Le tome 3 de l'ouvrage de J-P. Cahn et U. Pfeil est paru fin 2009 et traite de la dernière période où coexistent les deux Etats sans pour autant considérer cette dernière période 1974-1990 comme la "préhistoire de l'unification allemande". Il est consacré à "la modification plus large de la configuration internationale qui entraîna la disparition de l'un des deux blocs dont les rivalités avaient rythmé la Guerre froide". Au début de cette période, en 1975, la signature des accords d'Helsinki marqua une première évolution des rapports entre les deux Allemagne et leur présence sur la scène internationale (H. Wentker). Certes, des stratégies antagonistes persistaient, en particulier en faveur du tiers-monde, même si Berlin-Est dut y réduire ses ambitions politiques à cause de sa faillite économique (J. Thorel). En revanche, des deux côtés du Mur, des formes d’action se développèrent dans les années 1980 pour promouvoir le mouvement de la Paix (H. Miard-Delacroix).

Sur le plan économique, il n’est pas étonnant que les deux Etats allemands aient trouvé des solutions différentes pour sortir de la crise après le premier choc pétrolier de 1974, la RDA s'engluant peu à peu dans un manque de compétitivité qui ne devait se révéler qu'après son effondrement. A sa rigidité croissante correspondait en RFA un infléchissement progressif de l'économie de marché et une consolidation de sa place dans l'économie mondiale (J-F. Eck). L'économie de pénurie de la RDA, son incapacité à ouvrir un espace à une logique de la consommation eurent pour conséquence une accumulation de frustrations chez les citoyens de la RDA qui désirèrent faire voler en éclat le système de planification (P. G. Poutrus). Si l'on put constater des changements de mentalité parallèles dans les deux Etats allemands au cours des années 1970-1990, ils s'effectuèrent en RDA dans une contradiction entre les intérêts individuels et ceux prônés par les dirigeants (J. Neuheiser, A. Rödder).

La rivalité entre les deux blocs amena la RDA, jusque dans les années 1980, à accorder un certain soutien aux membres de la RAF (T. Wundschik). La télévision était devenue "l'arme et le miroir du conflit interallemand " (C. Defrance). Si – après l'affaire Biermann en 1976 – la Stasi renforça son emprise sur les studios, le Nouveau cinéma allemand tendit à l'Ouest à privilégier la confrontation avec le passé nazi et, des deux côtés, une poignée de femmes essaya de passer derrière la caméra (C. Buffet). Peut-on pour cette même période conclure à un rapprochement des champs littéraires de la RDA et de la RFA (C. Hähnel-Ménard) ? Des deux côtés, l'écrivain Stefan Heym fut accusé de ne pas être capable d'interpréter de manière cohérente l'effondrement de la RDA (S. Leverd). Entre mai et décembre 1989, à la suite d'une crise générale, la RDA cessa d'exister en tant qu'Etat des ouvriers et des paysans sous la direction du SED (J. Vaillant). L'étude du rôle des partis gouvernementaux en RFA depuis 1982 permet de mieux comprendre dans quel contexte Kohl put prendre des décisions importantes (R. Marcowitz). Leurs échos et la réception critique de l'unification au sein du SPS sont au cœur de la contribution de J-P. Cahn, tandis qu'U. Pfeil étudie l'unification vue dans un contexte international et F. Bozo l'attitude de la France. Vingt ans après l'unification allemande (A. Schmidt), l'histoire de la République fédérale et les débats auxquels elle a donné lieu doivent être appréhendés différemment : succès, échec, modernisation, occidentalisation, histoire lourde à porter sont à revoir en fonction du diagnostic du présent et des débats publics actuels.

Le danger pourrait être de ne considérer cette histoire que dans la mesure où elle peut servir à expliquer l'effondrement de la RDA. Mais dans leurs trois copieuses introductions à ces trois volumes, J-P. Cahn et U. Pfeil mettent en garde contre une telle dérive. Leur objectif est également de ne pas réduire la RDA "à l'opposition en négatif à la réussite ouest-allemande", mais plutôt de fonctionner de manière intégrative. Les contributions réussissent en général à ne pas considérer d'une part la RDA et d'autre part la RFA, mais à présenter de manière thématique les interactions entre les deux Etats. Il faut saluer cette démarche comparatiste.

