalement à la fin du 20e siècle, ces processus d’intégration nationale se sont défaits. Deux raisons majeures expliquent cette évolution. Tout d’abord le monde industriel s’est affaissé. Les transformations de l’économie, le passage à une société de services, ont largement affecté le travail ouvrier et particulièrement le travail ouvrier " collectif " et peu qualifié. S’il reste de nombreux ouvriers dans les sociétés française et allemande, la nature des activités s’est largement transformée : le travail ouvrier est de plus en plus exercé, d’une part, isolément et, d’autre part, au contact " individuel " direct, avec le public. Les collectifs et les communautés ouvrières ont donc été détruits et, dans le tertiaire, la composante culturelle ou relationnelle du travail n’a cessé de croître. La conséquence première a été la mise à l’écart de toute une population, notamment celles des hommes immigrés, peu qualifiée et disposant de peu de capital culturel, mais aussi l’effondrement de la capacité d’intégration des collectifs ouvriers.
La deuxième raison tient à l’effacement du modèle national institutionnel. Les sociétés française et allemande sont entrées dans une ère caractérisée pour une large partie par les effets de l’intégration européenne et de la mondialisation. Les institutions ont de plus en plus de mal à jouer leur rôle socialisateur, au sens de la mise en correspondance des normes collectives et des motivations individuelles. L’école éprouve de sérieuses difficultés à être autre chose qu’une " agence " d’instruction et de sélection. C’est ainsi que la correspondance forte que la nation assurait - surtout en France - entre l’économie, la vie sociale et politique et la culture est remise en cause : l’économie ne s’inscrit plus dans un espace national et la vie culturelle est de plus en plus déchirée entre les milieux sociaux situés sur le plan local et les appartenances culturelles se référant à un niveau transnational et mondial.
Parallèlement, l’exclusion apparaît comme nouvelle forme d’inégalité et de pauvreté dans les sociétés française et allemande : une partie grandissante de la population est exclue du marché du travail, de la culture de consommation, voire de la participation politique. Ces formes d’exclusion se manifestent dans l’espace social des villes européennes où elles prennent la forme de ségrégations résidentielle, scolaire et sociale. A ce sujet, les villes françaises et allemandes se distinguent. Ainsi, la division sociale des grandes villes françaises en trois espaces est beaucoup plus marquée qu’en Allemagne : les centres riches des élites transnationales, les banlieues et classes populaires marginalisées et la périphérie urbaine occupée par les classes moyennes. Dans le même temps, la ségrégation dans les banlieues françaises s’est développée en une dynamique propre, où les désavantages sous différentes formes se potentialisent, en raison du contexte. Venir des banlieues, comme c’est le cas pour les jeunes, signifie être stigmatisé spatialement et refoulé des centres-villes. En Allemagne, les quartiers marginalisés sont souvent plus petits et davantage répartis dans l’espace de la ville. Ainsi, il existe, certes, une ségrégation spatiale et une influence du contexte, mais les discriminations spatiales et ethniques, ainsi que l’identité des populations qui y vivent, divergent davantage de ce que l’on constate en France.
Au centre de toutes ces fragmentations et de ces exclusions et ainsi du problème de l’intégration de la société se trouvent maintenant les jeunes " issus de l’immigration ". Il apparaît que, comparé à l’immigration de main-d’œuvre de leurs grands-parents et parfois encore de leurs parents, l’intégration de ces jeunes générations dans les sociétés française et allemande a changé également, ces dernières n’étant plus industrielles et nationales.
4 Les jeunes issus de l’immigration
L’arrêt officiel de l’immigration en 1974 en Europe a donc fait place à une immigration de peuplement (regroupement familial). Les personnes qui arrivent dans le cadre du regroupement familial, ainsi que les enfants et petits-enfants des migrants arrivés auparavant et nés en France ou en Allemagne, ont vécu un processus de socialisation au centre duquel se trouvent l’acquisition d’un statut social, l’acculturation et l’identification nationale ainsi qu’une participation politique. A l’exemple des jeunes Français issus de l’immigration maghrébine et des jeunes Turcs ou Allemands d’origine turque, on constate une évolution similaire en France et en Allemagne pour ce qui est de l’intégration socio-économique et du statut social. En effet, dans les deux cas, un groupe d’individus qualifiés parvient à une ascension sociale individuelle vers les classes moyennes, tandis qu’une autre partie de ces jeunes, avec un niveau de scolarité ou de formation faibles, appartient aux nouvelles minorités urbaines défavorisées. Mis à part les discriminations ethniques, c’est la performance de l’école et des systèmes de formation ainsi que l’accès au marché du travail qui sont ici déterminants. Cependant, des spécificités apparaissent dans l’un ou l’autre pays lorsque l’on compare les situations de ces jeunes en matière d’éducation, de chômage et de pauvreté.
En France, d’une part, la situation scolaire des enfants de migrants est beaucoup plus difficile. Ceci concerne le passage d’un milieu défavorisé à un milieu plus bourgeois et les discriminations ethniques et spatiales. Les enfants de migrants des banlieues se retrouvent plus souvent que les Français " de souche " dans les lycées professionnels qui n’ont pas toujours bonne réputation et en sortent avec un diplôme de peu de valeur sur le marché du travail. D’autre part, les jeunes en France sont très touchés par le chômage et, en particulier, ceux ayant des origines maghrébines. A cet égard, un des problèmes cruciaux est le manque d’adaptation du système de formation professionnelle aux besoins du marché du travail.
En Allemagne, en revanche, le système d’éducation a toujours été moins ségrégatif et moins élitiste. De plus, en comparaison avec la France, la situation scolaire des jeunes d’origine turque est plus porteuse d’avenir, même si les jeunes issus de l’immigration sont sur-représentés dans les établissements d’enseignement spécialisés et sous-représentés dans l’enseignement général et dans les universités. On le constate, entre autres, par un chômage des jeunes moins élevé en Allemagne, même si ici également les jeunes migrants rencontrent de plus grandes difficultés dans l’accès au travail. Alors qu’en France le problème réside dans l’adéquation entre l’offre et la demande en matière de qualification, la situation en Allemagne est marquée par le „système dual de formation", relativement performant, où les entreprises sont étroitement associées à la formation. Les jeunes d’origine turque en profitent également.
D’une façon générale, on a certes constaté une forte dégradation de la situation du marché du travail pour les jeunes immigrés en Allemagne dans les années 90 et, en particulier, en ce qui concerne les jeunes d’origine turque pour lesquels une intégration socio-structurelle est difficile. Cependant leur situation sociale est plus stable, comparée à celle des jeunes d’origine maghrébine en France. Ceci s’explique finalement aussi par la solidité relative des systèmes de protection sociale et par une pauvreté moins fortement répandue en Allemagne. On voit ici encore les conséquences positives du filet de protection qu’apporte l’Etat providence au processus d’intégration des immigrés.
Pour ce qui est du processus d’acculturation, on note d’autres différences entre les deux pays. Alors qu’en France on peut considérer qu’en particulier les jeunes d’origine maghrébine sont bien assimilés, les jeunes d’origine turque sont eux acculturés, mais pas assimilés. En effet, en raison de la définition, à la base culturelle du concept de nation qui exclut de fait les immigrés, la pression pour que les enfants de migrants s’assimilent, est moins forte en Allemagne. On ne leur offre pas non plus par contre d’opportunité d’identification avec la nation allemande, ce qui a pour conséquence une orientation vers le pays d’origine, comparativement plus forte. Pour résumer la comparaison, il est intéressant de constater maintenant qu’il existe un clivage entre l’identification aux valeurs françaises, intériorisées du fait de l’assimilation, et l’expérience de l’exclusion sociale. Ce clivage conduit dans le cas français à une frustration et une indignation morale. Ce vécu est beaucoup moins fort en Allemagne, c’est même presque le contraire. En effet, les attentes envers la société allemande, en termes de valeurs, sont moins importantes que l’intégration sociale qui continue de se faire, même si celle-ci est menacée de précarisation. Cette situation mène plus à se cantonner dans une situation d’assistanat par l’Etat providence qu’à se révolter contre l’Etat, comme conséquence d’une tension interne. C’est ce dernier cas de figure qui se produit en France depuis de nombreuses années et qui a explosé lors des événements de 2005.
Enfin, cette expérience de clivage est renforcée par la possibilité d’une identification nationale et par la participation politique. Certes, en France, la plupart des jeunes d’origine maghrébine ou autre ont le droit de vote intégral. Dans les faits cependant, dans les quartiers marginalisés des banlieues, peu en font usage ou le font de façon sporadique, comme le montre le fort taux d’abstention ou les émeutes qui reviennent régulièrement. En Allemagne en revanche, les jeunes d’origine turque, par exemple, n’ont toujours pas cette possibilité ou, du moins, ils commencent seulement à y avoir accès. C’est la conséquence des naturalisations ou de l’introduction nouvelle du droit du sol. De façon paradoxale, ces jeunes sont plus impliqués dans les instances intermédiaires de la société allemande (partis politiques, associations, fédérations), en raison du corporatisme allemand. Malgré tout, au contraire de la France et à cause de faibles opportunités d’une identification politique avec la nation allemande, l’orientation politique vers le pays d’origine, la Turquie, est relativement forte.
