Dans
José Maria de Heredia. Sa vie, son oeuvre (Paris, Les Presses Françaises, 1923), Miodrag Ibrovac ne mentionne que deux fois le nom de Morel-Fatio et sans préciser s'il s'agit de l'hispanique Alfred Morel-Fatio ou de l'un de ses parents. André Fontaine, dans
Heredia et ses amis ("La Muse Française", 15-4-32, p. 168-182) ne parle pas du savant hispanique. Nous savons, grâce à la lecture de la biographie d'Alfred Morel-Fatio due à Hirschauer, que ce savant a été l'ami du poète. Le
Catalogue des manuscrits de Morel-Fatio nous a permis de retrouver à la Bibliothèque municipale de Versailles les lettres écrites par le célèbre poète parnassien à son ami. Nous donnons ici le texte de ces lettres sans aucune modification. Elles montrent amplement l'intimité qui existait entre ces deux hommes que réunissaient le goût de l'érudition, des livres rares et de l'hispanisme savant. Nous ne savons pas dans quelles circonstances cet érudit né à Strasbourg d'une famille protestante et le poète né à Cuba d'une famille catholique ont fait connaissance. Les deux étaient chartistes et animés par le goût des choses hispaniques. Alfred Morel-Fatio avait un emploi au département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale et pouvait être d'un grand secours à José Maria de Heredia, occupé alors à la traduction de la
Historia Verdadera de la Conquista de la Nueva Espana de Bernal Diaz del Castillo. Ce travail aboutira à la
Véridique histoire de la conquête de la Nouvelle Espagne par le capitaine Bernal Diaz del Castillo, l'un des conquérants. Les quatre tomes de cette traduction annotée paraissent successivement en 1877, 1879, 1881 et 1887. On voit qu'il s'est agi d'une entreprise de longue haleine et Heredia, dans sa correpsondance avec Morel-Fatio, n'en a pas caché la difficulté. Ces lettres sont des années 1878 à 1885 principalement mais nous avons des preuves de la persistance de l'amitié qui unit les deux hommes. Sur l'exemplaire du
Discours de réception à l'Académie Française prononcé le 30 mai 1895 (Paris, Lemerre, 1895), conservé à la Bibliothèque de Versailles, on peut lire la dédicace manuscrite écrite d'une belle encre violette: "A Alfred Morel-Fatio. Son vieil ami". En 1896 le poète, dans toute sa gloire, écrit les même mots sur un exemplaire du
Salut de l'Empereur qu'il offre à Morel-Fatio.Nous avons tenté de classer ces lettres et ces billets selon un ordre chronologique. Certaines lettres portent une date, d'autres ne portent que des indications incomplètes. Celles qui commencent par "Cher Monsieur et ami" sont vraisemblablement les plus anciennes. On trouvera peut-être qu'elles n'apportent rien de nouveau à ce que nous savions sur Heredia. Elles font connaître un homme cordial, pas du tout impassible, prêt à rendre service. Nous y découvrons un Heredia bien différent de celui qu'on imaginerait à voir le portrait connu, l'émail de Claudius Popelin, qui représente le poète sous l'armure d'un Conquistador. De plus, ces lettres apportent quelques détails au sujet de ce que l'on a appelé "l'hispanisme" de José Maria de Heredia et sur lequel tout n'a pas été dit. Nous avons cru utile d'ajouter deux lettres écrites en 1912 par la veuve du poète et qui montre en quelle estime celle-ci tenait Alfred Morel-Fatio. Nous donnons pour chaque lettre des notes explicatives qui apporteront quelques précisions à ceux qui s'intéressent à la biographie détaillée du poète franco-cubain quelque peu délaissé aujourd'hui par la critique érudite. Il nous est agréable de rendre hommage en même temps à un poète qui fut considéré comme un Grand d'Espagne des lettres françaises et l'un des fondateurs de l'hispanisme savant.