- Anne-Marie CORBIN -

Marc Cluet (sous la dir. de),
Villégiatures à l'allemande. Les origines germaniques du tourisme
vert 1850-1950, Rennes (Presses
universitaires de Rennes)
2009, 388 p.

La collection « Etudes germaniques» des Presses Universitaires de Rennes (PUR) s'est fait une spécialité d'ouvrages d'histoire culturelle de l'Allemagne, abordant des sujets originaux tels que l'amour des animaux dans le monde germanique (2006) ou la fascination de l'Inde en Allemagne (2004). En 2009, cette dernière publication, également dirigée par Marc Cluet, apporte un éclairage qui renouvelle l'approche d'un fait culturel germanique connu, mais rarement présenté de façon synthétique et théorique : les séjours en villégiature, devenus au cours du XIXème siècle un rite social pour la bourgeoisie allemande, et leur importance pour l’histoire culturelle, et en particulier littéraire. C'est chose faite grâce à cet épais ouvrage qui donne la parole à des germanistes français (surtout) et à des chercheurs allemands issus de disciplines aussi variées que la géographie, la sociologie, l'histoire, l'analyse littéraire, la civilisation. Tous ont le souci d'apporter des lumières sur ce phénomène qui va de pair avec l'industrialisation des grandes nations au cours du XIXème siècle, et de l'Allemagne en particulier. Rappelons ici que l’exode rural a été plus important et plus rapide en Allemagne qu'en France pour la période étudiée. Rien d'étonnant donc à ce que le désir d'échapper à la moiteur des grandes villes et, pour certains, aux effets pervers de la civilisation industrielle, se soit traduit par un engouement pour la « Sommerfrische », terme germanique qui correspond en français à « villégiature», lui-même emprunté à l'italien. La popularité grandissante de la villégiature accompagne l'ascension de la bourgeoise cultivée qui rivalise sur ce terrain avec la bourgeoisie d'affaire (les classes laborieuses se contenteront, quant à elles, du « Schrebergarten »).

Dans un avant-propos qui fait également office de synthèse sur le sujet, Marc Cluet replace le renouveau du terme de « Sommerfrische » dans le contexte de nos sociétés contemporaines où s'est développé le tourisme de masse. Il retrace les grandes lignes du concept en insistant sur sa spécificité germanique consistant, selon lui, en l'importance accordée à la dimension sanitaire de l'entreprise (au moment où se développent tous les mouvements de « réforme de l'existence» tels le kneippisme). La villégiature à l'allemande reflète et assouplit à la fois les relations sociales de l'Allemagne de la fin du XIXème et du début du XXème siècle.Cependant, elle remplit également une fonction utopique certaine : d'une part, elle permet «d'échapper aux relations d'argent », d'autre part, elle met en scène « une économie supposée vivrière, autarcique ». Le travail d'introduction se termine par une présentation précise mais allusive de toutes les contributions au volume, ainsi clairement rattachées au sujet abordé. Elles sont regroupées en quatre parties.

La première partie, « 'Sommerfrische': une forme particulière de tourisme, ses prolongements, ses à-côtés» donne le cadre historique du sujet, elle évoque les débuts des séjours « au frais », « à la campagne », et « à la mer » qui concurrencent ou prennent le relais, pour diverses couches de la bourgeoisie, des séjours aux eaux des aristocrates. Les auteurs témoignent de la diversité d'expression de cet étouffement en ville, du désir d'échapper au carcan urbain en séjournant soit au bord de la mer, soit à la montagne. Ces transhumances estivales qui précèdent le tourisme de masse sont réservées à une élite - ou supposée telle - et les déclinaisons de la Sommerfrische induisent des nuances sociales subtiles qui marquent l'appartenance à ou l'exclusion de tel ou tel groupe social ; les lieux de villégiature reproduisent les structures sociales et les assouplissent parfois dans un cadre plus libre que celui de la vie quotidienne. Ce tour d'horizon est complété par l'analyse linguistique du terme et de son histoire. La deuxième partie aborde une problématique qui traverse 1'histoire des sociétés germaniques par le biais de la confrontation et de la ségrégation sociales dans les lieux de villégiature : « Juifs et « Sommerfrische ». La place attribuée aux juifs est vue par les yeux des intéressés eux-mêmes - c'est le cas d'une étude originale sur Kafka et le jardinage - ou bien les auteurs des contributions analysent le regard porté par d'autres écrivains sur les Juifs en villégiature. L'étude d'écrits personnels de Fontane dévoile l'antisémitisme peu étudié de cet écrivain.