Dans l’ensemble, on peut dire que, dans le processus d’intégration des jeunes issus de l’immigration en France, les liens ne se font plus entre l’insertion dans la vie économique, l’usage des bénéfices de l’Etat providence, la participation à la vie civique et politique et l’intégration culturelle. Pour ce qui est des jeunes issus de l’immigration en Allemagne, la possibilité d’une identification politique nationale reste malgré tout faible et s’associe désormais au déclin du monde ouvrier, ce qui renforce leur exclusion. Les difficultés de ces formes d’intégration ainsi que la diversité des " stratégies migratoires " ont un fort retentissement politique. Dans les sociétés européennes où les doutes sur les capacités d’intégration et le maintien de la cohésion nationale et sociale sont de plus en plus grands, les immigrés sont souvent perçus comme l’expression d’un affaiblissement de l’unité nationale, voire comme une menace directe pour cette unité. Ils se retrouvent ainsi souvent au cœur des débats politiques concernant la solidarité nationale et urbaine, les valeurs communes de la société et les différentes formes de reconnaissance.
Dans ce contexte, en France, le débat politique sur l’intégration se concentre sur la question de savoir quelles critiques des idéaux et de la réalité du modèle républicain sont justifiées. En Allemagne au contraire, presque dans la tradition de la conception de la nation, le débat porte sur les questions culturelles et sur la maîtrise de la langue. Le " communautarisme " en France et la " Parallelgesellschaft " (" société parallèle ") en Allemagne sont, dans ce contexte, considérés comme des évolutions qui mènent à des dysfonctionnements. En effet, dans le cas français de la République une et indivisible, avec ses valeurs universelles, une telle évolution n’est pas prévue et dans le cas allemand, elle ne correspond pas à l’image culturelle qu’ont les Allemands d’eux-mêmes. Derrière ces débats percent avant tout les peurs et incertitudes liées à la confrontation aux différences culturelles en France et à la propre conception de la nation axée sur les aspects culturels en Allemagne, même si la tendance à constituer des communautés sociales et culturelles dans les milieux des migrants, en raison de processus de ségrégation, ne peut être niée. Lorsqu’un repli s’effectue dans ces milieux, il est renforcé par l’expérience de la discrimination ethnique.
5 Discriminations et politiques publiques
Les discriminations sont l’expression de rapports de force. Ils concernent les minorités, qui se distinguent par différentes caractéristiques : origine régionale, langue, culture, religion, couleur de peau et sexe. C’est ainsi qu’ils reproduisent par exemple l’inégalité des relations hommes-femmes. Les immigrés en France et en Allemagne, eux aussi, sont confrontés à des discriminations qui sont d’ordre ethnique et racial. Ces discriminations sapent dans une large mesure les potentialités de leur intégration. Comme déjà évoqué, elles affectent lourdement le monde scolaire et le marché du travail.
Dans un monde social où l’importance du diplôme et de l’éducation ne cesse de croître, les populations issues de l’immigration se voient fortement écartées. Le niveau d’éducation, les taux de réussite scolaire révèlent des différences nettes entre les " communautés " immigrées, d’une part, et entre immigrés et Français ou Allemands, d’autre part. En France, la lutte féroce entre groupes sociaux pour contrôler le monde scolaire a conduit à une véritable ségrégation entre les établissements. Les familles des classes aisées et " blanches " sont parvenues à contourner la carte scolaire pour éviter les établissements qu’ils jugent trop faibles ou trop marqués par la présence immigrée. En Allemagne, cette évolution est certes moins forte, mais néanmoins similaire. Etant donné la proportion de plus en plus élevée d’enfants n’ayant pas l’allemand comme langue d’origine, les parents issus de couches sociales plus ouvertes à l’éducation désertent les quartiers marginalisés. Ils y voient en effet l’avenir de leurs enfants compromis. Ceci amoindrit encore plus les chances des enfants de migrants d’apprendre la langue.
On retrouve les mêmes phénomènes sur le marché du travail : le chômage des immigrés et particulièrement des jeunes issus de l’immigration maghrébine en France ainsi que de l’immigration turque en Allemagne est largement supérieur à la moyenne nationale respective. De même, les carrières professionnelles et la nature des emplois occupés indiquent, qu’au-delà de niveaux scolaires parfois plus faibles, l’existence de puissants mécanismes de discrimination est seule à même d’expliquer les difficultés des immigrés. C’est ainsi qu’une grande partie de la population immigrée s’est retrouvée exclue du marché du travail français et allemand ou cantonnée dans des positions subalternes, parfois même alors que certains sont bien qualifiés.
A ceci s’ajoutent les discriminations en matière de logement dans l’espace urbain et les difficultés d’accès à certains commerces ou certains services dans les villes des deux pays. En fin de compte, il ne faut pas oublier le rôle joué par la police et la justice. Dans le cas français, les émeutes dans les banlieues sont déclenchées par des contrôles d’identité effectués par la police. Dans toutes ces discriminations s’expriment la xénophobie et le racisme. Le terme unique de " Ausländerfeindlichkeit " utilisé en Allemagne ne permet pas cette distinction. Elle est cependant cruciale pour comprendre les discriminations raciales qui s’inscrivent en France dans le rapport postcolonial. La mémoire collective se référant à ce passé a été à nouveau évoquée lors de l’instauration du couvre-feu après les émeutes de 2005, en raison de l’allusion faite à la guerre d’Algérie. Il en allait de même pour la loi de 2005 décidant du caractère " positif " de la colonisation. Toutes ces discriminations forment un cercle vicieux encore renforcé par les discriminations liées à la ségrégation urbaine. Ces dernières sont beaucoup plus fortes en France qu’en Allemagne.
Dans le domaine de la religion les immigrés font également l’objet de discriminations : l’islamophobie est dirigée contre une partie des migrants en France et en Allemagne. Cette discrimination religieuse peut les inciter à se replier sur eux-mêmes. C’est ainsi qu’une partie des jeunes issus de l’immigration a découvert sa religion. A la marge des milieux des migrants se sont également développées différentes formes d’un islam radical. Mais dans l’ensemble, la plupart des jeunes issus de l’immigration sont relativement indifférents à l’égard de la religion. Ceci est plutôt un signe de leur acculturation dans les sociétés occidentales sécularisées et individualisées. Néanmoins, c’est dans la pratique religieuse que la lutte pour la reconnaissance se manifeste le plus visiblement. Elle fait découvrir, d’une manière très symbolique, la place et la gestion de la différence culturelle dans la société française et allemande. Si une certaine reconnaissance de l’Islam s’est faite à un niveau institutionnel en France par la création du Conseil français du culte musulman (CFCM) et en Allemagne par une première Islamkonferenz, ces formes de représentation n’intéressent pas beaucoup les jeunes issus de l’immigration. En France, c’est plus leur socialisation et leurs expériences de discrimination qui ont mené les jeunes, depuis plus d’une vingtaine d’années, à des mobilisations collectives antiracistes, citoyennes et religieuses. En Allemagne, en revanche, des mobilisations semblables ont été rares puisque l’exclusion politique ne permet pas de formuler des demandes de reconnaissance politisées qui s’adresseraient à la communauté nationale des citoyens. Mais que font les Etats pour lutter contre toutes ces discriminations ?
Les politiques publiques essayant de garantir une certaine égalité des chances sont, dans les deux pays, encore embryonnaires. A la différence du " modèle " anglo-saxon et des politiques antiracistes menées aux Etats-Unis et en Angleterre, on ne trouve ni en France ni en Allemagne des politiques développées explicitement en faveur des groupes ethniques, par exemple des mesures de discrimination positive. Dans les deux pays, ce sont les individus ayant une faible position sociale qui constituent le public bénéficiant des politiques de " droit commun ". En font partie tous les individus appartenant à des minorités ethniques et ayant un tel statut social. Cependant, la quasi-absence de mesures spécifiques d’ordre ethnique en France et en Allemagne a des raisons très différentes.
