Au début des années 1980, de nombreux sociaux-démocrates ne pouvaient imaginer de participer à une coalition avec le Verts au niveau fédéral. La CDU/CSU, qui cherche aujourd'hui à s’allier aux Verts au sein de coalitions, ne voyait alors en eux que des ennemis de la constitution. Le passé maoïste, trotskiste ou anarchiste de nombre de leurs leaders était mis en avant comme aujourd’hui le passé communiste des représentants de « Die Linke ».
Et de fait les Verts défendaient alors tout comme « Die Linke » aujourd’hui des positions parfaitement inacceptables en politique étrangère, en politique de sécurité et en politique européenne. Aussi bien les débats actuels sur une possible coalition avec « Die Linke » au plan fédéral n’offrent-ils – tout comme en son temps ceux avec les Verts – de perspectives concrètes pour la pratique politique que si « Die Linke » fait preuve de sa capacité à changer son mode de pensée. Pour l’instant « Die Linke » défend encore dans ces domaines une position qui n’est, en vérité, rien d’autre qu’unerefus de réalité. Il n’en allait pas autrement des Verts au début.

Les Verts au début et la politique étrangère

Après l’entrée des Verts au Bundestag, je faisais partie d’un petit groupe de membres du SPD et des Verts, qui cherchait à déterminer les bases d’une future coopération gouvernementale rouge-verte. L’un des thèmes les plus difficiles de nos délibérations étaient la politique étrangère, la politique de sécurité et la politique européenne. De mon point de vue, les Verts, issus des groupes de base pacifiste n’étaient pas en mesure et n’avaient, en partie également, pas la volonté – par peur des déchirements que provoquerait à l’intérieur du parti une remise en cause de leurs positions – de réfléchir de façon rationnelle aux conditions cadre d’une politique étrangère de la RFA.

J’écrivis dans ce contexte, en 1983, un article publié dans la revue Neue Gesellschaft – Frankfurter Hefte où l’on pouvait lire : « [Les Verts] méconnaissent en la matière que la République fédérale, de par son histoire, sa situation, en particulier de par la situation de Berlin, a un très fort intérêt à satisfaire ses besoins de sécurité dans un système international. En raison de son histoire, parce que nos voisins européens ont eu, à plusieurs reprises au cours des cent dernières années, à souffrir des décisions unilatéralement prises au plan national au nom de la politique allemande de sécurité par le militarisme allemand… »

La situation de Berlin a fondamentalement changé, l’Allemagne est réunifiée, le conflit Est-Ouest est surmonté. Mais l’intérêt de tous nos voisins à ce que la politique de l’Allemagne demeure internationalement encadrée demeure. Qui ne tient pas compte de cet intérêt de nos voisins, se transforme pour eux en un problème de sécurité.

Les voisins de l’Allemagne ne veulent pas de cavaliers seuls

Tous nos voisins, y compris ceux qui ne font pas partie de l’Union européenne, ont un intérêt à ce que l'Allemagne ne reste pas seulement membre de l’Union européenne, mais encore qu’elle encourage les compromis entre Etats membres et les accepte également pour elle-même. Le « non » que « Die Linke » a opposé au compromis négocié pour aboutir au traité de Lisbonne est contraire à ce que l’on attend de l’Allemagne. C’est à juste titre perçu comme une renationalisation de la politique allemande, même quand « Die Linke » justifie son rejet avec des arguments internationalistes.

Tous nos voisins, y compris ceux qui ne font pas partie de l’OTAN, sont favorables à l’appartenance de l’Allemagne à cette alliance. La crainte d’une Allemagne neutre dont la sécurité relèverait de son organisation nationale a été en 1990, même pour l’Union soviétique si forte que celle-ci a fini par accepter finalement l’appartenance de l’Allemagne unifiée à l’OTAN. L’idée favorisée en 1990 par quelques-uns au sein du SPD d’un nouveau système de sécurité qui rassemblerait toute l’Europe et serait préférable à l’OTAN est plus que jamais une illusion vu que presque tous les voisins de l’Allemagne appartiennent à l’OTAN et n’envisagent nullement de la quitter.

Même des voisins tels que la Suisse, qui ne font pas partie de l’OTAN, ne seraient pas disposés à confier leur sécurité nationale à un nouveau système collectif de sécurité englobant l’ensemble de l’Europe. Il est certes important de renforcer l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), mais l’idée que celle-ci puisse se transformer en un système collectif de sécurité capable de réagir à des conflits militaires et qui pourrait remplacer l’OTAN est contraire aux intérêts de sécurité de la plupart de nos voisins. Un tel objectif ne peut donc être une vision positive, ce n’est qu’un rêve illusoire et irréaliste, pour nombre de nos voisins, c’est même un cauchemar.