La troisième partie, plus classique par son angle d'attaque, propose des analyses fouillées de l'image de la Sommerfrische chez différents auteurs de la période traitée: Stifter, Altenberg, Bertha von Suttner, Tucholsky, Storm. Marc CIuet fait une incursion dans le domaine anglophone en analysant In a German Pension de Katherine Mansfield. Toutes les contributions mettent en lumière l'ambivalence des multiples facettes de ce lieu autre que constitue la villégiature, entre idylle, utopie et fatalité. Enfin, la dernière partie rassemble des études sur « L'anti-Sommerfrische ». La contribution consacrée à Werfel souligne à quel point la Sommerfrische n'est pas émancipatrice dans Die Hoteltreppe. Les auteurs plus contemporains abordés (Franz Innerhofer, Robert Gernhardt) tournent en ridicule l'idylle parfois kitsch de la villégiature, que ce soit en Autriche ou en Toscane, avant de lui tourner délibérément le dos. Le volume s'achève par un essai de Jean-Louis Bandet, « Sommerfrische und Winterkalte, L'idylle impossible », qui insiste une dernière fois sur la permanence de ce thème dans la littérature et la culture germaniques. De par la perspective originale qu'il adopte, cet ouvrage apporte une contribution importante à l'histoire de la bourgeoisie cultivée en Allemagne, de ses pratiques et de ses usages.

- Anne-Marie PAILHÈS -

K.Hausbei, A. Lattard (éds.),
Identité(s) multiple(s), Paris,
Presses Sorbonne Nouvelle, 2008,
272 p.

A l’occasion du départ à la retraite de Gerald Stieg, professeur de littérature et civilisation allemandes et autrichiennes à l’Université de la Sorbonne-Nouvelle- Paris III, ses collègues de l’UFR d’allemand lui ont offert un recueil de mélanges qui décline, sous des aspects variés, le thème de l’identité. Identité individuelle ou collective, identités entre affirmation et procédés de défense, oppositions identitaires, autant de problématiques qui croisent les préoccupations intellectuelles et scientifiques de Gerald Stieg. Au-delà de cette thématique unificatrice, les différentes contributions vont de l’étude transversale de concepts, comme l’article d’Alain Lattard sur la sacralisation du « Beruf », à l’exploration des sujets les plus divers à différentes périodes qui vont du Moyen-âge à l’ « extrême contemporain », en passant par la « fin de siècle » et le IIIe Reich. Alors qu’Isabelle Vodoz nous livre une étude sur le demi-frère de Parzival dans le roman homonyme de Wolfram von Eschenbach, plusieurs articles sont consacrés au tournant du siècle : Cécile Leblanc s’interroge sur l’interprétation de la figure de l’impératrice Sissi par Maurice Barrès, élevée en icône de la modernité et de l’esthétique décadente, Céline Trautmann-Waller analyse les premiers travaux de recherche de l’historien de l’art autrichien Alois Riegl sur les tapis orientaux, Marc Thuret relit le dernier roman de Fontane, Der Stechlin, comme un roman résolument moderne, tant sur le plan de l’écriture que de son analyse précoce de la « mondialisation », et Gilbert Krebs présente les archives inexplorées et jusque-là inconnues des premières années de la revue Anfang.

Plusieurs articles sont consacrés au national-socialisme. Alors que Valérie Robert propose une étude des prises de position provocatrices de Karl Kraus dans le champ intellectuel de l’exil, Anne Saint-Sauveur analyse les traumatismes de l’exil et du retour de l’exil dans les œuvres autobiographiques de Lenka Reinerova à l’aide du concept de résilience. Henri Ménudier fait une lecture de l’autobiographie de Simone Veil en faisant ressortir sa portée critique sur le travail de mémoire, et Monique Travers écrit l’histoire jusqu’à aujourd’hui peu connue de l’Orchestre des Étudiants de Paris, fondé sous l’Occupation, à partir de fonds d’archives privés.