En France, l’idéal républicain du modèle d’intégration ne permet pas le développement d’une politique prenant en compte - au moins d’une manière explicite - les problèmes liés à l’origine ethnique. Les politiques du droit commun relèvent d’un choix politique, voire idéologique. Elles s’appliquent surtout dans le cadre de la politique de la ville. Celle-ci est une politique de discrimination positive d’individus habitant dans des territoires choisis selon des critères sociaux. Pour ces personnes des mesures spécifiques ont été créées comme les zones d’éducation prioritaires (ZEP) en matière d’éducation ou les missions locales (ML) pour l’insertion professionnelle. Le principe est de mener les bénéficiaires de ces politiques à des comportements qui correspondent aux attentes des institutions républicaines. Rares sont donc les politiques spécifiques pour les immigrés et leurs familles.
C’est pourquoi la politique de la ville a été critiquée pour être insuffisante dans la lutte contre les discriminations ethniques. Certes, les politiques en matière d’immigration continuent d’appliquer le " droit commun ", mais petit à petit, l’idée d’une action publique spécifique pour lutter contre les discriminations et la ségrégation tend à s’imposer, comme en témoignent les débats autour du thème de la " discrimination positive ". Pourtant, ces politiques restent faibles au niveau communal ou les élus continuent à poursuivre une gestion pragmatique. Elles viennent plutôt de l’Etat. La création de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité (HALDE) et la nomination en 2005 d’un ministre délégué à la Promotion de l’Egalité des chances en sont des exemples. Ces mesures sont plus vastes et concernent toutes formes de discrimination et d’égalité, les rapports entre femmes et hommes compris.
En Allemagne, des politiques d’intégration des minorités ethniques ont été développées tardivement. Comme l’Allemagne ne se considérait pas comme un pays d’immigration, les autorités ont longtemps favorisé une politique de retour vers le pays d’origine. Dans ce contexte, les politiques allemandes ont été, dès le début, plus sensibles à la différence culturelle qu’en France, mais initialement d’une manière très ségrégative. Parmi les premières mesures en faveur d’une intégration politique, on peut nommer les comités consultatifs des étrangers auprès d’un conseil municipal (Ausländerbeiräte), créés dans de nombreuses villes allemandes, à partir des années 80. Ils ont certes, pour la première fois, donné aux étrangers le droit d’être associés aux décisions de politique communale. Ils prouvent cependant, jusqu’à aujourd’hui, le manque d’accès à une citoyenneté intégrale, de part leur rôle spécial, uniquement de conseil. Ceci concernait également les générations suivantes jusqu’à la réforme du code de la nationalité en l’an 2000.
En raison de la montée de la pression, due à la problématique sociale et inspirée par la politique de la ville française, sont nées, dans différentes régions allemandes, (Länder) des politiques de la ville. Il faut mentionner ici, en particulier, le programme de la " Ville sociale " mis en place par l’Etat fédéral et les Régions. Les différentes formes de ségrégation sociale dans les métropoles européennes ont conduit à une prise de conscience relativement forte de cette problématique, en Allemagne. Mais, comme en France, cette politique se base sur un postulat de droit commun. Il existe ainsi de nombreuses mesures visant à l’intégration sociale et politique de la population des quartiers marginalisés, mais peu de mesures spécifiques pour les migrants en tant que groupe particulier, comme des aides ou des mesures anti-discriminatoires. Des projets allant dans cette direction et que l’on retrouve parfois insérés dans les politiques de la ville, ont pour objectif d’améliorer les connaissances en allemand des migrants (cours d’allemand spécifiques pour les mères, le subventionnement ciblé des écoles secondaires de cycle court, niveau 3e) et de promouvoir, dans le " système dual de formation ", la qualification professionnelle générale des enfants immigrés.
On peut ainsi constater en Allemagne une évolution : absence d’une politique en faveur des minorités, puis création d’institutions spécifiques pour des populations immigrées et une première réflexion et des mesures de politique sociale qui réagissent à l’urgence de la situation des migrants. Entre temps, au niveau fédéral - en 2005 - une Secrétaire d’Etat en charge de l’Intégration a été nommée. Elle a entre autres pour mission d’établir un premier plan national d’intégration. Après un long démarrage, une loi anti-discrimination a aussi été votée en 2006. En comparaison avec la France, les réflexions sur l’anti-discrimination sont cependant encore très peu développées. En contrepartie, le fédéralisme allemand permet une flexibilité régionale dans le développement de programmes de politiques de la ville. Enfin, principalement au niveau communal des grandes villes, depuis que l’on a créé les premiers postes de " délégués aux questions des étrangers ", que l’on nomme maintenant " délégués à l’intégration ", des projets de politiques d’intégration ont vu le jour, projets qui doivent se pencher de manière approfondie sur la réalité sociale mais justement aussi culturelle de la ségrégation.
Fereshta Ludin, enseignante musulmane, entame à partir de 1998 un marathon à travers les instances judiciaires fédérales afin de faire valoir le droit de porter le foulard pendant l'exercice de ses fonctions. Droit refusé par l’administration scolaire mais décision annulée en septembre 2003 par la Cour Constitutionnelle fédérale qui rejette l’interdiction du port du foulard sans fondement légal et renvoie aux Länder la nécessité de légiférer en la matière. Dans le contexte des rapports complexes entre l’Etat et l’Eglise, cette affaire met en concurrence différents droits fondamentaux - liberté de croyance de l’enseignante, celle des parents et des élèves, devoir de neutralité de l’Etat, égalité des sexes en lien avec la signification (politique, religieuse, identitaire…) du port du foulard. Il s’agira notamment d’éclairer les rapports que ces droits entretiennent entre eux. A cette occasion s’est engagé un débat virulent qui, au-delà du port du foulard, porte sur les enjeux politiques fondamentaux de la société allemande : reconnaissance de la pluralité religieuse et culturelle, affirmation de valeurs fondamentales ou d’une culture dominante, " Leitkultur ", intégration des minorités issues de l’immigration, en particulier des femmes, place de ces dernières dans la société. Ce dernier aspect sur lequel s’est massivement focalisée la discussion fait ressortir notamment dans les milieux féministes (femmes politiques, intellectuelles, musulmanes, chrétiennes etc.) les clivages dépassant les appartenances religieuses, culturelles et partisanes traditionnelles.
Die Lehrerin muslimischen Glaubens, Fereshta Ludin, klagt ab 1998 bei verschiedenen Gerichtsintanzen ihr (Grund)recht ein, das Kopftuch im Rahmen des Schuldienstes tragen zu dürfen, was ihr vom Land Baden-Württemberg verwährt worden ist. Das Bundesverfassungsgericht gibt ihr 2003 in seinem Urteil Recht und fordert von den Ländern bei Einführung eines Kopftuchverbots die Schaffung einer gesetzlichen Basis. Vor dem Hintergrund der komplexen Beziehungen zwischen Staat und Kirche geraten hier eine Reihe von Grundrechten und Pflichten in Konflikt, -Bekenntnisfreiheit der Lehrerin, negative Glaubensfreiheit der Schüler und Eltern, Neutralität des Staates, Gleichberechtigung der Geschlechter usw., deren Verhältnis zueinander hier beleuchtet wird. Der Fall löste brennende Diskussionen zu politischen Grundsatzfragen der deutschen Gesellschaft aus : die Anerkennung religiöser und kultureller Vielfalt, das Für und Wider (einer zu definierenden) Leitkultur , der Umgang der Geschlechter miteinander, die gleichberechtigte Integration von Muslimen insbesondere von Musliminnen in der Gesellschaft. Kontroverse Debatten zu den beiden letzt genannten Aspekten fanden gerade bei den Frauen (Politikerinnen, Intellektuelle, christliche, muslimische Gläubige, Feministinnen usw.) statt, welche die Trennungslinien unter ihnen, unabhängig von der politischen, kulturellen und religiösen Zugehörigkeit, zum Ausdruck brachten.
