Allemagne d'aujourd'hui, n°177/juillet - septembre 2006

Pratiques etproductions culturelles en RDA
First Edition

Paperback - In French 11.00 €

Specifications


Publisher
Presses Universitaires du Septentrion
Imprint
Association pour la Connaissance de l'Allemagne d'Aujourd'hui
Title Part
Numéro 177
With
,
Journal
Allemagne d'aujourd'hui
ISSN
00025712
Language
French
Publisher Category
Septentrion Catalog > Literatures > Foreign Literature > Germanic and Scandinavian countries
Publisher Category
Septentrion Catalog > Literatures > Foreign Literature
BISAC Subject Heading
POL000000 POLITICAL SCIENCE
Onix Audience Codes
05 College/higher education
CLIL (Version 2013-2019)
3283 SCIENCES POLITIQUES
Title First Published
16 November 2006
Subject Scheme Identifier Code
Thema subject category: Politics and government

Paperback


Publication Date
16 November 2006
ISBN-13
978-2-85939-957-3
Extent
Main content page count : 208
Code
1002
Dimensions
13.5 x 21 cm
Weight
254 grams
List Price
11.00 €
ONIX XML
Version 2.1, Version 3

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Contents


Dossier : Pratiques et productions culturelles en RDA
Jacques poumet
Formation ou mise au pas des élites en RDA ? L'exemple de l'Institut de Littérature de Leipzig
A.M. Pailhès
Création musicale et politique culturelle dans les années cinquante en RDA J. Mortier
Le contournement des préceptes officiels dans les arts plastiques de RDA J. Poumet
n cinéaste est-allemand en marge ? Volker Koepp au festival international de Leipzig C. Moine
Les écrivains est-allemands et les romantiques A. Lemonnier-Lemieux
Die Puhdys, rock socialiste et identitaire à l’Est
H. Yeche
Les théâtres de RDA et leur public dans les années 1980. Entre démocratisation et politisation de l’art théâtral L. de Verdalle
La presse satirique de RDA à la fin des années 1980 : la revue Eulenspiegel entre censure et autocensure
D. Mirsky
Les revues littéraires auto-éditées en RDA dans les années 1980 comme espace non censuré C. Hähnel-Mesnard
La politique de l’emploi de la grande coalition : priorité au secteur à bas salaires Brigitte Lestrade
Greffiers en France et en Allemagne R. Bossis
Comptes rendus
Carnet littéraire de C. Simonin


Excerpt


Dossier : Pratiques et productions culturelles en RDA

Ce dossier sur les « pratiques et productions culturelles en RDA » rassemble des contributions présentées dans le cadre d'un programme de formation-recherche du Centre Interdisciplinaire d’Etudes et de Recherches sur l’Allemagne (CIERA). Inauguré par un colloque franco-allemand organisé à Berlin en Mars 2005, poursuivi par des journées d’étude consacrées aux grands axes de la recherche sur la RDA, ce programme a permis de mettre en relief les approches développées par la recherche française sur la RDA et de les confronter aux méthodes et aux objectifs de la recherche allemande.

Le régime est-allemand a toujours accordé une grande importance au champ culturel, considéré à la fois comme un élément de l’espace public et comme un enjeu d’identité nationale. Sous l’un et l’autre aspect, la culture revêtait une importance stratégique aux yeux du SED, qui a développé des efforts constants pour contrôler l’espace culturel. Pendant les quarante ans d’existence de la RDA, le discours officiel sur la culture et sur ses acteurs privilégiés s’est modifié, des glissements se sont opérés dans la définition des objectifs de la production culturelle, dans celle des rapports entre l’héritage et l’innovation, dans la conception des formes d’expression propres à une culture socialiste. Ces évolutions n’ont pas entamé la prétention fondamentale du SED à définir le cadre de l’activité culturelle, à en tracer les limites et à en surveiller les diverses manifestations.

L’aspect institutionnel a été un élément important du complexe culturel. Il faut rappeler ici le rôle central dévolu dès l’origine à l’entreprise dans la mise en œuvre d’une vie culturelle correspondant à la nature et aux besoins d’une société socialiste. C’est à ce niveau que devait s’organiser la mise en contact du plus grand nombre avec les différentes formes d’expression culturelle , et que devaient être renforcés par une politique de commandes les liens entre le monde de la production et celui de la culture. Les études de cas montrent l’aspect formel qui a souvent caractérisé cette vie culturelle organisée par le pouvoir, et le caractère ambigu de toutes les institutions culturelles dont la prolifération servait autant les besoins d’une politique de contrôle que ceux d’une politique de développement culturel.

