Carola Hähnel-Mesnard

Chronique littéraire

« Et s'il était possible de transférer les expressions de papa dans l’autre langue, l’allemand, je pourrais alors lui montrer que je comprends sa façon de communiquer par les jurons et par le silence. Car si un mot, déjà, n’a pas d’équivalent, comment raconter la moitié d’une vie dans la nouvelle langue ? Alors il n’y a que le silence ou la forme abrégée, dramatique, du juron pour raconter comment cela a été, comment cela aurait pu être ; c’est ce que je dirais à papa, et il s’étonnerait certainement que je me pose des questions sur lui, sur sa langue. » Avec ces réflexions d’Ildico, narratrice du dernier roman de Melinda Nadj Abonji, Tauben fliegen auf (Jung und Jung, 2010), nous sommes au cœur de la problématique de ce récit d’une migration au cours des années 1980, conduisant en Suisse la famille Kocsis, originaire de Yougoslavie. Appartenant à la minorité hongroise de la Voïvodine au nord de la Serbie, les parents d’Ildico et de sa sœur Nomi décident de quitter leur pays à la fois pour des raisons politiques et culturelles. Raconté du point de vue de l’enfant, puis avec le recul de la jeune adulte, ce roman familial évoque avec tendresse l’attachement des deux enfants à leur pays d’origine qu’ils redécouvrent au rythme de leurs vacances : la grande plaine sous la chaleur torride de l’été, les odeurs et les couleurs très particulières de cette contrée, les récits et la douceur de Mamika, leur grand-mère. À un ami qui lui pose plus tard la question de ce que signifie pour elle la « petite patrie », elle répond : « La douceur de la voix chantante de ma grand-mère, le coassement des grenouilles dans la nuit, les cochons lorsqu’ils clignent de leurs petits yeux, le caquetage énervé d’une poule avant d’être abattue, les juliennes des dames et les roses abricot, les jurons corsés, l’impitoyable soleil de l’été et l’odeur des oignons cuits à l’étuvée, Móric, mon oncle sévère qui d’un coup se lève et danse. L’atmosphère de mon enfance. » C’est donc aussi le récit d’un déchirement, d’une perte, d’une « rupture brusque » dans leur vie, et celui d’une difficile adaptation dans le pays qui les accueille à contrecœur. Qui leur fait sentir le racisme quotidien et les met devant de nombreuses autres épreuves dont la moindre n’est pas de maîtriser cette langue qui leur reste étrangère et que pourtant les sœurs arrivent vite à mieux maîtriser que leurs parents.
Le roman avance sur deux plans, avec deux strates narratives qui alternent. Il y a d’abord les souvenirs des voyages en Voïvodine jusqu’en 1989, année où la grand-mère meurt, permettant d’avoir un regard sur la société yougoslave, la vie sous la dictature et les conflits interethniques qui s’annoncent. Et puis, on est en 1993, année où commence « l’ascension sociale » de la famille en Suisse, grâce à l’acquisition d’une cafétéria, strate narrative où interfèrent les nouvelles de la guerre en ex-Yougoslavie. Et c’est là où le roman devient également le témoin d’un conflit générationnel qui oppose parents et enfants. Ildico et sa sœur se révoltent contre les humiliations quotidiennes que leurs parents sont prêts à accepter sous prétexte de devoir s’intégrer dans la société suisse et de ne pas se faire remarquer.
Ce roman sur le destin d’émigrants, ces « êtres mixtes qui se sentent chez eux dans plusieurs mondes », reflète également les expériences autobiographiques de son auteure, Melinda Nadj Abonji, arrivée en Suisse à l’âge de cinq ans. Sa langue maternelle, le hongrois, n’est pas seulement la langue émotionnellement chargée du récit de fiction. Comme c’est le cas pour beaucoup d’auteurs qui écrivent en allemand sans que ce soit leur langue maternelle, cette dernière fait incursion dans l’écriture, apporte des expressions et des structures grammaticales inhabituelles qui créent un style très riche et expressif. À l’automne 2010, Melinda Nadj Abonji a remporté avec son roman à la fois le prix du livre allemand (Deutscher Buchpreis) et le prix du livre suisse, décerné depuis seulement trois ans. Le jury a salué la façon dont l’auteure représentait l’Europe actuelle en pleine mutation, mais qui n’en a pas encore fini avec son passé. Des critiques littéraires comme Dirk Knipphals dans la TAZ ont accueilli avec enthousiasme ce « sentiment de fraîcheur » (comme une « fenêtre grande ouverte ») qui s’est dégagé de la lauréate du prix dont l’attribution témoigne de l’intérêt pour des « expériences et des récits européens », marqués par la conscience de trouver sa place « entre les cultures ». De son côté, Iris Radisch souligne l’importance de ce « melting pot européen » qui est en train de naître et qui met de plus à mal l’idée d’une littérature nationale.