Parfaitement bilingue (russe-allemand) Olga Balke prépare un professorat trilingue (Staatsexamen) dans ces deux langues et en français. À l'Université où elle étudie, elle participe à des travaux de traduction dans le département de russe. Pendant un an elle a été assistante d'allemand au Lycée Buffon et a montré un vif intérêt pour le mode de vie français. Son témoignage ; tout en nuances, apporte à la fois une preuve d'immigration réussie et de l'importance d'une culture pluridimensionnelle. Ce qui, soit dit en passant plaide pour le développement des enseignements de langues et pour un renouveau de l'allemand en particulier ! Nous sommes heureux de publier ici ce qu'elle nous a confié. J.-P. Hammer
Je m'appelle Olga Balke et j’ai vingt-cinq ans. Le seul énoncé de mon nom constitue sans doute déjà un témoignage : mon prénom est russe, mon patronyme est allemand. Ce double aspect a marqué ma vie. On a coutume de poser la question de la nationalité ou de la langue maternelle d’une personne. Répondre à ce genre de question est extrêmement difficile pour moi - je dirais presque impossible. Je commence par vous raconter un peu l’histoire de ma famille: Avant la seconde guerre mondiale, mes grands-parents habitaient dans la partie de l’Ukraine située sur les rives de la Volga. Il y avait là-bas des villages allemands où vivait une population d’origine allemande et ce, depuis le règne de la Grande Catherine. Cette impératrice avait invité en Russie des Allemands pour qu'ils cultivent la région. Les Allemands de Russie parlaient leur langue, avaient leurs propres écoles ainsi que leur propre administration. Évidemment les lois russes s’appliquaient aussi à eux. La vie russe et la vie allemande coexistaient pacifiquement. Staline arriva, puis la guerre et brusquement tout bascula: les Allemands qui habitaient en Russie depuis plusieurs générations et qui n’avaient rien à voir avec les développements politiques d'Allemagne furent tout à coup considérés comme des ennemis. Ils étaient d’origine allemande, telle était leur faute originelle. Et la chasse aux Allemands commença en Russie. Les parents de mon père ont alors fui en Pologne, puis en Hongrie. Ils y furent arrêtés par les soldats allemands, faits prisonniers et emmenés en Allemagne. Peu de temps après, on procéda à un échange de prisonniers entre la Russie et l’Allemagne. Il ne s’est pas agi là d’un grand nombre de prisonniers, c’est pourquoi ces événements ne sont pas évoqués dans les livres d’histoire. Pour ma part, je ne les connais que grâce au témoignage de mes grands-parents. On leur avait bien promis de les renvoyer dans leur pays, la Russie, et dans la région où ils avaient habité précédemment. Mais le train de prisonniers où ils se trouvaient passa, sans s_arrêter, par l’Ukraine et par les contrées qu’ils connaissaient. Il fut dirigé vers la Sibérie, la région des condamnés et prisonniers de Russie. Un autre train poursuivit sa route jusqu’au Kazakhstan. C’est la raison pour laquelle la plupart des Russo-allemands viennent aujourd’hui ou bien de Sibérie ou bien du Kazakhstan. Les parents de ma mère, Allemands de la Volga, n’eurent pas la possibilité de s’enfuir. Ils furent arrêtés, cette fois, par des soldats russes et envoyés dans des camps de travail. Beaucoup d’entre eux y sont morts. Mes grands-parents réussirent à survivre grâce à leur niveau élevé d’instruction dont ils purent tirer avantage dans ces camps. À la fin de cette terrible période, ils s’installèrent eux aussi en Sibérie.
Au sortir de la guerre ce fut, bien sûr, une existence très dure pour tout le monde, pour les Russes comme pour les Allemands - mais plus dure encore pour les Russo-allemands. On leur interdit l’usage de leur langue, l’allemand; cette langue de l’ennemi n’y était plus tolérée. En outre, les Russo-allemands n’eurent pas le droit d’exercer certaines professions, ils n’avaient pas davantage le droit de sortir sans autorisation de leur lieu de résidence, même pas pour rendre visite à des membres de la famille ou à des amis habitant dans d’autres villages. Tout était sous contrôle et rigoureusement réglementé : une surveillance quotidienne totale. Ce système, on l'appelait " la Kommandantur ". Cette horrible surveillance fut abolie dans les années cinquante. Mais il en résulta chez les Allemands une grande timidité, une circonspection farouche, ainsi que la disparition de nombreuses coutumes et traditions - avec notamment la perte de la langue. Mes propres parents par exemple ne connaissaient plus la langue allemande que comme une langue étrangère. Cependant nombre de Russo-allemands s’identifiaient et continuent encore de s’identifier à la Russie. Dans beaucoup de cas, il y eut pour eux une véritable russification. Le plus souvent les seuls vestiges de l’origine allemande se trouvent dans une mention figurant sur la carte d’identité.
Dans les années 80-90, le monde changea. Soudain il devint possible de sortir de Russie et, pour la première fois peut-être, possible de tirer avantage de ses origines allemandes : l’immigration en Allemagne, ce pays d’origine, riche et prospère, devint accessible. L’Allemagne nous y invitait, avec force promesses. Alors on saisit l'occasion et on tenta sa chance. Ce fut le début d’une période de départs. L'époque aussi d’un mouvement spontané collectif, sans réflexion approfondie : on se mit en route pour tenter sa chance, avec la seule peur d’échouer. Beaucoup de Russo-allemands qui vivent aujourd’hui en Allemagne ne savent pas répondre clairement à la question : 'Pourquoi avez-vous émigré de Russie?’ Cela a été souvent une sorte de mouvement, de vague familiale : un membre de la famille émigrait et invitait les autres membres à en faire autant. C’est ainsi que des familles entières émigrèrent en Allemagne. On les appelle ici des immigrants. Mon oncle rejoignit l'Allemagne comme immigrant dès 1989, puis ce fut le tour de mes grands-parents, et enfin du reste de la famille. J’ai eu de la chance : en novembre 1991, je n’avais que dix ans, j’immigrai en Allemagne avec ma sœur, âgée de quinze ans et avec mes parents qui avaient presque quarante ans. On nous hébergea tout d’abord dans un camp pour immigrés - un camp où il y avait beaucoup de gens comme nous, originaires de Russie, de Pologne, de Roumanie. Nous étions logés dans une grande salle avec quatre ou cinq familles. Au bout de deux semaines dans ce camp, on nous envoya dans un autre camp pour immigrés. Là, on nous attribua une petite chambre, réservée à notre seule famille. Je me rappelle bien le moment où nous sommes entrés dans cette chambre. Il y avait là quatre chaises, deux lits superposés, deux armoires, une table, un lavabo. C’était tout. Il faut rappeler ici que mes parents ont fait des études supérieures d’économie agricole. En Russie, ils ont occupé des postes de responsabilité. Le métier de mes parents était celui de dirigeant d’entreprise, mais comme ce métier dans l’Allemagne ‘capitaliste’ n’a rien à voir avec celui de la Russie ‘socialiste’, ils n’ont pas pu retrouver ici de situation correspondante. Il faut préciser en outre que le problème de la langue a également constitué pour eux un grand obstacle. Nous avions là-bas une grande maison avec un grand jardin, nous n’étions pas pauvres et avions tout ce qu'il faut pour vivre à l’aise si l'on considère le niveau de vie en Russie. Et puis voilà qu’à quarante ans, après de nombreuses années de travail et d’efforts, mes parents se retrouvent au milieu d’une petite chambre avec quatre chaises et une table! Je ne saurai jamais ce qu’ils ont éprouvé à ce moment-là...
Quatorze mois plus tard, on déménagea dans un appartement de trois pièces où nous sommes restés dix ans. Maintenant mon père est conducteur de bus et ma mère comptable; ils ont toujours rêvé d_avoir une maison à eux, une maison qu’ils pourraient léguer un jour à leurs enfants. En 2002, l’année où je suis partie à l’université de Constance pour y faire des études de français, d’anglais et de russe, mes parents ont enfin pu acheter une maison pour leurs enfants - mais ceux-ci n’y ont jamais habité sauf lors de leur passage. Je dois reconnaître que la vie en Allemagne m’a offert beaucoup d’occasions extraordinaires que je n’aurais jamais eues en Russie. Durant mes études j’ai eu la possibilité de passer sept mois à Paris comme assistante d’allemand dans un lycée parisien puis de faire un stage en Australie. J’ai visité de nombreux pays. Je parle plusieurs langues, dont deux particulièrement bien, j_ai rencontré beaucoup de gens intéressants. J’ai le privilège de connaître deux cultures extrêmement différentes et de comprendre deux mentalités qui, toutes deux, sont miennes. Même si le chemin a été souvent difficile, je ne voudrais pas en avoir eu d’autre. Il me faut néanmoins reconnaître que je n_ai pas de langue maternelle ni de patrie, ni même de pays d’origine, je ne suis d’aucun pays. Bien que les Russes et les Allemands soient différents, ils ont tous en commun quelque chose d'important : le sentiment d’appartenir à un pays natal, à une patrie, et de s’y sentir chez soi. Je ne connais pas le terme équivalent en français au mot russe ‘rodina’, et en allemand au mot ‘Heimat’. On me demande souvent quelle est ma patrie. Au début j’hésitais beaucoup avant de répondre. Maintenant je dis : je ne sais pas - . Et c’est vrai. Je suis née dans un pays que je ne connais presque pas et je vis dans un pays qui n’est pas non plus le mien . Après notre immigration, cela fait maintenant quinze ans de cela, mes parents ne sont jamais retournés en Russie. Ils disent qu’ils n’ont plus rien à faire en Russie, qu’ils y ont tout perdu et que toute leur famille réside désormais en Allemagne. Je pense pour ma part qu’ils ont peur d’y retourner, peur de voir tout ce qu’ils ont laissé derrière eux et ce qu’il en est advenu. Je crois que eux, ils ont une ‘rodina’: sans aucun doute, c’est la Russie. Lorsqu’ils évoquent des souvenirs agréables, lorsqu’ils nous racontent des histoires, ce sont toujours les histoires de leur jeunesse, de ces années qu'ils ont passées à l’université et aussi du temps de notre enfance. Et toutes ces histoires sont liées à la Russie. Mes parents ont fait beaucoup de sacrifices. Et, bien que je ne sois pas coupable objectivement, je ne me déferai jamais d'un certain sentiment de culpabilité, parce que je peux, moi, réaliser mes rêves et mener la vie que je veux, alors qu’eux, ils n’ont pas eu cette possibilité. En Allemagne, ils n’ont pas réussi à exercer leur profession : ils doivent à leur origine d’avoir été déclassés. La déception qui en a résulté provient de leur décision de quitter la Russie. Elle est encore inscrite sur leurs visages, ce qui nous fait obligation, à ma sœur et à moi, de réussir nos études et tous nos projets : alors seulement nous pourrons donner un sens à cette immigration de nos parents.