La conception de ce qu’est une culture populaire a évolué de façon importante, et non sans à-coups. Dans les années cinquante, marquées par la fermeture aux influences étrangères, l’accent est mis sur la mise en valeur du patrimoine et de la tradition allemande, pour autant que celle-ci reste accessible à tous et ne reproduit pas le divorce entre culture de l’élite et culture de masse. En revanche, dans les années quatre-vingt, l’exemple de la musique montre clairement qu’il ne peut plus y avoir de culture populaire sans l’assimilation de courants internationaux. Pendant la majeure partie de l’histoire de la RDA, les cinéastes, peintres, écrivains et musiciens, conscients de la stérilité qu’entraînerait un repli sur soi, ont dû jouer une partie difficile entre la frilosité des autorités, plus promptes à endiguer les apports extérieurs qu’à les favoriser, et la nécessité de renouveler par des apports nouveaux les productions culturelles de RDA.

Dans un espace public investi par le pouvoir et corseté par un langage fortement codifié et contraignant, les différents secteurs de l’activité culturelle ont vu se développer à un degré élevé toutes les formes de double sens, de compréhension à demi-mots et de connivence avec le public. La question se pose de savoir quel a été l’impact réel de cette forme de communication. L’effet subversif d’un énoncé, d’une représentation s’apprécie-t-il de la même manière avant et après 1989 ? Les protagonistes eux-mêmes donnent à cette question des réponses diverses. L’existence d’une censure qui ne disait pas son nom a induit de nombreuses stratégies de contournement ou d’évitement dont le caractère de plus en plus massif dans les années quatre-vingt met en évidence la désorientation croissante de la politique culturelle et la perte de crédit des autorités culturelles. Après 1990, la vie culturelle et les productions culturelles de RDA ont fait l’objet en Allemagne de débats très médiatisés qui ont focalisé l’attention sur les mécanismes répressifs et les processus d’allégeance au pouvoir. Les productions culturelles de la RDA ont connu une phase de dévalorisation générale, ponctuée de débats à tonalité fortement polémique. Une évolution se dessine aujourd’hui dans le sens d’un traitement plus différencié.

Les contributions présentées ici ne peuvent couvrir dans cet espace restreint tout le champ des productions et pratiques culturelles. Elles apportent à la lumière des recherches actuelles des éclairages récents sur des secteurs représentatifs de l’activité culturelle en RDA

- Jacques POUMET -



Die Puhdys, rock socialiste et identitaire à l’Est

Groupe de rock fondé entre 1965 et 1969 en RDA, les Puhdys représentent un véritable phénomène sur la scène allemande après plus de trente-cinq ans de carrière. Ni poètes officiels ni dissidents, les Puhdys chantent en allemand des mélodies inspirées des standards anglais et américains des sixties, inventant dans les années soixante-dix une authentique culture populaire socialiste. Loin de la tradition « underground » du genre, leurs compositions dynamiques fondées sur l'écoute collective et un langage volontairement polysémique ont contribué à faire de la musique rock un important vecteur d’identité à l’Est qui semble perdurer dans le contexte de l’Allemagne réunifiée.

Die Puhdys, sozialistische Rockmusik aus dem Osten

Seit ihrem Auftritt im Freiberger "Tivoli" 1969 sind die Puhdys eine der erfolgreichsten Bands in Deutschland - ein Phänomen. Ende der 60er Jahre in der DDR gegründet entwickelte die Band aus westlicher Rockmusik und deutscher Sprache heraus einen eigenen, unverwechselbaren DDRock, eine populäre Musik sozialistischer Prägung, aber sicher kein Widerstandsprodukt. Kräftige, doch einfühlsame Melodien und menschlich-engagierte Texte fungieren nach wie vor als Hauptmerkmale einer Musik, die auch im vereinten Deutschland als Identitätsträger bleibt, wie es der ungebrochene Erfolg der Puhdys nach 36 Jahren immer noch zeigt.

Die Puhdys, Rock’n’roll made in GDR

Die Puhdys, a Rock'n'roll band founded between 1965 and 1969 in the GDR, are still a singular phenomenon in present day Germany, 35 years after the setting up of the band. Thanks to popular melodies inspired by English and American songs of the Sixties, Die Puhdys created an authentic socialist popular culture in the early 1970s. Far from the underground tradition, their dynamic and optimistic compositions based on collective listening but also critical lyrics led their music to become an important vector of German social identity before and after 1989.


