Brigitte Lestrade
Actualité sociale janvier 2011


L'année 2011 est un Superwahljahr, une super-année électorale. Certes, il n’est pas question de renouveler le Bundestag, le gouvernement actuel ayant été élu à l’automne 2009, mais il y aura des élections aux parlements régionaux dans sept des seize Länder allemands. Les trois villes-Etats, Berlin, Hambourg et Brême sont concernés ainsi que deux régions à l’Ouest, le Bade-Wurttemberg et la Rhénanie-Palatinat, et deux à l’Est, la Saxe-Anhalt et le Mecklembourg-Poméranie antérieure. Ces élections ont une importance capitale dans la mesure où les résultats des scrutins pèseront directement sur la composition du Bundesrat, la chambre où sont représentés les Länder et, partant, sur la politique du gouvernement. Ces rendez-vous électoraux serviront de tests pour mesurer la confiance dont bénéficie le gouvernement auprès de la population. Or, la situation est loin d’être simple, elle apparaît même comme paradoxale. A un moment où l’Europe fête l’Allemagne comme le seul pays vertueux sur le plan socio-économique, avec une croissance en très nette hausse et un chômage en baisse continue, et ce un an seulement après une crise économique et financière dont elle a plus souffert que les pays voisins, l’opinion publique est en colère contre ses dirigeants comme rarement auparavant. Un signe qui ne trompe pas : en 2010, la société pour la langue allemande a consacré comme « mot de l’année » le terme de Wutbürger, le citoyen en colère. Ils sont en effet en colère, en colère contre la construction de la nouvelle gare à Stuttgart, évoquée précédemment, en colère contre les immigrés, contre la position du gouvernement en matière d’énergie nucléaire et, maintenant aussi, contre les responsables du dernier scandale alimentaire. Les bons résultats de la dernière étude PISA sur les performances scolaires pèsent peu en comparaison. Cette atmosphère de défiance peut avoir des conséquences imprévisibles dans les élections à venir, tant les Allemands ont le sentiment que ceux qui les gouvernent ne les écoutent pas.

PISA 2009, les résultats des élèves allemands s’améliorent
Attendus impatiemment dans de nombreux pays, plus en Allemagne qu’en France, les résultats du Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves (PISA), ont été dévoilés au public le 7 décembre 2010. L’enquête est dirigée par l’OCDE ; rééditée tous les trois ans, elle a été effectuée pour la première fois en 2000. Celle de 2009, la quatrième édition de l’enquête, couvre non seulement les 34 pays de l’OCDE, comme au départ, mais elle examine les résultats des élèves de 65 pays, qui représentent environ 90% de l’économie mondiale. Cette croissance du nombre de pays participant montre l’importance que revêt cette étude pour le pilotage de leurs systèmes éducatifs respectifs. PISA analyse et classe le niveau de compétence des élèves de 15 ans dans trois matières considérées comme fondamentales, à savoir la lecture, les mathématiques et les sciences. Chaque étude met l’accent sur un des trois volets qui est examiné avec une attention particulière. L’enquête de 2009 s’est penchée en détail sur les capacités en lecture des élèves, y compris la lecture sur écran. Si la Corée du Sud et la Finlande sont les premiers de classe, comme lors des précédentes enquêtes, on constate des mouvements de baisse et de hausse des performances de certains pays. L’Allemagne, le Brésil, le Portugal et la Pologne enregistrent des progrès, alors que l’Irlande et la République tchèque régressent. Par rapport à 2000, où la France faisait partie du meilleur tiers des pays considérés, elle recule légèrement en lecture et en sciences, et elle baisse fortement en mathématiques, où elle perd presque 20 points comparé à l’enquête de 2006.
Les Allemands, pour leur part, se montrent satisfaits des résultats de la dernière enquête. On se souviendra que la première évaluation, celle de 2000, avait révélé les insuffisances d’un système éducatif que tout le monde en Allemagne croyait non seulement bon, mais excellent. Le constat qu’il n’en était rien, et que les écoliers allemands avaient des performances au-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, a conduit à un réel traumatisme dans le pays, suivi d’une volonté farouche d’améliorer la situation. Les mesures entreprises par les Länder et coordonnées au niveau national par la conférence des ministres de l’éducation (Kultusministerkonferenz), notamment l’accroissement de l’accueil et de la formation des enfants d’âge préscolaire, la construction d’écoles ouvertes toute la journée (Ganztagsschulen) et l’amélioration de la qualité de l’enseignement, notamment à l’intention des élèves issus de l’immigration, ont produit des résultats visibles.