En ce qui me concerne, je suis retournée en Russie l’année dernière, pendant deux semaines, avec mon ami, qui est russe. Ce fut une étrange expérience. J’avais quitté ce pays à l’âge de dix ans et j’y retournais à vingt-cinq ans. J’avais l’impression de me retrouver dans un pays où, à l’exception de la langue, je ne comprenais rien. J’ai été déçue parce que je cultivais l’espoir de retrouver ma ‘rodina’, mais je me suis vite aperçue que la Russie n’était pas non plus ma "Heimat", peut-être encore moins que l’Allemagne. Néanmoins au cours de ces deux semaines de séjour, je me suis sentie de plus en plus fascinée par ce pays qui m’a vu naître. Mais cela ne change rien aux faits : je demeure une étrangère ici et là-bas, je suis donc de nulle part et c'est cela qui, en quelque sorte, me console. Le russe et l_allemand sont pour moi à la fois des langues maternelles et des langues étrangères. À présent je sais, bien sûr, l’allemand un peu mieux que le russe, mais il y a des expressions qui me sont beaucoup plus familières en russe que dans leur traduction allemande. Chaque langue a son "site" en quelque sorte. À la maison on parle russe, alors que chez mes grands-parents en Russie, on parlait allemand. À l’université et dans tous les lieux publics, on parle évidemment allemand. J’ai des amis allemands, russes, turcs, serbo-croates, anglais, français, australiens, indiens, brésiliens, chinois. Je ne fais pas de différence entre eux, j’ai toujours veillé à cela. Mais je dois avouer que mes meilleurs amis sont ceux qui ont fait, comme moi, l’expérience d’une immigration ou qui sont bilingues. J’ai le sentiment qu’ils ont une autre vision du monde et de la vie, qu’ils sont plus ouverts aux cultures, aux langues, aux traditions qui ne sont pas les leurs. Il est pour moi très important d’apporter ce témoignage, car il ne s’agit pas seulement de mon histoire et de celle de ma famille, c’est l’histoire de beaucoup de gens, de tout un peuple, une histoire encore méconnue aussi bien chez les Allemands que chez les Russes. En vérité c’est l’histoire d’un peuple qui fut allemand en Russie et qui est russe en Allemagne, d’un peuple qui a toujours obéi aux autorités du pays où il habitait, qui a essayé de s_adapter le mieux possible parce qu’il a toujours éprouvé une gratitude certaine envers le pays d'accueil. C’est également pour cette raison qu’il n’a jamais revendiqué ses droits, ne s’est jamais révolté. Cela aussi peut s’expliquer par ce sentiment perpétuel de ne pas être ‘chez soi’.
Pour conclure quelques mots sur les origines géographiques de ma famille: autant que je sache, elle venait de la région où je me trouve aujourd’hui, c’est-à-dire en Souabe, donc dans le sud de l’Allemagne. Je ne sais pas exactement où, mais cela devait être dans la région de Stuttgart. Quel curieux hasard que de me retrouver dans cette même région ! Disons enfin qu'en dépit de tout, les Russo-allemands ont préservé leur double identité. Cela donne naissance à quelque chose d’inédit. Cette histoire d’êtres écartelés entre deux identités, deux nationalités, deux langues, deux cultures et qui ne peuvent renoncer ni à l’une ni à l’autre, c’est là une histoire qui n’est pas terminée : il en ira sans doute de même pour mes propres enfants. Quant à moi, je vis cette situation comme étant tout à fait normale et naturelle. Je n’ai pas l’expérience d’une vie différente et suis heureuse d’être dans cette situation-là. Je me sens désormais à l'aise dans ma peau de Russo-allemande.
Les premiers mois de l'année 2007 ont été marqués par une série d’événements liés à l’immigration (cf. le dossier sur immigration et intégration dans ce même numéro), dont la question du voile(cf. en particulier l’article de N. Hillenweck), le traitement différent de justiciables musulmans par certains tribunaux allemands et les modifications de la législation sur l’immigration. La politique familiale est également revenue sur le devant de la scène avec la proposition du gouvernement de tripler le nombre de places en crèche à partir de l’année prochaine.
Opposition au voile intégral
Après Jack Straw en Grande-Bretagne et Romano Prodi en Italie, c’est l’Allemagne, par la voix de son ministre de l’Intérieur, Wolfgang Schäuble, qui prend position dans l’épineuse question du port du voile intégral en public : " L’islam, pour se hisser au niveau européen, doit respecter le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, un droit fondamental inscrit dans la charte des Nations unies. C’est dans son intérêt ". Avec ces propos, Wolfgang Schäuble rejoint l’opinion exprimée pour le ministre de l’Intérieur britannique qui estimait que le port de la burqa, qui ne laisse entrevoir que les yeux de la femme, empêche toute communication. Le gouvernement allemand, jusqu’à présent très discret sur une question qu’il considère comme relevant de l’autorité des Länder, a apporté son soutien à la position de fermeté exprimée par l’Italie et surtout par le Royaume-Uni, habituellement tolérant en matière de signes religieux extérieurs. La question du voile intégral qui est actuellement débattue dans tous les pays européens ne suscite pas l’unanimité. Alors que la Suède et l’Italie l’ont interdit, la Suisse vient de décider que la liberté d’expression religieuse ne lui permettait pas de restreindre le port de la burqa. Aux Pays-Bas, le nouveau gouvernement Balkenende prépare un projet de loi interdisant le voile intégral dans tous les lieux publics.
En Allemagne, la question du foulard avait été soulevée en 1998 lorsque la région du Bade-Wurtemberg, dirigée par les chrétiens-démocrates, avait refusé d’embaucher une enseignante qui souhaitait rester voilée pendant les cours. Dans un arrêt de septembre 2003, le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe avait renvoyé la question aux Länder. Depuis cette époque, la moitié des seize Länder, notamment le Bade-Wurtemberg, la Bavière, Berlin et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, se sont dotés de législations interdisant aux enseignantes de porter le voile. La tolérance à l’égard du foulard reste toutefois la règle pour les élèves. Berlin dispose aujourd’hui de la législation la plus sévère d’Allemagne. A l’instar de la France, le foulard est interdit dans toute l’administration. Si le gouvernement allemand n’entend pas se mêler de cette question au niveau national, il n’interviendra pas non plus au niveau européen, en dépit de l’actuelle présidence allemande de l’UE. Les réglementations européennes sur ce sujet sont encore très disparates, mais la prise de position allemande conforte une tendance récente à la limitation des signes religieux les plus voyants.
Coran contre Code civil
Au mois de mars, l’Allemagne a été secouée par une affaire de divorce, qui n’aurait pas fait la une des journaux, si elle n’avait pas révélé le hiatus culturel entre la population autochtone et celle provenant de l’immigration. Un vif débat politico-médiatique a été suscité par la demande de divorce déposée par une jeune femme, mère de deux jeunes enfants, originaire du Maroc, parce que son mari, également d’origine marocaine, la battait. La police en avait pris acte dans un procès-verbal de mai 2006, à la suite duquel le mari violent avait été interdit du domicile conjugal. En octobre 2006, la jeune femme introduisit une demande en divorce. En principe, la législation impose un délai d’un an de séparation des époux avant d’accorder le divorce, mais la procédure peut être accélérée en cas de " rudesse excessive ", ce qui semblait avoir été le cas. Le 12 janvier 2007, la juge familiale de Francfort récuse pourtant la demande de divorce en invoquant " l’exercice du droit au châtiment " que le Coran reconnaît à l’époux : " et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les ". Accusée de partialité par l’avocate de la plaignante qui souhaite lui voir retirer le dossier, la juge précise ces arguments dans un courrier envoyé le 8 février 2007 : " dans ce milieu culturel, il n’est pas inhabituel qu’un homme exerce le droit de châtier sa femme ". L’affaire ayant été révélée à la presse un mois plus tard, le tribunal s’est vu obligé de dessaisir la juge de ce dossier.