La presse satirique de RDA à la fin des années 1980 : la revue Eulenspiegel entre censure et autocensure

Le cadre dans lequel la presse satirique est-allemande de la fin des années 1980 pouvait s'exprimer était nettement délimité. Un bureau de censure était inutile, car les organes satiriques dépendaient directement de l’Etat, de sorte que la pré-censure ou l’autocensure agissaient en amont sur les contenus satiriques. Il est toutefois légitime de se demander si la satire, dont la polyphonie et les possibilités de réception multiples sont des caractéristiques essentielles, ne parvenait pas à se glisser parfois entre les lignes et à distiller par endroits un peu de subversion. L’étude se concentre sur les dernières années de la RDA, de 1987 à 1989. A des fins comparatives, le cabaret politique est également évoqué ; car malgré des formes d’expression et de réception différentes, il éclaire utilement la problématique de la presse satirique à cette époque.


Comptes rendus

C. Hocq, Dictionnaire d'histoire politique du XXe siècle – G. Graichen, H. Gründer, Deutsche Kolonien. Traum und Trauma – H.P. Schwarz, Republik ohne Kompaß, Anmerkungen zur deutschen Außenpolitik – G. Hellmann (avec la collaboration de R. Baumann et W. Wagner, Deutsche Außenpolitik. Eine Einführung – W. von Bredow, Die Außenpolitk der Bundes-republik Deutschland. Eine Einführung – V. Kronenberg, Patriotismus in Deutschland. Perspektiven für eine weltof-fene Nation (comptes rendus de S. Martens) – J.P. Hammer, Destination Madagascar, Saumur, Paris, Tananarive. Des coulisses du PC au grand soleil de l’Ile rouge (compte rendu de J. Vaillant) – J. Fest, Die unbeantwortbaren Fragen. Gespräche mit Albert Speer (compte rendu de L. Charrier)


Carnet littéraire de C. Simonin

Entre distance et connivence: Lars Brandt à propos de son père Willy Brandt

C'est un bien joli petit livre que publient les éditions Hanser, sous la plume de Lars Brandt, le fils cadet, aujourd’hui âgé de 51 ans, de Willy Brandt. Grandir et s’affirmer dans l’ombre d’un père illustre n’est pas chose facile. Agressivité, frustration, sentiments d’échec, il n’est pas rare que la relation père -fils tourne au désastre pour le fils qui choisit de se mesurer au père. Rien de tout cela dans le livre de Lars Brandt. La sobriété du titre retenu, « Andenken », reflète la tonalité recueillie, sensible dès les premières pages du texte, qui imprègne l’ensemble de ce mince volume.

Prenant quelque distance par rapport à l’abondante littérature déjà parue sur l’homme d’Etat Willy Brandt, agacé par l’exploitation médiatique et commerciale de la popularité du grand homme, l’auteur affirme la position singulière qui est la sienne. S’il écrit ce livre, c’est à des fins personnelles. Non pour entretenir ou pour détruire un mythe, non pour témoigner, livrer un document qui alimenterait la recherche officielle, c’est pour « jouer avec quelques pensées », livrer des images isolées, des réflexions éparses, évoquer des moments passés en commun. Flâner à travers des souvenirs où transparaît le lien qui l’unissait à son père. D’où la conception lâche, ludique et modeste du recueil, qui se contente de juxtaposer de petits textes, des miniatures finement ciselées écrites dans une langue précise et concise. Quelques photographies commentées par l’auteur accompagnent le texte, une photo d’identité montrant Willy Brandt « tel qu’il était dans la vie », un curieux dessin de Lars Brandt montrant son père sur son lit de mort, ou encore la photographie de ce coffret en bois laqué qui figure sur la couverture du livre, un cadeau de Brejnev représentant un Willy Brandt au sourire figé, accentuent le caractère personnel de cette évocation.

Le livre débute par une image insolite:de gigantesques défenses d’éléphant en provenance du Bangui, gisant dans la cour de la villa de la Chancellerie que la famille Brandt vient de quitter. Interrogé par son fils cherchant à savoir comment ces trophées encombrants avaient atterri chez lui Willy Brandt, ou plus exactement dans la famille (« chez nous », précise le fils) et pourquoi ils ont été abandonnés lors du déménagement, W. Brandt se débarrasse du sujet qui ne l’intéresse visiblement pas en fournissant à son fils des réponses évasives: pour ce qui est de l’origine des objets, il raconte une histoire qui laisse le fils sur sa faim; quant à la raison pour laquelle les déménageurs les ont laissés là, qu’est-ce qu’il en savait, lui, sans doute fallait-il y voir l’initiative d’un membre de son personnel, ce n’était en tous cas pas son affaire. L’anecdote, comme d’autres rapportées par l’auteur, est chargée de sens, elle signale l’égoïsme du grand homme, son indifférence envers ceux qui étaient à son service, et la distance qui le sépare du fils dont les questions restent sans réponse. L. Brandt, pourtant, rappelle la chose sans amertume. Ce qui aurait pu être l’amorce d’un procès fait au père est certes noté par le fils, mais simplement effleuré.

