Le 27 septembre 2009, le parti chrétien-démocrate et les libéraux ont remporté les élections fédérales avec plus de 48% des voix, contre moins de 34% pour les sociaux-démocrates et les Verts. A en croire les sondages, les résultats seraient inversés, si le scrutin avait lieu aujourd'hui, plus en raison de l'envol des Verts, semble-t-il aux dépens des libéraux, que grâce à la montée du SPD. Il est vrai que le gouvernement actuel doit faire face à une série de mécontentements qui commencent à prendre une allure de défiance. Les Allemands ne se reconnaissent plus dans ses décisions, que ce soit la prolongation de l’activité des centrales nucléaires, la réforme des prestations Hartz IV ou l’attitude du Mme Merkel dans le conflit qui oppose la municipalité de Stuttgart et ses administrés à propos du projet Stuttgart 21. L’économie va beaucoup mieux, les récentes augmentations de salaires dans la métallurgie en témoignent, mais l’ambiance n’est pas bonne, jetant le doute, après l’échec des élections de Rhénanie du Nord-Westphalie, sur l’issue des six élections régionales programmées pour l’année prochaine, notamment celle, décisive, du Bade-Wurtemberg de mars 2011.


Réforme des allocations sociales Hartz IV

Les conclusions du rapport sur le système d’allocations sociales Hartz IV étaient attendues avec impatience. Rendues publiques par la ministre du Travail, Ursula von der Leyen, le 26 septembre 2010, elles ont soulevé un tollé dans l’opposition, tant elles restaient en deça des attentes du public concerné. Elles préconisent en effet une simple augmentation de 5 € de l’allocation aux chômeurs de longue durée, assortie d’un complément éducatif (Bildungspaket) de 20 € par mois destiné aux enfants des familles pauvres. Si le gouvernement était obligé de se pencher sur Harz IV, d’après le nom de l’ancien DRH de Volkswagen chargé par Gerhard Schröder d’élaborer la réforme sociale en 2005, c’était en réponse aux critiques de la Cour constitutionnelle fédérale, qui avait estimé au début de l’année que le mode de calcul de la prestation pour les enfants manquait de transparence. D’après le verdict de la Cour, la réglementation en vigueur n’était pas compatible avec la loi fondamentale allemande qui garantit « le droit à une existence digne », selon la déclaration de son président de l’époque, Hans-Jürgen Papier. Sans exiger expressément un relèvement des allocations, les juges de Karlsruhe avaient donné jusqu’au 31 décembre 2010 au gouvernement pour mettre fin aux incohérences de la loi Hartz IV.
Les aides versées aux allocataires sont calculées selon un barème très précis, qui a l’ambition de prendre en considération l’ensemble des besoins d’une personne adulte, ce qui donnait une somme globale de 359 € en 2010 par mois, comparée à 345 € en 2005 lors de son entrée en vigueur. Pour les enfants, l’allocation est calculée sur la base de la somme versée pour un adulte. Ainsi, pour un enfant de moins de 6 ans, l’allocation est de 60% (215 €), entre 6 ans et moins de 14 ans de 70% (251 €) et pour ceux entre 14 et 18 de 80% (287 €). Le problème soulevé par la Cour constitutionnelle est que le mode de calcul appliqué par le gouvernement ne se base pas sur l’analyse des besoins des enfants, en particulier leurs besoins spécifiques, tels que le changement plus fréquent des vêtements et des chaussures, les activités scolaires et culturelles ou les produits d’hygiène nécessaires aux bébés.

Le nouveau calcul présenté par le ministère du Travail définit les besoins d’un allocataire, au centime près, de la manière suivante : alimentation : 128,46, loisirs : 39,96, téléphone et Internet : 31,96, vêtements : 30,40, équipement pour le foyer : 27,41, autres biens et services : 26,50, transports : 22,78, produits de santé : 15,55, restauration : 7,16 , culture : 1,16, hausse des prix : 1,19. Total : 364 €. Si la plupart des rubriques correspondent à celles appliquées auparavant, avec la même parcimonie en ce qui concerne les produits culturels, il a été noté que les dépenses allouées aux achats de tabac et d’alcool ont été complètement supprimées. Pour les enfants, les calculs ont été modifiées pour tenir compte des spécificités de leurs besoins, mais le niveau des allocations est resté identique. Le Bildungspaket créé par Mme von der Leyen fera toutefois bénéficier chaque enfant d’un crédit annuel d’environ 250 € pour ses loisirs, l’achat de matériel scolaire, sa cantine et éventuellement un complément de soutien scolaire.
L’allocation Hartz IV concerne environ 6,6 millions de personnes dont 1,7 million d’enfants de moins de 15 ans. En 2008, le gouvernement a dépensé près de 35 milliards d’euros pour ces prestations, total incluant aussi le loyer et le chauffage des bénéficiaires. Même modeste, l’augmentation prévue coûtera environ 300 millions d’euros. Le gouvernement sait que l’opinion publique ne partage pas complètement la position de l’opposition ; certains allocataires sont considérés comme des profiteurs qui ne cherchent pas activement à intégrer le marché de l’emploi. Une famille avec deux enfants vivant de Hartz IV perçoit en effet plus d’argent qu’une autre dont le chef de famille travaille dans le secteur des bas salaires.
La réforme des prestations de Hartz IV n’est toutefois pas définitivement adoptée. Il faut encore qu’elle passe au Bundesrat où le gouvernement n’a plus la majorité depuis son échec aux élections de Rhénanie-du Nord-Westphalie. L’opposition, le SPD et les Verts, ont d’ores et déjà annoncé leur intention de bloquer le processus législatif. Les discussions à venir risquent d’être animées.
Prolongation de l’activité des centrales nucléaires

