Pendant le premier semestre 2007, la vie politique allemande a été dominée par le hiatus entre la visibilité accrue à l'extérieur grâce à la présidence tournante de l’Europe assurée par l’Allemagne et les difficultés de la grande coalition à s’accorder sur les réformes à entreprendre. Dans ce contexte, on peut saluer la persistance dans l’opinion d’une certaine bonne humeur, reflet de l’enthousiasme généré par le Mondial du football. Encore neuf mois après, on s’interroge sur les conséquences bénéfiques de cet événement hors du commun.

Compromis a minima dans le conflit sur le salaire minimal garanti

L’Allemagne ne connaît pas de salaire minimal garanti fixé par l’Etat et s’appliquant à l’ensemble des salariés de toutes les branches d’activité. Le seul domaine qui fait exception est le bâtiment, où une loi de 1996 a permis à l’Etat de fixer un minimum salarial à partir d’un tarif négocié par les partenaires sociaux ; le syndrome du plombier polonais avant l’heure, peut-être. Pour toutes les autres branches, le niveau des salaires est le produit des négociations entre les associations patronales et les syndicats, sans intervention de l’Etat, ce qui a deux conséquences : les salaires plancher peuvent varier de façon importante d’un secteur à l’autre, et les salariés non couverts par une convention collective de branche peuvent se trouver dans une situation de working poor, où le produit de leur travail ne leur permet pas de vivre. C’est ce qui a fait la une des médias il y a quelques mois, lorsqu’il est apparu que de nombreux travailleurs, notamment dans les nouveaux Länder, devaient se contenter d’un salaire horaire de 5 ¤ brut, voire moins, pour les coiffeuses par exemple, et ce dans un pays riche comme l’Allemagne. Déjà à l’époque de la négociation entre les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates pour former la grande coalition, en 2005, était en discussion le sujet de l’introduction d’un SMIC à l’allemande, cheval de bataille du SPD. Ils demandaient en l’occurrence qu’il soit fixé à un niveau inférieur à celui en vigueur en France : les sociaux-démocrates le voyaient à 7,50 ¤, alors que le nouveau parti à gauche du SPD, die Linke, exige 8 ¤.

Deux ans plus tard et après des mois de négociations acharnées, le SPD et les unions chrétiennes CDU et CSU sont parvenus fin juin à un compromis sur les bas salaires. Ce n’était pas joué d’avance, tant les positions étaient à l’opposé. Le compromis trouvé reflète d’ailleurs les forces respectives au sein de la grande coalition, les chrétiens-démocrates tenant le haut du pavé face à un parti social-démocrate sur la défensive. Alors que ces derniers souhaitaient l’introduction d’un salaire minimal garanti en généralisant la législation en vigueur dans le bâtiment à la plupart des branches, les chrétiens-démocrates, conscients, eux aussi, de la précarité d’un nombre croissant de salariés, privilégiaient la garantie d’un revenu minimum aux travailleurs par le biais de l’introduction de la subvention salariale. Ce procédé, qui existe déjà dans une certaine mesure dans le cadre de la réforme Hartz IV (voir Allemagne d’aujourd’hui 175/2006), prévoit le versement d’un complément salarial à tous ceux dont le revenu est inférieur à certaines limites. Les deux partis n’ayant pu s’entendre, la position commune finalement retenue prévoit d’étendre à une dizaine d’autres branches le règlement actuellement en vigueur pour le secteur du bâtiment. Pour certains secteurs dépourvus de convention collective, la grande coalition envisage de moderniser une loi de 1952 qui permet à l’Etat de fixer un salaire minimum après une concertation des partenaires sociaux avec le ministère fédéral du Travail. Même si les sociaux-démocrates ne croyaient guère à la possibilité d’un SMIC à la française, la déception est très grande dans leurs rangs. Elle est d’autant plus amère que les chrétiens-démocrates n’ont pas non plus accédé à leur demande de resserrer les dispositions sur les salaires contraires aux bonnes mœurs (sittenwidrige Löhne). La jurisprudence a défini ce concept comme des salaires qui seraient de 30 % inférieurs à ce qui se pratique localement. Le SPD souhaitait abaisser cette limite à 20 %, en y ajoutant une limite inférieure fixe pour mettre fin aux abus. Devant la position intransigeante de la CDU, les sociaux-démocrates, très en colère, ont déjà averti que le salaire minimal garanti ferait partie de leur thème de campagne pour 2009. Un thème porteur, car les sondages montrent qu’une grande majorité d’Allemands souhaite l’instauration d’un salaire minimum généralisé.

Le mini baby-boom : fantasme ou réalité ?