On touche ici à ce qui est au cœur du texte: la nature particulière de la relation entre le père et le fils. D’emblée, l’auteur la caractérise ainsi: « Mon père - (V. dans le texte allemand, initiale de «Vater », selon l’habitude de Willy Brandt qui signait ainsi les lettres qu’il envoyait à Lars)- n’était pour moi ni un ami, ni un ennemi, notre lien était un lien naturel ». A partir de cette donnée indéfectible le fils va réussir- il lui faudra quelque talent- à édifier avec son père une relation complexe faite de distance et de proximité. Conscient des limites que l’envergure et l’ambition politique du père, homme public avant tout, assignent à la sphère de la vie familiale, le fils comprend avec finesse qu’il lui faut maintenir cette ambivalence pour vivre avec lui dans une certaine intimité et pour affirmer ses goûts à lui qui le portent non pas vers la politique, mais vers les lettres et les arts. Une fois ce préalable évoqué, c’est avec un plaisir sensible que Lars Brandt évoque les moments d’intimité partagés, les petits déjeuners pris en commun en présence de Rocco, le perroquet volubile, et les longues parties de pêche pour lesquelles il réunissait avec soin le matériel nécessaire et que l’auteur adulte commente avec finesse encore: « il est possible que se soit précisée au cours de ces parties de pêche à deux la manière dont nous pouvions nous retrouver, un mélange de distance et de proximité - une façon de jeter un pont entre nous qui résista jusqu’à la fin de ses jours, quelles que soient les circonstances, par delà nos différences, et plusieurs années de silence ».

Les amateurs trouveront aussi un portrait, « à la manière cubiste » écrit son fils, de Willy Brandt, celui d’une personnalité nébuleuse saisie dans ses contradictions. Un homme taciturne, avare de sentiments dans le privé, à la fois gai et mélancolique, et dont l’existence personnelle se confond fatalement avec les diverses fonctions qu’il exerce. Une importance particulière revient à des objets concrets, quotidiens, les tenues vestimentaires, les stylos utilisés, les livres figurant dans la petite bibliothèque de la mansarde qui lui servait de bureau, autant de détails que l’enfant a gardés en mémoire. En filigrane se dessine un portrait de Lars Brandt, celui d’un fils attentif, docile et prévenant, un peu en demande par rapport à son illustre père qu’il traite avec une délicatesse qui ne fut pas toujours payée de retour. L. Brandt trace avec une extrême précaution le portrait de ce père qu’il respecte, en prenant soin de ne pas rompre le pacte qu’ils ont conclu tous deux. Il évoque incidemment seulement la légèreté avec laquelle Willy Brandt a choisi parfois ses collaborateurs (l’affaire Guillaume), son goût des effets, sa façon de se mettre en scène en public; la famille vivant dans une atmosphère étouffante et stérile censée par ses apparitions en public nourrir la popularité de l’homme d’Etat, l’époque aussi où, alors qu’il était étudiant en sociologie et en sciences politiques, il rédigeait les discours de son père qu’il truffait de citations de Thomas Mann, son auteur de prédilection. Mais les critiques qui pourraient poindre restent sous-jacentes, même quand il arrive que le fils fasse lui-même les frais de la désinvolture du grand homme.

Cette loyauté envers le père maintenue envers et contre tout ne cache-t-elle pas quelque blessure secrète qui affleure ça et là ? Le lecteur est en droit de se le demander. L. Brandt a voulu délimiter son territoire en se démarquant de tous ceux, écrivains, journalistes, cinéastes qui se sont penchés sur la figure de Willy Brandt. Mais il revendique aussi une place à part au sein de sa propre famille, sa mère et ses deux frères se trouvant littéralement évacués de ses souvenirs. Tout se passe comme si, en affirmant le caractère exclusif du lien filial qu’il décrit tout comme en gommant pudiquement les aspérités de la figure paternelle, l’auteur avait plus ou moins consciemment tracé le portrait d’un père selon son cœur que la vie lui avait refusé. Le livre, que l’on quitte à regret, se termine sur une nouvelle évocation du pacte conclu jadis et sur une note de perplexité: « Nous avons, je ne sais quand, conclu un pacte sur lequel nous pouvions nous reposer en dépit de tout ce qui nous séparait. Mais quand donc ? Dans nos parties de pêche ? Dans nos repas pris la nuit dans la cuisine ? Dans les disputes qui nous ont opposés ? Mon père est mort, depuis plus de dix ans. Je ne pense pas très souvent à lui. De temps en temps quand même. Et parfois on me demande d’en parler. Qu’est-ce que je dis alors ? » Un propos songeur qui clôt ce livre élégant, dans son esprit, dans sa forme, et jusque dans sa présentation raffinée.

