Actualité sociale juillet 2009

Les quelques mois avant la pause estivale ont surtout été marqués par des sujets politiques et économiques, politiques avec les chamailleries croissantes au sein de la grande coalition à l'approche des élections, dissensions qui trouvent un écho, en plus petit mais plus hargneux, dans la grande coalition dans le Schleswig-Holstein, au bord de la rupture. Economiques aussi, avec les prévisions toujours sombres, - 6 %, du recul du PIB pour 2009, une récession plus profonde que la plupart des pays européens. C’est en réponse à ces deux aspects, les élections à venir et l’état de l’économie, que le gouvernement a mis en oeuvre son deuxième plan de relance au 1er juillet 2009, censé améliorer la situation tant des entreprises que des particuliers. Les mouvements sociaux ont continué à faire des vagues, dans les entreprises menacées de fermeture, mais aussi, de façon plus générale, dans les Kitas et les universités. Ces grèves, qui n’ont pas trouvé de conclusions satisfaisantes à l’heure actuelle, sont le reflet d’un malaise profond et durable. La nouvelle sur l’Autolib’ à l’allemande, dans la ville d’Ulm, vient à propos pour montrer que, crise ou pas, les inventions pour améliorer le quotidien continuent bon train.

La bataille des Kitas

Mouvement social inédit en Allemagne, les éducatrices employées par les communes dans les garderies de jour de la petite enfance (Kindertagesstätte, Kita), établissements couvrant les besoins de garde des enfants de moins de six ans, sont en grèves depuis des mois. La fermeture des Kitas dans la presque totalité des Länder est censée accroître la pression sur le regroupement des associations patronales des communes pour qu’il cède plus rapidement aux revendications exprimées par les syndicats Ver.di et GEW (Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft). Il s’agit d’améliorer la rémunération et les conditions de travail des 250 000 éducatrices et éducateurs employés par les communes. L’objectif principal mis en avant par les représentants syndicaux est l’amélioration de la protection de la santé du personnel éducatif. Celui-ci se plaint de conditions de travail extrêmement difficiles : le niveau sonore en permanence à la limite du supportable, l’utilisation d’un mobilier – tables et chaises – prévu pour de petits enfants, mais inadapté pour des adultes, des classes souvent surchargées. C’est pourquoi ils souhaitent entériner le droit pour les éducatrices, par le biais d’une convention collective, à un contrôle annuel de la dangerosité de leur travail.

Les négociations sur la protection de la santé des éducateurs apparaissent toutefois presque comme un écran de fumée qui voile des revendications plus essentielles. La profession des éducateurs aspire à une reconnaissance accrue par la société, une reconnaissance tant sociale que financière. La question des éducateurs ne s’est pas posée pendant longtemps, tant que les mères, dans leur grande majorité, prenaient elles-mêmes en charge leurs enfants. Les nourrices, employées par les communes ou directement par les familles, étaient peu nombreuses, leur statut disparate et peu recherché. Contrairement à la France, où les professeurs des écoles primaires et maternelles sont soumis aux mêmes exigences de diplôme, les éducatrices en Allemagne disposent d’une formation plus sommaire, puisqu’on attend d’elles essentiellement qu’elles s’occupent des enfants de façon ludique pour les socialiser, mais non pour les éduquer. Depuis le choc de la première enquête PISA de 2000, qui a montré que les écoles allemandes avaient des résultats les classant dans la deuxième moitié des 32 pays de l’OCDE testés, les parents, et avec eux les administrations scolaires, sont devenus plus exigeants, souhaitant désormais que le personnel des Kitas prenne également en charge l’éducation des enfants. A cette exigence qualitative s’est agrégée une composante quantitative : les réformes successives entreprises par Mme von der Leyen dans le domaine de la politique familiale, en encourageant les jeunes mères à reprendre plus rapidement leur emploi, ont conduit à des besoins accrus en personnel éducatif de la petite enfance. La ministre a promis de porter le nombre de places en Kita à 750 000, sans toutefois veiller à ce que le nombre de personnel suive. Voilà à nouveau un exemple où le volontarisme fédéral se heurte aux prérogatives des instances régionales ou communales.