En septembre 2010, le gouvernement a pris une décision qui le met en porte-à-faux par rapport à l’opinion publique. La coalition CDU/CSU/Libéraux s’est en effet mise d’accord sur l’avenir des 17 centrales nucléaires. Elle a confirmé la prolongation de l’activité des réacteurs de douze ans en moyenne, quatorze ans pour les plus jeunes et huit ans pour les plus anciens. Les quatre grands producteurs d’électricité, E.ON, RXE, EnBW et Vattenfall, saluent cette décision, bien qu’ils soient taxés de 2,3 milliards d’euros par an. Sur cette somme, ils verseront 300 millions par an jusqu’en 2013, puis 200 millions par an dans un fonds destiné à financer des investissements dans la recherche et le développement des énergies renouvelables. Le reste ira dans les caisses de l’Etat. L’industrie nucléaire, qui devra aussi investir de 300 à 500 millions d’euros par réacteur pour les adapter à cette prolongation, saura faire face à ces dépenses, car, les réacteurs étant largement amortis, cette activité supplémentaire leur permettra d’engranger au moins 50 milliards d’euros.
Pour le gouvernement, le nucléaire est considéré comme une « technologie de transition » en attendant l’essor des énergies renouvelables, très coûteuses à mettre en place. Sans l’allongement de la durée de fonctionnement des centrales, il aurait été impossible, affirme le gouvernement, que l’Allemagne remplisse ses engagements en matière de réduction des émissions de CO2 D’après la stratégie énergétique à l’horizon 2050 présentée par le gouvernement le 28 septembre, il s’agit de porter la part des énergies renouvelables à 60% du total de l’énergie consommée en Allemagne en 2050 et de réduire les émissions de CO2 de 80%. Pour ce faire, le gouvernement privilégie l’éolien, à l’image du projet de 75 milliards d’euros prévu en Mer du Nord et dans la Baltique. L’accent mis sur l’éolien est assez surprenant, Mme Merkel, qui fut ministre de l’Environnement au milieu des années 1990, ayant soutenu dans un livre d’entretien (A ma façon, Editions L’Archipel), que l’éolien était « son cauchemar » en raison de « l’énormité des subventions ».
Si la volte-face de la Chancelière concernant l’éolien ne passe pas bien auprès de l’opinion publique, qui n’est pas opposée aux moulins à vents, mais, si possible, pas sur son horizon, la décision de prolonger l’activité des réacteurs nucléaires est accueillie par une franche hostilité, non seulement par l’opposition, mais par la population dans son ensemble. En 2002, le gouvernement SPD/Verts précédent avait effectivement instauré une loi sur la sortie du nucléaire à l’horizon 2022, une décision saluée par l’opinion publique. Le nucléaire n’émet certes pas de CO2, mais il produit des déchets radioactifs, dont le stockage est un problème actuellement non résolu. C’est notamment cet aspect de dangerosité qui motive le refus des Allemands, même s’ils s’inquiètent aussi de la vulnérabilité des réacteurs face au terrorisme (aérien, p. ex.). C’est aussi un des arguments principaux avancés par l’opposition et les associations écologistes qui estiment que le gouvernement sacrifie la sécurité des citoyens au profit de l’industrie nucléaire. Ils soulignent par ailleurs que la stratégie énergétique pour 2050 reste en deça des attentes en ce qui concerne l’immobilier et l’automobile. Le gouvernement avait initialement envisagé de faire en sorte que tous les immeubles soient « écologiquement neutres » en 2050. Craignant que cette obligation ne conduise à de fortes augmentations de loyer, il souhaite désormais se limiter à des incitations financières pour parvenir à rendre plus économe ce secteur « énergivore ». Le secteur automobile, un des fleurons de l’industrie allemande, échappe également à de nouvelles contraintes. Si ces aspects de la stratégie énergétique du gouvernement passent bien dans l’opinion publique, le maintien du nucléaire est une politique risquée, tant l’opposition dans le pays est grande.


