Cet automne, le cinéma allemand s'est de nouveau invité à Paris, au cinéma l’Arlequin. Une belle tradition qui permet au public français de découvrir les productions les plus récentes, présentées à la Berlinale en février, ou sorties depuis sur les écrans en Allemagne. Parmi les films remarqués à Berlin, on trouve Yella de Christian Petzold (D, 2007, 89’) et Ferien de Thomas Arslan (D, 2007, 91’). Yella, interprétée par Nina Hoss qui a été couronnée pour ce rôle avec l’ours d’argent, est l’histoire d’une jeune femme de l’Est de l’Allemagne qui, après un mariage raté, va s’installer à l’Ouest pour trouver du travail. Depuis que son mari a essayé de l’entraîner dans la mort et qu’elle s’est échappée de justesse des flots de l’Elbe, Yella vit comme dans un rêve. A l’Ouest, elle a rencontré Philipp et découvre avec lui, à présent son assistante, le monde des finances et du capital à risques. Une profonde connivence lie ces deux êtres et elle se sent à l’aise dans sa nouvelle vie. Mais les bruits et les voix du passé envahissent constamment le présent, le traumatisme qu’elle a vécu la poursuit. Yella est déchirée entre la réalité et le rêve, elle est rattrapée tantôt par l’une, tantôt par l’autre. Un film prenant, avec des prises de vue denses, qui a été qualifié « d’énigme cinématographique d’une profondeur philosophique ».

Avec Ferien de Thomas Arslan, l’actuel cinéma allemand traite, à l’instar de la littérature – nous y reviendrons – des questions liées à la famille. Pendant un été, les différentes branches d’une famille recomposée se retrouvent dans une maison de campagne où, peu à peu, les conflits sous-jacents et les tensions accumulées éclatent au grand jour. Pour caractériser son film, le réalisateur renvoie, lors d’un entretien, à Tolstoï, selon lequel les familles heureuses se ressemblent, mais que chaque famille malheureuse l’est à sa façon. Entre moments heureux et vérités fâcheuses, ce film, avec Angela Winkler dans le rôle principal, sonde les « nuances du vivre ensemble » sans porter de jugement sur tel ou tel comportement.

Parmi les films documentaires présentés au festival à Paris, on trouve Der rote Elvis (D, 2007, 90’) de Leopold Grün, un portrait du chanteur et acteur Dean Reed, devenu une idole rock en RDA dans les années 1970. Cet Américain du Colorado avait ses premiers succès musicaux en Amérique du Sud, devançant Elvis au hit-parade. C’est là que la prise de conscience de la pauvreté et de l’inégalité le conduisait à la politisation. Après une série de concerts en Union soviétique en 1966 – il y fut le premier chanteur américain – et une courte carrière d’acteur en Italie, il se rend en 1970 au Festival International du film documentaire à Leipzig. Il y rencontre sa future femme et s’installe définitivement en RDA en 1972 où il continuait sa carrière de chanteur et d’acteur.

Le documentaire tente de reconstituer les différentes étapes de la vie de cette star rock et country qui séduisait les jeunes derrière le Mur, depuis son succès en Amérique latine jusqu’à son suicide en 1986. Il essaye d’éclairer les raisons de son engagement, montre les différentes facettes de star et interroge sa position en RDA où le pouvoir politique l’instrumentalise en tant que « chanteur de la paix ». Le réalisateur convoque des témoins de l’époque, ses amis, ses ex-femmes, sa biographe américaine, ainsi que Armin Müller-Stahl qui décrit sa position (réticente) dans l’affaire Biermann ou encore Egon Krenz, à l’époque responsable de l’organisation de la jeunesse. Dans l’ensemble, se dégage l’image d’un personnage pris dans ses propres contradictions, qui, avant tout, s’aime voir en star – indépendamment du contexte idéologique dans lequel il s’inscrit – et qui vit mal le déclin de son succès dans les années 1980, où il est tout simplement un être anachronique. On reste toutefois avec une certaine insatisfaction, avec l’impression que le portrait ainsi dégagé manque d’épaisseur. Peut-être est-ce le personnage lui-même qui en manque, peut-être l’existence de documents provenant de lui-même auraient été en mesure d’éclairer ses positions de manière plus convaincante.
