Le Triangle de Weimar au 17e Forum économique de Krynica

Le Forum de Krynica a réuni du 5 au 8 septembre 2007 pour la 17e fois consécutive des représentants des élites économiques, politiques et intellectuelles des Pays d'Europe Centrale et Orientale (PECO) essentiellement, mais aussi de leurs partenaires internationaux. L’objectif est un échange sur les questions globales en matière d’acquis démocratiques, d’intégration, de coopération politique et économique. Le potentiel de ce genre de plateformes de rencontre est la mise en réseau de partenaires potentiels de coopération, au fil des rencontres spontanées ou planifiées, formelles ou non. Le panel de discussion « The Future of the Weimar Triangle after The Elections in the Member States » était modéré par Klaus-Heinrich Standke, président du « Comité pour la promotion de la coopération franco-germano-polonaise (Triangle de Weimar) » . Gunther Krichbaum, président du comité aux Affaires de l’Union Européenne du Bundestag, donna le point de vue allemand, alors que Marek Belka, ancien Premier ministre (2004-2005), ministre des Finances (1997 et 2001-02) et conseiller du Président de Pologne (1996-97 et 1998-2001) exprima le point de vue polonais.

Le rôle conféré au Triangle de Weimar s’inscrit dans la tradition même de sa mise en place ; il est, d’un commun accord, considéré aujourd’hui comme il y a quinze ans comme un moyen de promotion de l’intégration européenne au sens large du terme et comme un moyen d’approfondissement de la coopération par un dialogue renforcé et institutionnalisé.

Responsabilité européenne
Gunther Krichbaum insista sur le fait que le Triangle de Weimar reste « indispensable pour une européanisation des solutions de l’UE ». Marek Belka constata qu’au-delà de sa fonction historique, le Triangle pouvait et devait à tout prix participer à l’augmentation du « capital confiance entre partenaires », mais précisément et avant tout au sein du Triangle de Weimar lui-même. Il s’agit à chacun de ces deux niveaux de combattre les « suspicions potentielles » et notamment, pour cela, de promouvoir la « transparence » des relations entre ces partenaires.
Deux chantiers en cours nécessitent particulièrement la restauration d’un tel capital confiance. D’une part, les relations germano-polonaises sont depuis plusieurs années envenimées par des éléments populistes largement relayés par la presse des deux pays, influençant fortement les opinions publiques. Certains de ces éléments ont été propulsés au niveau gouvernemental par le gouvernement polonais et nuisent à présent aux contacts bilatéraux et européens. D’autre part, la Pologne et l’Allemagne observent tout particulièrement aussi bien les progrès de la démocratisation en Ukraine que les efforts grandissants de certains groupes du Belarus d’arracher leur pays à la dictature. Les voix évoquant une approche commune germano–polonaise sur ces deux axes se font de plus en plus nombreuses. La réconciliation polono-ukrainienne est, de son côté, pour certains observateurs, la plus « grande contribution de la Pologne à l’UE »
Les discussions de Krynica ont montré que le bilatéralisme germano-polonais et une approche commune à l’Est des deux pays sont inextricablement liés. Cornelius Ochmann, de la Fondation Bertelsmann, lors de la discussion sur les relations entre l’Allemagne et la Pologne dans le contexte européen, argumentait qu’une Ostpolitik allemande était vouée à l’échec sans une amélioration significative des relations germano-polonaises. Or, le Triangle de Weimar était presque implicitement présent dans la plupart des commentaires sur ces deux sujets : en effet, la plupart des observateurs voient une des solutions dans une médiation de la France entre la Pologne et l’Allemagne.