Dans le domaine de la lecture, l’Allemagne fait partie des sept pays de l’OCDE dont les compétences se sont considérablement améliorées depuis 2000 ; avec 497 points, elle se situe désormais dans la moyenne des pays de l’OCDE, tout comme la France, avec 496 points. Le différentiel de compétences entre lecteurs forts et faibles, un des plus important en 2000, s’est fortement réduit et se rapproche de la moyenne de l’OCDE. La part des lecteurs faibles est passée de 22,6% en 2000 à 18,5%. Si la lecture intéresse davantage qu’avant les élèves allemands de 15 ans, contrairement à la plupart des pays évalués, le fait reste que les filles lisent mieux et plus volontiers que les garçons. En mathématiques, les compétences se sont également accrues depuis la première enquête. Avec 513 points (France : 497), l’Allemagne dépasse nettement la moyenne de l’OCDE, qui est de 496 points. Le pourcentage d’élèves faibles a baissé, celui des élèves forts s’est accru, mais la différence entre les faibles et les forts est, avec 98 points, au-dessus de la moyenne de l’OCDE. Le même constat s’applique aux sciences naturelles, où l’écart entre les forts et les faibles est important, mais où les jeunes Allemands, avec 520 points, ont rejoint le groupe des pays performants.
Si la satisfaction des instances officielles allemandes est palpable devant ces résultats, non seulement ceux portant sur les acquis académiques, mais aussi sur la réduction des inégalités dues à la situation sociale, elles soulignent leur volonté de continuer à améliorer la qualité de l’enseignement, notamment en direction des élèves issues de l’immigration. L’écart entre les performances des élèves immigrés de la deuxième génération et les autochtones s’est certes réduit, mais avec 57 points, ce qui correspond environ à une année scolaire, il est toujours considéré comme beaucoup trop important. Il serait souhaitable que le décrochage de la France produise le même effet que celui de l’Allemagne il y a dix ans, mais devant la plupart des réactions telle que « la France continue à se situer dans la moyenne de l’OCDE », ce sursaut est loin d’être certain.

La consommation repart
Après les résultats satisfaisants de l’étude PISA 2009, l’autre bonne nouvelle est la reprise de la consommation en 2010 qui s’était déjà amorcée un an plus tôt. En dépit de l’impact considérable de la crise économique et financière, qui a conduit à une baisse de 4,7% du PIB, la consommation a légèrement augmenté (+0,4% d’après l’Office fédéral de statistiques Destatis) en 2009. Une des raisons majeures en est l’introduction de la prime à la casse qui a conduit les ménages allemands à dépenser 73 milliards d’euros pour renouveler leur équipement en voitures neuves, ce qui correspond à un accroissement de 20% par rapport à 2008. Sans la prime, la consommation privée aurait reculé de 0,5%. La prime à la casse n’est plus qu’un souvenir, mais la consommation se maintient en 2010. Alors que, les années précédentes, elle est restée très faible, à la grande déception non seulement du commerce de détail allemand, mais aussi de ses partenaires européens qui avaient du mal à placer leurs produits, la propension aux achats du consommateur allemand semble s’accroître.
Certains y voient les effets bénéfiques des réformes Hartz entreprises depuis 2005 en vue de flexibiliser le marché de l’emploi ainsi que de la modération salariale plus importante qu’ailleurs qui a permis de faire baisser le coût du travail et d’accroître la compétitivité du site Allemagne. D’autres soulignent la politique gouvernementale pendant la crise économique, non seulement par le biais de la prime à la casse, plus généreuse qu’en France, mais aussi par le soutien financier du chômage partiel. La compensation salariale accordée par l’Etat aux chômeurs partiels a atteint 67% du salaire pendant deux ans. Mises en place en 2009, ces subventions ont été reconduites en 2010 pour 18 mois. Du coup, le recul de l’emploi a été très limité, ce qui explique aussi la bonne tenue de la consommation en pleine crise.
