Description et organisation de la revue :

Pourquoi une revue d'histoire des sciences humaines ? Pour au moins trois raisons.

La première raison réside dans la volonté d'offrir un lieu de dialogue et de confrontation permanents à des recherches qui se développent de plus en plus. Ainsi pourrons-nous construire progressivement une vision d'ensemble d'un domaine qui n'est aujourd'hui que partiellement exploré. Certes, nous connaissons bien, parfois très bien, certains aspects et certaines périodes de l'histoire de l'anthropologie, de l'économie, de la géographie, de la psychologie, de la sociologie, etc. Toutefois, d'une part ces parties de l'histoire des disciplines ne forment pas un tout, d'autre part et surtout ces histoires sont précisément encore trop strictement disciplinaires. L'autonomisation complète des cursus universitaires en sciences humaines est chose récente (elle a moins d'un demi-siècle). Parce que les historiens sont très souvent aussi des praticiens des disciplines, ils ne parviennent pas toujours à s'émanciper de ce cadre généralement inadéquat. La rencontre en un même lieu de ces différents aspects d'une même histoire pourra ainsi — espérons-nous — permettre d'apprécier davantage les influences et de dessiner peu à peu les cadres généraux d'une périodisation.
Précisons que cette périodisation à construire comportera des bornes historiques, même si ces dernières seront nécessairement approximatives. Les sciences humaines se développent surtout, en tant que telles, à partir du XVIIIe siècle. C'est donc à cette période moderne que nous consacrerons en priorité nos efforts. Cependant, en tant que manifestation du développement de la civilisation européenne, les sciences humaines font partie d'un ensemble culturel qui plonge ses racines dans la Renaissance et parfois même au-delà. Bien des représentations sociales, des traits de mentalité collective, perdurent en effet — peut-être même jusqu'à nos jours — depuis ces époques lointaines. Mais nous savons aussi que les phénomènes culturels ne résistent à l'usure du temps et surtout aux changements sociaux que s'ils peuvent y renouveler leurs raisons d'être. De même que la mémoire collective est une perpétuelle reconstruction à partir du présent, toute survivance culturelle implique une réappropriation qui est nécessairement, tout ou partie, une transformation. Par conséquent, nous encouragerons des travaux portant sur des auteurs et des idées fort anciens à condition qu'ils ne soient pas constitués par une simple érudition historique, mais également en mesure d'éclairer le réinvestissement de ces héritages par les acteurs de la période moderne.


Ensuite, deuxième raison pour lancer cette revue : parce que les chercheurs sont de plus en plus nombreux à pratiquer cet exercice historique de façon « professionnelle ». Entendons par là que l'histoire des sciences humaines n'est pas seulement pour eux une écriture commémorative, destinée à célébrer — le plus souvent à l'occasion d'un anniversaire, parfois à des fins pédagogiques — le travail des « fondateurs », « précurseurs » et autres « pionniers » des disciplines actuelles. Il s'agit désormais de se tourner vers l'histoire non pour en reconstruire le sens à travers le filtre des interrogations, débats et combats d'aujourd'hui, mais pour tenter d'en comprendre le déroulement et l'évolution tels qu'ils se sont produits, dans les limites évidentes d'une part de l'état des traces qui subsistent du passé, d'autre part de notre capacité à relativiser nos manières actuelles de penser. En effet, l'histoire de la connaissance — se prétendit-elle scientifique — n'est pas seulement et sans doute pas principalement une histoire de découvertes, d'inventions, de progrès et donc d'erreurs. C'est surtout une histoire de procédés de connaissance reposant sur des certitudes et des présupposés plus ou moins conscients, fréquemment cimentés par des « visions du monde » collectives. Quel que soit l'état des connaissances et des instruments de connaissance dont disposaient en 1800 — par exemple — ceux qui s'intéressaient aux sciences humaines (qu'ils parlassent alors de « Physique sociale » ou d' « Histoire naturelle de l'homme »), ils n'exerçaient pas leur réflexion de la même façon qu'aujourd'hui, ils ne percevaient pas exactement les choses et les relations entre les choses, les êtres et les relations entre les êtres, de la même façon qu'aujourd'hui. Animés de croyances religieuses ou laïques, participant à des débats et des combats politiques alors cruciaux, ils ne définissaient pas et ne pratiquaient leur « métier » de la même façon qu'aujourd'hui. Par ailleurs, la sociologie des sciences nous a appris depuis près d'un demi-siècle à ne pas considérer les textes canoniques des auteurs consacrés comme la nécessaire quintessence de leur époque. Elle nous a conduit à observer avec autant d'égards les auteurs réputés secondaires, les querelles et les concurrences oubliées, les mécanismes de reconnaissance académique et de domination institutionnelle. C'est donc aussi parce qu'ils ont intégré tout cela dans leur façon de travailler que les chercheurs en histoire des sciences humaines ont besoin aujourd'hui de l'irremplaçable outil professionnel que constitue une revue spécialisée.


