München, Die große Zeit um 1900,
Kunst Leben und Kultur 1890-1920,
Dtv, N° 34540, Munich, 2009,
375 p.

Belle réussite éditoriale que cette histoire, par l'image (464reproductions) et par le texte. Elle établit, à juste titre, la capitale bavaroise comme troisième pôle de l’Allemagne des arts et lettres, au même rang que Berlin et Vienne. L’éditeur DTV avait déjà publié un fort volume sur le Berlin des années vingt (AA en avait rendu compte en 2006). Les textes sont de Rainer Metzger, le choix des images est de Christian Brandstätter.

Le miracle de la photo (alors en plein essor) nous fait remonter le temps, celui des quartiers célèbres, comme Schwabing, avec l’Odeonsplatz, ou bien le café Stefanie (nommé aussi Größenwahn). La ville que l’on apprécie encore aujourd’hui est assez moderne : Marienplatz, Nationaltheater, Hofbräuhaus semblent juste sortis de terre pour l’exposition universelle de 1908. Les grands artistes qui font la renommée de Munich en ce temps-là sont convoqués pour des photos un peu posées : les frères Mann, Wedekind, Stefan George, Karl Valentin, un grand cercle englobant le hiératique et le grotesque.

Les reproductions de tableaux (qui font courir de nos jours au Lenbachhaus) sont parfaites : Franz Marc et ses animaux fabuleux, Auguste Macke, Gabriele Münter, Jawlensky. On découvre, si on l’ignorait, que Le Cavalier bleu est de Kandinsky (1912, p. 281). Ce beau livre nous abandonne dans les remous politiques suscités par la guerre et la défaite. Hitler est au rendez-vous, perdu dans la foule. Les dirigeants de l’éphémère république des conseils sont présentés dans le dernier chapitre : Eisner, Mühsam, Landauer, Toller. Une centaine de courtes biographies réunit toute la distribution, de Karl Arnold (de l’impayable revue Simplicissimus) à Karl Wolfskehl, le poète « cosmique ».

Egon Friedell, Kulturgeschichte der
Neuzeit, Zurich, Diogenes,
collection detebe N° 23880, 2009, 1786 p.

Le grand éditeur suisse a eu la bonne idée de republier le livre-culte d’Egon Friedell, paru à la fin des années vingt, en trois volumes (1929-1931). Il fut adulé par toute une génération d’intellectuels, mais aussi présent dans un large public à Vienne. Friedell se suicida en mars 1938, pour ne pas vivre l’Anschluss. Il n’était pas nationaliste à tout crin, et le sous-titre de sa somme est « La crise de l’âme européenne de la Peste noire à la Guerre mondiale ». Son concept de Kulturgeschichte évoque le traitement synthétique des histoires : politique, militaire, littéraire, artistique, scientifique – toutes sont contemporaines. Les titres de ses grands chapitres font référence à des phénomènes européens transcendant les frontières nationales (apparition tardive de cette expression) : Renaissance und Reformation, Aufklärung und Revolution, Romantik und Liberalismus, Imperialismus und Impressionismus, etc. Le style de Friedell est celui d’un bon vulgarisateur, et l’on peut s’approcher rapidement d’un sujet grâce aux inter chapitres notés dans la marge, faire son miel au gré des préoccupations : des noms, des événements, des livres, des œuvres – en consultant le sommaire (plus de dix pages). A posséder comme une encyclopédie, sans être intimidé par la diversité – l’arbre ne cachant jamais la forêt. La postface d’Ulrich Weinzierl ramène cependant l’opus magnum aux limites de son temps.

Histoire (s) de la dernière guerre
(1939-1945 au jour le jour). Caraktère, 3120, route d’Avignon, 13090, Aix-en-Provence, 2009.