Un des moments forts du festival fut le film de clôture de Fatih Akin, Auf der anderen Seite (D, 2007, 122’). Ici les destins se croisent incessamment, entre l’Allemagne et la Turquie, entre différentes générations, entre hommes et femmes, entre engagement politique et vie ordinaire. Il y a Ali, le vieil immigré turc et Yeter, venu s’installer comme prostituée à Brême pour financer les études de sa fille Ayten. Les deux se lient. Il y a Nejat, le fils d’Ali, professeur de littérature à l’Université. Il part en Turquie à la recherche d’Ayten suite au décès de Yeter, accidentellement tué par son père Ali. Ayten, de son côté, était venue en Allemagne. Faisant partie d’un réseau politique clandestin, elle est recherchée et doit partir avec un faux passeport comme seul bagage. Lotte, l’étudiante, rencontrée à l’Université, l’héberge chez elle et prend conscience du combat d’Ayten. Alors que Susanne, la mère de Lotte, est plus réticente par rapport à l’aide illégale procurée par sa fille et par rapport à la politisation croissante de cette dernière. Hanna Schygulla interprète magistralement ce rôle d’une mère effacée d’abord, puis combattante elle aussi, qui, à la fin du film, fera un plaidoyer pour le pardon, après avoir perdu sa fille Lotte tuée accidentellement à Istanbul.
Dans ce film, tous les personnages sont intimement liés entre eux, souvent à leur insu. Leurs chemins se croisent, leurs destins aussi, mais rien n’est prévisible, le réalisateur déjoue constamment les attentes du spectateur. Le personnage qui concentre les fils des différentes intrigues est Nejat, exemple d’une immigration absolument réussie. Mais lorsqu’il change son poste à l’Université contre une petite librairie allemande à Istanbul, la question complexe de son appartenance et de la « Heimat » se fait jour (dans une scène touchante où le libraire allemand avoue son « mal du pays » et l’envie de rentrer chez soi). Sans jamais être trop explicite, le film construit un réseau de signes porteurs de sens : alors que Nejat fait un cours magistral sur Goethe et parle de la position réticente du poète vis-à-vis de la Révolution française, Ayten, engagée dans un combat révolutionnaire, dort sur les derniers rangs de l’amphi. Et les propos cités par Nejat refont sens quand on voit la mère de Lotte critiquer le combat politique d’Ayten et avancer les avantages d’une intégration de la Turquie à l’Europe. Un film très fin qui sonde les questions de la vie entre amour et deuil, résignation et espoir.
Évoquons un dernier film, malheureusement absent du festival : Du bist nicht allein de Bernd Böhlich (D, 2007, 90’). Au Kino International de Berlin, il a fait salle comble à toutes les séances à sa sortie à la mi-juillet. L’intérêt d’une ville, d’un quartier, d’une certaine couche de population pour cette tragi-comédie sociale ? A regarder les personnages du film, on pense d’abord à ces Allemands de l’Est quinquagénaires qui, presque vingt ans après la chute du Mur, sont toujours les habitués des ANPE, qu’ils soient physicien, actrice, vendeuse ou peintre. Bien que l’intention du film fût de cibler la population « Hartz IV » en général.
Le scénario existe depuis 2001, les acteurs Axel Prahl et Katharina Thalbach furent pressentis déjà à l’époque pour figurer le couple Moll, au centre du film. Mais à l’époque, personne ne voulait investir de l’argent dans un tel sujet et ce furent les deux acteurs qui ont gratuitement tournés un teaser de 10 minutes pour montrer qu’on pouvait traiter la misère sociale de façon divertissante. Hans, peintre et chômeur de longue durée, utilise les murs tristes et mornes des balcons de son appartement HLM comme écrans de projection d’une vie sereine pour ses modestes fresques. Alors que sa femme retrouve enfin un emploi comme vigile, et avec l’uniforme un brin de confiance en elle, il rend ses services de bricoleur à Evgenia, une Russe fraîchement débarquée à Berlin avec sa fille. Il s’attache à elle, l’aide financièrement dans le dos de sa femme alors que chaque euro est compté chez eux. Et preuve absolue de l’amour naissant de son voisin, Evgenia hérite du caoutchouc familial des Moll lors de sa crémaillère. Grâce au jeu magistral des acteurs, ce film dépeint finement une réalité sociale entre laisser-aller et regain d’espoir, entre stagnation et créativité. Un monde où le travail est encore synonyme de vocation et porteur de sens, et non pas une occupation alimentaire. Frau Moll s’effondre lorsqu’elle découvre que le hangar qu’elle surveille est vide. Au technicien qui lui dit d’être heureuse d’avoir un job, elle rétorque qu’elle veut un véritable travail. Le dernier plan s’ouvre sur un peu d’espoir. Alors que Hans est parti au Pays-Bas pour trouver un boulot, la mère Moll apprend à nager. Et à se libérer pour un instant des contraintes qui pèsent sur elle, du poids d’une société qui n’arrive pas à l’intégrer et qui apparemment n’a pas besoin d’elle.