Une bonne nouvelle a fait le tour des médias au mois de mai. Selon une enquête de WELT ONLINE, le nombre d’enfants nés au premier trimestre 2007 aurait fait un bond de plus de 20%. L’étude menée dans 15 grandes villes fait état d’accroissements significatifs dans 12 villes sur 15, dont Brême -Nord avec 21 % et Cologne avec 15 %. Même l’Allemagne de l’Est, réputée pour sa démographie défaillante – avec un taux de fertilité de 1,1 enfant par femme comparé à 2 pour la France –, ne fait pas exception : Magdeburg enregistre un plus de 15,6 %, Erfurt de 12,5 %, même Berlin s’y met avec un accroissement de 5 % pour le trimestre, mais de 20 % pour le seul mois de mars. Pour ceux qui savent calculer, l’origine de ce miracle est évident. Neuf mois auparavant, en juin 2006, l’Allemagne a organisé la Coupe du monde de football, et le monde entier découvrait avec stupéfaction un pays joyeux et décontracté, prêt à faire la fête dans une ambiance chaleureuse, loin des clichés habituels qui lui collaient à la peau. Cette grande fête sportive avait suscité une vague d’optimisme dans le pays. De nombreux observateurs estimaient que le Mondial allait insuffler un nouvel élan à l’économie en stimulant la croissance et à la société en lui faisant découvrir les joies d’un patriotisme longtemps réprimé. Quoi de plus naturel, dès lors, que d’attribuer le nombre inhabituellement élevé de naissances au premier trimestre 2007 à l’effet Coupe du monde ?

Regardés de près, les chiffres de l’enquête du quotidien semblent toutefois reposer sur peu de choses. Pour prendre l’augmentation la plus spectaculaire, celle de Brême Nord : les 21 % se réfèrent à une population partielle de Brême, environ 20 % de la population totale de la ville, ce qui réduit d’autant l’impact annoncé. Le nombre total de naissances à Brême est en baisse depuis plusieurs années. S’y ajoute le fait que les bébés sont habituellement plus nombreux à venir au printemps que pendant les autres saisons : le phénomène observé serait-il purement saisonnier ? Les statistiques doivent être interprétées avec plus de discernement, exhortent certains spécialistes qui se réfèrent au bilan démographique que vient de publier Destatis, l’Agence fédérale de Statistiques. En 2006, 672 675 bébés sont nés en Allemagne, 1,9 % de moins qu’en 2005. L’année 2006 poursuit ainsi une tendance à la baisse entamée depuis les années soixante-dix et qui ne s’est interrompu brièvement que pendant les années 1996 et 1997.

Le mini baby-boom ne serait donc qu’un joli conte de fées, une barrière mentale érigée contre la menace du déclin démographique ? Le constat d’une légère remontée du nombre de naissances en Allemagne n’est pas écarté par les spécialistes. Si l’effet Coupe de monde est en effet difficile à prouver, certains estiment que la politique familiale du gouvernement pourrait avoir joué. L’allocation congé parental n’a certes été introduite qu’au 1er janvier 2007, trop tard pour être à l’origine du baby-boom, mais cette prestation avait déjà été discutée dans le cadre de la formation de la grande coalition en 2005 et intégrée au projet de gouvernement. Rappelons qu’elle est nettement plus généreuse que l’allocation à laquelle elle se substitue : 67 % du dernier salaire, avec un maximum de 1 800 ¤ par mois, pendant 12, voire 14 mois, si le père participe, au lieu d’une somme forfaitaire mensuelle de 300 ¤. Avec cette mesure, ainsi que d’autres à venir, comme l’amélioration de l’accueil de la petite enfance, la ministre, Mme von der Leyen, espère faire passer le taux de fertilité, de 1,4 enfant environ par femme actuellement, à 1,7 à l’horizon 2015. Y parviendra-t-elle ? Les exemples de politiques familiales offensives sont contradictoires : du temps de la RDA, la fertilité s’est accrue avec l’introduction de mesures en faveur des mères, dans les pays scandinaves aussi, mais de façon très passagère. Le débat actuel montre peut-être qu’un changement de mentalités est en train de s’opérer en Allemagne.