Voici une nouvelle revue dont la publication s’étendra sur plusieurs années, et qui constituera, à terme, une encyclopédie de référence sur un phénomène européen concernant encore notre présent. Conception originale : ses articles étudient la guerre du point de vue de tous les belligérants, dans leur rapport à l’Allemagne, mais pas seulement sous le seul aspect militaire. Ses collaborateurs sont tous des historiens universitaires : François Delpla (auteur de la seule biographie complète d’Adolf Hitler en langue française (Grasset, 1999), François Kersaudy (Paris I – Sorbonne), etc. Cette optique comparatiste prend en compte tous les côtés de la politique intérieure des pays en guerre pendant l’occupation et les avancées/reculs de la Wehrmacht. Le sérieux et la pertinence des contributions voisinent avec une iconographie (souvent inédite) et des repères sur les acteurs des couples bourreaux/victimes et potentats/résistants. La revue est bimestrielle, compte environ 100 p. par numéro. Le départ est donné en septembre 1939, et l’actualité est suivie avec précision. Ainsi, le n° 1 traite de la « drôle de guerre », du pacte germano-soviétique, de la campagne de Pologne et des premiers crimes de guerre. Le n° 2 évoque Mussolini, les prémices de l’univers concentrationnaire, la stratégie d’expansion soviétique.

On ne saurait trop recommander l’abonnement à cette publication, aux particuliers comme aux bibliothèques. On trouvera difficilement un équivalent, malgré la profusion d’ouvrages dédiés à cette « guerre totale ». Le prix d’achat (6,90 euros) est un atout de plus pour attirer un vaste lectorat.

Hans Magnus Enzensberger,
Hammerstein oder der Eingensinn,
Francfort, Suhrkamp, collection st N° 4095, 2009, 378 p.

Enzensberger (né en 1929) a toujours été au rendez-vous de l’histoire et de la littérature. Il nous livre, sous une forme déliée (anecdotes, interviews posthumes, rapports secrets, lettres cachées) le fruit de ses recherches sur la personnalité et l’entourage du général Kurt von Hammerstein. Destin typique de la noblesse prussienne, qui a fourni à l’armée allemande tant d’officiers de haut rang. Hammerstein était parvenu en 1932-33, au commandement suprême de la Reichswehr. Il partagea les illusions de ses semblables sur Hitler, qu’ils voulaient « dompter ». Il démissionna de son poste en 1934 (assassinat de son ami proche von Schleicher), et resta en contact avec Ruth von Mayenburg, engagée dans le KPD, informatrice du régime soviétique, grâce à ses relations « mondaines ». Deux de ses filles, Maria Theresia et Helga furent aussi engagées dans des missions de renseignement par et pour le KPD. Un livre d’aventures passionnant, avec trahisons et retournements.

Revue Text+Kritik, N° 183,
Irmgard Keun (1905-1982),
Munich, 2009, 109 p.

On a sans doute un peu oublié qu’Irmgard Keun, née à Berlin, fut une romancière célèbre en son temps, à la manière de Marieluise Fleisser comme dramaturge. Leurs vies se ressemblent. En 1932, elle connaît le succès avec Das kunstseidene Mädchen (traduit et publié dans la revue de gauche Marianne sous le titre La jeune fille en soie artificielle). Le régime nazi interdit et détruit ses œuvres. Elle prend la route de l’exil en 1936, par Ostende, et se fait éditer par les maisons des exilés, en Hollande, Albert De Lange, puis Querido. Elle partage un moment de la vie de Joseph Roth. Retour en Allemagne après la guerre, elle y retrouve Döblin et Kesten, et publie des récits réalistes et satiriques. Son roman Nach Mitternacht, de 1937, est alors adapté pour la scène et le cinéma. Elle est peu connue en France, mais a fait l’objet de nombre d’études en Allemagne, comme représentante typique de la nouvelle ironique dans le style « neusachlich » (nouvelle objectivité). Les dix études de ce numéro sont une invitation à la découverte.

Treibhaus, Jahrbuch für die
Literatur der fünfziger Jahre, n° 5 :
Das Jahr 1959 in der
deutschsprachigen Literatur,
Munich, 2009, 488 p.