Les revendications salariales actuelles doivent en outre être vues par rapport au transfert de 2005 qui les a fait passer du tarif des employés fédéraux (Bundesangestelltentarif, BAT) à celui du service public communal. Sur une échelle de 1 à 15, les éducatrices ont été regroupées à l’échelon 6. Un débutant gagne actuellement 2130 € brut, pour atteindre 2470 € en fin de carrière, environ 300 € de moins que sous l’ancien régime. Le patronat communal a accepté de reclasser une petite minorité en échelon 7 et 8, mais les conditions sont pour l’instant peu claires, d’autant plus que les augmentations importantes demandées par les syndicats risqueraient de rompre le fragile équilibre de l’échelle salariale du service public. Plus de la moitié des éducatrices n’a pas été formée pour ce métier. Le problème se complique du fait que le personnel éducatif n’a pas le droit actuellement de faire grève pour obtenir des augmentations salariales, puisque la convention collective ne vient à échéance qu’à la fin de l’année, d’où probablement les motivations avancées concernant la santé. Les politiques de tous bords soutiennent les revendications des éducatrices, au grand dam des responsables communaux qui estiment, à l’instar de Petra Roth, présidente du regroupement national des villes (Städtetag), que la politique fédérale n’a pas à se mêler des négociations en cours entre les syndicats et les communes.

Le plan de relance du 1er juillet 2009

Avec le deuxième plan de relance, entré en vigueur le 1er juillet 2009, le gouvernement fédéral souhaite accompagner les ménages et l’emploi pour mieux traverser la crise actuelle. Les mesures concernent les cotisations sociales, les retraites et le soutien à la consommation. En dépit des chiffres relativement réconfortants concernant les exportations du mois de juin, qui ne reculent plus, le gouvernement veut faire contrepoids au recul global des échanges dont l’Allemagne souffre plus que d’autres pays moins ouverts au monde. La baisse du coût du travail, pour lutter contre le chômage, est une des priorités du gouvernement. Souvent annoncés, mais rarement réalisés, le plan de relance prévoit des allègements de charges qui pèsent sur les salaires. Le taux de cotisation à l’assurance maladie obligatoire passe au 1er juillet de 14,6 % à 14,0 %. Cette baisse fait suite à celle des cotisations à l’assurance chômage qui ont été réduites de 3,3 à 2,8 %. En raison de la remontée importante du chômage, il n’est pas certain toutefois que ce recul soit durable. Pour décharger les particuliers, plusieurs mesures ont été prises : le taux d’imposition sur le revenu le plus bas a été ramené de 15 % à 14 % avec effet rétroactif depuis le 1er janvier 2009. En outre, le montant non imposable a été porté à 7 834 € en 2009 et à 8 004 € en 2010. Cette volonté de ne pas augmenter les impôts, voire de les baisser, est également perceptible dans le refus du gouvernement d’accéder au souhait exprimé par Günther Öttinger, ministre-président du Bade-Wurtemberg, qui réclamait une hausse du taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui s’applique sur les produits alimentaires, le transport régional et les loisirs culturels. La chancelière a déjà fait savoir qu’avec elle, il n’y aura pas d’augmentation des impôts lors de la prochaine législature.

Les retraités, eux, sont particulièrement à la fête cette année. Dans la mesure où les hausses des salaires enregistrées en 2008 sont répercutées sur les pensions, les retraites du régime général ont été augmentées, au 1er juillet, de 2,41 % dans les Länder de l’Ouest et de 3,38 % dans ceux de l’Est. Pour les vingt millions de retraités, il s’agit de l’augmentation des retraites la plus importante qu’ils ont connue depuis plus de dix ans. A cette bonne nouvelle s’ajoute une autre, rassurante pour les retraités : le gouvernement a décidé que les retraites, indexées sur l’augmentation des salaires, ne baisseront pas, même si, en raison de la crise, le niveau des salaires devait reculer. Cette bombe démographique, cadeau électoral, s’il en est, sera peut-être désamorcée après les élections de septembre, mais pour l’heure, il convient de s’assurer des bonnes grâces d’un segment aussi important – et croissant – de l’électorat qui, de plus, a tendance à aller plus massivement aux urnes que les jeunes.