Une migration d’un tout autre ordre est au centre du dernier roman de Christa Wolf, paru en juin dernier : Stadt der Engel oder The Overcoat of Dr. Freud (Suhrkamp, 2010). Dans ce livre à forte teneur autobiographique, l’auteure revient sur un séjour qu’elle a effectué en 1992/1993 au Getty Center de Los Angeles. Or, ce simple voyage, ce dépaysement pour quelques mois se transforme vite en une sorte d’exil passager, dans la mesure où, à la même époque, l’auteure fut l’objet de virulentes attaques en Allemagne dues aux révélations sur sa collaboration avec la Stasi dans les années 1950. Longtemps attendu après la publication des récits plutôt courts comme Leibhaftig ou le recueil Mit anderem Blick au début des années 2000, ce nouveau livre de Christa Wolf renoue avec la complexité narrative chère à l’auteure. À l’instar de Kindheitsmuster (1976), la narration se déploie sur trois niveaux : le temps de l’écriture, les souvenirs concernant le séjour aux États-Unis (à partir de notes prises à l’époque) et les souvenirs plus anciens relatifs à la RDA. Comme dans son roman magistral sur une enfance au Troisième Reich, Wolf met en garde contre une lecture autobiographique et « réaliste » de son nouveau livre, bien que celui-ci, plus que l’autre, ne prenne toute sa signification qu’en tenant compte du parcours particulier de l’auteure. Cela étant, Wolf livre en même temps le portrait-robot de toute une génération d’intellectuels est-allemands acquis à l’idée du socialisme, mais de plus en plus désillusionnés par la réalité en RDA.
Dès l’entrée de ce livre polymorphe - carnets de voyage, réflexions, souvenirs – la narratrice problématise le processus d’écriture entre une première phrase trouvée dès son arrivée à Los Angeles et les difficultés d’écrire la suite, d’arranger et d’ordonner la matière, le paradoxe de ne pas pouvoir raconter et écrire en même temps les pensées, les sentiments et les choses qui se passent simultanément, la nécessité de « raconter à partir de la fin » et de donner ainsi des priorités à certains faits. Réflexions sur l’écriture dont témoigne la structure complexe et entrelacée des différents niveaux temporels du récit, rappelant cette démarche « en crabe » évoquée dans Kindheitsmuster. Et puis, comme souvent chez Wolf, l’écriture apparaît comme une forme de survie.
Le voyage, l’éloignement dans l’espace, donne à la narratrice la distance nécessaire pour réfléchir aux changements intervenus en Allemagne depuis la chute du Mur, et de revenir sur des événements importants de son passé : la rencontre avec la génération des « patriarches » et l’engagement pour la RDA, les débats sur la littérature et le XIe plénum en 1965, l’affaire Biermann et ses suites, le lent processus de désillusionnement et de perte de l’utopie. Si les premières pages sont teintées d’un certain antiaméricanisme et font craindre une tendance à idéaliser l’Est – l’air de Los Angeles ne peut que rappeler les douceurs de la Mer Noire – la suite laisse la place à une introspection sincère et à l’interrogation sur les raisons d’un engagement qui, après la chute du Mur, ne suscite plus qu’incompréhension et rejet. Puis, on suit la narratrice dans ses tentatives de comprendre un refoulement – celui d’avoir collaboré pour la Stasi (à l’époque Wolf avait rédigé trois rapports, avant d’être elle-même surveillée). Elle cherche à expliquer cet oubli, à comprendre pourquoi elle ne s’était pas souvenue de cet acte. Ces pages sont à la fois très fortes dans la mesure où la narratrice paraît extrêmement sincère dans sa recherche de cette « tache aveugle », en même temps, lorsqu’elle questionne son entourage sur cet oubli, les réponses arrivent trop souvent comme des justifications bien venues par la bouche des autres. Une partie importante du livre est consacrée à l’un des motifs de ce voyage – la recherche d’une exilée allemande, amie d’une amie proche de la narratrice laquelle, avant de mourir, lui avait légué sa correspondance. Équipée seulement de lettres anciennes et de l’initiale d’un prénom, L., la narratrice va à sa recherche, tout en croisant les chemins de la communauté des Allemands exilés à Pacific Palisades, de Feuchtwanger à Mann, et en ouvrant des réflexions sur ce pan de l’histoire allemande.