La France et une réactivation de la dynamique weimarienne
Même si ce concept reste tout à fait imprécis, il est intéressant de constater que la France, non impliquée à l’état actuel, est d’ores et déjà citée comme un des possibles acteurs dans une action germano-polonaise, en agissant positivement par le simple fait de sa présence et de la reconnaissance de ses valeurs « philosophiques » . Une telle trilatéralisation du dialogue constitue l’essence même du Triangle de Weimar. Certains vont jusqu’à voir une « responsabilité » française ». Mais le Triangle est également observé à partir d’autres horizons, même hors des cercles traditionnellement « weimariens ». Ainsi, Géza Jeszenszky et Borys Tarasjuk, anciens ministres des Affaires étrangères de Hongrie et d’Ukraine, octroient un potentiel tout particulier à des modèles de coopération tri- ou multipartites comme le Triangle de Weimar . Ils voient par ailleurs dans le nouveau président français un fort potentiel de réactivation de mécanismes de coopération Est–Ouest. Nicolas Sarkozy lui-même s’est référé lors de son discours aux Nations Unies à ces « valeurs philosophiques [de dialogue] de la France » citées ci-dessus . Une multilatéralisation de la diplomatie peut être interprétée à ce niveau comme une des intentions du président. Et comme le confirmait K.H. Standke, Nicolas Sarkozy n’aura pris, il y a un an, qu’une seule et brève, pour autant très claire position sur le Triangle de Weimar allant dans ce même sens ; il verrait la coopération de la France avec certains partenaires privilégiés tout à fait réalisable, mais aimerait l’élargir à d’autres pays, comme par exemple l’Espagne et le Royaume-Uni . C’est également la position de nombreux experts qui considèrent le Triangle de Weimar comme un moyen de ramener les relations germano–polonaises à un niveau de rationalité par le biais d’une Ostpolitik commune, mais pas comme un instrument d’Ostpolitik par excellence, car il exclurait du processus certains pays fortement impliqués comme l’Autriche ou la Roumanie .

Rôle des gouvernements
Malgré ce qui est perçu comme une faiblesse des activités du Triangle au niveau institutionnel des gouvernements, « l’Esprit de Weimar » est vivant au niveau non gouvernemental. Gesine Schwan soulignait que les contacts économiques et humains fleurissent, même sur des sujets aussi délicats que celui des Expulsés - la coopération universitaire, les régions, la jeunesse sont les domaines les plus à mettre en avant . Même si un rôle de «payeur passif », comme celui de l’Allemagne et de la France pour l’OFAJ, ne suffit certes pas, les gouvernements restent, pour Gunther Krichbaum, indispensables pour l’implémentation des structures législatives permettant seules le bon fonctionnement de la plupart des actions non-gouvernementales. La relation entre le Traité de l’Élysée et le Triangle de Weimar a pu être mise en avant. Ainsi, l’idée d’une « Fondation du Triangle de Weimar » a été avancée par K.H. Standke, qui permettrait aux gouvernements participant au Triangle de Weimar de récompenser officiellement des initiatives promouvant les idéaux weimariens, avec comme double effet d’attirer l’attention de l’opinion publique et de sponsors. Bien plus que de savoir si les gouvernements des trois pays du Triangle de Weimar lui accorderont un potentiel futur, il convient d’observer les prochains temps, s’ils :

1. accorderont une importance suivie d’actes tripartites concrets au processus d’intégration européenne, sur certains des chantiers ouverts en ce moment
2. et si oui, si le Triangle de Weimar leur semblera l’outil adéquat, du moins dans sa forme actuelle.

L’« utilité et l’importance d’être plus présents à Krynica et sur d’autres forums de ce type » ont été réaffirmées par de nombreux participants, notamment français. Les organisateurs du Forum de Krynica, quant à eux, comptent renforcer substantiellement la thématique de ce type d’outils de coopération en faveur d’une promotion de l’intégration européenne. Grazyna Sleszynska, de l’IWS , confirme un renforcement et une optimisation des initiatives à l’égard de participants des trois pays du Triangle pour 2008. Les débats y seront donc bien plus spécialisés l’an prochain et pourront le cas échéant remplir l’objectif de fournir de nouvelles impulsions susceptibles de redynamiser le Triangle de Weimar.