Du périple d’Ulysse aux méandres de l’histoire: Die Heimkehr,

le nouveau roman de Bernhardt Schlink

C’est, avec Patrick Süsskind, l’un des rares auteurs allemands du moment qui a pu connaître en France un succès autre que confidentiel. Une fortune que Bernhardt Schlink doit à la publication, en 1995, de son roman Der Vorleser, devenu rapidement un best-seller en Allemagne et plus encore à l’étranger, et traduit en français dès 1996. L’histoire, dont le début se déroule à Heidelberg à la fin des années cinquante, avait fait sensation. Le narrateur Michael Berg, issu d’une famille bourgeoise quelque peu rigide, revit la liaison fortement érotique qu’il a eue à l’âge de quinze ans avec une femme de vingt ans son aînée, prénommée Hanna, une receveuse de tramways rencontrée par hasard et dont il subit l’ascendant. Leurs rencontres quasi quotidiennes obéissent à un rituel défini par Hanna: après l’amour, elle lui demande expressément de lui lire longuement des extraits de textes littéraires qu’elle écoute avec avidité. Au fil du récit, le mystère s’épaissit autour de cette femme aux allures primitives, qui déroute son partenaire par ses accès de froideur et sa brutalité inexpliquée. Un jour, elle disparaît et la relation se perd. C’est par hasard encore qu’elle refait surface quelques années plus tard dans la vie du narrateur. Assistant dans le cadre de ses études de droit à un procès où sont jugés d’anciens criminels nazis, celui-ci la retrouve sur le banc des accusés. Il découvre alors le passé de son ancienne maîtresse qui, engagée volontaire à vingt ans dans les SS, s’est retrouvée gardienne dans un camp de concentration situé à proximité d’Auschwitz. Il découvre aussi le secret d’Hannah, que cette femme orgueilleuse tait jalousement: elle ne sait ni lire ni écrire, et s’enferme au cours de son procès dans un mutisme qui lui sera fatal.

B. Schlink, qui avait déjà publié quelques romans policiers remarqués dans les années 80, avait su mener rondement le récit de cette histoire d’autant plus scabreuse qu’elle tendait à faire de la coupable une victime. Le livre avait d’ailleurs connu de ce fait un revers de fortune. Lors de la parution en 2002 de la traduction anglaise de Liebesfluchten, un petit recueil de nouvelles paru deux ans auparavant, la critique anglo-saxonne s’était à nouveau penchée sur le fameux best-seller pour en dénoncer l’idéologie sous-jacente. En faisant de son héroïne une victime qui, confrontée à un procès qui la dépasse, sort grandie des quinze années d’expiation qu’elle passe en prison, B. Schlink avait banalisé l’importance de la faute dont elle s’était rendue coupable, et, dans la foulée, on s’en prenait au style du roman, dont on avait célébré le laconisme et dont on dénonçait à présent la facilité et les clichés. Sic transit gloria.

C’est sur un tard que B. Schlink est devenu romancier. Né à Bielefeld en 1944, l’auteur a grandi à Heidelberg. Il y poursuit des études de droit à une époque où la jeunesse universitaire, en pleine effervescence, mène avec acharnement une enquête critique sur le passé nazi de la nation allemande et secoue la bonne conscience d’une société éprise de confort matériel et moral. Devenu professeur de droit public, il enseigne d’abord à Bonn, puis après la Wende à l’université Humboldt de Berlin, et partage aujourd’hui sa vie entre le droit et la littérature, entre Berlin et les Etats-Unis. Comme il l’avait fait dans Der Vorleser, B. Schlink a conçu le personnage central de son nouveau roman, lui aussi raconté à la première personne, à partir d’éléments empruntés à sa propre biographie. Peter Debauer, la trentaine bien entamée, termine une formation de juriste, à Heidelberg toujours. Gagné par la lassitude que lui inspirent un échec sentimental et la thèse qu’il n’arrive pas à terminer, il part en Californie où il découvre dans la pratique intensive de stages de massage une vie à l’opposé de celle qu’il a connue jusqu’ici, un travail où les « mots ne jouaient aucun rôle » et qui ravit ce stagiaire discipliné qu’un ami peintre qualifie avec amusement de « super-allemand et super-protestant ».