Quelques mois après la publication de Stadt der Engel, Christa Wolf s’est vue attribuer en 2010 deux prix importants. D’abord, pour toute son œuvre, le prix Thomas Mann dans sa nouvelle formule, décerné à la fois par la ville de Lübeck et par l’Académie des Beaux-Arts de Bavière. Selon le jury, son œuvre reflèterait de façon critique et autocritique les « luttes, espoirs et erreurs de son époque », racontés avec une grande force narrative et une sincérité morale. Ensuite, l’auteure a été distinguée par le prix Uwe Johnson, cette fois-ci pour son dernier livre. Là encore, le jury met en avant la narration, « le réseau fascinant dans lequel la narratrice tisse des événements quotidiens, des associations, des expériences, des sentiments et des souvenirs », une poétique qui ressemble à celle d’Uwe Johnson et « selon laquelle il n’y a pas de simple vérité ». On peut espérer qu’avec ces deux prix prestigieux, Christa Wolf retrouve une reconnaissance littéraire qui, depuis une vingtaine d’années, fut ternie par des débats plus politiques que littéraires.

Restons à l’Est, et dans le sillage d’Uwe Johnson, avec un premier roman écrit par une jeune auteure née en 1980 à Anklam en Mecklembourg-Poméranie. Avec Dinge, die wir heute sagten (dtv, 2010), Judith Zander dessine une grande fresque de la vie en province à l’Est de l’Allemagne à l’époque actuelle. Ses personnages s’appellent Romy et Ella qui avaient huit ans quand le Mur est tombé, Hartmut, Britta et Sonja, leurs parents, Maria et Anna – la génération des grands-parents. Anna vient de mourir. Ce sera l’occasion pour Ingrid, sa fille, de retourner au pays avec son mari Michael et son fils Paul. Ils viennent d’Irlande. Ingrid avait quitté la RDA avant la chute du Mur, profitant d’un voyage à Berlin-Ouest pour assister à l’enterrement de son père et ne pas revenir, laissant à sa mère Anna le soin de s’occuper de son premier enfant Henry qui sera un personnage clé du roman, énigmatique, inquiétant.
