Voici un ouvrage inaugural par son sujet: la littérature de déracinement et par son principe d'enquête: déceler les non-dits de l'exil littéraire, dans les oeuvres, dans les dissimulations d'une critique et d'une historiographie qui s'attachent à noter Barrès et Simone Weil, puis Beckett et Ionesco sans autre logique et dans l'étonnement du constat obligé: l'écriture n'a pas toujours un lieu contraint. Face à de telles insuffisances, il y a mieux à faire que de s'en remettre à la vulgate de nos avant-gardes: dérives, déconstructions et non-lieux, autant de manières de jouer d'une fiction du déracinement dans un champ culturel borné, reconnu, parcouru. Contre la dissimulation et contre la fiction est ici proposé une typologie de la littérature du déracinement alors distincte de l'internationale des belles lettres et de la littérature de l'émigration. Typologie exactement problématique: le déracinement littéraire est un acte de déliaison qui n'exclut pas la nostalgie de rapports multiples au monde at aux nationalités, dans une ambiguité qui est la condition même de l'entreprise créatrice. Typologie encore proprement fondatrice: elle permet de lire la genèse des vertiges esthétiques contemporains; elle marque, dans ce constat des antécédents, quelques domaines culturels, l'Europe, l'Amérique, la France; elle indique que la création littéraire maoderne est à raison des grands exils qui pèsent sur elle, Rilke, Musil, Pound, Joyce, Borges, Nabokov, Gombrowicz, Beckett et la figure des figures, Kafka. Il faut en venir, enfin, à ce qui est une véritable manie langagière de l'exil: le concept même d'écriture et son anarchisme. Point d'où naissent bien des confusions mais qui atteste la propriété ultime de la référence à l'exil: l'écrivain toujours en voyage entre une patrie perdue et une patrie promise, sur le double chemin de la grammaire et du mythe personnel. Patente encore l'inquiétante étrangeté de cet ouvrage qui appelle simultanément Barrès et Roland Barthes, Orson Welles et Kafka, pour dire une manière de vocation existentielle du déracinement et l'apparenter aux innovations formelles, pourtant présentées par leur promoteurs récents comme capables de défaire toute indication substantielle et existentielle. Sur fond de typologie et d'archéologie, le dessein du déracinement marque les duplicités des entreprises créatrices contemporaines et la persistance d'un fond métaphysique chez les plus anti-dualistes. S'impose le retour aux figures majeures, issues de l'Europe Centrale et du monde anglophone, seules capables d'assurer une véritable prise sur le jeu du déracinement et de la mimesis, inséparables des équivoques de l'autre et du même. Est ainsi offert une propédeutique à l'analyse de la littérature moderne, grâce à l'examen de son seul présupposé constant: le déracinement.