Livres sur la civilisation et l'histoire

Susanne Kiewitz, Der Rhein, ein
Reisebegleiter, Berlin, insel
taschenbuch 3474, 2010,
225 p.

L’Allemagne est le pays natal des célèbres guides Baedeker, mais ce livre est plus qu’un simple indicateur pour touristes, c’est un guide de géographie, d’histoire et de civilisation pour aujourd’hui. En treize chapitres, des sources suisses à l’embouchure néerlandaise, on revisite le passé marqué par le présent européen. Les auteurs, nombreux, qui ont écrit à propos du Rhin, sont cités comme témoins : Mörike, Schikele, Sternheim, Rilke, Hesse, die Droste, Erasmus, Hebel et bien sûr Goethe. Les écrivains les plus récents ont droit à des citations plus longues : Walser et Böll. Les peintres expressionnistes sont aussi présents : Otto Dix, Erich Heckel. Le passé est parfois masqué par le présent : barrages, centrales, usines chimiques, régulation du cours. Mais il résiste, tant il a été marqué par l’histoire de l’Europe. Ce livre peut très bien figurer au rayon des ouvrages recommandés pour LEA comme pour la filière traditionnelle.

Rosa Sala Rose, Lili Marleen, Die
Geschichte eines Liedes von der
Liebe und vom Tod, DTV-
Premium, n° 24801, Munich, 2010,
239 p.

La célèbre chanson est entrée dans l’histoire de la deuxième guerre mondiale et la symbolise. L’auteure, germaniste catalane, a recherché les origines et les avatars de ce mythe. Son livre est novateur et mérite de figurer dans les bibliothèques avisées. A l’origine, il y a un poème, écrit en 1915 par Hans Leip, soldat en garnison à Berlin. C’est l’expression, pas si naïve que cela, d’un « troufion » qui craint le départ pour le front. Ses deux amoureuses ont bien porté le nom de Lili et de Marleen, mais n’en font qu’une. Les cinq strophes sont du pur Volkslied : soldatesque et mélancolique. Les deux dernières sont carrément une prémonition de la mort et de la carrière de revenant, qui attend des millions de soldats.

Les hasards et les ambiguïtés scandent la genèse du mythe. Publication, en 1937 seulement, du poème de Hans Leip, dans un recueil, Die kleine Hafenorgel. Ecriture d’une première musique par Rudolf Zink. Mise au répertoire des cabarets par Liselotte Wilke, qui change de nom en 1939 : Lale Andersen. Elle adopte peu après une musique concurrente de Norbert Schulze, plus simple et plus martiale. Premier enregistrement sur disque en 1939. Le hasard porte un nom : en juillet 1941, la radio militaire allemande de Belgrade occupée, dirigée par le sous-lieutenant Reitgen, choisit cette chanson, appelée dès lors à devenir un énorme succès, comme indicatif d’une émission reliant les soldats à leurs familles. Il est bientôt trop tard pour interdire cette chanson « défaitiste », entendue sur tous les fronts. La presse s’en empare, des cartes postales sont éditées, les simples soldats la défendent. Il faut lire cette narration bien documentée, qui s’attache à faire entrer dans le domaine « noble » de l’histoire, un fait de civilisation « trivial ». Un CD avec douze plages rend accessibles des documents sonores introuvables autrement.

Revue Théâtre/Public, n° 195,
2010/1, Gennevilliers, 82 p.

On connaît bien cette revue, fondée par Bernard Sobel, quand il créa l’Ensemble théâtral de Gennevilliers, un des flambeaux du « théâtre hors les murs ». On y a vu bien souvent des pièces du répertoire allemand, classique et moderne. La filiation avec le Berliner Ensemble (Sobel y fut assistant) et la liaison avec « le politique » sont ses marques de fabrique. Ce numéro traite justement des relations entre théâtre et politique dans une perspective historique. Presque tous les collaborateurs de la revue sont germanistes, associés de longue date à la création théâtrale en France : Jean-Louis Besson, Jean Jourdheuil, Bruno Bayen, André Steiger. C’est par la problématique du « théâtre populaire » que les pièces allemandes ont pris la place que l’on sait, dès 1947 et les premiers festivals d’Avignon. Les contributions s’attachent à ce phénomène dans sa durée : présence du théâtre allemand à Strasbourg (TNS), venue récente du « Berliner » à Paris (au Théâtre de la Ville, le Dreigroschenoper mis en scène par Robert Wilson). La diffusion de la revue est assurée par sa rédaction : 2 bis, rue Dupressoir, 32230 Gennevilliers. On y trouve tous les numéros consacrés à Brecht, dont celui sur son audition devant la « commission Mac-Carthy (n° 100, de 1993).