Tests de paternité

Depuis plusieurs années, l’Allemagne se déchire sur le recours aux tests de paternité. Au printemps, le Tribunal constitutionnel a alimenté le feuilleton de son côté. Depuis que les tests ADN, qui établissent – ou infirment – la filiation avec certitude, sont devenus financièrement accessibles, les demandes affluent. Il suffit d’envoyer un cheveu ou un coton tige imbibé de salive à un des nombreux laboratoires qui proposent leurs services sur Internet ou sur les publicités qui s’étalent jusque dans le métro de Berlin pour avoir la confirmation que l’enfant est ou n’est pas celui du père juridique. En 2003, il paraît que 50 000 tests de ce genre ont été effectués en Allemagne, un chiffre qui n’est certes pas en recul, depuis que des informations, difficilement vérifiables, affirment qu’un enfant sur dix n’est pas le descendant génétique de son père. Un test sur quatre serait négatif et démentirait la paternité revendiquée par la mère de l’enfant. En janvier 2005, premier rebondissement : la Cour de justice fédérale de Karlsruhe (Bundesgerichtshof, BGH) a décidé que le test n’a aucune valeur juridique. Elle a ainsi débouté deux pères qui avaient introduit devant le tribunal une procédure de contestation de paternité après avoir découvert, à la faveur d’un test effectué à l’insu de la mère de l’enfant, que celui-ci n’était pas le leur. Le véritable problème, pour la ministre de la Justice, Brigitte Zypries, réside toutefois ailleurs. Le test permettrait en effet d’accéder aux données génétiques de l’enfant – qui n’a guère pu donner son accord –, et même partiellement à celles de ses parents, dont la mère, souvent également ignorante de la démarche de son conjoint. La procédure tomberait donc sous le coup d’une loi en préparation qui vise à protéger les données génétiques des personnes contre toute intrusion dans la sphère intime des individus. C’est peu dire que les labos ne partagent pas cet avis !

On ne peut contester le fait que le test de paternité a aussi des motifs matériels. Le régime des pensions alimentaires pour enfant, très strict en Allemagne, ne dépend que du revenu du père. Puisqu’il ne peut pas apporter la preuve de l’absence de filiation sans le consentement de la mère, il se voit contraint de verser une pension même s’il est avéré que l’enfant n’est pas de lui. Les tribunaux entrouvrent à peine la porte pour remédier à cette situation. Le père devra dorénavant apporter des « éléments de preuve » suffisants aux tribunaux pour que ceux-ci entament une procédure et ordonnent eux-mêmes un test de paternité. L’expérience a prouvé que c’est extrêmement difficile. Non content d’interdire la reconnaissance des tests de paternité obtenus à l’insu de la mère en justice, le ministère a décidé d’introduire une loi qui punirait le père – d’un an de prison – qui demanderait un tel test ; les laboratoires qui l’effectueraient seraient également poursuivis. Les groupements féministes étaient à l’origine de ce projet de loi. Constatant l’explosion du nombre de tests de paternité, ils ne souhaitaient pas que le conjoint puisse faire appel à la science pour se soustraire à ses obligations financières. Les partis, eux, sont divisés. La droite chrétienne, qui protège le patrimoine et défend le droit du sang, soutient majoritairement le droit du père à contrôler sa paternité. Les Sociaux-démocrates et les Verts sont plus partagés, certains estimant que la loi protégera les enfants, d’autres considérant que l’alternative judiciaire au test interdit risquerait de compliquer plutôt que de faciliter les problèmes. Devant le tollé suscité par cette mesure – 80 % des hommes seraient partisans du libre accès aux tests de paternité –, le gouvernement a renoncé à la mise en œuvre d’une loi répressive.

Grèves à la Deutsche Bahn

Au mois de juillet, le transporteur ferroviaire Deutsche Bahn a connu son plus fort mouvement de grèves depuis 2003. Les négociations salariales entamées le 18 juin n’ayant pas abouti, les syndicats Transnet et GDBA ont appelé les salariés à prendre part à des grèves d’avertissement à compter du lundi 2 juillet. Le lendemain, le syndicat des conducteurs de trains GDL s’est mis de la partie. En Allemagne, les salariés ne peuvent pas faire grève quand ils veulent ; ils n’en ont la possibilité que dans le cadre de négociations salariales et lorsque l’accord précédent est arrivé à expiration, ce qui est le cas dans ce conflit. Au début des négociations, les positions des partenaires sociaux étaient très éloignées, les syndicats réclamant une augmentation salariale pour les 134 000 cheminots de 7 % ou au moins 150 ¤ de plus par mois, alors que la Deutsche Bahn proposait une augmentation de deux fois 2 % étalée sur une période de 30 mois et une prime unique de 300 ¤. Le syndicat des conducteurs de trains, pour sa part, a exigé une augmentation beaucoup plus importante, avec des hausses allant jusqu’à 31 %, ainsi qu’un accord salarial spécifique. GDL, qui ne s’est pas privé d’étaler ses doléances dans tous les médias, estime qu’un conducteur de train porte une responsabilité particulièrement lourde et devrait être rémunéré en conséquence. Le salaire d’un conducteur débutant se situe actuellement à 1 500 ¤ net par mois, et GDL souhaite le faire passer à 2500 ¤.