Le livre tourne autour d’une vaste enquête chargée de rebondissements. Rentré en Allemagne après son séjour californien, P. Debauer retrouve par hasard lors de son emménagement les fragments d’un manuscrit qu’il avait découvert enfant chez ses grands-parents, l’histoire de Karl, un soldat allemand qui combat sur le front russe et qui, lorsqu’il rentre chez lui après la guerre, trouve la place au foyer occupée par un autre. Dans ce roman visiblement calqué sur l’Odyssée, son livre fétiche, Peter Debauer retrouve des éléments de sa biographie et va dès lors s’acharner à percer à jour l’identité de son auteur dont il pressent qu’il a à faire avec sa propre histoire. Après les aventures du soldat Karl en Sibérie et sans que la transition soit très adroite, le lecteur est ballotté, à travers quantité de pistes, dans la poursuite d’un personnage insaisissable qui, de fil en aiguille, s’avère être le père de Debauer. Un certain Volker Vonlanden, juriste lui aussi, un ancien officier nazi ayant commis des articles de propagande dont il ne nous est pas fait grâce. Le farouche nazi se refait après la guerre une virginité en RDA, où il exerce le métier de journaliste tout en jouissant de la protection des autorités militaires soviétiques. Et pour clôturer le tout, le fils retrouve la trace de ce personnage douteux aux Etats-Unis, à l’université de New York où, devenu John de Baur, il poursuit une brillante carrière de professeur de droit. Un dandy intellectuel jonglant avec les sophismes et légitimant son parcours sinueux par des théories acrobatiques.

La manière dont Schlink se situe par rapport à ce personnage séduisant et dangereux n’est pas claire. Il partage, semble-t-il, l’indécision du fils qui hésite entre répugnance et fascination et s’aventure ici aussi sur un terrain glissant. Mais le vrai défaut du livre est ailleurs. Bernhardt Schlink a eu la main trop lourde. L’histoire personnelle de Peter Debauer, depuis les années d’enfance jusqu’à son retour auprès de la femme aimée, perdue puis retrouvée, celle du père inconnu et finalement identifié, tout ce parcours à travers l’histoire du vingtième et même du vingt et unième siècle (le 11 septembre à New York !), cette accumulation de faits et de personnages à peine identifiables qui jalonnent son enquête, ne font pas de ce livre désinvolte une grande réussite. Les nombreuses et longues citations de l’Odyssée censées servir de fil conducteur à ce récit touffu l’alourdissent plus qu’elles ne l’éclairent. Les pages les plus agréables sont celles où le narrateur, au début du roman, évoque en traits légers les vacances qu’il passe chaque année en Suisse auprès de ses grands-parents paternels, l’atmosphère sereine que l’enfant, élevé seul par une mère rigide, savoure auprès de ce vieux couple complice. On retrouve dans ces chapitres aérés la touche de Schlink, le style concret, alerte, la langue claire et précise que l’on avait aimée dans Der Vorleser. Quelques-unes des nouvelles du recueil Liebesfluchten se lisent avec le même bonheur. Ce sont des histoires de couples, de dérobades, de trahisons, d’infidélité. Les textes qui touchent le plus sont ceux où les histoires privées rejoignent la grande histoire et où Schlink aborde le thème qui lui tient à cœur de la shoah et de la culpabilité allemande : Das Mädchen und die Eidechse, une enquête policière là aussi autour d’un père au passé nazi, et Die Beschneidung qui évoque l’impossible rencontre dans le New York d’aujourd’hui entre un étudiant en droit allemand et une jeune juive américaine. Des textes sans prétention où l’auteur atteint le double objectif qui est le sien, celui de divertir tout en amenant le lecteur à réfléchir, et plus enlevés que son roman filandreux.

Au fil des ans, la journée particulière de Christa Wolf : Ein Tag im Jahr (1960-2000)

Le lecteur qui se plonge dans le journal d’un grand écrivain espère découvrir ainsi les dessous d’une œuvre qu’il ne connaît qu’apprêtée et s’approcher un peu plus de la personnalité de son créateur, si connu soit-il. Publié à l’automne 2003 où il reçut un accueil très favorable, le journal de Christa Wolf intitulé Ein Tag im Jahr, aujourd’hui accessible en édition de poche, répond à cette double attente. Le livre se présente comme une chronique originale et volumineuse. Quarante et une notices dont la première, datée du 27 septembre 1960, répondait à l’appel du journal soviétique Isvestja invitant les écrivains du monde entier à relater le plus minutieusement possible la manière dont ils avaient vécu ce jour particulier. Christa Wolf s’explique dans sa préface sur les raisons qui l’ont poussée à poursuivre l’idée et à consigner pendant plus de quarante ans, dans des notes qui n’étaient pas initialement destinées à être publiées, ce que fut son 27 septembre : la volonté de retenir le temps, essentiellement fugace, de même que le désir de mieux se connaître elle-même à travers ces pages où elle rapporte en toute authenticité ce qu’elle pense, ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent, les réflexions qu’elle mène lors de ce « jour de l’année » auquel elle prête une attention scrupuleuse. Un exercice, exigeant parfois, qu’elle s’impose d’année en année, un rappel salutaire à la réalité.

