Pierre Verluise, 20 ans après la chute du mur.
L'Europe recomposée, Paris, Choisel, 2009, 259 p.

P. Verluise est directeur du site géopolitique www.diploweb.com
Suivre sur twitter : http://twitter.com/diploweb

Pierre Verluise dresse un vaste panorama de l’Europe de 1989 à 2009 et y inclut même des retours sur les politiques stratégiques américaine et soviétique et sur les relations franco-allemandes, avant l’unification. En effet, la fin du conflit Est-Ouest et les bouleversements en Europe qui en découlèrent, ainsi que la remise en question du couple franco-allemand constituent les axes structurants d’un ouvrage, qui propose un bilan du processus de recomposition de l’Europe, « 20 ans après la chute du mur ». Cet ouvrage offre l’avantage de se lire avec plaisir : P. Verluise, docteur en géopolitique et fondateur du site < www.diploweb.com >, se réfère en effet très souvent à des entretiens avec différents interlocuteurs, pour expliquer les tenants et aboutissants des questions qu’il analyse. La langue est limpide. Que le lecteur ne s’y trompe point, l’auteur ne fait nullement œuvre de vulgarisation : les références bibliographiques sont précises et nombreuses.

Le postulat de départ est celui d’un « moment américain » : considérant la recomposition de l’Europe dans la perspective d’un élargissement vers l’Est de l’Alliance atlantique, et donc d’une « victoire » de la diplomatie américaine, P. Verluise considère que les USA sont plus que jamais en mesure de peser sur l’évolution de l’Europe, dont le centre décisionnel s’est ainsi déplacé vers l’Ouest. Après l’entrée de la Pologne, la Hongrie et la République tchèque dans l’OTAN en 1999, l’intégration des trois anciennes républiques socialistes soviétiques, Lituanie, Lettonie et Estonie, aurait eu valeur de « big-bang géopolitique », de « révolution ». L’auteur fait ensuite revivre l’éclatement de l’Union soviétique, insistant sur la stratégie victorieuse de R. Reagan, qui avait opté pour une course aux armements, susceptible de mener l’URSS à la faillite. Il insiste tout particulièrement sur l’endettement croissant de l’URSS auprès des États de l’Union européenne, qui ont dû subir la suspension de cette dette en 1991, alors que les USA avaient habilement évité cet écueil.

Dans « L’Allemagne, la France et la nouvelle géopolitique européenne », l’auteur analyse la nouvelle constellation et prend acte des difficultés éprouvées par la France à s’adapter à cette évolution et à la nouvelle position allemande au cœur de l’Europe. Dans un premier temps, il rappelle les différends qui ont opposé les deux États, de la méfiance de G. Pompidou vis-à-vis de l’Ostpolitik de Willy Brandt à la déception allemande, lorsque F. Mitterrand maintint sa visite en RDA en décembre 1989, en passant par le refus allemand du projet de monnaie unique dans les années soixante-dix, alors que le couple Schmidt-Giscard reste perçu comme moteur de l’Europe et modèle idéal de collaboration franco-allemande. Le couple franco-allemand se concevait naturellement dans l’Europe des Six et dans une Europe divisée : en 1995, l’Allemagne a imposé l’euro, au lieu de l’écu, tandis qu’en 2000, la France n’était guère encline à octroyer à l’Allemagne un nombre supérieur d’eurodéputés. Mais l’élargissement de l’Union européenne en 2004 a encore changé la donne et P. Verluise insiste sur le rejet d’une relation franco-allemande exclusive, manifesté par les nouveaux États membres.

Dans sa dernière partie, P. Verluise envisage les futurs « défis européens » avec l’œil de l’expert en géopolitique. Se basant sur des critères d’évolution démographique ou sur l’indice de corruption, il met en garde contre les risques d’un élargissement de l’Europe, par exemple à la Turquie, voire à la Russie. L’argumentation habile laisse de côté l’idéal humaniste et chaque point demanderait à être approfondi. Alors que le débat sur l’identité européenne a été lancé, notamment en raison de certains phénomènes de rejet, ce brillant ouvrage de P. Verluise prouve la nécessité, pour chaque citoyen d’Europe, de maîtriser l’histoire de la construction européenne.

- Dominique HERBET -

Jacques-Pierre Gougeon, L’Allemagne du XXIème siècle, une nouvelle nation ?, Paris (Armand Colin, « Eléments de réponse ») 2009, 192 p.

Ce nouvel ouvrage de J.-P. Gougeon fait suite à son étude sur l’Allemagne, une puissance en mutation paru en 2006 chez Gallimard (Folio), qu’il complète judicieusement dans le temps tout en mettant l’accent sur trois domaines : la politique extérieure, l’évolution du paysage politique et les transformation du modèle économique et social. Il s’inscrit également dans la ligne du dossier « L’Allemagne, une nouvelle puissance ? » que l’auteur a dirigé pour la Revue internationale et stratégique (Paris, Iris), daté juin-juillet 2009. Il vient à point pour comprendre l’Allemagne issue des élections de septembre 2009 comme celle qui vient de fêter le 60ème anniversaire de la Loi fondamentale et s’apprête, après le 20ème anniversaire de la chute du Mur, à fêter, en 2010, le 20ème anniversaire de son unification, il prolonge aussi, pourrait-on dire, les analyses que J.-P. Gougeon a données, ces dernières années, à Allemagne d’aujourd’hui.

