Livres sur le théâtre et la littérature

Revue Europe, Thomas Bernhard,

n° 959, Paris, mars 2009, 379 p.

Nous avons déjà souligné, dans AA, la valeur de cette revue mensuelle, une des plus anciennes de France (cf. n° 187). Le n° 959, de mars 2009 est, pour les trois quarts, dédié à Thomas Bernhard, à l'occasion du 20è anniversaire de sa disparition. La page de couverture est tout sauf solennelle : l’auteur, au bord de la mer du nord, avec une serviette de bain en guise de couvre-chef. Une bonne trentaine d’articles qui peut tenir lieu de synthèse sur les divers aspects de son œuvre. Certains sont des souvenirs des témoins de sa vie (Claudio Magris, Jean Améry, Ingeborg Bachmann). La plupart s’en tiennent à la prose (romans et « mémoires »), Erika Tunner en premier lieu. Pour d’autres, la vie chaotique de l’auteur en jeune homme importe beaucoup (cf. l’article de Gemma Salem sur « Aloïs, le père interdit »).

Le théâtre n’est pas en reste (interview d’André Engel,qui a mis récemment en scène son Minetti, avec Michel Piccoli). Ce numéro rend les honneurs à deux « bernhardiens » trop tôt disparus. Claude Porcell, à qui on doit des traductions de ses pièces, connues en France depuis longtemps. Wendelin Schmidt-Dengler, grand universitaire et critique, qui a eu le mérite d’aider à la création des « Archives Thomas Bernhard », désormais accessibles aux chercheurs à Vienne, bien que demeure l’interdiction de ses textes en Autriche. Ce numéro, à lui seul, est une incitation à (re)lire Thomas Bernhard, dont les œuvres ne se limitent pas à ses rapports avec la (mauvaise) mère patrie, mais touchent la veine sensible de notre condition humaine, transfigurée par son art d’écrire.

Annette Reschke (éd.), Über

Einander, Verlag der Autoren,

Franfort, 2009, 265 p.

Le Verlag der Autoren tient une place à part dans l’édition allemande : il a été créé par des auteurs dramatiques, à l’initiative de Karlheinz Braun, pour leur assurer la liberté et des revenus décents, sans être dépendant de grandes maisons comme Suhrkamp et Fischer. A sa création, en 1969, il compte déjà de grands noms, comme Heiner Müller, Peter Handke, Fassbinder, Gerlind Reinshagen, Martin Sperr, Urs Widmer. Le Verlag a eu cette idée de rassembler pour son 40è anniversaire, des témoignages d’auteurs maison sur des collègues… de la maison. Le nombre de 136 peut sembler énorme, mais il compte aussi les auteurs étrangers traduits et introduits sur les scènes allemandes : Mouawad, Koltès, Genet, Dario Fo, Istvan Eörsi, Augusto Boal. Une très bonne bio-bibliographie (40 p.) rendra service aux gens de théâtre et traducteurs en puissance. Et les mini-essais écrits par les uns et les autres aideront à s’orienter dans cette « écurie » de premier rang du théâtre de langue allemande.

Goethe, Faust (Urfaust, Faust I,

Faust II), édition établie par Jean Lacoste et Jacques Le Rider, Bartillat, Paris, 2009, 798 p.

Faut-il dire « Faust und kein Ende » ? L’originalité de cette édition volumineuse (et cependant abordable) est de réunir les trois Faust, ce qui n’était jamais arrivé en langue française. Ce livre demeurera, à coup sûr, dans les bibliothèques, pour la richesse et la précision des introductions (170 pages) et des notes infrapaginales. Les deux bâtisseurs de cette cathédrale (de 12 000 vers) rendent hommage à tous ceux qui ont frayé le chemin du Faust vers le public français. La version de Nerval (1828) est reprise pour le Premier Faust, mais largement remaniée, pour respecter la lettre du texte de Goethe et sa construction versifiée. Pour le Second Faust, la version d’Henri Lichtenberger (1932) a été utilisée comme la meilleure « proposition ». Le Urfaust (retrouvé en 1887) fait l’objet d’une traduction originale. On peut donc, au total, parler d’une nouvelle traduction, digne de figurer comme la version incontournable, en français, de l’œuvre et du mythe. Il faut donc lui souhaiter une large diffusion.


Nouvelles traductions à l’Arche

Lukas Bärfuss, Le Test, (t.f. de

Johannes Honigmann), L’Arche,

Paris, 2009, 91 p.

L’auteur est né à Thun en 1971. Il fait partie de la génération de dramaturges suisses venue après Frisch et Dürrenmatt : Urs Widmer, Thomas Hürlimann, Walter Köbeli. Son sujet se situe dans la filiation d’Othello : comment le soupçon mène au crime. Dans ce cas, Iago s’appelle Frantzeck et le mouchoir accusateur de Desdémone est un test plus ou moins fiable, qui permet de discerner une vraie paternité à partir de la salive. Il faut entendre avec quelle force ordurière Pierre Coré repousse l’enfant du péché et la femme adultère, Agnès. Ironie de l’auteur : tout se passe pendant une élection municipale où le père, Simon Coré, ne tient pas à ce que la presse « people » ébruite l’affaire (Pierre s’est suicidé). Suprême ironie : le père de la dynastie Coré, une fois élu, se met à douter de la légitimité de son fils mort. La famille et la fidélité, valeurs absolues, sont soumises à un traitement froidement comique qui devrait faire mouche.

Roland Schimmelpfennig, Visite au père, Fin et commencement, L’Arche Paris, 2009, 167 p. (t.f. Hélène Mauler, René Zhand).

Roland Schimmelpfennig (né en 1967) est assez connu en Allemagne, où presque chaque année une de ses pièces est créée, et présentée au festival de Mülheim. Dans la première pièce règne une atmosphère « tchékhovienne » : vaste maison à la campagne, personnages aux rapports complexes. Le héros est mystérieux : il vient voir son père qu’il n’a jamais connu. Ses personnages sont aussi malhabiles : comment plumer un canard ? Peter séduit à la hussarde deux « vieilles filles », qui n’ont pas quarante ans. Les identités deviennent floues, les photos des disparus ne sont plus reconnues. On appelle ça le style post-moderne, mais cette ambiguïté existait déjà du temps de Schnitzler.

Bertolt Brecht, La Noce, (t.f. de

Magali Rigaill), L’Arche, Paris,

2009, 66 p.

Il s’agit de la version originale de 1919, la plus longue des pièces en un acte écrites par Brecht cette année-là. Le titre qui précise « chez les petits-bourgeois » date de 1926, et fut conservé par la suite. Cette version, plus nerveuse, fut portée à la scène en mars 2009. Trois lettres de Brecht inédites en français, datant de l’époque de l’écriture de ses pièces de cabaret, donnent une idée de son état d’esprit.