Le temps des actions de l’Allemagne en cavalier seul est passé

L’Allemagne est le pays de l’Union européenne le plus peuplé, il est des Etats-membres celui qui a le plus de voisins immédiats, il exerce une plus grande influence que ses voisins de taille inférieure. Dans un document de travail réalisé en 2009 par un observateur étranger de la « Fondation Science et politique » sur la relation entre grands et petits Etats en Europe, on peut lire : « L’Allemagne est le membre le plus important de l’UE. De plus, il est celui qui est le plus centralement situé au cœur même de l’Europe. Son histoire est l’histoire de l’Europe. Aucun autre Etat n’a à ce point déterminé le destin de l’Europe comme l’Allemagne. En conséquence de quoi, tout ce qui se passe en Allemagne a un effet visible dans toute l’Europe. »

Si l’Allemagne ne veut pas être la cause de crises au sein de l’UE et de l’OTAN, elle peut encore moins que ses voisins plus petits se permettre des expériences nationales en cavalier seul. Cela signifie par exemple que l’Allemagne pourrait, à l’intérieur de l’OTAN, favoriser d’autres stratégies ou même – ce serait à mon sens, dans un avenir proche, une erreur – plaider en faveur d’un retrait d’Afghanistan. Mais une action unilatérale de l’Allemagne en matière de stratégie ou un retrait des troupes allemandes d’Afghanistan qui ne seraient pas coordonnés avec ses partenaires européens de l’OTAN seraient destructeurs.

« Die Linke » n’est pas encore capable d’assumer des responsabilités gouvernementales

Sur ces trois points, « Die Linke » poursuit une politique qui est fondée sur d’autres conceptions et est dans le détail différente. C’est pourquoi « Die Linke » n’est pas encore au plan fédéral, dans les trois domaines que sont la politiquer étrangère et de sécurité ainsi que la politique européenne, un partenaire approprié pour le SPD.

Je ne suis pas par principe opposé à une coalition avec « Die Linke », même au plan fédéral. Mais une telle coalition doit faire que l’on prenne en Allemagne en compte les problèmes internationaux et non pas que l’Allemagne devienne un problème international. C’est pourquoi les sociaux-démocrates qui souhaitent ouvrir la voie à de futures coalitions avec « Die Linke » doivent insister avec force pour que ce parti change sa façon de penser en matière de politique étrangère et de sécurité ainsi que de politique européenne. Il y va dans l’affaire autrement que dans les questions de politique intérieure. La question ne peut être ici seulement de savoir si l’opinion publique soutient un changement radical d’orientation ou si un compromis est possible entre les futurs partenaires d’une coalition gouvernementale, aussi important que soit le compromis dans une démocratie.

Empêcher la renationalisation de la politique étrangère

Pour vérifier si la politique allemande est capable de contribuer à la solution de problèmes ou bien si cette politique est perçue comme le problème, il est essentiel que tout gouvernement fédéral ait le volonté et la capacité de développer sa vision et de préciser ses intérêts dans les processus européens comme internationaux de telle sorte que la vision qu’en ont les autres et que les intérêts des partenaires de l’Allemagne soient suffisamment pris en compte. Toute autre politique conduirait, du point de vue de nos voisins, à rendre à nouveau virulente cette question allemande que vient enfin de régler, après bien des siècles, l’intégration de l’Allemagne unifiée dans l’Union européenne et dans l’OTAN.

A gauche comme à droite, on trouve en Europe des projets politiques qui reviennent, de fait, à renationaliser la politique étrangère, la politique de sécurité et la politique européenne. C’est autant regrettable qu’inquiétant. Mais dans le cas de l’Allemagne, une telle évolution ne serait être qu’une ré-orientation qui compromettrait la qualité des relations que nous entretenons aujourd’hui avec tous nos voisins. C’est pourquoi la perspective d’une coalition au niveau fédéral avec « Die Linke » ne peut être une alternative susceptible d’aboutir que si dans les trois domaines cités de la politique étrangère et de sécurité comme de la politique européenne ce parti engage un processus de clarification de ses positions et ré-oriente ensuite ses positions.

* Karsten D. VOIGT : Après avoir été porte parole du groupe parlementaire social-démocrate au Bundestag pour les Affaires étrangères, K. D. Voigt a été de 1999 à 2009, au sein du ministère fédéral des Affaires étrangères Coordinateur pour la coopération germano-américaine.