L’ouvrage traite de la démographie, de la progression de la pauvreté, de la mise à mal du modèle allemand par la crise financière mondiale, de l’unification inachevée au vu du différentiel subsistant entre les taux de croissance à l’Ouest et à l’Est, du taux de chômage également, mais il suscite surtout la réflexion par son premier chapitre intitulé « l’Allemagne, grande puissance dans un nouveau siècle ? » empruntant au spécialiste ouest-allemand de politique étrangère, Gregor Schöllgen, l’idée que « l’Allemagne doit assumer son nouveau rôle de grande puissance européenne sans répéter, occulter et oublier les maladresses, les erreurs et également les crimes de la première moitié du XXe siècle », l’idée sous-jacente étant que la France doit s’adapter et réagir à cette nouvelle donne dans le cadre d’un relation franco-allemande certes toujours nécessaire à une nouvelle dynamique européenne mais qui est, dans les faits, désormais, moins exclusive, relativisée.

J.-P. Gougeon part des chiffres pour préciser les attributs qui font de l’Allemagne une « puissance » : elle est la troisième puissance économique du monde, la première puissance commerciale mondiale, le premier contributeur au budget de l’Union européenne, le deuxième à celui de l’OTAN, le troisième à celui des Nations-Unies. Pourtant, les statistiques ne suffisent pas à définir une puissance ni le cadre de son action. L’Allemagne apparaît bien comme une puissance d’abord économique et commerciale qui, au delà du marché européen, a le rôle d’un grand acteur mondial, mais cela ne lui donne pas encore la force et les capacités d’une grande puissance mondiale en termes de relations internationales – même si les Etats-Unis voient en elle le premier leader européen et que de plus en plus d’Etats lui demandent son entremise. Pour J.-P. Gougeon, l’Allemagne n’est plus, depuis longtemps déjà, le géant économique resté nain politique, elle est une puissance qui a abandonné sa « politique de réserve » pour s’affirmer en ne cessant de prendre des responsabilités sur la scène internationale. Il la voit assumer et perpétuer le devoir de mémoire concernant l’époque nazie, mais tendre en même temps à la normalité pour adopter une nouvelle diplomatie qu’il qualifie d’ « offensive ». La participation de l’Armée fédérale à des opérations extérieures dans le cadre de la communauté européenne et/ou internationale a pourtant diminué sous la direction d’A. Merkel à la tête de la Grande coalition de 2005 à 2009, et le poids du passé, malgré la levée de tabous successifs, continue, quoi qu’on en ait, de conditionner le retour de l’Allemagne à la normalité.

Le poids croissant de l’Allemagne est évident, l’idée pourtant que celle-ci doive être abordée en termes de « puissance » et perçue comme une grande puissance – européenne, voire mondiale – est contestée parmi les observateurs français et allemands de la politique étrangère allemande. C’est peut-être une question de formulation ou de degré, la question nous intéresse, en tous cas, suffisamment pour qu’Allemagne d’aujourd’hui propose à quelques-uns de ses observateurs d’en débattre avec J.-P. Gougeon à l’occasion de la publication dans le deuxième numéro de 2010 d’Allemagne d’aujourd’hui, des actes d’un colloque qui s’est tenu, en novembre 2009, à l’Institut Goethe de Lyon, à l’initiative de Julien Thorel et Ulrich Pfeil, sur le thème : « Sortie de la singularité – retour à la normalité : politique et interventions militaires extérieures de la RFA depuis 1990 ».

- Jérôme VAILLANT -

Boris Grésillon, L’Allemagne vingt

ans après… Dossier No 8070, juillet-août 2009, La documentation

française, Paris, 65 p.

Parmi les nombreux dossiers que le 20ème anniversaire de la chute du Mur a engendrés, une place à part revient à celui que Boris Grésillon a réalisé pour la documentation française dans une présentation somptueuse. Il s’agit de fiches qui, prises ensemble, tentent un bilan historique, politique, économique, social et culturel de l’unification, illustrations et tableaux en couleur explicitant de façon claire et expressive les questions abordées : l’organisation territoriale de l’Allemagne, l’importance économique et commerciale du Rhin, le poids des plus grandes villes, les transformations de la Ruhr et la recomposition de Berlin prenant soudain un air de clarté grâce aux cartes que seul un spécialiste de géographie pouvait réaliser. Une carte avec ses couleurs et ses dégradés suffit à prendre conscience de l’évolution des campagnes allemandes, il en est de même pour saisir la crise de la démographie ou la recomposition des transports en vingt ans, les forces et les faiblesses de l’économie allemande. C’est à la qualité de géographe de l’auteur et à sa connaissance de l’Allemagne que l’on doit ce dossier intelligemment fait, facile d’accès et en même temps riche en informations

- J. V. -

Évelyne et Victor Brandts,

Aujourd’hui l’Allemagne,

CNDP/CRDP Académie de

Montpellier (Questions ouvertes)

2009, 208 p.