Les chapitres de ce roman de presque cinq cents pages portent les prénoms des différents personnages qui, à chaque fois, racontent une partie de l’histoire à partir de leur perspective. Cela crée une multitude de points de vue et donne au récit un certain suspense, notamment lorsque les secrets de famille sont cachés par les uns, révélés et commentés par les autres. La vie dans le petit village en Poméranie occidentale n’a rien de particulier, elle est dominée par l’ennui. Dès la deuxième page, Romy constate de façon désillusionnée : « Il n’y a pas de bar à Bresekow. Il n’y a rien du tout. C’est le centre du vide qui s’ouvre juste derrière Berlin et qui ne s’arrête qu’à Rostock. Un petit bout du monde bien laid, au sujet duquel il vaut mieux se taire. » Les différents narrateurs font évidemment tout le contraire, ajoutant chacun une pièce à la mosaïque qui se dessine peu à peu du village. Romy et Ella occupent le devant de la scène. Toutes les deux se lient d’amitié avec Paul, le fils d’Ingrid. Romy ne manque pas de lui trouver des ressemblances à Paul McCartney, et grâce à Paul les deux adolescentes s’imaginent une sortie du vide qui les entoure. Les pages les plus authentiques de ce livre concernent d’ailleurs cette génération de jeunes. Les deux lycéennes se sont trouvées être copines un peu par hasard, unies dans leur commun dédain envers la bande de jeunes qui depuis des années se retrouve à la « Elpe », dans les bâtiments désaffectés de la « LPG », coopérative agricole du temps de la RDA. Lieu de rencontre de la jeunesse du village, c’est aussi le lieu de toutes les transgressions entre l’alcool, les histoires garçons-filles et l’endoctrinement politique de l’extrême droite qui tente d’y recruter ses adeptes. Sonia, la mère de Romy, dirige d’ailleurs le club de jeunesse local et doit résister quotidiennement à la haine contre les étrangers exprimée par ces jeunes et leur goût pour des groupes de musique néo-nazis. Avec les personnages appartenant à la génération des parents, on assiste à la reconstitution de différents parcours typiques d’une socialisation en RDA. C’est là que le roman pêche par quelques longueurs et invraisemblances, lorsque les monologues intérieurs des personnages se lisent comme des curriculums vitae bien rédigés. Ingrid a refusé son parcours tout tracé en restant à l’Ouest, échappant ainsi à une vie qui se résumait pour elle à une attente infinie : « […] il n’y avait rien. Rien, juste les jours qui passaient. L’attente de la fin de la semaine, de la fin de la scolarité, de la fin de la vie, après quoi plus rien n’arrivait. » Mais n’est-ce pas aussi ce qu’est en train de vivre la jeunesse du village aujourd’hui, alors que les temps ont changé ?
Judith Zander ne cache pas ses affinités avec Uwe Johnson. Originaire de la même région que ce dernier, elle s’inspire de sa façon de dépeindre les paysages et les gens qui y vivent, avec leur patois très particulier. Car comme le remarque Romy, « depuis Uwe Johnson, on arrive à écrire correctement un des sons les plus courants du bas allemand, je veux dire que même les gens qui ne maîtrisent pas le bas allemand arrivent à le prononcer correctement, à savoir l’O long et ouvert, car en réalité, ça n’existe pas. » Et à l’auteure d’insérer un certain nombre de chapitres énoncés en bas allemand par la paroisse qui commente le récit comme un chœur antique. Un défi pour le lecteur non autochtone. D’autres clins d’œil à Johnson sillonnent le roman, et Michael, le mari d’Ingrid, est en train d’écrire un livre sur cet auteur, profitant de son séjour pour quelques investigations sur le terrain, à la recherche d’expressions johnsonniennes disparues. Avec Judith Zander, on rencontre une jeune auteure d’origine est-allemande qui fait revivre cette province éloignée dans l’espace, et dans le temps, sans nostalgie et avec le regard aigu d’une fine observatrice des milieux qui l’entourent.

Un des livres remarqués par la critique littéraire en 2010 a été Die Leinwand de Benjamin Stein (C.H. Beck, 2010). En effet, ce deuxième roman d’un auteur peu connu interpelle le lecteur rien que pour sa présentation et sa construction en miroir : derrière chaque couverture commence une histoire, on peut les lire dans n’importe quel ordre, deux histoires parallèles unies par des liens que le lecteur leur découvrira. Un roman inhabituel également par rapport à ses deux protagonistes, deux juifs orthodoxes, l’un vivant à Zurich, l’autre à Munich, qui essayent de concilier leur vie professionnelle ou familiale avec l’observation des textes sacrés et introduisent le lecteur dans un univers marqué par une réflexion spirituelle permanente. Mais l’essentiel du livre tient à l’interrogation qu’il propose sur les notions de mémoire et d’identité, deux questions qui hantent les protagonistes des deux histoires.