Enfin, troisième raison : parce qu'il n'existe pas en Europe continentale de revue d'histoire des sciences humaines. Les revues générales ou spécialisées qui s'intéressent occasionnellement à cette histoire ne suffisent pas à absorber la production de toutes celles et ceux qui ont fait de ce domaine de connaissances un objet privilégié sinon exclusif de leurs recherches. Par ailleurs, les revues anglo-saxonnes offrent peu de place à l’histoire des développements français, italiens, allemands, espagnols, belges, suisses, etc., des sciences humaines. Or, ni les frontières linguistiques ni les spécificités des traditions nationales ne doivent nous dissimuler la perméabilité des frontières intellectuelles et l’intérêt primordial des comparaisons européennes voire internationales.

L'ambition étant tracée, reste à préciser la méthode. Celle-ci peut se résumer en deux mots : rigueur et ouverture, que déclineront quatre rubriques. Rigueur tout d'abord, car un domaine qui se construit a besoin de matériaux solides. La publication de recherches historiques originales et méthodiques, éclairant un objet précis en un temps et un lieu déterminé, sera bien entendu une priorité de la revue : ce seront les Articles. De la même façon, la critique des travaux de cette nature est un exercice scientifique indispensable qui doit être développé en toute indépendance : ce seront les rubriques Notes critiques et Livres. Ouverture ensuite, car l'érudition seule n'intéresserait rapidement que le public étroit des historiens professionnels et découragerait toutes celles et ceux qui, dans le cadre de leurs recherches et surtout de leurs enseignements, sont amenés tôt ou tard à s'intéresser à l'histoire. Pour faciliter ce dialogue avec le présent, la revue fera deux efforts originaux. D'une part elle publiera des Documents mettant à la portée de tous des textes (articles, cours, conférences, correspondances, etc., jugés particulièrement éclairants) sinon totalement inédits du moins difficilement accessibles. D'autre part, elle s'efforcera de thématiser une large partie des contributions dans le cadre de Dossiers, proposant ainsi une compréhension historique plus complète sur des questions scientifiques qui continuent à se poser de nos jours.

Lieu de rencontres et de débats organisés par une équipe qui ne se réclame d'aucun parti théorique ou méthodologique exclusif, la revue est ouverte à tous et examinera systématiquement les contributions qui lui sont proposées dans les conditions d'évaluation scientifiques ordinaires. Elle publiera ces textes en français ou en anglais.

Directeurs : Wolf Feuerhahn et Olivier Orain

Comité de rédaction : Jean-François Bert, Claude Blanckaert, Anne-Sophie Chambost, Jean-Luc Chappey, Wolf Feuerhahn, Ludovic Frobert, Arnaud Hurel, Marc Joly, Frédéric Keck, Christine Laumière, Jean-Christophe Marcel, Bertrand Müller, Olivier Orain, Tiago Pirès-Marques, Pascale Rabault-Feuerhahn, Céline Trautmann-Waller.


Correspondants internationaux : Peter Becker (Italie), Alice Conklin (Etats-Unis), Michael Hagner (Allemagne), Johan Heilbron (Pays-Bas), David Horn (Etats-Unis), Marc-Antoine Kaeser (Suisse), Gabor Klaniczay (Hongrie), Robert Leroux (Canada), Giovanni Paoletti (Italie), Marc Ratcliff (Angleterre), Emmanuelle Saada (Etats-Unis), Shonu Shamdasani (Angleterre), Libby Schweber (Etats-Unis), Fernando Vidal (Allemagne), Peter Wagner (Allemagne), Richard Wetzell (Etats-Unis).


Comité scientifique : Jean-Michel Berthelot, Philippe Besnard, Claude Blanckaert, Massimo Borlandi (Italie), Eric Brian, Christophe Charle, Lorraine Daston (Allemagne), Albert Ducros, Marcel Fournier (Canada), Jean Gayon, Ian Hacking (Canada), Peter Hirschmuller (Allemagne), Jean-Louis Halperin, Dirk Kaesler (Allemagne), Dominique Lecourt, Françoise Parot, Theodore Porter (Etats-Unis), Michel Porret (Suisse), Jacques Postel, Sandra Puccini (Italie), Jean-Manuel de Queiroz, Marie-Claire Robic, Margaret Schabas (Angleterre), Alain Schnapp, Philippe Steiner, Peter Weingart (Allemagne).

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