C’est à une entreprise semblable que s’essaient É. et V. Brandts dans cet ouvrage pédagogique destiné aux élèves des lycées et collèges, avec une ambition moins universitaire que pédagogique et la volonté de répondre aux questions le plus souvent posées par les élèves ou que se posent pour eux leurs enseignants. A côté des fiches basiques sur quelques points de l’histoire allemande, on trouvera ainsi des exposés sur les loisirs, la famille, la littérature allemande à l’ouest et à l’est, le quotidien des Allemands, l’écologie. Certains documents sont parfois vite dépassés, ainsi les dernières élections commentées sont celles de 2005, la question du nucléaire est examinée à la lumière de loi de 2001 sur la sortie du nucléaire. Le rôle assigné à A. Merkel dans l’évolution du statut des femmes quand elle fut ministre de la Famille est sur-évalué tandis que celui, plus récent, de Ursula von der Leyen apparaît sous-évalué. Des chapitres sont présentés sous forme de questions qui semblent déjà appeler leurs réponses : Quelle est la recette du succès de l’exportation ? L’Allemagne peut-elle se passer de l’énergie nucléaire. L’ouvrage est un ouvrage utile pour donner une image générale de l’Allemagne dans les classes du secondaire.

- J. V. -

Alfred Wahl, L’Allemagne de 1945

à nos jours, Paris (Colin, U

Histoire, étude comparative), 2009.

L’ouvrage se situe dans la tradition scientifique des précédentes études de l’Allemagne dues à l’historien messin. L’étude traite des histoires parallèles des deux Allemagnes en n’oubliant pas de prendre en compte les influences de l’une sur la société de l’autre. Il s’intéresse ensuite à leur histoire commune avec ses succès et ses défaillances, l’entreprise d’unification mobilisant, au risque de la paralyser, les énergies de toute l’Allemagne de l’Ouest. L’Allemagne unifiée parvient pourtant à s’affirmer progressivement sur la scène internationale. Un ouvrage qui formera les étudiants et intéressera le grand public intéressé par les questions allemandes.

- J. V. -

Marie-Thérèse Bitsch (dir.),

Cinquante années de traité de

Rome 1957-2007. Regards sur la

construction européenne, Stuttgart

(Steiner Verlag) 2009, 361 p.

Conçu dans le contexte des manifestations qui ont célébré en 2007 le cinquantième anniversaire du Traité de Rome, cet ouvrage collectif dû aux meilleurs spécialistes de la construction européenne – originaires des 6 Etats fondateurs ! – retourne aux sources du Traité de Rome, en explique les révisions successives mais il va plus loin puisque il étudie les avancées et difficultés de l’ « intégration économique » et analyse ce qui est justement présenté comme l’ « ébauche d’une Europe politique ». Gilbert Trausch tente, en « observateur intéressé », dans une conclusion d’une quinzaine de pages une évaluation générale de ce qu’est devenue l’Europe « cinquante ans après ». Il évoque le désenchantement de l’Europe et se demande, avec le scepticisme de l’historien qui traite de la longue durée, si elle est déjà entrée dans une ère postnationale. G. Trausch rappelle bien que l’Europe telle que pensée dans les cartons de 1957, était d’abord économique, avec une dimension sociale et qu’elle était l’affaire des élites, son acceptation populaire en souffre mais il montre bien que le désenchantement est surtout lié àa l forme institutionnelle qu’a prise l’Union européenne et que celle-ci ne semble plus garantir, aux yeux du plus grand nombre, le succès attendu. Il estime que si le malaise actuel perdurait, il deviendrait dangereux. Reste donc à voir si l’entrée en vigueur du traité réformateur de Lisbonne pourra relancer l’idée européenne autrement que technocratiquement.

- J. V. -

Claire Demesmay/Manuela Glaab (éd.) : L’avenir des partis politiques en France et en Allemagne, Villeneuve d’Ascq (Presses universitaires du Septentrion) 2009, 304p.