Ces notes font apparaître une nouvelle fois l’importance de l’engagement politique de la romancière, son attachement profond, viscéral à l’ancienne RDA, rapidement vécu comme un déchirement, lorsque l’Etat socialiste, le « système », met à l’écart les intellectuels critiques ayant adhéré au régime dans l’espoir de participer activement à la construction d’une société humaine et juste. Comme Franz Fühmann, de sept ans son aîné et dont elle fut très proche jusqu’à la mort de celui-ci en 1984, Christa Wolf, née en 1929, a connu l’Allemagne nazie, comme lui, elle s’est enrôlée de son plein gré lorsqu’elle était adolescente dans les organisations de la jeunesse hitlérienne, comme lui et beaucoup d’autres de sa génération, elle a salué avec ferveur l’avènement du socialisme et sa promesse de régénération. Dès 1961 pourtant, l’année de la construction du Mur, qui n’est pas évoquée, sinon indirectement à travers une constatation laconique évoquant les départs massifs en direction de l’ouest: « le pays est vidé de ses forces », le couple Wolf, alors âgé d’une trentaine d’années, s’interroge sur ce qui le retient à l’est : « Réponse par la négative: on sait comment ça se passe 'de l’autre côté’, et ça, on n’en veut pas. Par l’affirmative: le fait qu’ici les chances de voir se développer une vie plus humaine augmentent. En théorie parfait. Dans la pratique, est-ce qu’elles augmentent vraiment ? Est-ce que nous ne nous leurrons pas souvent sur l’état d’esprit de nos concitoyens, par exemple, leur rapport au passé. Un soir où nous avons reçu la brigade d’Ammendorf, la conversation ne s’est animée que lorsqu’on s’est mis à évoquer des souvenirs de guerre. Et c’est comme ça chez beaucoup de gens. Ils ont énormément de mal à se montrer critiques envers eux-mêmes ». Une observation qui annonce déjà la dénonciation, quinze ans plus tard dans Kindheitsmuster, de la permanence dans la société socialiste du passé national-socialiste.

Puis vient, avec l’exclusion de Wolf Biermann, - Christa Wolf évoque simplement dans sa chronique du 27 septembre 1977 le « choc » qui s’en est suivi pour elle - le temps de la désillusion, les années sans espoir, sans alternative. En réponse à la question sous-jacente, rester ou partir, qui affleure sans cesse, jusque dans ses rêves, Christa Wolf choisira, comme Fühmann, le chemin difficile de l’affirmation de soi dans une société où toute réalisation individuelle est suspecte. Le renoncement en même temps que l’absolue nécessité de témoigner, de s’engager, la position inconfortable de celui qui adhère au régime tout en le critiquant. On connaît ses rapports difficiles avec les instances officielles de la RDA et l’autorité morale qu’elle a représentée tant dans son propre pays, auquel elle était liée par son histoire personnelle, qu’à l’étranger.

Ce parcours et les tensions qui l’accompagnent, déjà documentés dans de nombreux textes, essais, romans ou nouvelles d’inspiration autobiographique, se retrouvent ici, dilués dans ces chroniques du quotidien volontairement modestes. Dans l’ensemble et même si elle évoque ici ou là les tracasseries auxquelles, sans doute moins que le tout venant, elles est exposée, la romancière observe un devoir de loyauté face à l’Etat socialiste. On note toutefois la distance croissante prise par rapport aux idéaux de jeunesse, au point qu’en 1980, toujours en liaison sans doute avec l’affaire Biermann, elle ne se perçoit plus comme strictement marxiste: « je crois en des mystères qui ne s’expliquent pas par des lois économiques, et en l’autonomie de la personne humaine, à laquelle on ne peut renoncer au profit d’une organisation supérieure toute-puissante sans détruire du même coup sa personnalité ».