Il s’agit d’une nouvelle série de la maison Text+Kritik, qui publie le plus souvent des monographies (cf. supra). Le thème est le visage d’une décennie littéraire : les années cinquante, années fondatrices, vues par une trentaine de contributeurs. Le titre de la série est inspiré de W. Koeppen. Premier groupement : les quatre auteurs sortis du rang – Böll, Celan, Johnson, Grass. Le second est plus synthétique, avec ces topoi de l’époque, Vergangenheitsbewältigung et Aufbruch, qui serviront jusqu’à nos jours. Les auteurs étudiés sont choisis en fonction de leur succès éditorial, et surtout des traces laissées. Palmarès incomplet : Ernst Bloch, Günter Eich, Nelly Sachs, Ingeborg Bachmann, Peter Härtling, Carl Zuckmayer, etc. La spécificité de l’Autriche, et l’intégration du film dans la vie culturelle (Die Brücke, de Bernard Wicki) sont des éléments d’une vision globale. Un numéro qui pourra figurer dignement à côté d’histoires de la littérature estampillées comme telles.

Volker Braun, Werktage 1, 1977-1989, Arbeitsbuch, Francfort,
Suhrkamp, 2009, 994 p.

On savait que Volker Braun (né en 1939) tenait un « journal de travail » analogue à celui de Brecht, mais en moins autobiographique. Les notations sont plus nombreuses, souvent au jour le jour. Au fil des rencontres, des conversations, des projets, des mises en scène, V. Braun a connu artistes et écrivains de toutes les générations. On peut le qualifier de réformateur au sein de la RDA, jusqu’à ce que sa disparition rende caduque une telle attitude. La dernière notation est du 31.1. 1989, pour indiquer la césure dans la biographie collective de ce qu’il appelle « un vieil avenir ». V. Braun a sans doute poursuivi son journal après ce passage, mais ce livre abondant est désormais donné comme outil de référence aux historiens.

Carl Sternheim, Scènes de la vie
héroïque des bourgeois. La Culotte,
La cassette, Schippel le Bourgeois,
traduction de C. Gicquel-Bourlet,
Paris, L’Harmattan, 2009, 290 p.

Il n’existait pas de traduction complète de la trilogie de Sternheim (1878-1942). Ce qui explique que les mises en scène de son théâtre soient restées sporadiques. La situation changera peut-être en France grâce à cette traduction adaptée à la scène. On dit que le drame allemand n’a que peu d’auteurs dans le registre comique. Sternheim est pourtant un de ceux qui ont créé des situations et des personnages comiques devenus des piliers du répertoire. Dans La Culotte, le mari Masque ridiculise ses deux sous-locataires, Scarron et Mandelstam, attirés par leurs fantasmes sur la culotte de sa femme Louise, malencontreusement perdue au passage d’un défilé militaire. Les deux soupirants sont incapables d’aller au bout de leurs désirs. Par contre, le musicien d’auberge Schippel parvient à s’insinuer dans la famille bourgeoise de M. Hoquetant grâce à sa voix de ténor. Il est recruté pour combler un vide dans un quatuor, et réussit à évincer ses rivaux, impuissants révélés, en épousant Thekla, jeune sœur du digne bourgeois, qui en pinçait pourtant pour le Prince local. Cette société wilhelminienne en prend aussi pour son grade dans La Cassette, inédite en français. Le prof de Lycée Roule, que le démon de midi a conduit à épouser sa jeune belle-sœur, se fait bien sûr cocufier par un photographe se voulant artiste. Il ne trouve même pas de consolation en couchant, au sens propre, avec la cassette de tante Elsbeth, dont le contenu (des actions de l’Etat de Bavière) est légué… à l’Eglise.

Ces fables ne disent pas que le principal intérêt du théâtre de Sternheim réside dans son langage : aux antipodes de la profusion naturaliste et du pathos expressionniste, c’est une langue sèche, elliptique, avec parfois du « jargon de la culture », qui fait sont effet comique dans la bonne traduction de C. Gicquel-Bourlet. Il faut les lire (et surtout les jouer) sous cet aspect, comme celles d’un précurseur de Horváth.