L’approche biculturelle ou binationale – bref comparative – de l’étude énoncée dès le titre se révèle être un vrai atout de cet ouvrage collectif qui à partir d’une analyse des systèmes et acteurs politiques de l’Allemagne et de la France met en lumière les différences (voire les oppositions) de culture politique. Cette méthode doit être d’autant plus saluée qu’elle n’est pas encore très courante dans le domaine des sciences politiques où l’approche nationale prédomine largement même si certains politologues s’y sont déjà risqués (on pense aux travaux de Maurice Duverger et d’Alain Duhamel sur les partis et les systèmes politiques en Europe). Cette démarche est en tout cas particulièrement éclairante lorsqu’il s’agit d’étudier la place des partis politiques dans les sociétés des deux pays. On trouve du côté allemand les Volksparteien dont Jérôme Vaillant et Wolfram Vogel présentent le rôle constitutionnel de « lien durable et vivant entre le peuple et les organes de l’Etat » – avec ce que cela suppose de présence et d’intervention dans la gestion des affaires publiques notamment dans le domaines des médias et de la culture – et qui sont les piliers d’un régime parlementaire où les députés sont élus au scrutin proportionnel – toutes ces caractéristiques favorisant l’orientation vers « une démocratie de concordance ». La présidentialisation des partis politiques français ramène – en dépit de signes manifestes de fragmentation surtout à gauche – inexorablement à une logique de « dynamique bipartisane » encore renforcée par la création en 2002 de l’UMP qui rassemble un maximum de courants de la droite républicaine.

Ces orientations ont des incidences sur l’organisation et la pratique politiques : alors qu’en France l’exécutif est omnipotent sans vrai contre-pouvoir (mis à part le Conseil constitutionnel) et que le Parlement (même après la réforme récente) a de faibles capacités d’intervention (et donc de contrôle) dans de grands domaines de nature régalienne comme la politique étrangère et de sécurité; la notion de compromis prédomine en Allemagne non seulement au sein de la coalition gouvernementale mais aussi dans le rapport avec le Bundesrat. Cette différence dans le rapport à la notion de consensus réapparaît comme élément de distinction dans l’analyse conduite par Henrik Unterwedde sur les positions adoptées par la droite et la gauche des deux pays sur la politique de modernisation économique avec un clivage moins marqué en Allemagne où l’économie sociale de marché continue à être un élément constitutif de l’identité commune et où « la base sociale de ce centrisme est le modèle économique et social qui cherche à concilier concurrence et politique sociale ; marché et régulation ; liberté du patronat et cogestion des salariés en misant sur un dialogue conflictuel mais constructif entre le capital et le travail » – observation corroborée par l’étude de Christophe Egle sur l’attitude des partis politique face à la réforme des système sociaux (même si l’on peut regretter concernant cette dernière contribution que les chiffres produits dans le tableau 1 au sujet du niveau des dépenses sociales s’arrêtent à 2001).

Cette prédominance du consensus a même en Allemagne gagné – comme le montre Claire Demesnay – le débat sensible sur l’identité et la diversité culturelle pour lequel on observe après les controverses autour de la réforme du code de la nationalité puis de la Leitkultur que « la droite parlementaire s’est approprié l’idée de dialogue interculturel longtemps cantonnée à gauche du spectre politique » (notamment après le sommet de l’intégration de juillet 2006) tandis qu’en France – au-delà d’un accord sur la nécessité de préserver le modèle d’intégration républicain – les interprétations partisanes persistent avec d’un côté un discours sécuritaire liant immigration/sécurité/valeurs et de l’autre un accent quasi exclusif sur l’éducation et l’insertion par le travail. A la lumière de ce travail on ne peut que souhaiter que des travaux fondés sur cette approche biculturelle se multiplient.

- Jacques-Pierre GOUGEON -

Jean-Paul Cahn, Ulrich Pfeil (éds.), Allemagne 1945-1961. De la "catastrophe" à la construction du Mur, vol. 1/3, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2009.

Jean-Paul Cahn, Ulrich Pfeil (éds), Allemagne 1961-1974. De la construction du Mur à l'Ostpolitik, vol. 2/3, Villeneuve d'Ascq, Septentrion, 2009.

L'ouvrage collectif, édité par Jean-Paul Cahn et Ulrich Pfeil, est une somme monumentale brossant un tableau très complet de la RFA et de la RDA des origines à la chute du Mur. Sa lecture approfondie est indispensable à tous les étudiants qui présentent, cette année, le Capes et l'agrégation d'allemand. A leurs enseignants également… L'introduction pose bien le problème : il s'agit d'une société "en constant mouvement", celle des deux Allemagnes "entre distanciation et imbrication".