L’ensemble des partis politiques, les associations des droits des femmes ainsi que les organisations musulmanes ont été unanimes à dénoncer la décision de la magistrate. " La Loi fondamentale s’applique pour chaque personne indépendamment du fait qu’elle soit musulmane, chrétienne, bouddhiste ou athée ", a réagi Günther Beckstein (CSU), ministre de l’Intérieur de Bavière. Le président du conseil de l’islam, Ali Kizilkaa, confirme : " le châtiment corporel d’une femme par son mari n’est pas couvert par l’islam ". L’Allemagne a encore en mémoire l’assassinat par un de ses frères de Hatun Sürücü, une jeune femme turque de 23 ans, qui avait fait le choix de vivre à Berlin comme une jeune Allemande au lieu de se soumettre à la loi islamique dictée par sa famille. Le meurtrier, mineur au moment des faits, a avoué et a été condamné à neuf ans et trois mois de prison alors que deux autres frères, peut-être également impliqués, ont été relaxés faute de preuves. Ce verdict, jugé trop clément, avait déjà provoqué un scandale au printemps 2006. Si la ministre fédérale de la justice, Brigitte Zypries (SPD), affirme qu’il s’agit d’un cas isolé, de nombreux commentateurs voient dans cette affaire l’illustration d’une tendance dangereuse au relativisme culturel, à l’instar de Wolfgang Bosbach, député CDU, qui affirme sur le site en ligne de l’hebdomadaire Der Spiegel : " Je crains depuis longtemps que nous remettions en cause de manière insidieuse notre propre conception du droit et des valeurs ", prise de position confirmée par Jutta Wagner, présidente de la fédération des femmes juristes, qui estime : " En droit pénal, les juges ont parfois tendance à évaluer les actes de coupables musulmans avec plus de clémence ". Dieter Wiefelspütz, député CDU, résume : " Ce scandale provoqué par la juge de Francfort va permettre de clarifier le débat sur l’intégration en montrant que le relativisme culturel ne mène nulle part et que celui qui vit en Allemagne doit respecter notre loi fondamentale ". Les " crimes d’honneur " ont fait une cinquantaine de morts en Allemagne dans les dix dernières années.
Modifications de la loi sur l’immigration
Après des mois de débats au sein de la grande coalition, le gouvernement d’Angela Merkel a adopté fin mars 2007 plusieurs modifications à la législation sur l’immigration (Zuwanderungsgesetz). Le projet de droit d’asile s’appliquera aux étrangers qui vivent en Allemagne depuis des années sans garantie de statut. Il s’agit en règle générale de demandeurs d’asile déboutés qu’on ne peut expulser, par exemple en raison d’une guerre civile dans leur pays d’origine. La nouvelle réglementation ne porte que sur les étrangers présents sur le sol allemand depuis six ans dans le cas d’une famille, ou de huit ans s’il s’agit de célibataires. A ces conditions de durée de séjour s’ajoutent d’autres pré-requis, tels que un minimum de connaissance de la langue allemande, un casier judiciaire vierge et l’absence de liens avec une organisation extrémiste. L’attribution de ce droit au séjour en Allemagne est subordonnée à leur capacité de trouver du travail et de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Le gouvernement leur donne jusqu’à fin 2009 pour trouver un emploi, période pendant laquelle leur est accordé un droit de séjour provisoire, qu’ils perdront s’ils ne parviennent pas à décrocher un emploi. Les dispositions portant sur l’acquisition de la langue et de la culture allemandes ont également été aggravées. Jusqu’à présent, les étrangers installés outre-Rhin et dont l’allemand est insuffisant, devaient suivre un cours de langue assorti d’un enseignement sur l’histoire, la législation et la culture allemande (630 heures au total), sanctionné par un examen mis en œuvre par l’office fédéral des migrations et des réfugiés. Désormais, les exigences linguistiques sont étendues aux membres de la famille des immigrés. Le regroupement familial n’est en effet autorisé que si le conjoint ou la conjointe possède une connaissance élémentaire de la langue allemande acquise dans son pays d’origine. " Conformément aux directives européennes, nous fixons l’âge du conjoint en cas de regroupement familial de sorte qu’il respecte le principe de la majorité et représente ainsi un instrument efficace contre les mariages forcés ", comme l’a souligné le ministre de l’Intérieur, Wolfgang Schäuble.
Sous la pression de la Bavière, la coalition gouvernementale a décidé que chaque Land est libre de décider de la forme que prendra le soutien offert aux immigrés, seulement des prestations en nature telles que l’attribution d’aliments et de logements collectifs ou bien des prestations financières. Tant que les immigrés concernés n’ont pas d’emploi, ils n’ont pas non plus droit aux allocations familiales, ni au regroupement familial. Pour l’instant, il est difficile de connaître le nombre de personnes concernées par la nouvelle réglementation. Actuellement, l’Allemagne compte 174 000 étrangers " tolérés ", dont 99 000 s’y trouvent depuis plus de six ans, 67 000 même depuis plus de huit ans. Au ministère de l’Intérieur, personne ne sait au juste combien d’immigrés parmi eux ont une famille, combien remplissent les autres conditions du nouveau droit d’asile. Au sein de la CDU, l’estimation va de 50 000 à 60 000 personnes. Ce durcissement des conditions de séjour et d’accès à la nationalité allemande, vivement critiqué par l’opposition et par les Eglises, tant catholique que protestante – qui se demandent comment les candidats au regroupement familial pourront acquérir une connaissance de la langue allemande dans leur pays d’origine – , s’inscrit dans un mouvement général observable dans les pays européens, notamment en Grande-Bretagne, qui exige de façon croissante des immigrés qu’ils connaissent la langue et la culture du pays dans lequel ils souhaitent s’installer.
Triplement du nombre de places en crèche : la France en ligne de mire
Ursula von der Leyen, ministre de la Famille dans le gouvernement d’Angela Merkel, n’entend pas se reposer après la réforme du congé familial entrée en vigueur le 1er janvier 2007 (voir Actualité sociale, AA, N° 179). En 2006, le gouvernement allemand a décidé de mettre en place un congé parental (Elternzeit) pour les parents d’enfants nés à partir de cette date, afin de leur permettre de s’arrêter de travailler pendant un an et de se consacrer ainsi à l’éducation de leur progéniture. Il permet à la mère – ou au père – de percevoir une rémunération pouvant aller jusqu’à 1800 _ par mois pendant un an, et même pendant quatorze mois, si l’autre parent prend, lui aussi, un congé parental. Cette réglementation est certes plus généreuse sur le plan financier que celle régissant l’ancienne version du congé parental, 25.200 _ maximum par an au lieu de 7.200 _ précédemment, mais elle l’est nettement moins en ce qui concerne la durée des versements. Auparavant, les jeunes mères – c’étaient, bien entendu, surtout elles qui prenaient un congé pour élever leur enfant – pouvaient rester à la maison pendant trois ans. Passé cette période, elles mettaient leur enfant à la maternelle et reprenaient un emploi généralement à mi-temps. La nouvelle réglementation, pourtant destinée à inciter les familles à avoir des enfants, oblige le parent en charge de l’enfant à reprendre son travail un an, 14 mois au maximum, après la naissance de l’enfant. Ce qui manque par conséquent, ce sont les places en crèche.
Actuellement, l’Allemagne ne compte que 285.000 places en crèche, un chiffre à rapporter au 2,1 millions d’enfants de 0 à 3 ans que compte le pays (chiffres de 2005), ce qui équivaut à un taux de couverture d’environ 13%. Sachant que la plupart des crèches se trouvent à l’Est du pays, survivance de structures héritées de l’ancienne RDA, il est évident que le manque de possibilités d’accueil de la petite enfance se fait particulièrement sentir dans les anciens Länder. La Rhénanie-du-Nord-Westphalie, où la participation des femmes au marché de l’emploi est bien supérieure à ce qu’elle est à l’Est, n’offre que trois places de crèche pour cent enfants. Afin que la réforme du congé parental initiée par la ministre de la Famille puisse avoir une chance de contribuer à rapprocher le nombre d’enfants des femmes, 1,3 en moyenne actuellement, du nombre désiré par elle, à savoir 1,8, il était urgent d’améliorer les structures d’accueil et surtout, d’accroître leur nombre. Ce débat très vif en Allemagne, qui est invariablement mené en regardant la situation jugée exemplaire de la France, n’a pu que déboucher sur la proposition d’augmenter le nombre de places en crèche.