Dans ces miniatures où les petits détails rythmant la vie quotidienne, répétés de jour en jour et consignés avec une sorte d’avidité, voisinent avec des pensées, des réflexions, des interrogations surtout sur l’art, la littérature, la place du beau dans un monde en péril, l’état et l’avenir de la planète, se révèle une Christa Wolf plus proche de nous, plus accessible, plus humaine que celle que nous connaissons par ailleurs. Derrière la bonne élève consciencieuse, telle qu’elle se voit elle-même, la femme de devoir, la personnalité intègre qui a choisi de se battre, d’occuper une position « exposée », dit-elle, pour faire respecter les droits de la personne humaine, on découvre une personnalité extrêmement vivante, à l’intelligence et aux sens toujours en éveil, une femme fragile, vulnérable. Il est frappant de voir l’attention minutieuse, élevée au rang de discipline, portée dans ces chroniques d’un jour aux menus gestes de la vie domestique: faire sa toilette, préparer les repas, écouter les nouvelles, faire la vaisselle, ranger, se démaquiller, sans que ces tâches, toujours les mêmes, soient jugées fastidieuses, et comme si l’on voyait au contraire dans l’instauration et le respect de ce rituel un moyen de se protéger contre les assauts en provenance de l’extérieur. L’affirmation d’une sécurité, d’une stabilité que Christa Wolf a trouvée par ailleurs dans la longévité du couple qu’elle forme avec Gerd Wolf, avec lequel elle mène depuis cinquante ans un dialogue ininterrompu et qui est très présent dans ces pages, et dans sa vie familiale centrée autour de ses deux filles que l’on voit grandir et devenir mères à leur tour. Une vie de famille heureuse, marquée par de nombreux séjours à la campagne, dans la vaste maison de cette province du Mecklembourg à laquelle C. Wolf consacre de très belles pages dans son récit Sommerstück.

Quelques publications récentes complèteront utilement le lecture de ce gros livre (650 pages) à lire, non pas d’une traite, ce qui serait vite fastidieux, mais avec nonchalance, comme la tonalité d’ensemble de cette compilation construite sans hâte, au fil du temps: un recueil qui rassemble sous le titre Das dicht besetzte Leben tout ce que Christa Wolf a écrit ou dit au sujet d’Anna Seghers, qui fut son modèle littéraire et son amie, en dépit de leur différence d’âge; un livre de correspondance entre Christa Wolf et Charlotte Wolff, une juive allemande qui a fui l’Allemagne nazie et a vécu toute sa vie en exil à Londres où elle a entre autres rédigé une biographie de Magnus Hirschfeld. Christa Wolf a publié dans Hierzulande Andernorts un bel article qui lui est consacré. Signalons aussi une « Biographie en textes et en images » parue en 2004 pour le soixante-quinzième anniversaire de la romancière, éditée par Peter Böthing, un ami de la famille Wolf, qui a rassemblé ici des textes autobiographiques tirés d’essais, de lettres et quelque trois cents photos, et pour finir un dernier recueil de textes (en partie déjà publiés) paru en 2005 chez Suhrkamp sous le titre Mit anderem Blick: on y trouvera pour la petite histoire un texte intitulé « Er und ich » dans lequel Christa Wolf décrit de façon plaisante les différences qui l’opposent à son double inséparable et où elle confesse être influençable, un autre intitulé «Herr Wolf erwartet Gäste und bereitet ein Essen vor » où elle évoque avec humour - chose nouvelle - et à grand renfort de références littéraires la préparation par son mari, fin cuisinier, d’un repas de fête et ses multiples rebondissements. Une Christa Wolf presque débridée ! Aurait-on à faire pour finir à quelque vieille dame indigne ?

- Chantal SIMONIN -

Références bibliographiques

Brandt, Lars: Andenken Munich (Hanser Verlag) 2006, 155 p.

Schlink, Bernhardt: Der Vorleser, Zurich (Diogenes) 1997.

- Liebesfluchten, Zurich (Diogenes) 2000, 307 p.

- Die Heimkehr, Zurich (Diogenes) 2006, 375 p.

Wolf, Christa: Ein Tag im Jahr 1960-2000, Munich (btb Verlag) 2005 [éd. originale:

Luchterhand Literaturverlag 2003), 655 p. Trad. fr.: Un jour dans l’année, Paris (Ed.

Fayard) 2006].

Mit anderem Blick. Erzählungen, Francfort/Main (Suhrkamp) 2005.

Christa Wolf/Anna Seghers: Das dicht besetzte Leben. Briefe, Gespräche und Essays,

hrsg. von Angela Drescher, Berlin (Aufbau Taschenbuch Verlag) 2003, 236 p.

Christa Wolf/Charlotte Wolff: Ja, unsere Kreise berühren sich. Briefe, Munich (Luchterhand

Literaturverlag) 2004, 160 p.

Peter Böthig (hrsg. von), Christa Wolf: Eine Biographie in Bildern und Texten, Munich

(Luchterhand Literaturverlag) 2004, 224 p.