La Guerre froide a commencé bien avant la création en 1949 des deux Etats (M. Görtemaker) et joue même un rôle déterminant dans la partition de l'Allemagne et les relations conflictuelles entre l'Est et l'Ouest. Cet ordre bipolaire constitue, en effet, "le système référentiel de l'histoire allemande après 1945" (U. Pfeil, p. 43) et détermine d'une part l'orientation à l'Ouest, insufflée par Adenauer, d'autre part le contre-modèle de la RDA, puisant à la source soviétique. La question des nouvelles frontières allemandes (J-P. Cahn) est complexe et reflète l'évolution du contexte mondial : mise en cause de la frontière germano-sarroise dès 1949, frontière inter-allemande et intra-urbaine pour Berlin, ligne Oder-Neiße. Ces mutations, les ruptures et les continuités qu'elles engendrent, ont un impact non négligeable sur l'évolution démographique (M. Hubert) avec l'arrivée des expulsés de l'Est, l'hémorragie provoquée en RDA par le mouvement de migration vers l'Ouest et l'implosion démographique de la RFA. C'est cet apport de forces vives qui favorise la reconstruction rapide et le fameux "miracle économique" de la République de Bonn (A. Schildt), la modernisation de la société et sa prospérité naissante y permettant une évolution rapide des idées politiques et culturelles, tandis que la différence de niveau de vie se creuse avec la RDA. La faim et la misère des premiers temps après la défaite de l'Allemagne ne sont plus qu'un mauvais souvenir, vite oublié à l'Ouest où la production de biens de consommation est encouragée par le futur chancelier Erhard dès le début des années 1950 (A. Kaminsky). En revanche, les dirigeants du SED s'illustrent par des actions brutales, avec pour réponse le 17 juin 1953 (auquel B. Ludwig consacre sa contribution), et les divers Plans quinquennaux envisagent, en vain, de "rattraper puis dépasser" le niveau d'approvisionnement ouest-allemand. L'Etat de droit et la démocratie qui s'instaurent à l'Ouest sont inséparables de l'existence de partis politiques, dont H. Ménudier synthétise la création et l'évolution au fil des élections ; mais à l'Est les élections ne sont qu'un simulacre de démocratie et l'on assiste à l'étiolement des partis politiques.

Les dernières contributions du premier volume ont trait à l'histoire culturelle. S. Le Grand se demande quelles sont les relations entre les Eglises ouest et est-allemandes, les conditions politiques et sociales de leur existence étant déterminantes en RDA. G. Merlio se pose le problème de la place des intellectuels dans les deux Etats, tous décriés qu'ils sont dans l'Allemagne d'Adenauer, souvent instrumentalisés en RDA où les jeunes générations sont mises au pas dans leurs universités et les romanciers interdits de publication dès qu'ils critiquent le régime. Dans ce processus de séparation, C. Defrance se propose de mettre en lumière les liens que les universitaires et scientifiques allemands – acteurs ou victimes - ont pu sauvegarder en dépit d'une démarcation idéologique claire et nette par rapport au bloc adverse. C. Klessmann fait le point sur le rapport historique germano-allemand après 1945 au cours des quarante années de séparation en y associant "analyse de la domination et histoire des expériences" (p. 241).

Avec le début du tome deux, le lecteur se trouve au cœur de la crise de Berlin et de la construction du Mur, le 13 août 1961 (C. Buffet), seule garantie pour le régime d'Ulbricht de la viabilité de la RDA : le rideau de fer se referme davantage encore. L'Allemagne est au centre du conflit Est-Ouest au moment où les Etats-Unis et l'Union soviétique se déchirent (Reiner Marcowitz), mais la politique à l'Est (Ostpolitik), mise en place par Willy Brandt, amorce une nouvelle période "pour rendre le Mur transparent" (p. 50). C'est toujours la "question allemande" qui en est l'objet (A. Wilkens) dans un souci de détente et de préservation des perspectives d'avenir pour une éventuelle réunification allemande, même si l'on n'osait l'espérer à l'époque. Quant aux services secrets (A. Wagner), ils poursuivent leur action sans trêve : les informateurs peuvent changer, leurs responsables également, tout comme la cible des renseignements et l'on connaît le pouvoir redoutable de la Stasi. Tant dans les relations interallemandes que dans celles avec les pays tiers, la compétition entre les deux Etats est à l'œuvre (C. Defrance), la RDA tentant d'imposer sa reconnaissance et la RFA la niant par la doctrine Hallstein.

La seconde partie de ce volume traite des évolutions politiques, sociales et économiques. J-P. Cahn évoque les constitutions des deux Allemagnes en insistant tout particulièrement sur les différences entre la "constitution-paravent" de 1949 et celle de 1968 – véritablement marxiste-léniniste - en RDA. L'année 1968 est aussi fertile en événements des deux côtés du rideau de fer : à l'Ouest, les jeunes étudiants révolutionnaires de l'APO (Außerparlamentarische Opposition) revendiquent une transformation radicale de la société et s'élèvent contre les survivances du nazisme ; à l'Est, après le "printemps de Prague", les divisions du Pacte de Varsovie écrasent toute tentative de "socialisme à visage humain" (S. Wolle). Quant à lui, B. Ludwig précise les étapes de l'anticommunisme occidental du tournant de 1955/56 au réalisme de la politique à l'Est des années 1970. Cette période est également marquée par l'évolution des deux systèmes économiques (F. Berger) et leurs importantes conséquences pour la société allemande où l'on constate un processus de "déprolétarisation", même si la productivité demeure faible en RDA. Faut-il attribuer cet écueil à la planification ? G. Metzler met en lumière les changements de priorité de la direction du SED en la matière, sans oublier – à l'Ouest – le slogan lancé par Karl Schiller : "De la concurrence, autant que possible ; de la planification, autant que nécessaire" (p. 230). Cette approche est complétée avec les conséquences pour la politique sociale et les changements des années 1970 (M. Boldorf).