Stuttgart 21

Stuttgart 21, une appellation encore totalement inconnue du grand public avant l’été, divise l’opinion et met le gouvernement en difficulté. C’est le nom donné à un projet d’investissement d’environ 5 milliards d’euros portant sur la démolition de la gare de la ville de Stuttgart et son remplacement par une nouvelle gare passante, souterraine, située sur une grande ligne ferroviaire européenne qui relie Paris à Bratislava. Ce projet gigantesque, sur lequel la municipalité de Stuttgart travaille depuis des années, prévoit la construction de 55 ponts et de 63 km de tunnels. Il est passé par toutes les instances administratives, approuvé tant par les sociaux-démocrates que par les chrétiens-démocrates au pouvoir au Bade-Wurtemberg.
Mais à l’approche de la démolition d’une aile de la gare, qui a débuté fin août, une opposition englobant toutes les strates de la population s’est formée pour réclamer l’arrêt de l’opération. Les opposants semblent avoir pris conscience du fait que le projet implique la destruction d’un parc qui comporte des arbres centenaires. De plus, ils considèrent maintenant que l’opération est trop chère, inutile et anti-écologique. La mobilisation s’est radicalisée, conduisant à des manifestations quasi-quotidiennes dont certaines ont dérapé. Ainsi, dans la nuit du jeudi 30 septembre au 1er octobre, quand les engins de chantier se sont mis en action pour abattre les arbres comme prévu, des centaines de policiers en tenue de combat ont fait face à des manifestants déterminés qui ne se sont pas laissés intimider par les coups de canons à eau et de sprays de poivre. L’intervention musclée de la police qui a fait des centaines de blessés parmi les manifestants, dont un certain nombre de personnes âgées, a choqué l’opinion publique sans ébranler la détermination des opposants au projet.
Du coup, l’opération Stuttgart 21 a quitté sa dimension locale pour se muer en conflit politique national. Le SPD, qui avait initialement soutenu la nouvelle gare, a pris ses distances devant l’opposition grandissante au projet. Il réclame désormais un referendum. Les chrétiens-démocrates, loin de calmer le jeu, ont fait savoir, par la voix de Mme Merkel devant le Bundestag, qu’ils soutenaient l’opération sans réserves. D’après eux, les élections régionales au Bade-Wurtemberg en mars prochain se joueront sur ce projet. Pour débloquer la situation, un médiateur a été nommé le 7 octobre en la personne de Heiner Geissler, un membre du parti chrétien-démocrate, connu pour ses positions modérés. Mais la situation reste confuse. Les opposants au projet ayant exigé la suspension des travaux pendant les négociations avec le gouvernement du Land et la Deutsche Bahn, les chemins de fer allemands, M. Geissler a annoncé que les travaux seraient provisoirement arrêtés, le temps de nouer le dialogue avec les manifestants. Il a toutefois été contredit immédiatement par M. Mappus, le ministre-président du Bade-Wurtemberg, et M. Grube, le PDG de la Deutsche Bahn, qui ont nié avoir donné leur accord à un arrêt total des travaux. La suspension ne serait que partielle, l’abattage des arbres et la démolition de l’aile sud de l’ancienne gare continueraient comme prévu.
M. Geissler se donne jusqu’à Noël pour débloquer la situation. Car si les dissensions autour de Stuttgart 21 se poursuivent, elles risquent d’obérer les élections régionales au printemps prochain pour les chrétiens-démocrates au pouvoir. En baisse dans les sondages, ils pourraient perdre les élections pour la première fois depuis cinquante ans.

La fin de la rigueur salariale ?