Si les liens de famille ont une certaine importance dans l’actuel cinéma allemand, il y a une évolution semblable en littérature. En témoignent l’engouement, depuis quelques années, pour le roman familial ou le roman générationnel. Deux courts romans parus cette année ne visent pas le grand récit générationnel ou le panorama familial, mais ils ont en commun, avec beaucoup d’autres romans de ce courant, la structure d’une quête et un rapport conflictuel au père. « Jamais je n’ai pensé tuer mon père. Pendant ces jours de l’été dernier, ça ne m’est pas venu à l’esprit, pas une seconde. C’est ma mère seulement qui m’a suggéré cette possibilité ». Abwesend est le titre du dernier roman de Gregor Sander, connu pour son premier recueil de nouvelles Ich aber bin hier geboren (Rowohlt, 2002). Le personnage principal, Christoph, retourne dans la maison de son enfance à Schwerin pour garder pendant quinze jours son père, tombé dans le coma après une attaque cérébrale. Cette situation qui le désempare – l’idée de donner des soins à son père l’insupporte – fait émerger les souvenirs d’enfance et incite Christoph à revenir sur l’histoire de sa famille. Celle-ci faisait partie de l’intelligentsia en RDA, le père ayant été professeur en génie civil à l’Université technique de Wismar. Enfant de refugiés de Poméranie, il doit son ascension professionnelle à l’État et lui reste loyalement reconnaissant en tant que membre du Parti. Cependant l’autre versant de sa famille, la branche maternelle, y fait contrepoids. Issue d’une vieille famille commerçante de Schwerin, la mère de Christoph maintient les valeurs bourgeoises et y apporte un certain confort matériel. Fait inhabituel pour la RDA, elle ne travaille pas pour élever ses trois enfants. La maison familiale – avec la seule piscine individuelle à Schwerin – devient un ilot à l’intérieur de la société est-allemande. Le seul défaut de cette enfance a priori heureuse est l’absence du père qui, pendant les rares moments qu’il passe chez lui, reste inaccessible et froid. Pendant que Christoph, trentenaire et architecte fraichement renvoyé de son poste, se laisse aller dans ses considérations, une lettre de Suisse adressée au père bouscule l’apparente tranquillité. Le fils découvre une facette inconnue de son père qui, lors d’un séjour de recherche à Zurich dans les années 1980, avait une liaison amoureuse dont serait issue une fille. Christoph se rend en Suisse à la recherche de sa demi-sœur inconnue. Au retour, il se rapproche pour la première fois de son père, toujours absent dans le coma, pour lui raconter son voyage et parler de lui-même aussi.
Dans son roman, Sander procède par des retours en arrière qui lui permettent d’ouvrir, en dehors du conflit familial, une multitude de trames et de capter des bribes de vie très variées de la génération de son protagoniste : les relations amoureuses, les tentatives d’affirmation dans le monde du travail, l’amitié. L’ensemble est reflété par le contexte historique entre le déclin de la RDA, la chute du Mur et la période de transformation. C’est un livre très personnel qui tente également, du moins c’est l’impression qui s’en dégage, de faire une sorte de bilan de certaines expériences vécues par l’auteur.
Dans le dernier roman de Barbara Bongartz, Der Tote von Passy (Dittrich Verlag, 2007), l’interrogation sur les liens de famille et la filiation joue également un rôle central. Comme chez Sander, le récit s’ouvre sur l’idée du parricide : « Longtemps je souhaitais la mort de mes parents. Je les aimais et cette envie me faisait honte. Mais sa réalisation semblait être pour la fille que j’étais le seul sauvetage pour notre famille. » Le livre de Bongartz se présente comme une mystérieuse quête d’identité où le lecteur se transforme en détective pour assembler les différents éléments concernant la vie de la protagoniste. Celle-ci se rend à Paris, après avoir reçu une lettre anonyme qui l’informe que son nom de famille n’est pas celui qu’elle porte, et qui l’invite à assister à l’enterrement de son père, Alphonse Steiner, à Passy. Elle le fait, se rend à la maison de Steiner, essaie de comprendre qui était cet homme. Un des petits-fils la prend pour la maîtresse de son grand-père, une employée de la maison lui suggère qu’elle est peut-être sa fille illégitime. La protagoniste soupçonne alors que sa mère avait une relation avec cet homme qui est à mettre en rapport avec des séjours réguliers qu’elle a passés au Negresco de Nice dans les années 1950.