Dans la troisième partie, il est question d'identité, de mémoire et de culture. Le travail de retour sur le passé nazi devient un enjeu pour l'image des deux Etats allemands sur la scène internationale (F. Kuhn) et l'expression "d'histoire croisée" semble s'imposer pour définir les deux historiographies antagonistes qui ne rompent pas totalement le contact (U. Pfeil). De même, le système éducatif – en particulier l'école (W. Rudloff) – subit la logique du système de concurrence interallemand : la généralisation de l'accès à l'enseignement y est plus précoce en RDA, les portes s'ouvrent plus largement en RFA au cours des années 1970. Dans le domaine sportif, il existe – paradoxalement - une équipe olympique panallemande entre 1956 et 1965 (U. A. Balbier), qui entonne d'un commun accord "L'Hymne à la joie" de Beethoven et apparaît encore aux Jeux Olympiques de 1968 en dépit de nombreuses querelles protocolaires. En revanche, les contacts entre cinéastes et producteurs des deux Etats sont plus difficiles (C. Moine) jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Honecker et même les Kaninchen-Filme ("films-lapins") de 1965, c'est-à-dire les films interdits en RDA pour leur critique du régime, ne passent pas à l'Ouest. L'histoire du théâtre est-allemand est aussi celle d'œuvres interdites (F. Baillet) et d'une certaine libéralisation au début de l'ère Honecker, mais les auteurs et leurs textes franchissent plus facilement le Mur pour retrouver ceux de leurs collègues qui pratiquent également un théâtre politique et se faire entendre du public. Tout ceci amène K. H. Jarausch à faire le vœu qu'une écriture commune de l'histoire allemande devienne enfin possible en intégrant les différences qui séparent le vécu dans les deux Etats. Un troisième volume est depuis la rédaction de ce compte rendu venu compléter cet ensemble.

- A.-M. C. -

Carlo Saletti, Christian Eggers

(Ed.), Indésirables – indesirabili. Les camps de la France de Vichy et de l'Italie fasciste, in « Chroniques allemandes » No 12/2008 (CERAAC, Grenoble 3).

Cet ouvrage sur les camps du régime de Vichy et de l'Italie fasciste a vu le jour à la suite d'un colloque sur cette thématique, organisé par "l'Istituto per la storia della Resistenza e dell'età contemporanea" et la Société littéraire de Vérone en 2001. Ainsi, un public français peut accéder aux résultats de la recherche italienne sur les camps de Mussolini et les mettre en parallèle avec la vision des camps en France sous l'occupation allemande. Cette perspective comparatiste est au premier plan dans l'introduction de Christian Eggers. La recherche des germanistes français démarre dans les années 1970 avec les travaux des groupes qui se constituent autour de Gilbert Badia et Jacques Granjeon. Depuis les années 1980, elle est fédérée par L'Institut d'Histoire du temps présent (IHTP). En Italie également, l'intérêt pour l'appareil répressif du fascisme est tardif et remonte au plus tôt aux années 1980. Dans les deux pays, la tendance semble être dorénavant à la synthèse des démarches et à une plus grande systématisation des données, d'autant plus que les deux systèmes de camps ont en commun le fait d'avoir servi à mettre en œuvre la Shoah.

Dans la première partie ("Les systèmes d'internement"), Anne Grynberg traite de la législation qui régit les camps d'internement français depuis la Troisième République et qui débute avec la "Loi de contingentement de la main d'œuvre étrangère", adoptée en 1932 dans un contexte de crise économique où les étrangers deviennent des "indésirables". En 1938, les décrets visent particulièrement les immigrés clandestins. Mais tout prend une dimension nouvelle au début de la guerre, le délit de "dangerosité" des étrangers "ennemis" étant institué. Les mesures d'internement sont de plus en plus dures et s'accentuent encore lorsque le gouvernement de Vichy en fait des "réservoirs pour la déportation des Juifs" (p. 54). Enzo Collotti met en évidence les éléments nouveaux apportés au système répressif par le fascisme italien dès 1926 (Leggi fascistissime), avec en particulier la réintroduction de la peine de mort. L'institution du confino di polizia, l'assignation à résidence, y joue un rôle central. Puis l'Etat prend des mesures permettant la création d'un système concentrationnaire, en particulier à partir de 1940 pour les Juifs ressortissants d'Etats en guerre contre l'Italie, puis aussi pour les Juifs italiens. C'est à nouveau Christian Eggers qui développe le système d'internement pratiqué par le régime de Vichy et fait un état des lieux sous forme de plusieurs cartes, illustrant le quadrillage de la zone non occupée et la mise en place des déportations. Vichy travaille dans le même sens que les nazis pour amener la "Solution finale". En Italie également (Carlo Spartaco Capogreco), les modalité du traitement des internés se durcissent avec l'entrée en guerre du pays en 1940. Pourtant, d'un camp à l'autre, les différences peuvent être très marquées, tant pour le traitement des internés que pour leur ravitaillement, plus problématiques encore pour ceux institués par l'armée en Yougoslavie ou en Albanie.