Le comité organise de nombreux séminaires, rencontres et colloques réunissant des experts, personnalités, des politiques, des représentants d’associations sur le thème du Triangle de Weimar. Les comptes rendus des rencontres ainsi qu’une intéressante bibliographie du Triangle de Weimar, les actualités du comité sur http://www.weimarer-dreieck.com/

« …notwendig für die weitere Europäisierung der EU-Lösungen » : G. Krichbaum, lors de la discussion après le panel sur le futur du Triangle de Weimar.

« …the trust in other partners »… « potential suspicious », « transparency » : M. Belka, cf. note précédente.

Remplacé le 20.10.2007 lors d’élections anticipées par un gouvernement bien plus libéral et pro-européen.

Rainer Lindner, président du panel « Poland, Germany, Eastern Europe – Common responsability ».

Aliaksandr Milinkevich, leader du parti d’opposition biélorusse « For Freedom », Forum de Krynica.

Matthias Platzek, Premier Ministre du Land de Brandebourg, dans un bref entretien avec l’auteur. M. Platzek, fervent avocat des relations germano – polonaises, encouragea l’auteur à fermement appuyer la « responsabilité » de la France au vu du potentiel d’une telle médiation au profit d’une reprise du dialogue entre partenaires du Triangle de Weimar.

Géza Jeszenszki, et Borys Tarasjuk, lors d’entretiens avec l’auteur lors du Forum.
M Jeszenszky est expert et fervent promoteur du Groupe de Visegrad (voire p.e. : http://www.eurotopics.net/de/presseschau/autorenindex/autor_jeszenszky_geza/
M Tarasjuk propose depuis plusieurs années un modèle quadrilatéral sur la base du Triangle de Weimar + Ukraine, une idée lancée notamment lors des deux conférences « The Weimar Triangle in the New Europe – Models of cooperation between East and West », initiée et coordonnée par l’auteur à la Villa Decius, Cracovie, en 2002 et 2003. Le concept de M Tarasjuk doit permettre d’appliquer concrètement les expériences de la transformation polonaise à l’Ukraine, avec le soutien institutionnalisé et officiel de la France et de l’Allemagne. Voire pour ceci les publications de la Villa Decius, « Conversations in Villa Decius » numéros 3 et 4.

Reportage radiophonique sur France Inter, Journal, 25.09.2007

Klaus-Heinrich Standke, c.f. note 1. Monsieur Standke tint toutefois à préciser que Nicolas Sarkozy fit cette déclaration il y a plus d’un an. M. Standke précise de plus, que « der Vertreter des AA hat bei der Jubiläumsveranstaltung der FAF in Wetzlar am 28.9. mir gegenüber ausgeschlossen, daß sich die Bundesregierung auf erweiterte geographische Konstellationen über das Weimarer Dreieck hinaus einlassen würde. »; K.H. Standke dans un email à l’auteur.

Ainsi par exemple Rainder Steenblock, porte parole aux affaires européennes du groupe parlementaire Die Grünen, Bundestag, lors du Forum de Krynica.

Voir par exemple le site internet du Comité pour la promotion de la coopération franco-germano-polonaise (« Triangle de Weimar »). http://www.weimarer-dreieck.com/inhalt/Aktuelles.html particulièrement le rapport sur le prix Adam Miczkiewicz, décerné cette année communément aux Offices germano-polonais et franco-allemand pour la Jeunesse pour leur engagement dans le cadre du Triangle de Weimar. Un rapport détaillé est également disponible sur ces pages.

Email d’un diplomate français présent à Krynica et désirant ne pas être cité nommément. Ce diplomate confirma notamment avoir ressenti, malgré une présence française déjà bien en place au Forum, une sorte d’appel indirect de nombreux participants à la France à s’impliquer davantage. Ce genre de « messages » donnent toute leur importance aux « fora de ce genre », notamment pour une plus grande transparence au sein du Triangle de Weimar.

Grazyna Sleszynska, coordinatrice des participants français à l’IWS (Institut pour les Etudes d’Europe de l’Est), se tient par ailleurs à disposition de par email : g.sleszynska@isw.org.pl