Résumé

Amoureux des dictionnaires, Georges Perec, dans son travail d'écrivain, les utilise à la fois comme réservoir lexical, modèle structural, lieu de mémoire collective et piège pragmatique. Issus d'une exploration quasi exhaustive des dictionnaires, les lexiques perecquiens sont pourtant marqués par leur aspect systématiquement lacunaire lié aux contraintes souvent draconiennes que se fixe l'écrivain. Par ailleurs, Perec emprunte aux dictionnaires quatre principales formes récurrentes dans toute son œuvre : la liste (brute ou intégrée au récit), le classement alphabétique (et ses divers avatars), la définition et la notice. En outre, dans une histoire personnelle marquée par les ruptures de la guerre et la tragédie des camps, le savoir encyclopédique représente le seul ensemble de références stables et fiables, et presque une manière de substitut parental. Mais, par un retournement paradoxal, une grande partie du travail perecquien tend aussi à pervertir ces certitudes et à les mettre au service d'une écriture de la ruse en élaborant de méticuleuses machines à piéger le lecteur dont les dictionnaires ne constituent pas les rouages les moins efficaces.

Summary

Georges Perec loved dictionaries : they provided him with a lexical bank, a structural model, direct access to collective memory and a practical means to ensnare the reader. Perec's word lists, which are the product of copious explorations of dictionaries, are nonetheless systematically incomplete, due to the often draconian constraints which he imposed upon his work. Four patterns derived from the dictionary consistently appear in Perec's books : the list (presented as such or integrated within a narrative), the alphabetical ordering (under various guises), the definition, and the format of individual entries. For Perec, whose personal history was tragically disrupted by the Second World War, and particularly the Holocaust, encyclopaedic knowledge provided stable and reliable points of reference, acting as a kind of parental substitute. But, conversely and significantly, Perec often tended to subvert the very certainties that these reference works offer, using their characteristics to create elaborate and delightfully misleading structures.