Aristote dit au début du De interpretatione que les mots symbolisent des pensées, qui, à leur tour, ressemblent aux choses. Le présent article soutient qu'Aristote parle alors principalement de la signification des phrases entières et au mieux de façon secondaire de la sémantique des mots individuels. Cette proposition est défendue en attirant l’attention sur un changement dans la signification de « signe » et des termes apparentés ; changement qui a lieu au cours du premier chapitre, qui nous permet de séparer la manière dont les mots « signi­fient » des pensées (déclaratives, interrogatives, etc.) en les exprimant, de la manière plus étroitement sémantique dont on dit par consé­quent qu'ils signifient des choses. La déclaration initiale célèbre d’Aristote ne trouve pas son application principale dans la grammaire rudimentaire des noms et des verbes qui suit dans les chapitres 2-3, mais plus loin dans le traité et surtout dans le chapitre 14, où elle est invoquée pour établir, dans la perspective de la dialectique, que la relation entre une phrase et sa négation est la plus forte de toutes les contrariétés. On explique aussi l’insistance d’Aristote, dans ce même traité, sur le caractère conventionnel de la langue : car, dans des cha­pitres 8 et 11, c’est à cause du caractère conventionnel de la langue et de l’échec qui en résulte de toute tentative pour le langage de correspondre systématiquement à la distinction des choses entre elles, que ce qui est, d’un point de vue grammatical superficiel, une phrase simple peut s'avérer constituer en réalité deux ou plusieurs phrases, autrement dit, signifier (c’est-à-dire exprimer) deux ou plusieurs pen­sées différentes. L’importance primordiale accordée par Aristote à la signification des phrases entières s’explique ainsi par le rôle du De interpretatione en tant qu’ouvrage subordonné à la dialectique, disci­pline pour laquelle la relation entre les paires d’affirmations contra­dictoires est fondamentale. En outre, en le comparant avec le lekton stoïcien, on montre que la prépondérance accordée par Aristote à la phrase entière reflète le cadre téléologique de sa pensée.