Amnon Zichroni – dont le nom rappelle à la fois l’amnésie et la mémoire - est né à Jérusalem et a grandi dans des milieux orthodoxes. À quinze ans, il découvre dans la chambre de ses parents des livres qui ne lui sont pas destinés. Ne pouvant s’empêcher d’emmener Le portrait de Dorian Gray à la yechivah, l’école religieuse, il se fait surprendre par le rabbin. À présent persona non grata dans cette communauté religieuse, il va quitter le pays et rejoindre son oncle en Suisse, avant d’entreprendre des études aux États-Unis et s’installer comme psychanalyste à Zurich. Encore adolescent, Amnon se découvre un don exceptionnel et inquiétant à la fois, une sorte de sixième sens, celui d’apercevoir et de vivre les souvenirs des autres. Faculté encore augmentée par le simple fait de toucher les personnes en question, ce qui amène Amnon à porter des gants blancs pour se protéger contre l’envahissement souvent douloureux de ces souvenirs étrangers. Dans la partie qui lui est consacrée, le personnage d’Amnon se souvient rétrospectivement de sa vie et de l’événement qui l’a fait basculer et qui l’a fait perdre sa situation en tant que psychanalyste. Grâce à son don, Amnon Zichroni est convaincu de pouvoir aider ses patients à verbaliser leurs traumatismes, « à mettre de nouveaux accents sur la toile de leurs souvenirs », et de servir lui-même d’ « écran » de projection – l’allemand joue sur la double signification de « Leinwand ». Ainsi, il rencontre par hasard Minsky, un luthier, victime de la Shoah et en proie à des souvenirs terrifiants. Zichroni l’invite à mettre ces souvenirs par écrit afin de mieux les canaliser. Or, une fois publié, le livre est attaqué par un journaliste qui révèle que les souvenirs d’Auschwitz et de Maidanek sont faux, que Minsky n’y a jamais été, qu’il est citoyen suisse et qu’il n’a jamais été persécuté. Le lecteur l’aura compris – Benjamin Stein s’inspire ici de « l’affaire Wilkomirski » qui a éclaté à la fin des années 1990, ne cachant pas – dans son entreprise de fictionnalisation – une certaine compréhension pour l’état psychologique de ce faussaire de mémoires. Ou bien les choses ne seraient-elles pas aussi simples ? Ne se serait-il pas plutôt agi d’un esprit qui n’est plus le maître de ses souvenirs, qui se laisse envahir par les souvenirs d’un autre jusqu’à avoir des troubles d’identité ?
C’est en tout cas ce qui arrive au deuxième protagoniste de la fiction, Jan Wechsler, qui occupe l’autre partie du livre. Personnage au nom révélateur, Jan Wechsler est tout d’abord le journaliste qui a lancé « l’affaire Minsky » dans le récit d’Amnon Zichroni. C’est à partir de lui que des liens se tissent entre les deux histoires en miroir. Jan Wechsler est auteur et éditeur ; avec sa femme et leurs deux enfants, il est installé à Munich où il observe une vie juive orthodoxe. Alors que Zichroni nous fait rétrospectivement part de sa vie, Jan Wechsler nous révèle sa vie au jour le jour, augmentant le suspense d’une histoire qui frôle le roman noir. Une valise arrivée de Tel-Aviv, appartenant au narrateur sans qu’il s’en souvienne, déclenche un processus de recherche d’identité qui est des plus troublants. Qu’en est-il de cet homme né dans les années 1960 à l’Est de l’Allemagne dont il a de nombreux souvenirs très précis, mais qui, apparemment, n’ont rien à voir avec sa véritable identité ? En décalage avec son entourage qui a des informations sur lui, mais que lui-même ne reconnait pas comme faisant partie de sa vie, Jan Wechsler traverse un processus de réappropriation de son passé qui fait apparaître ses souvenirs les plus vivants comme une légende. Et ce Jan Wechsler qui a écrit un livre sur « l’affaire Minsky » et lui-même est bel et bien la même personne. Avec ce personnage, Benjamin Stein réactualise magistralement le thème du double. Son narrateur non fiable problématise les rapports entre réalité et fiction, le jeu avec des mondes possibles et la quête d’une identité rejetée. Et pour brouiller encore un peu plus ce jeu de pistes sur des identités multiples, l’auteur attribue quelques éléments de sa propre biographie d’Allemand de l’Est à son personnage Jan Wechsler, mais il s’agit justement de la partie « empruntée » de la biographie de ce dernier. Un livre à découvrir !