Les premiers débrayages ont touché surtout le sud-ouest et l’est du pays. Parmi les principales gares concernées ont figuré Dortmund, Francfort, Cologne et Karlsruhe à l’ouest, Hambourg au nord, Munich au sud et Rostock à l’est. Ils concernaient principalement les trains à grande vitesse ICE, mais les lignes régionales n’étaient pas épargnées, conduisant à des retards très importants pour des millions de voyageurs. Si les syndicats ont l’habitude de publier la veille les débrayages du lendemain, les grèves d’avertissement ont néanmoins conduit à de multiples perturbations du trafic ferroviaire, ce qui n’a pas manqué de produire l’effet escompté : les partenaires sociaux ont décidé de reprendre les négociations. Jeudi 5 juillet, le patronat a décidé d’améliorer son offre. Il a proposé 3,4 % d’augmentation salariale à partir du 1er janvier 2008 pour une durée de 24 mois ainsi qu’un versement unique de 450 ¤. La Deutsche Bahn refuse toutefois de considérer un accord salarial spécifique pour les conducteurs de trains, ne souhaitant pas départager son personnel en « salariés de première et de deuxième classe ». Elle souhaite désormais une fin rapide à ce conflit qui porte un grave préjudice financier, de l’ordre de 10 millions d’euros par jour, à la société. Les syndicats, de leur côté, se disent prêts à entamer une grève illimitée, s’il le faut, pour obtenir satisfaction. La croissance économique aidant, les Allemands sont de moins en moins disposés à se satisfaire de la stagnation de leur pouvoir d’achat qui a prévalu ces dernières années outre-Rhin.

Les partenaires sociaux sont parvenus à un accord le 7 juillet. La Deutsche Bahn et les syndicats GDBA et Transnet ont établi un compromis qui prévoit une augmentation des salaires de 4,5 % ainsi qu’un versement unique de 600 ¤. L’accord a une durée de 19 mois, jusqu’au 1er janvier 2009. Le syndicat des conducteurs de train n’a pas participé aux négociations.

Le château des Hohenzollern sera reconstruit à Berlin

Le château des Hohenzollern est de retour dans l’actualité. Le 4 juillet 2007, cinq ans, jour pour jour, après que le Bundestag, dans un vote historique, se soit prononcé en faveur de la reconstruction du château des Hohenzollern, le gouvernement allemand a enfin bouclé le dossier financier. Cet automne, un concours d’architectes sera lancé pour lequel on attend des centaines de propositions du monde entier. Le début des travaux est prévu pour 2010, à commencer par les trois façades baroques, pour une livraison, si tout va bien, vers 2013. Le bâtiment immense au cœur de Berlin abritera sur quelque 50 000 m2 de surface les œuvres d’art du musée ethnologique de Dahlem, dans la banlieue de Berlin, une bibliothèque et les collections scientifiques de l’Université Humboldt. Y sont également prévus des magasins, des restaurants, des salles de spectacles et de conférences. La renaissance de ce chefd’œuvre du baroque protestant n’allait pourtant pas de soi. Construit à partir de 1699 à la demande du futur roi de Prusse, Frédéric I, il a été le témoin d’un passé mouvementé. C’est du balcon du château des Hohenzollern que l’empereur Guillaume II a exhorté son peuple à l’aube de la Première Guerre Mondiale. Karl Liebknecht y proclama l’avènement de la République socialiste de Weimar en 1918. A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, en février 1945, le château a été sévèrement endommagé. Situé dans la partie Est de la ville, il a fini par être dynamité en 1950 sur ordre de Walter Ulbricht, premier secrétaire du parti estallemand SED. Vingt-cinq ans plus tard, en 1976, son successeur, Erich Honecker, y a fait construire le Palais de la République, un cube de verre fumé au goût douteux, qui a accueilli la Volkskammer, parlement de la RDA. C’est là que l’unification de l’Allemagne a été votée le 23 août 1990 par l’assemblée est-allemande, pour la première fois librement élue. Un mois plus tard, le bâtiment a dû fermer ses portes pour désamiantage.

Les premières demandes de résurrection du château des Hohenzollern datent des années soixante-dix, du temps de la RDA donc. Après la chute du mur, des voix se sont élevées pour appeler à la reconstruction du bâtiment initial. En 1992, un commerçant de Hamburg, Wilhelm von Boddien, créa l’association de soutien Schlossverein pour pousser le projet. Mais ce n’est qu’après que le gouvernement s’en soit saisi pour y créer le Forum Humboldt, que le projet a véritablement pu prendre corps. Le gouvernement fédéral débloquera 448 des 480 millions ¤ requis, la ville de Berlin, notoirement endettée, financera le reste. Après tant d’années d’attente, un symbole de la RDA laissera la place à un bâtiment qui représente pour les Allemands peut-être une forme de réconciliation avec leur passé.

– Brigitte LESTRADE –
Brigitte.Lestrade@u-cergy.fr