L’aide aux ménages en difficulté n’a pas été oubliée. Pour les bénéficiaires de Hartz IV qui élèvent des enfants âgés de six à treize ans, le montant de base perçu par enfant à charge a été augmenté. Ils recevront, à partir du 1er juillet, 251 € au lieu de 211 €. A ceci s’ajoute une aide spécifique de rentrée scolaire de 100 € pour les enfants issus des familles les plus pauvres. Bien que le chômage soit en augmentation rapide en Allemagne, la situation serait plus critique si le pays ne faisait pas un large usage du chômage partiel. Pour les entreprises, c’est une façon de conserver leur main-d’oeuvre jusqu’au moment où les affaires reprendront. Le gouvernement, qui soutient ces initiatives, a amélioré son dispositif de recours au chômage partiel. A partir du 7e mois de ce régime, c’est-à-dire à partir de juillet 2009 pour les entreprises qui y ont recours depuis le mois de janvier, elles peuvent se faire entièrement rembourser leurs cotisations aux assurances sociales par l’Agence fédérale pour l’emploi (Bundesagentur für Arbeit).

La crise économique et financière qui pèse lourdement sur le moral des Français semble moins affecter celui des Allemands. S’ils reconnaissent que la situation en général est grave, ils considèrent qu’eux-mêmes personnellement ne sont pas vraiment touchés. A voir le catalogue de mesures concoctées par le gouvernement, celui-ci souhaite manifestement que cela continue – au moins jusqu’au mois de septembre.

L’été chaud des universités

Si les références aux résultats médiocres des universités allemandes et françaises dans le classement de Shanghai se multiplient dans les médias (la première allemande, l’université de Munich, n’est que 55e, la première française, Paris VI, 42e), l’été chaud que les étudiants allemands ont promis aux responsables universitaires et politiques a des raisons plus proches de leurs préoccupations actuelles. Plus de 70 villes universitaires allemandes ont connu des boycotts de cours et des occupations de locaux au mois de juin – des sits-in souvent très pacifiques avec bébés et biberons – pour protester contre la situation dans les établissements d’éducation supérieure. Dix ans après la déclaration de Bologne qui visait à unifier les systèmes universitaires européens avec l’introduction d’une structure commune Licence – Master – Doctorat et une grille de points crédits appelée ECTS permettant de se faire reconnaître les études effectuées dans un autre pays européen signataire de la charte, les étudiants allemands, ainsi que certains enseignants, sont profondément mécontents.

Il est vrai que l’application de la réforme en Allemagne a conduit à des transformations bien plus profondes qu’en France, p. ex., où la licence en trois ans, suivi d’une maîtrise et d’un DEA ou d’un DESS préfigurait déjà la future structure. En Allemagne, où il n’était guère d’usage de passer des examens en fin de semestre – dans certaines filières, ils étaient confrontées à leurs premiers examens au moment de passer leur diplôme, après dix à douze semestres d’études, sauf pour certaines matières comme le droit ou la médecine où existe l’équivalent du DEUG ou de la licence (Vordiplom ou Physikum) – le passage au Bachelor après trois ans d’études était un véritable choc culturel. Les étudiants qui sont descendus dans la rue au mois de juin se plaignent d’une « scolarisation » (Verschulung) de leurs études : nombre de cours et de séminaires accru avec obligation de présence, des partiels et des stages en permanence, ce qui ne permettrait ni d’approfondir les matières ni de travailler à côté pour financer les études, « tel un hamster dans sa roue », comme l’a qualifié Bernhard Kempen, le président de l’association des universités allemandes. L’alignement sur le processus de Bologne a également créé une césure entre Bachelor et Master qui n’existait pas avant, dans le sens que les universités peuvent sélectionner les étudiants à l’entrée des Masters, ce qui risque de laisser certains étudiants avec le seul niveau de Bachelor, jugé insuffisant pour une entrée dans le monde du travail dans certains domaines. L’argent manque pour créer les filières de Master encore absentes et pour investir dans l’enseignement et la recherche.