Lorsqu’on évoque en France la rapide sortie de crise de l’économie allemande, à contre-courant de celle de la plupart des pays européens, les spécialistes français manquent rarement d’évoquer, à côté de ses forces en matière d’exportations, la grande modération salariale dont les Allemands ont fait preuve pendant la dernière décennie. De 2000 à 2008, le coût unitaire de la main-d’œuvre n’y a augmenté que de 2,7% contre 16,5% en moyenne dans la zone euro et 17,6% en France. Début septembre 2010, le puissant syndicat de la métallurgie, IG Metall, dont les revendications salariales donnent habituellement le ton à l’ensemble des branches professionnelles, a fait savoir que la rigueur salariale n’était plus de mise. Pour ce qu’il qualifie de « premières négociations d’après-crise », il réclame 6% d’augmentations sur douze mois. Le patron d’IG Metall, Michael Sommer, estime que les salariés ont accepté le chômage partiel et le recul sensible des revenus concomitant, mais avec des prévisions de croissance de 3% pour cette année, il considère qu’ils ont droit à leur part du gâteau. L’augmentation des salaires n’était pas le seul objectif des négociations. Le syndicat voulait également aborder deux autres sujets sensibles, à savoir l’amélioration des conditions de travail pour les salariés âgés et l’alignement des rémunérations des intérimaires et des salariés en contrat à durée déterminée sur celles des salariés permanents de l’entreprise.
Si le gouvernement estime que la reprise doit également profiter aux salariés, le patronat est plus dubitatif. Le président de Gesamtmetall, le patronat de la métallurgie, Martin Kannegiesser, estime pour sa part que la reprise est encore fragile après une crise aussi brutale et profonde. L’économie américaine, notamment, se remet à peine de la crise ; les exportations allemandes vers les marchés émergents ne parviennent pas à compenser complètement le recul sur les marchés occidentaux. De plus, les patrons allemands sont persuadés qu’il est préférable pour la croissance en Europe de créer des emplois plutôt que d’augmenter les salaires. Pour toutes ces raisons, Gesamtmetall a proposé une augmentation des salaires de 2,7% à partir de début 2011. La revendication sur l’égalité des salaires des intérimaires a également buté sur l’opposition du patronat. Alors qu’en France, les intérimaires sont non seulement payés au même tarif que les salariés maison, mais reçoivent en sus une prime de précarité à la fin de leur mission, en Allemagne, ils sont payés en moyenne 25% de moins que les salariés permanents, parce qu’ils ne dépendent pas de la même convention collective que les salariés de l’entreprise cliente. Ils relèvent d’une convention signée avec les associations des entreprises de travail temporaire, beaucoup moins favorable aux salariés concernés.
La rémunération des intérimaires est un sujet sensible eu égard au calendrier européen. Dès le 1er mai 2011, la libre circulation des travailleurs dans toute l’Union européenne pourrait entraîner un afflux de Polonais et de Tchèques – dont l’emploi dans certains pays membres occidentaux est freiné jusqu’à cette date – qui accepteraient de travailler dans l’intérim pour des salaires dérisoires, déstabilisant ainsi l’ensemble du marché du travail temporaire. C’est pourquoi le gouvernement, hostile à l’introduction d’un salaire minimum interprofessionnel garanti, est plutôt favorable à la fixation d’un salaire minimum dans l’intérim.
Fin septembre, sans pression excessive de la part des syndicats, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord considéré comme satisfaisant par les deux parties :

* Une augmentation salariale de 3,6% à partir du 1er octobre 2010 et valable jusqu’au 1er novembre 2011. De plus, les salarié(e)s recevront un versement forfaitaire de 150 € en septembre 2010. Les apprentis verront leur salaire augmenter également, de 40 € dès l’acceptation de la convention.
* Les personnes embauchées sous contrat à durée déterminée, ainsi que les intérimaires, recevront à partir du 1er janvier 2011 et pendant une période de deux ans la même rémunération que le personnel permanent, et ce dans toutes les entreprises sidérurgiques. Au cas où l’agence de recrutement de personnel temporaire ne verserait pas la rémunération prévue par l’accord d’égalisation salariale, l’entreprise sidérurgique serait tenue responsable envers le salarié.

Le 7 octobre 2010, ce résultat des négociations pour le secteur métallurgique de l’Allemagne du Nord-Ouest (Rhénanie du Nord-Westphalie, Basse-Saxe et Brême) a été accepté à l’unanimité par la Commission IG-Metall en charge des questions tarifaires. L’amélioration des rémunérations pour les intérimaires a été particulièrement bien perçue. Il s’agit en effet de la première convention qui établit l’égalité de traitement entre personnel permanent et travailleurs temporaires.
Le résultat des négociations dans le secteur de la métallurgie est considéré comme significatif de l’évolution globale des salaires en Allemagne. Peut-on d’ores et déjà estimer que la modération salariale a vécu ? Il est trop tôt pour le dire, mais ce serait une bonne nouvelle pour les salariés qui ont vu leur part dans la richesse produite décliner depuis des années au profit de la rémunération du capital. L’autre bonne nouvelle est la revalorisation du statut financier des intérimaires qui bénificient enfin de la règle : gleicher Lohn für gleiche Arbeit, comme en France. Plus problématique, hélas, est la hausse de l’euro vis-à-vis du dollar et du yuan, qui peut compromettre la reprise.

Brigitte.Lestrade@u-cergy.fr