La proposition d’Ursula von der Leyen de faire passer le nombre de places en crèche pour les enfants de moins de trois ans de 285.000 à 750.000 d’ici 2013 a conduit à une controverse au sein de la société allemande où les tenants de la famille traditionnelle, défenseurs du rôle éminent de la femme au foyer, et les partisans d’une répartition plus égalitaire des fonctions tant familiales que professionnelles se sont affrontés, par médias interposés, parfois de façon très dure. Qu’une mère qui travaille puisse être traitée de " Rabenmutter ", littéralement " mère corbeau " - cet oiseau ayant la réputation d’abandonner à leur sort ses petits après leur naissance, une mauvaise mère donc - illustre le fait que le débat sur l’égalité des chances au travail est encore mené avec des arguments d’une autre époque. Non seulement le regard de la société sur les mères au travail doit changer, comme le montre l’exemple français qui est cité en permanence, mais les structures elles-mêmes doivent suivre, comme par exemple le système de l’impôt sur le revenu qui favorise les couples mariés où un seul partenaire exerce une activité professionnelle (Ehegattensplitting). Au moins la ministre de la Famille est parvenue au mois de mars 2007 à ce que l’Etat, les Länder et les communes s’entendent pour tripler les places d’accueil en crèche d’ici 2013. Ce chiffre, révolutionnaire pour l’Allemagne, ne la placerait que dans la moyenne de l’Union européenne, avec un taux de couverture d’environ 35% du nombre d’enfants de moins de trois ans. Si le principe de cet effort en faveur des familles est acquis, le financement n’est pas bouclé. Il faudrait trouver 1 milliard d’euros dès 2008 et 3 milliards d’euros en 2013 pour financer les engagements pris par le gouvernement. Dans la phase économique actuelle, où la croissance accroît les recettes fiscales de façon inattendue, à la satisfaction du gouvernement, cet effort devrait pouvoir être assumé plus facilement.
Cette nouvelle politique familiale ne signifie rien de moins qu’un changement de paradigme. Pour la première fois depuis la création de la République fédérale, le gouvernement prend une mesure qui ne soutient pas la femme qui reste le plus longtemps possible au foyer pour s’occuper de ses enfants, mais celle qui, avant sa maternité, gagne sa vie en travaillant. La limitation du congé parental à un an est censée l’encourager à retourner à la vie active plus rapidement qu’auparavant. Cette mesure est certes un pas important dans la bonne direction, mais il reste que la politique familiale allemande a encore des progrès à faire : les maternelles qui ferment à midi et qui sont payantes, les écoles primaires également à mi-temps… . Comparée à la France, la situation reste difficile pour les mères actives en Allemagne.
- Brigitte LESTRADE –
- (avril 2007)
Brigitte.Lestrade@u-cergy.fr
Résumé
En 2006 l'Allemagne a commémoré le 100e anniversaire de la naissance de Dietrich Bonhoeffer. Les tributs d’estime pour son courage et sa clairvoyance dans la question juive furent nombreux et la citation de sa maxime célébrissime " Il n’y a que celui qui crie pour les Juifs qui soit aussi en droit de chanter en grégorien " quasi obligée. Cependant, rares sont ceux qui se sont demandé si et comment la question juive avait été le principal mobile de l’action oppositionnelle de Bonhoeffer ; et plus rares encore ceux qui ont vu les corollaires négatifs de sa solidarisation personnelle avec les Juifs : le manque de solidarité au sein de l’Eglise et la solitude du résistant. A l’aide de sources pour la plupart inédites en langue française nous avons cherché à combler cette double lacune en montrant comment la question juive avait constitué la charnière dans l’articulation entre les actions oppositionnelles collectives et individuelles de Bonhoeffer.
Zusammenfassung
Im Jahre 2006 gedachte man in Deutschland des 100. Geburtstages von Dietrich Bonhoeffer. Es wurden unzählige Male sein Mut und seine Hellsichtigkeit in der Judenfrage gewürdigt, und unfehlbar seine berühmteste Maxime zitiert: „Nur wer für die Juden schreit darf auch gregorianisch singen." Doch nur selten hat man sich gefragt, ob und wie die Judenfrage der Hauptbeweggrund für Bonhoeffers oppositionelles Handeln war; und noch seltener hat man die Kehrseiten seiner persönlichen Solidarisierung mit den Juden gesehen: die mangelnde Solidarität innerhalb der Kirche und die Einsamkeit des Widerständers. Mit Hilfe von Quellen, die in französischer Sprache zumeist nicht zugänglich sind, wird hier der Versuch unternommen, diese doppelte Lücke auszufüllen, indem man aufweist, wie die Judenfrage den Dreh- und Angelpunkt für Bonhoeffers kollektives und individuelles Oppositionshandeln darstellte.
Abstract
In 2006 Germany commemorated the 100th anniversary of Dietrich Bonhoeffer’s birth. The tributes to his courage and his clear-sightedness about the Jewish question were numerous and the quotation of his most famous sentence “Only he who cries out for the Jews may also sing Gregorian" a must. However, those who asked themselves if and how the Jewish question had been the main motive for Bonhoeffer’s oppositional actions were rare, and those who saw the negative corollaries of his personal solidarization with the Jews, namely the lack of solidarity within the Church and the resistant’s solitude, were even rarer. With aid of sources which are mostly unavailable in French this paper attempts to fill this double gap by showing how the Jewish question was at the juncture between Bonhoeffer’s collective and individual oppositional actions.
Une pièce de Brecht restée inconnue
Parmi les incontournables événements littéraires du printemps figure le Salon du livre de Leipzig (22 au 25 mars 2007) qui, d'année en année, attire toujours plus de visiteurs. En dehors de l’accent mis sur la littérature des pays de l’Europe centrale et orientale, la particularité du Salon de Leipzig par rapport à celui, plus commercial, de Francfort à l’automne, réside dans la place réservée aux auteurs et dans le souci de devenir une plate-forme de médiation et de communication au service de la littérature. Ainsi, le public a pu rencontrer 1 500 auteurs en seulement quatre jours, dans le cadre du programme accompagnant le Salon : " Leipzig liest " (" Leipzig lit ").
Pour la troisième année depuis 2005, le Prix du Salon du livre de Leipzig (" Preis der Leipziger Buchmesse ") est décerné dans les catégories traduction, essai et littérature. Avec l’importance accordée à la traduction, au même titre qu’aux deux autres catégories, le Prix récompense, dans l’esprit du Salon, un travail indispensable à la diffusion de la littérature étrangère. Cette année, la traductrice Swetlana Geier a été honorée pour sa nouvelle traduction de l’avant-dernier roman de Dostoïevski, L’Adolescent (Ein grüner Junge), qui s’inscrit dans un projet entamé il y a vingt ans : retraduire les grands romans de l’écrivain russe pour le compte de l’éditeur suisse Ammann. Le prix de la deuxième catégorie est revenu à Saul Friedländer pour le deuxième tome de son ouvrage Le Troisième Reich et les juifs 1939-1945, Les années de l’extermination (C.H. Beck), achevant cette importante étude sur la persécution et l’extermination des juifs d’Europe. Dans la catégorie littérature, le prix a été décerné à Ingo Schulze qui, deux ans après son volumineux roman Neue Leben (Berlin Verlag, 2005), vient de sortir le recueil de nouvelles Handy dreizehn geschichten in alter manier (Berlin Verlag, 2007) dont le genre " short-story " renoue avec ses débuts d’écrivain. Ce qui a séduit le jury dans ces récits qui tournent autour d’un jeune chef d’entreprise à succès est-allemand, c’est le recours aux formes classiques de la nouvelle pour capter le passé récent et le présent immédiat et rendre visibles, à travers des situations du quotidien, les mutations et bouleversement de la société actuelle.
Parmi les cinq nominations pour la catégorie littérature, on a pu trouver celle, posthume, d’une œuvre inhabituelle, Rummelplatz, le roman de l’auteur est-allemand Werner Bräunig (mort en 1976), paru quarante ans après sa rédaction dans les années 1960. Le manuscrit de ce roman inachevé d’environ 700 pages a été confié par les fils de Bräunig aux éditions Aufbau où il a été édité par la germaniste Angela Drescher qui, dans une postface, retrace son histoire. Le roman propose un vaste panorama de l’histoire allemande de l’après-guerre, couvrant la période entre la fondation de la RDA en 1949 et les événements du 17 juin 1953, tout en focalisant la région minière exploitée par la Wismut, entreprise germano-soviétique assurant l’extraction d’uranium. Les conséquences humaines et environnementales de cette exploitation dans des conditions de sécurité précaires sont connues grâce au cinéaste Volker Koepp qui, en 1993, a réalisé un documentaire avec des anciens ouvriers de la région. Bräunig donne le point de vue de l’époque, ses personnages – qui portent en partie des traits autobiographiques – reflètent dans toute leur rudesse les conditions de travail extrêmes rencontrées par des centaines de milliers de personnes embauchés après la guerre. Les salaires élevés attiraient non seulement des ouvriers mineurs, mais des aventuriers, marginaux et déracinés de l’après-guerre qui peuplent le roman. La description sans retenue de ce milieu dans un cadre frappé de nombreux tabous a valu à l’auteur les foudres du Parti. La publication d’un extrait du roman dans la revue Neue deutsche Literatur en octobre 1965 avait suffi pour reprocher à Bräunig d’avoir offensé les ouvriers et pour faire de son texte une des cibles du XIe Plenum du SED en décembre de la même année. Seule Christa Wolf, ayant également fourni l’avant-propos à la présente édition de Rummelplatz, a défendu le texte à l’époque dans sa contribution critique au Plenum. Bräunig avait tout pour devenir l’écrivain ouvrier modèle. Il avait fait des études à l’Institut de littérature Johannes R. Becher à Leipzig où il a ensuite lui-même enseigné et lancé le fameux appel " Prends la plume, camarade " (" Greif zur Feder, Kumpel ") ouvrant la Voie de Bitterfeld, avant d’abandonner son grand projet. Brisé, il sombre dans l’alcoolisme et meurt onze ans plus tard, à l’âge de 42 ans.