En suivant un récit où différents niveaux temporels se chevauchent et où les incohérences apparentes dans le discours de la narratrice s’expliquent après coup, le lecteur entre peu à peu dans l’histoire de celle-ci qui, en fait, a été adoptée par ses parents. Dès sa petite enfance elle est témoin des dissensions dans le couple qu’elle n’arrive à s’expliquer qu’une fois mise au courant de son absence d’dentité. La narratrice se meut entre la réalité et son image d’elle-même, sans cesse elle rêve « ce rêve de famille, le rêve d’appartenance ». Alors que la narratrice avait fini par retrouver sa véritable mère et qu’elle suit les traces de sa famille maternelle dans les vieux quartiers de Berlin, le personnage de son père reste énigmatique et continue à provoquer des fantasmagories et à maintenir l’incertitude sur son identité. Barbara Bongartz a écrit un roman dont la protagoniste s’appelle Barbara Bongartz, profession : romancière. Un certain nombre d’éléments autobiographiques jalonnent le récit et en font un bel exemple d’autofiction. Selon Barbara Bongartz, la fictionnalisation était nécessaire pour sortir d’une situation d’impuissance, pour tourner et retourner un sujet autobiographique jusqu’à ce que, devenant un sujet littéraire, il lui permette d’écrire et d’agir. Peu importe, pour le lecteur, qu’il s’agisse d’éléments strictement autobiographiques. Ce livre pose de façon insistante la question de l’identité et, en passant, donne un aperçu éclairant de l’imaginaire franco-allemand de la génération de l’auteure, née en 1957.
Notre dernier livre, Mara Kogoj de Kevin Vennemann (Suhrkamp, 2007), ne s’inscrit pas dans le courant décrit auparavant, bien qu’une relation père – fils y joue également un rôle important. Après son remarquable premier roman Nahe Jedenew (Suhrkamp, 2005) qui paraîtra prochainement en français (dans la traduction de Barbara Fontaine chez Gallimard), Vennemann continue, avec l’investigation formelle qui lui est propre, à traiter des sujets liés au national-socialisme. Cette fois, dans toute leur actualité. L’auteur nous emmène en Carinthie, dans le Sud de l’Autriche, où s’effectue une étude basée sur des interviews biographiques au sujet du rapport à la « Heimat » et au passé. L’un des interviewés est Ludwig Pflügler, journaliste et homme politique né en 1945, animateur de diverses associations et revues de « protection de la patrie » et connu pour ses positions antisémites et xénophobes. Mara Kogoj et Tone Lebonja, deux Autrichiens appartenant à la minorité slovène et qui sont de la même génération que Pflügler, sont censés mener les entretiens, ce que Pflügler ne cesse de considérer comme une humiliation. Alors que Lebonja se transforme en patient auditeur qui laisse partir Pflügler dans des tirades extrémistes dont il est lui-même la première cible, Maja Kogoj se retire, feint l’indifférence pour ne pas devoir se sentir concernée. Lebonja dont on apprend qu’il avait connu Pflügler dans sa jeunesse, tente en revanche de comprendre comment celui-ci est venu à ses positions. Il se documente, prend des notes, tente d’élucider le lien entre Pflügler et son père accusé de crime de guerre. Et il essaye notamment de savoir si le père de Plügler était impliqué dans l’un des plus grands massacres perpétrés par des SS contre la population civile en Carinthie, l’extermination de deux familles au Peršmanhof, une base de soutien aux partisans.
Au niveau formel, Vennemann demande, comme dans son premier roman, une attention particulière de son lecteur. Systématiquement les voix et récits des trois protagonistes se succèdent, s’entrecoupent et se mêlent dans un incessant flux de la parole. La ponctuation inhabituelle reflète le caractère oral de la situation d’entretien, le texte se meut souvent en boucle comme pour représenter les allers-retours de la mémoire.