Actuellement, le nombre de chômeurs a atteint un niveau historiquement bas, avec environ trois millions au début de l’année 2011 – même un peu au-dessous de cette limite symbolique en décembre 2010, ce qui est bon pour le moral –, une baisse qui s’accompagne de la fonte régulière du taux d’épargne des Allemands ; un signe d’optimisme qui ne trompe pas. L’enquête ménage a révélé que la propension à acheter continue de s’améliorer et dépasse même aujourd’hui le pic atteint juste avant la hausse de la TVA en janvier 2007 qui est alors passée de 16 à 19%, une douche froide efficace pour la consommation. L’amélioration du moral des ménages s’accompagne d’attentes très concrètes concernant l’évolution des salaires. Après des années de vaches maigres où le partage de la valeur ajoutée s’est fait au bénéfice des entreprises, les salariés espèrent un retour à un équilibre plus juste. La croissance économique et la baisse du chômage devraient conduire à un partage de la valeur ajoutée plus favorable aux salariés, donc à des augmentations de salaire plus conséquentes, ce qui soutient la consommation. Ainsi, après plusieurs années de quasi-stagnation des salaires, l’année 2011 devrait voir une progression des salaires nominaux d’environ 3%, soit entre 1,5% et 2% en termes réels. Dans le domaine de la sidérurgie, le syndicat IG Metall a obtenu une hausse de 3,6% des salaires pour 2011 ainsi qu’une prime de 150 euros, ce qui tranche avec le régime de vaches maigres de 2010, où les salariés du secteur ont dû se contenter d’une prime de 350 euros, sans augmentation des salaires. Si cette hausse a valeur de symbole, 2011 devrait être une année faste pour les travailleurs.
La reprise annoncée de la consommation pour 2011, que les économistes évaluent à environ 1%, soit le double de l’accroissement de l’année écoulée, est une bonne nouvelle pour la zone euro et pour l’Europe en général L’Allemagne est en effet un vaste marché et souvent la principale destination des exportations pour ses pays voisins. Si la France n’est plus le premier fournisseur de l’Allemagne – elle est désormais en troisième position derrière la Chine et les Pays-Bas –, les exportations françaises vers l’Allemagne comptent néanmoins encore pour 13% de ses exportations totales. Ainsi, la reprise économique allemande pourra stimuler le commerce intra-européen, du moins des pays du cœur de l’Europe où la consommation se maintient.

Des œufs à la dioxine
Un nouveau scandale alimentaire secoue l’Allemagne, après ceux de la viande avariée et du fromage infesté de listeria. Cette fois-ci, il s’agit d’œufs contaminés à la dioxine qui ébranlent la confiance du consommateur. On ne connaît pas encore l’ampleur de cette nouvelle crise alimentaire qui a éclaté en début d’année. Un producteur de graisses destinées à la fois à l’alimentation pour animaux et à des applications industrielles, Harles und Jentzsch situé à Uetersen dans le Schleswig-Holstein, aurait utilisé pour la nourriture animale des résidus provenant d’un fabricant de bio-diesel destinée à la fabrication de papier. Cette entreprise fournit en effet le secteur agroalimentaire mais aussi l’industrie. Les 3000 tonnes de graisses contaminées à la dioxine auraient été fournies par un négociant hollandais qui se serait approvisionné auprès d’un fabricant de biodiesel ayant son siège en Basse-Saxe. Celui-ci affirme qu’il produit son carburant bio uniquement à destination de l’industrie et non pour l’alimentation de bétail. L’entreprise Harles et Jentsch, le producteur à l’origine du scandale aurait vendu le fourrage chargé de dioxine à une centaine de fermes où il a servi à nourrir des volailles, poules et dindes, et des cochons. Leurs responsables évoquent une « erreur humaine », ce que le ministère fédéral de l’agriculture considère comme « peu plausible », d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un événement unique, l’entreprise ayant reçu pas moins de sept livraisons de graisse contaminées à la fin de l’année dernière.
Le scandale a très rapidement pris des proportions touchant toute l’Allemagne du Nord : il concernerait une centaines de fermes et des dizaines de producteurs de fourrage en Basse-Saxe, en Rhénanie du Nord/Westphalie et dans le Schleswig-Holstein. Plus à l’est, des fermiers et des producteurs de porc dans la Saxe-Anhalt et le Mecklenburg-Vorpommern ont également constaté la présence de dioxine dans leurs livraisons de fourrage. La Thuringe et le Brandebourg semblent aussi touchés. Le ministère de l’Agriculture du Schleswig-Holstein a immédiatement ordonné l’interdiction d’abattage de porcs. Des œufs chargés de dioxine ont été exportés aux Pays-Bas début décembre 2010, avant que leur toxicité ne soit connue, mais il semblerait qu’ils n’aient pas été commercialisés. Les autres pays de l’UE ne paraissent pas être touchés.