Pour la période contemporaine, on notera ensuite les articles de Gunhild Sanson sur la constitution d’un dossier de la Stasi et celui d’Elisa Goudin-Steinmann examinant l’exposition Deutschlandbilder de 1997. Catherine Fabre-Renault propose une analyse du populisme autrichien et Dieter Hentschel s’en prend aux stéréotypes franco-allemands sur la gestion du temps des managers. Si la diversité des approches et méthodologies était déjà remarquable pour les périodes précédentes, elle le devient encore davantage, plus on s’approche du présent. Deux linguistes, Anne Larrory et Irmtraud Behr, proposent des analyses d’œuvres littéraires, la première en s’intéressant à la fonction des exclamatives dans le théâtre de Thomas Bernhard, la seconde en analysant la traduction des déictiques dans les romans policiers de Wolf Haas. Avec Haas, on entre en effet dans l’ « extrême contemporain » et plusieurs articles montrent à quel point il est important que la germanistique ne perd pas de vue les évolutions les plus récentes de la société allemande. Ainsi, Kerstin Hausbei rend compte d’une nouvelle politisation du théâtre allemand qui, depuis quelques années, traite des problèmes liés à la mondialisation. Michel Kauffmann s’intéresse aux rapports de la philosophie de Peter Sloterdijk dans la conférence sur le « parc humain » avec la psychanalyse de Freud. Et Gilbert Guillard propose une analyse cinématographique du film Schultze gets the blues de Michael Schorr.

Dans l’ensemble, ce recueil traite d’un vaste éventail de sujets qui sont au cœur de la germanistique actuelle, en faisant preuve d’une interdisciplinarité résolue et d’une variété d’approches remarquable. En cela, il est le reflet de l’activité scientifique de Gerald Stieg qui n’a jamais cessé d’encourager ses étudiants et ses collègues à suivre des pistes nouvelles et inhabituelles.

- Carola HÄHNEL-MESNARD -

Contexts, The Journal of
Educational Media, Memory, and
Society, Berghahn Journals, New
York, Vol. 1, Issue 1, Spring 2009,
226 p.

Ce premier volume de la revue Contexts inaugure un partenariat prometteur entre l’éditeur universitaire américain Berghahn Journals et l’Institut Georg Eckert (GEI), centre international de recherche sur les manuels scolaires fondé à la fin des années 1950 par l’historien brunswickois. Spécialisé dans la recherche appliquée sur les médias éducatifs et possédant l’une des plus grandes bibliothèques de manuels scolaires au monde, cet institut accomplit depuis plusieurs décennies une importante œuvre de diffusion et de formation auprès des auteurs de manuels, des maisons d’édition comme des enseignants. Il se consacre de plus en plus à la réalisation de projets thématiques et d’études comparées, en collaboration avec de nombreuses organisations nationales et internationales, comme l’UNESCO et le Conseil de l’Europe. L’Institut Georg Eckert publie déjà le résultat de ses travaux de recherche et des analyses de manuels scolaires dans sa série « Studien zur internationalen Schulbuchforschung » ainsi que dans sa revue « Internationale Schulbuch-forschung/International Textbook Research ». Avec cette nouvelle publication, l’Institut élargit le spectre de ses activités de recherche comme l’exprime le titre retenu : « Contexts ». Nomen est omen : il s’agit désormais d’explorer systématiquement les différents contextes (social, culturel, institutionnel, politique, économique) qui président à l’élaboration et à la diffusion des manuels et des autres sources de transmission du savoir (multimédia, musée, centre de mémoire, film). Le lecteur appréciera en particulier l’optique comparative internationale. Le premier volume est tout à fait représentatif de la diversité à la fois thématique, méthodologique et internationale de la recherche. La revue, à paraître deux fois par an, en est à son second numéro, numéro spécial consacré à l’Europe : « Myths and Maps of Europe » sorti à l’automne 2009. On notera au passage le changement de titre de la revue, désormais identifiée par le simple acronyme : JEMMS (Journal of Educational Media, Memory, and Society).

- Hélène YÈCHE -