La seconde partie est consacrée aux internés. Parmi les premiers camps français, il ne faut pas oublier ceux dans lesquels se trouvent les infortunés Républicains espagnols après la chute de la Catalogne en 1939 (Marie Rafaneau-Boj). Le gouvernement Daladier a déjà prévu circulaires et décrets sur la "police des étrangers". Les camps du sud de la France sont surpeuplés et parfois très répressifs s'ils sont disciplinaires. La surveillance y est étroite, les hommes traités comme des criminels. Certains ont réussi à échapper aux camps en s'engageant dans la Légion étrangère. Diane Afoumado constate, certes, bien des différences entre les lieux d'internement entre 1939 et 1945 : "Gurs est un camp "semi-répressif", à la différence du Vernet "camp répressif", de Bram, Argelès et Saint-Cyprien "camps d'hébergement", et des Milles "camp de transit" (p. 139). Mais, la spoliation des Juifs y est très similaire – qu'il s'agisse de leurs bijoux, des valeurs ou des différents objets qu'ils emportent lors de leur arrestation. Quant à Marie-Christine Hubert, elle traite de la manière dont l'internement des Tsiganes, ordonné par les autorités d'Occupation, va être appliqué par la France. D'ailleurs, nombre d'entre eux ne seront libérés qu'en 1946, une longue année après la fin de la guerre. La seconde partie permet aussi de voir ce qui se passait en Italie. Les Roms y sont persécutés par les fascistes italiens et les premières normes sur l'internement remontent à 1940 (Giovanna Boursier). Auparavant, ils étaient expulsés du territoire. L'étude des sources ne permet, cependant, pas encore de préciser quel sort leur réservait Mussolini. Quant aux internés slovènes et croates, ils furent déportés – entre autre - sur l'Ile d'Arbe où les conditions de détention étaient particulièrement précaires (Tone Ferenc). Une première ébauche de règlement fut élaborée en 1942, sans mettre en place un système d'extermination ou de travaux forcés conduisant à la mort.

La troisième partie s'intitule "Camps et spectateurs". Pour Maurice Rajsfus, Drancy était "un camp très ordinaire" (p. 185). Toute une hiérarchie permettait d'y rompre la chaîne de solidarité dès le moment où les déportations vers Auschwitz connurent un rythme de trois convois par semaine à partir de juillet 1942. Jusqu'à la frontière allemande, les déportés étaient surveillés par des gendarmes français qui les remettaient aux SS. En Italie, l'homosexualité fut particulièrement réprimée pendant le fascisme (Gianfranco Goretti), les nombreuses assignations à domicile, arrestations et condamnation en étant la preuve. Pour le gouvernement, il s'agissait "d'enrayer et de vaincre le mal" (p. 199). L'attitude du Saint-Siège pendant la Seconde guerre mondiale et face à l'internement ressort clairement des dossiers de la Secrétairie d'Etat. Liliana Ferrari rappelle que Pie XII choisit de ne pas prendre parti entre les différents pays belligérants. Le Pape conserva ainsi une certaine liberté d'action en accordant à l'épiscopat des différents pays l'autorisation de se montrer loyal envers son gouvernement. La crainte d'une extension du communisme était plus forte que la sensibilité aux horreurs commises par le fascisme et le nazisme, même si certains prêtres ou religieux s'engagèrent avec courage pour sauver les Juifs. La controverse sur les "silences" de Pie XII face au nazisme a finalement permis l'accès à certains documents des Archives secrètes du Vatican avant la date légale. Toutes ces contributions sont utiles pour mieux comprendre comment les actions caritatives et humanitaires ont été suspendues pendant toute la longue période du conflit mondial. Même sur le tard, ce travail de mémoire permet de lever le voile sur certaines zones d'ombre du passé.

- Anne-Marie CORBIN -

Michael Opitz, Michael Hofmann

(Hrsg.), Metzler Lexikon DDR-

Literatur. Autoren- Institutionen –

Debatten? Verlag J.B. Metzler,

Stuttgart, Weimar, 2009

Pour les vingt ans de la chute du Mur, l’éditeur Metzler nous offre un nouveau dictionnaire de la littérature de RDA. On pouvait penser que tout avait déjà été dit sur ce sujet, cet ouvrage renouvelle cependant le propos en adoptant un point de vue original : le concept de « littérature de RDA » n’est pas limité à la césure de 1989, l’évolution des vingt dernières années est prise en compte et de nouvelles approches thématiques sont envisagées. La vie culturelle est comprise dans son évolution sur le long terme, incluant les conséquences actuelles de la spécificité d’un contexte politique et social effacé depuis vingt ans. Les notices concernant les auteurs canoniques de la RDA en renouvèlent la vision, en intégrant les données les plus récentes. Ce travail réserve par ailleurs une place de choix aux auteurs d’Allemagne de l’Est qui n’ont pu développer leur talent ou se faire connaître qu’après la chute du Mur. Les éditeurs ont par exemple choisi d’intégrer Julia Franck ou Annett Gröschner. Les entrées thématiques renvoient aussi bien à des genres (« Kriminalliteratur », « Comics », « Kinder- und Jugendliteratur »…) qu’à des événements politiques (« 17. Juni 1953 », « Ausreisen aus der DDR bis 1961 »…), à des institutions, ou aux principales maisons d’édition.