Si le scandale des œufs à la dioxine ne touche pour l’instant qu’un nombre relativement faible d’exploitations agricoles, un millier environ sur les 370 000 que compte l’Allemagne, les consommateurs sont troublés. Comment distinguer les œufs sains de ceux qui sont contaminés ? Plusieurs fédérations de protection des consommateurs recommandent aux Allemands, qui consomment en moyenne chacun plus de 200 œufs par an, de n’acheter que des œufs issus de l’agriculture biologique. La dioxine est un résidu de combustion, industrielle ou naturelle, classée comme substance cancérigène par l’Organisation mondiale de la santé. Absorbée en petite quantité, elle n’est pas dangereuse pour les adultes, mais le corps humain ne l’élimine que difficilement. Au ministère fédéral de l’Agriculture, on exige une plus grande transparence, notamment la possibilité de savoir si les œufs achetés chez le commerçant habituel sont contaminés à la dioxine ou non. Les administrations de certains Länder ont commencé à publier le code figurant sur ceux venant d’exploitations agricoles concernées pour permettre aux consommateurs de tracer les œufs contaminés. Ce scandale souligne à nouveau les défauts de surveillance en matière de sécurité des aliments. Si les règles en la matière sont nationales ou européennes, leur application, en Allemagne, relève de chaque Land. Or, ils ne procèdent pas tous avec la même rigueur, ni avec la même densité de contrôleurs, comme le font remarquer les associations de consommateurs. La Fédération des agriculteurs allemands (Deutsche Bauernverband, DAV) réclame pour sa part une séparation entre producteurs de graisses animales et fabricants de graisses industrielles. En attendant, vu l’industrialisation croissante de la production alimentaire, on peut craindre que ce scandale ne soit pas le dernier.

Les manifestations anti-nucléaires ont repris
La récente décision du gouvernement Merkel de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires, de huit ans pour les réacteurs anciens et de quatorze ans pour les plus récents, a ravivé l’opposition à la politique de gestion des déchets. Le gouvernement se focalise actuellement sur le seul dôme salin de Gorleben pour y stocker les déchets, un site géologiquement inadapté d’après ses détracteurs. Ils craignent en effet que ce lieu passe du statut de site temporaire à celui de site définitif. C’est pourquoi le dernier transport Castor de 154 tonnes de déchets dangereux de la Hague à Gorleben au mois de novembre a suscité des réactions d’opposition violentes. Avant même le passage du train Castor transportant les déchets, les anti-nucléaires allemands se sont rassemblés à Dannenberg dans le Wendland pour manifester leur opposition tant au transport prévu qu’à la politique nucléaire dans son ensemble. La manifestation organisée par des associations environnementales et des initiatives citoyennes est le plus important regroupement d’anti-nucléaires jamais réuni contre Gorleben. Avec plus de 50 000 personnes amenées par 400 bus de toute l’Allemagne, ce mouvement de protestation est le signe visible de l’attitude de la majorité silencieuse. Dans tous les sondages, les Allemands souhaitent majoritairement la sortie du nucléaire, en contradiction avec la politique du gouvernement. C’est un des aspects qui explique pourquoi le gouvernement actuel, qui peut se targuer d’une situation économique exceptionnelle, est si peu apprécié par la population. Les Allemands sont nombreux à estimer que les politiques ne les écoutent pas. Le train transportant les déchets nucléaires a fini par arriver à Gorleben, après un périple émaillé d’affrontements entre les opposants au nucléaire et les 17 000 policiers mobilisés qui n’ont pas hésité à faire usage de leurs matraques et du gaz lacrymogène pour les décourager.
Début décembre 2010, un autre transport Castor était programmé, cette fois-ci dans le Land de Saxe. Des éléments de combustion, en provenance de Russie et utilisé dans le réacteur de Rossendorf, devaient être retournés à Majak, en Russie. Le parlement régional de Saxe n’ayant pas effectué les études nécessaires pour vérifier que le site de Majak était en état de recevoir les éléments de combustion irradiés, le ministre fédéral de l’environnement, Norbert Röttgen, a refusé de donner son accord. Les Verts au parlement régional se réjouissent de cette décision, et ils espèrent que, dorénavant, il ne sera plus question de transports de déchets nucléaires en Russie, la sécurité n’y étant pas garantie. Le parti des Verts, sur le plan national, a pris la tête du mouvement anti-nucléaire. Très hauts dans les sondages, ils savent que cette attitude ne peut que conforter leur position, à un moment où la chancelière a clairement fait comprendre qu’une éventuelle coalition entre son parti, les chrétiens-démocrates, et les Verts n’était plus à l’ordre du jour.
Brigitte.Lestrade@u-cergy.fr