Ce texte complexe est une vive dénonciation des activités de l’extrême droite en Autriche, des toujours actuelles célébrations et manifestations politiques à la « Heimkehrergedenkstätte » sur l’Ulrichsberg près de Klagenfurt aux dernières revendications électorales de Jörg Haider en faveur d’une Carinthie monolingue. Il rappelle à la fois des événements historiques volontiers oubliés et souligne le déséquilibre, dans l’espace public, entre la commémoration du combat des partisans et celle, de loin la seule visible, des soldats autrichiens. Mais c’est avant tout une réflexion sur le pouvoir d’interprétation de l’histoire, sur le rapport entre victimes et bourreaux et la violence symbolique exercée par ces derniers, représentée ici par la situation de l’entretien. Par ailleurs, Vennemann livre nombre de réflexions théoriques sur la transmission générationnelle de la mémoire, menées ici à travers le personnage de Lebonja et son analyse du comportement de Pflügler. En revanche, avec le personnage de Mara Kogoj, qui reproche à Lebonja d’être compréhensif là où il faudrait tout simplement ressentir du dégoût, Vennemann réclame une position singulière dans l’actuel discours sur la victimisation. Il s’oppose clairement à un quelconque retournement de perspective, en dénonçant l’inversion victime – bourreau perceptible dans le discours public.

- Carola Hähnel-Mesnard -

Simone Barck
(1944 – 2007)

Simone Barck nous a quittés cet été, le 17 juillet 2007, à Berlin, après quinze jours de maladie. Avec elle disparaît une chercheuse qui a eu d’énormes mérites dans l’évaluation, après la chute du Mur, de la littérature de RDA et de ses conditions d’existence, une instigatrice de nombreux projets qu’elle a menés à bien avec ses équipes, une irremplaçable conseillère qui, indépendamment de ses thèmes de recherche, pouvait donner des recommandations précieuses sur tout ce qui avait de près ou de loin trait à la littérature de RDA. Simone Barck laisse une place vide, humainement, scientifiquement.
Germaniste et slaviste, elle a travaillé de 1970 à 1991 en tant que chercheuse au « Zentralinstitut für Literaturgeschichte » à l’Académie des Sciences de RDA. Ses recherches portaient sur Johannes R. Becher, sur l’exil en Union soviétique et sur la littérature socialiste dans une perspective historique, travail dont est issu en 1994 le Lexikon sozialistischer Literatur. Ihre Geschichte in Deutschland bis 1945, chez Metzler.
Depuis 1992, Simone Barck était chercheuse au Zentrum für Zeithistorische Forschung de Potsdam. Son intérêt portait à présent sur les conditions d’existence de la littérature en RDA, sur la définition de l’espace public, sur l’impact de la censure, élucidé notamment dans l’étude Jedes Buch ein Abenteuer. Zensursystem und literarische Öffentlichkeit in der DDR bis Ende der 60er Jahre (avec M. Langermann et S. Lokatis, Akademieverlag, 1997). D’autres chantiers ouverts par Simone Barck (et loin d’être clos) étaient le paysage des revues en RDA (Zwischen « Mosaik » und « Einheit ». Zeitschriften in der DDR, avec M. Langermann, S. Lokatis, Ch. Links Verlag, 1999) et celui de l’édition (Fenster zur Welt. Eine Geschichte des DDR-Verlages Volk & Welt, avec S. Lokatis, Ch. Links Verlag, 2003).
Avec son importante étude sur le discours antifasciste en RDA (Antifa-Geschichte(n). Eine literarische Spurensuche in der DDR der 1950er und 1960er Jahre, Böhlau, 2003), Simone Barck interroge la supposée homogénéité de ce dernier et invite à revisiter non seulement le canon littéraire à ce sujet, mais aussi à découvrir nombre de textes et de discours quasiment inconnus jusque-là. Conjointement à l’histoire de l’antifascisme, Simone Barck s’intéresse également à la réception des grands témoignages littéraires de cette époque en RDA. Ainsi, elle a récemment travaillé sur la réception de Primo Levi. Et, en dehors de son activité de chercheuse, elle a eu le souci de capter la mémoire de cette époque. Ainsi, elle s’est fait la chroniqueuse de la rue où elle habitait, la Große Hamburger Straße à Berlin, cette rue où il y avait un camp de rassemblement pour les juifs avant qu’ils ne fussent déportés dans les camps d’extermination. En 1996, elle a tourné une vidéo à partir des témoignages des habitants.
Son dernier projet de recherche était consacré au « lecteur secret en RDA », celui qui, malgré la censure et nombre de restrictions et d’interdictions, arrivait à se procurer la littérature occidentale. Le colloque intitulé Der heimliche Leser in der DDR qu’elle préparait encore au début de cet été, vient d’avoir lieu à Leipzig, en hommage à elle. D’autres projets restent à présent orphelins. L’écrivain Fritz Rudolf Fries, un ami de Simone, a résumé ce que beaucoup ressentent : « De toi, on pouvait apprendre comment la passion pour la littérature nous change et devient critique, devient philosophie qui nie la mort. » Et « Simone Barck – présente ! »
C. H.-M.