Edda Ziegler, Verboten, verfemt,
vertrieben – Schritstellerinnen im
Widerstand gegen de National-
sozialismus, DTV n° 34611,
Munich, 2010, 361 p.

Le titre indique bien l’objet de cette étude en sept chapitres : le destin des « écrivaines » interdites par le régime nazi dès 1933. Les causes sont diverses (juives, marxistes, pacifistes), mais le résultat est commun : autodafé des livres, interdiction de publier, menaces policières. Leur réaction est la plupart du temps l’exil, avec ses différentes stations. A chacune correspond une étude particulière portant sur les trois étapes de leur chemin : avant 1933, pendant le règne du fascisme et la guerre, le retour au pays (pas toujours). Noms connus et plus confidentiels coexistent : Annette Kolb, Erika Mann, Else Lasker-Schüler, Anna Seghers, Nelly Sachs, Rose Ausländer. D’autres points de vue rapprochent ces études : la vie quotidienne auprès de « grands » hommes, comme Weil, Canetti, Brecht ; la réalité de « l’émigration intérieure » chez Ricarda Huch et Marieluise Fleißer. Le mérite de ce livre solidement informé est de rassembler et d’approfondir ce qu’on savait déjà (un peu), voire de faire découvrir des réalités occultées (le camp de Gurs). Difficile de le classer dans une bibliothèque, mais néanmoins indispensable.

Du côté des traductions

Peter Huchel, Chaussées chaussées,
traduction de Maryse Jacob et
Arnaud Villany, L’Atelier La
Feugeraie, 2009, 150 p.

Notre revue a déjà signalé l’excellence de cet éditeur de poésie en version bilingue, tant par le choix des recueils que par la qualité des traductions. A l’exemple de ce volume d’un grand poète un peu trop négligé, Peter Huchel (1903-1981). Il a vécu intensément les avatars de son pays : jeunesse dans la campagne du Brandebourg, guerre et captivité, la partition après la défaite. Il avait fait le choix de demeurer en RDA, soutenu par Brecht, Becher et Hans Mayer. Il fut le directeur de la revue exigeante Sinn und Form. Pourtant, son langage ne correspondait pas au canon du « lyrisme socialiste » : trop subjectif, trop individuel, plus près de l’immuable nature que de la société instable. Son recueil fut publié en 1963, à l’ouest seulement (Fischer). En 1962, il avait été limogé de la direction de la revue, interdit de publication, quasiment emmuré, avant de pouvoir partir en RFA en 1971, à Fribourg où il mourut. La traduction montre bien la nature de ses poèmes brefs (une cinquantaine) : les mots de la nature, les mots concrets et précis, dont l’énoncé fait naître les visions et les rêves. Il se situe dans la lignée de Trakl. Dans ses poèmes sur la Bretagne, vue plusieurs fois dans sa vie, il évoque l’œuvre de Gauguin. Une édition exemplaire du « génie » concis et combinatoire de la langue allemande. (Adresse de l’éditeur : 14770, Saint-Pierre-la-Vieille)

Anja Hilling, Anges, t.fr. de Jörn
Cambreleng, éditions
THEATRALES, Paris, 2009, 76 p.

Cette traduction est le fruit d’une collaboration entre l’éditeur bien connu de pièces françaises et étrangères et de la Maison Antoine Vitez, sise à Montpellier, et pour qui travaillent des spécialistes de maintes cultures théâtrales. Anja Hilling (née en 1975) est bien connue en Allemagne, en particulier à Berlin, où l’on a joué une dizaine de ses pièces. Anges date de 2006. Il n’y a pas de progression dramatique, et les personnages vont et viennent entre le présent et le passé, au fil de courtes séquences, qui se déroulent souvent dans des lieux publics. Les dialogues sont laconiques, les didascalies faites pour être lues par un des personnages, Asta, la barmaid. On peut y reconnaître parfois la description d’un tableau expressionniste.

Marius von Mayenburg, La Pierre,
texte français Hélène Mauler et
René Zahnd, L’Arche, Paris, 2010, 68 p.

L’œuvre de Marius von Mayenburg (né en 1972 à Munich) est déjà assez étoffée. A vrai dire, il a commencé très jeune à écrire, étant mêlé dès 1992 à la vie théâtrale de Berlin. Son sujet principal est la réaction violente de l’individu malmené dans la société allemande. Six pièces sont déjà au catalogue de l’Arche, certaines furent montées. Cette dernière accumule les strates de l’histoire de l’Allemagne autour d’une famille juive de Dresde spoliée par la nazisme. Dans une mise en scène de Bernard Sobel, elle a été donnée à Paris cette année (Théâtre de la Colline) et remarquée par la presse.