La rencontre d'articles sollicités et de nouvelles contributions fort heureusement proposées à la revue permet de combiner les éléments d’un dossier sur les premiers pas du nouveau gouvernement Merkel et un autre qui éclaire différents aspects de la politique étrangère de l’Allemagne tout en permettant une appréciation plus particulière des évolutions du « couple franco-allemand » sur le long terme et dans l’actualité immédiate.

Angela Merkel relativise volontiers les choses quand elle rappelle les difficultés qu’a rencontrées, à ses débuts, la Grande coalition, forgée fin 2005 entre partis chrétiens-démocrates et social-démocrate. Celles que rencontre son nouveau gouvernement relèvent, sans doute, des tâtonnements habituels pour le parti libéral qui, dans l’opposition, a perdu la maîtrise de l’art de gouverner. Pourtant les difficultés sont, aujourd’hui, incomparablement plus grandes : elles sont d’abord de nature différente, celles de la Grande coalition étant liées au fait que celle-ci était imposées par le vote des électeurs à des partis qui n’en voulaient pas alors que A. Merkel ne cesse d’affirmer qu’elle a appelé de ses vœux l’actuelle coalition chrétienne-libérale ; elles sont encore révélatrices d’oppositions qui ne sont pas simplement politiques, mais aussi d’ordre personnel. Caractère et tempérament des deux leaders de l’actuelle coalition gouvernementale (ou plutôt même de ses trois leaders si l’on voit dans la CSU le troisième parti de la coalition) exacerbent ces divergences. Les dissensions portent sur la politique fiscale tant il apparaît difficilement conciliable de réduire en même temps les impôts - sous prétexte que c’est la condition du retour à la croissance - et les déficits budgétaires accumulés pour faire face à la crise mondiale. Les chrétiens-démocrates ont une vision globale de la situation économique et sociale du pays et cherchent à concilier les intérêts des différentes couches sociales; ils ont veillé à ce que les réductions d’impôts adoptées dans le contrat de gouvernement soient placées sous la réserve de leur faisabilité budgétaire. Les libéraux ont, par contre, une vision plus évidemment clientéliste (servir les professions libérales et les entreprises artisanales), mais surtout ils ont fait des réductions d’impôts le fondement même de leur identité et la preuve de leur fidélité aux engagements pris pendant la campagne électorale. La CSU bavaroise suit sur cette question les libéraux quand elle s’oppose à eux sur de nombreuses autres questions sectorielles ; elle s’oppose aussi volontiers à la chancelière à qui elle reproche de manquer d’autorité. Au total Guido Westerwelle, à la tête du FDP, et Horst Seehofer, à la tête de la CSU, se livrent entre eux et avec la chancelière un combat médiatique qui nuit à l’unité de la coalition gouvernementale.

A ces rivalités triangulaires viennent s’ajouter celles qui opposent le ministre fédéral de la Défense, Karl-Theodor zu Guttenberg, à celui qui essaie d’apparaître comme le chef de la diplomatie allemande, G. Westerwelle (cf. dans ce dossier l’article d’A. Marchetti et H. Stark). Largement critiqué pour son absence de compétences particulières en la matière et son inaptitude à quitter le registre de la campagne électorale, celui-ci en est-même venu à réclamer pour soi un traitement plus loyal quand il représente les intérêts de l’Allemagne à l’étranger. Mais les oppositions sont aussi de fond quand G. Westerwelle laisse entendre qu’il est « optimiste » sur les chances qu’a la Turquie d’entrer au sein de l’Union européenne alors que la chancelière n’a jamais caché que son objectif était de négocier avec la Turquie le statut d’un « partenariat privilégié ». Quant le ministre fédéral de l’aide au Développement, Dirk Niebel (FDP), affiche son souci de rendre son ministère, à terme, inutile, il a peut-être raison d’un point de vue rationnel – l’aide au développement devant, à terme, se rendre elle-même inutile -, l’affichage public est catastrophique et fait douter de l’engagement de l’Allemagne en faveur des pays en développement et en émergence. Sur la question de l’entrée ou non de la présidente de la Fédération des réfugiés, Erika Steinbach, dans le comité directeur de la « Fondation Fuites, Expulsions, Réconciliation », le FDP a fait preuve de constance face à une CSU qui s’est toujours présentée comme le « protecteur » des réfugiés, la chancelière, visiblement mal à l’aise dans cette affaire, cherchant à temporiser. Finalement c’est un mauvais compromis qui l’a emporté : E. Steinbach renonce mais obtient que sa fédération soit mieux représentée au sein de cette fédération qui se trouve ainsi plus fortement politisée, au plus grand dam de la Pologne.

La crise financière en Grèce menace l’entente franco-allemande, ce qui n’est peut-être pas pour surprendre si l’on fait la part du mythe et de la réalité comme le fait Delphine Deschaux-Beaumé dans son étude des rapports franco-allemands en matière de coopération militaire. Ceci étant, on peut comprendre que l’Allemagne cherche à ne pas créer de précédent puisque elle serait inévitablement la plus fortement appelée à contribuer au renflouement de la Grèce et des Etats défaillants qui pourraient suivre. Il reste que son modèle économique orienté vers la production d’excédents commerciaux (cf. outre l’éditorial de H. Brodersen dans ce même numéro, la contribution de P. Commun dans AA, No 189) se fait au détriment de ceux qui produisent des déficits en la matière. Christine Lagarde l’a redit, à la mi-mars, ajoutant que la modération vertueuse de l’Allemagne en matière salarial limitait la demande intérieure allemande et retardait le retour à la croissance pour ses partenaires (cf. « La relation franco-allemande mise à l’épreuve par la crise financière grecque » in Le Monde, 19.03.10).

La contribution de M. Essis aborde la politique africaine de l’Allemagne depuis la fin de la Guerre froide – entre le souci de promouvoir une « bonne gouvernance » et la nécessité de prendre en compte les réalités du terrain – tandis que M. Schmid nous renvoie aux déficits du débat allemand sur la politique afghane dans le contexte du bombardement de deux camions citerne volés par les Talibans dans la région de Kunduz, réalisé en septembre 2009 à la demande de la Bundeswehr. Ce qui n’est, mesuré à l’ensemble des événements dans la région, qu’un avatar de la guerre en Afghanistan a pris en Allemagne une dimension extraordinaire qui porte sur les limites du mandat donné par le Bundestag aux troupes allemandes et surtout sur la nécessité de cet engagement plus guerrier que jamais.

On fera une place à part aux réflexions que nous livrent Karsten D. Voigt sur les conditions d’une coalition du SPD avec Die Linke au niveau fédéral. En abordant ainsi la question, K.D. Voigt commence par la détabouiser : ce n’est pas une question de morale (le passé SED du parti) mais de rapport de forces politique, l’enjeu étant la reconquête du pouvoir ; il reste que, pour qu’une coalition avec Die Linke devienne possible, celui-ci devra remplir les trois conditions habituelles : que penses-tu de l’OTAN, de l’Europe et de sa politique de défense et de sécurité ? Les Verts ont évolué dans le sens de l’acceptation de ces contraintes avant d’être un partenaire acceptable pour le SPD. Le SPD lui-même a rallié, en 1958, les positions chrétiennes-démocrates sur la défense nationale, l’appartenance à l’OTAN et l’ancrage occidental de la RFA avant de devenir un parti de gouvernement, aux côtés de la CDU/CSU, dans la cadre de la première grande coalition qui a vu le jour en 1966 !