Il est vrai également que l’Allemagne, tout comme la France, ne consacre guère plus qu’un pourcent de son PIB à l’éducation supérieure ; ce chiffre est comparable à celui des Etats-Unis ; mais l’effort financier public y est complété par des financements privés qui portent le total à 3 % du PIB. Le 4 juin, les gouvernements fédéral et des Länder ont approuvé un plan de soutien des universités de 18 milliards € afin d’augmenter le nombre de places dans les établissements d’enseignement supérieur, d’accroître les moyens financiers pour la recherche et pour investir dans un petit groupe de dix universités d’élite. Cette annonce, qui devrait réjouir le monde universitaire, a le don d’irriter les étudiants qui estiment que cette somme de 18 milliards n’est qu’une goutte d’eau face aux besoins immenses des jardins d’enfants, des écoles et des universités qui souffrent d’insuffisances de financement chroniques dans un pays ou seuls 21 % d’une classe d’âge obtient un diplôme universitaire (37 % pour la moyenne des pays de l’OCDE), mais qui est capable de mobiliser en quelques semaines des dizaines de milliards d’euros pour venir au secours du secteur bancaire. Les syndicats Ver.di et GEW (Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft) soutiennent le mouvement de protestation des étudiants. Certaines présidences d’université le regardent également avec bienveillance, dans l’espoir que le gouvernement, surtout en ces temps pré-électoraux, prête attention à leur revendications.

Le concept Car2go à Ulm

A l’heure où Opel lutte pour sa survie tandis que VW et Porsche se livrent une lutte acharnée pour la suprématie au sein de leur groupe, un projet-pilote mise en oeuvre dans la ville d’Ulm montre, que les Allemands continuent de s’intéresser aux voitures, mais, dans ce cas-ci, en empruntant des voies nouvelles. C’est en effet un concept de mobilité inédit que l’entreprise Daimler a lancé fin mars à Ulm, ville de 120 000 habitants du sud-ouest de l’Allemagne, où Daimler entretient un centre de recherche. Le projet est soutenu par le bourgmestre de la « ville des sciences » qui travaille en équipe avec les responsables de Car2go, peut-être aussi en raison des retombées en matière de notoriété pour sa ville. Le concept, qui s’apparente à celui du Vélib’ parisien – sans les déprédations du matériel, – repose sur une organisation simple et facile d’utilisation pour le client. 200 voitures Smart Fortwo diesel sont mis à la disposition des utilisateurs sur des parkings gratuits que Daimler a loué à la municipalité un peu partout dans la ville, pour être accessible après seulement quelques minutes de marche à pied. Le client se fait enregistrer à la boutique car2go, où il se fait coller une puce magnétique sur son permis de conduire. Une fois enregistré, il a accès à tous les véhicules, avec ou sans réservation. S’il voit une Smart libre, il pose son permis de conduire sur un lecteur qui reconnaît la puce et déverrouille la porte. Le conducteur rentre son code secret et peut démarrer sans autre formalité. Il peut se servir de la voiture pendant la durée souhaitée, et il la dépose à n’importe quel emplacement autorisé, les parkings spécialement marqués ou tout autre emplacement autorisé. Pendant des interruptions, p. ex. pour faire des courses, le véhicule lui reste réservé. La facturation est également très simple et avantageuse pour l’utilisateur : le tarif est de 19 centimes la minute, ce qui comprend la location, l’essence, le stationnement et même l’assurance. Pour des utilisations plus longues, il y a des tarifs dégressifs. Il n’y a pas de frais d’inscription ni de contrat à court ou long terme. Le concept, testé d’abord auprès des collaborateurs de Daimler avant d’être étendu aux habitants de la ville, rencontre un succès croissant. Trois mois après son démarrage, 9 000 utilisateurs, presque un habitant sur dix, sont déjà inscrits, tendance à la hausse. Si le succès est au rendez-vous de façon durable, Daimler envisage d’étendre le concept à d’autres villes, notamment à de grandes agglomérations ayant des problèmes d’embouteillage. Prochaine étape, les Etats-Unis, où le concept Car2go sera introduit à l’automne à Austin, Texas, une ville de 750 000 habitants. La ville de Paris pourrait peut-être s’en inspirer.

Brigitte.Lestrade@u-cergy.fr