Le souvenir de Werner Bräunig est évoqué dans la récente autobiographie du poète est-allemand Heinz Czechowski, né en 1935, et son cadet d’un an, les deux auteurs s’étant connus à l’Institut de littérature de Leipzig. Dans Die Pole der Erinnerung (2006, Grupello Verlag), Bräunig apparaît comme un des personnages de son roman, ancien travailleur à la Wismut, prêt à des aventures et enclin à la débauche… On apprend également que Bräunig fut attiré par les auteurs " bourgeois " qui ébranlèrent sa foi dans le réalisme socialiste, une évolution également perceptible dans le style et la forme de Rummelplatz. Quant au projet de Heinz Czechowski d’écrire une autobiographie, la quatrième de couverture le présente comme la nécessité de " trouver ou inventer quelque chose qui me porte " pour ne pas " entrer dans le nouveau millénaire sans petit cadeau " et pour ne pas " s’enliser dans les bas-fonds de la désolation " : " Alors j’invente mon identité ! ". Cette annonce en elle-même indéniablement pessimiste est réalisée page après page, Czechowski décrit son parcours au prix d’une introspection et d’un règlement de compte inhabituellement durs avec soi-même. L’auteur est né à Dresde où il a vécu à l’âge de dix ans les bombardements, expérience intensément décrite dans son livre. Après une formation comme graphiste, il fréquente l’Institut de littérature à Leipzig entre 1958-1961, ensuite il est pendant quelques années lecteur au Mitteldeutscher Verlag Halle. En tant que poète, il est apparenté à ce que Adolf Endler avait appelé la " Sächsische Dichterschule ", un groupe informel de jeunes poètes liés par leur origine géographique, la Saxe, entièrement acquis aux idéaux socialistes et ensuite de plus en plus sceptiques et critiques (Karl Mickel, Volker Braun, Bernd Jentzsch, Wulf Kirsten, Sarah et Rainer Kirsch, Uwe Grüning et d’autres). L’attitude affirmative, et à en croire la description faite dans son livre, souvent naïve, de Czechowski par rapport à la RDA va de déception en déception. Le manque d’espoir au niveau politique est doublé d’une vie privée chaotique, entre couples séparés, problèmes psychiques et alcoolisme que l’auteur décrit dans le détail. Mais l’auteur déçoit les attentes que l’on pouvait avoir de l’autobiographie d’un poète est-allemand de renommée. Czechowski raconte nombre d’anecdotes, de façon répétitive ; ni ses propres secrets d’alcôves ni, plus gênants, ceux de ses collègues écrivains n’intéressent vraiment le lecteur. Comme nombre de critiques l’ont remarqué, cette autobiographie manque de mise en forme esthétique et de réflexion, se limitant à une succession de faits et d’anecdotes souvent anodins.
Comment continuer ? Si la question est souvent implicitement posée dans l’autobiographie de H. Czechowski, sa collègue Angela Krauß se passe du point d’interrogation. Dans son dernier récit Wie weiter (Suhrkamp, 2006), très favorablement accueilli par la critique, l’auteure scrute sur un peu plus d’une centaine de pages les différentes possibilités d’une vie où l’avenir se résume à la seule certitude que cela ne peut continuera ainsi : " Sans rêve. Sans rêve de l’avenir ". Afin de regarder dans l’avenir, la narratrice profite de ses dimanches matin pour arrêter, interrompre le cours du présent : " Je demande l’arrêt, le recueillement, la condensation, l’expérience de la substance pure ! " Pendant ces moments de calme et de réflexion, elle se rappelle les événements importants de sa vie, et notamment ses rencontres, lointaines ou plus proches, avec la tatare Toma qui " à l’inverse des migrations en direction de l’Ouest, s’en va de plus en plus loin à l’Est et [qui] est arrivée maintenant en Sibérie ", avec son compagnon Roman, rencontré lors d’une manifestation à l’automne 1989 et avec Leo, un vieux juif viennois émigré aux Etats-Unis, avec qui elle mène de longues conversations téléphoniques outre-Atlantique. Roman, ce n’est pas seulement son compagnon qui dort à côté d’elle et qui, lors du tournant en 1989, avait déclaré " La liberté de la parole (…), je me la prends " pour ensuite tomber dans le mutisme pendant des mois, " Roman " signifie également le genre littéraire, le monde de la littérature qui accompagne la narratrice depuis l’enfance et qui constitue une partie d’elle-même. Dans une écriture très poétique où les phrases sont " condensées " et appellent régulièrement un arrêt sur elles, à l’instar de la réflexion dominicale de la narratrice, Angela Krauss livre des instantanés où les personnages sont pris entre les grands événements du passé et du présent ainsi que les questionnements que ces derniers suscitent. Dix-huit ans après la chute du Mur, nous sommes en présence d’un texte qui réactualise grâce à sa force poétique les interrogations de l’époque et qui, par l’intermédiaire de la narratrice, exprime l’étonnement d’avoir vécu de tout près un grand événement de l’histoire mondiale, le changement d’une époque : " Autrefois, cela avait toujours continué tout seul. Un autrefois, c’est lorsque j’étais petite. (…) Encore un autre : lorsque c’était la guerre. L’autrefois le plus récent, c’est lorsque l’histoire a soudainement avancé, et moi je l’ai vu. Je ne m’y attendais pas. " Cette année au mois de juin, Angela Krauß se verra remettre le prix Hermann Lenz pour la littérature germanophone institué par Hubert Burda. Pour l’auteure, de telles distinctions sont très importantes car, dans la mesure où l’écriture se fait dans la solitude, c’est " l’évaluation la plus sûre qui puisse venir de l’extérieur ".
Dans le domaine des musées, l’exposition Kunst und Propaganda im Streit der Nationen 1930-1945 organisé de janvier à avril 2007 au Deutsches Historisches Museum de Berlin mérite de retenir l’attention. Elle confronte les œuvres d’art de propagande du fascisme, du national-socialisme et du stalinisme, ainsi que celles de la période du New Deal sous Franklin D. Roosevelt aux États-Unis. Le projet de l’exposition est né d’une constellation particulière : le transfert d’un grand fonds d’art national-socialiste (" Bilder aus NS-Reichsbesitz ") au DHM de Berlin en 2000, l’inauguration de la nouvelle exposition permanente au Zeughaus en 2006 et la volonté d’approfondir certains aspects de celle-ci dans des expositions temporaires. L’exposition a été organisée autour de six thématiques : art et politique, mises en scène des chefs d’États, images de l’homme et de la société, images du travail et de la construction, images de guerre et, à la fin, la question de la " succession difficile " de ce legs iconographique national-socialiste. En dehors des ressemblances thématiques observées dans les différents arts nationaux, on remarque surtout les différences esthétiques les plus voyantes entre un art national-socialiste profondément anti-moderne, exposant les thèmes de la famille et de la terre, et un art fasciste grandement influencé par l’avant-garde du futurisme. Le rapprochement thématique sans une réflexion plus approfondie sur la signification de la propagande et sur son objet paraît par ailleurs réducteur lorsque, pour n’en donner qu’un exemple, dans la section images de guerre, on aligne les tableaux de propagande nationaux-socialiste en faveur d’une guerre d’expansion et d’agression et les tableaux, certes staliniens, de la défense du pays ou encore ceux de pilotes américains. Comme l’ont remarqué certains commentateurs, l’exposition aurait pu être l’occasion d’interroger, au-delà de l’opposition entre dictatures et démocraties, les caractéristiques structurelles et les différentes formes du phénomène de la propagande à cette époque (et d’intégrer d’autres pays également), tenant compte des évolutions de la société de masse, des médias et des possibilités techniques de la communication indépendamment des idéologies.
- Carola HÄHNEL-MESNARD -