La grande variété des points de vue exposés se retrouve dans le choix des auteurs des notices, aussi bien issus de l’Ouest que de l’Est. Sans oublier les germanistes étrangers, dont trois collaborateurs de cette revue qu’il faut citer ici : Jean Mortier, Carola Haehnel-Mesnard et Catherine Fabre-Renault. Cet ouvrage sera un outil de travail bienvenu, complété par une bibliographie des parutions récentes sur le sujet. Les auteurs ont donc bien atteint leur objectif : « transmettre de solides informations sur les auteurs de la RDA, connus ou moins connus, sur la vie littéraire et sur le cadre politique et social d’existence de la littérature », « en dépassant le stade de la critique à l’emporte-pièce et de l’apologie, de l’idéalisation et de la condamnation » car la littérature de la RDA « fait partie de l’histoire allemande ».

- Anne-Marie PAILHÈS -

Laurence Danguy, L’Ange de la

jeunesse. La revue Jugend et le Jugendstil à Munich, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme (collection Philia), 2009.

Au tournant du XXe siècle, une nouvelle revue naît à Munich, fondée par Georg Hirth, la Jugend, toute porteuse de l’esprit du Jugendstil (en France « Art nouveau »). Elle dénonce les compromissions du passé, les aberrations de la société wilhelminienne et propose, avec toute la verve de la jeunesse, l’alternative d’un renouvellement perpétuel. La présente étude se focalise sur la représentation de l’ange dans la revue Jugend, car elle doit permettre – selon L. Danguy – d’appréhender à la fois une « histoire de l’art adossée à une histoire culturelle » et « une herméneutique de l’image arrimée à l’anthropologie religieuse ». Le corpus de base prend en compte la période de 1896 (date de la création de Jugend) à 1920. La première partie présente l’originalité de la revue comportant, les premières années, de huit à douze feuillets avec des illustrations en couleur, ce qui est encore rare à l’époque. L’humour y prédomine, un humour parfois gentillet, mais aussi plus agressif et proche de la satire pour dénoncer l’Eglise, les partis et les hommes politiques, l’armée ou bien la pesanteur de la morale. Jugend (sauf Georg Hirth) s’en prend aussi à l’émancipation de la femme. La revue se fait le reflet des débats de la scène internationale sous forme de caricatures, parfois outrancières, voire racistes ou antisémites, avec une hostilité grandissante envers la France à l’approche de la guerre. L’éditorial programmatique du premier numéro affirme vouloir couvrir tous les domaines de la vie publique en revendiquant l’utilisation des arts graphiques dans leur ensemble pour conjuguer le texte et l’image. Mais, au bout d’un an déjà, l’inventivité s’émousse, l’audace se perd. Les artistes qui font la revue occupent des postes honorifiques si bien que la liberté qu’ils revendiquent est illusoire. D’ailleurs, c’est une bourgeoisie cultivée qui les lit. Jugend est aussi une entreprise commerciale où Munich cherche à s'imposer face à Berlin. Mais, ce qu’on retiendra surtout aujourd’hui, c’est le caractère esthétique de la revue. Rompant avec la présentation de la femme dans les revues familiales, Jugend la montre dans un environnement végétal, souvent nue, ce qui provoque à l’époque des scandales. A la femme-ange s’oppose le sphinx ou la Pythie.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, c’est l’ange qui est à l’honneur. Il occupe, en effet, dans l’inconographie de Jugend une place particulière et se démarque de l’ornementation habituelle du Jugendstil. Plus que motif, il est aussi figure sous la forme d’un ange-papillon, citation de Dante, mais aussi métaphore de l’immortalité de l’âme. Fritz Erler, l’un des artistes qui collaborent à la revue pendant une vingtaine d’années, s’amuse à des variations parodiques autour du thème de l’ange. Parfois aussi, chez Richard Schaupp, le papillon apparaît comme code de représentation de Psyché, mais ses ailes évoquent à nouveau l’ange : Psyché comme l’ange apparaissant au voisinage des morts. Quant au « Bébé-Jugend », lui aussi souvent muni d’ailes, assistant et honorant les héros, sa figuration re-sacralisée est utilisée encore pour participer à l’effort de guerre : le petit Amour voletant dans les airs accourt pour soutenir le soldat allemand ! Ajoutons que l’on a grand plaisir à regarder les nombreuses reproductions, toutes fort belles, reproduites par L. Danguy dans un cahier central d’une trentaine de pages. Il ne faut pas se laisser rebuter par une introduction quelque peu jargonnante, car c’est l’écueil habituel d’une thèse de doctorat. Fort heureusement, le reste de l’ouvrage est accessible à un large public qui apprendra beaucoup à sa lecture.

-A.-M. C. -